« Alors… Chante ! »… au Café du Canal
C’est l’histoire d’un impossible rêve devenu réalité… ou en passe de le devenir. J’avais conté ici la façon dont une certaine politique ennemie de la culture vivante avait mis fin au rêve du festival Alors… Chante ! de Montauban de fêter cette année sa trentième édition. Finalement, ça ne sera que partie remise, mais ailleurs, en d’autres terres plus aimables pour la chanson. À Castelsarrasin, sous-préfecture du Tarn-et-Garonne. À Castelsarrasin, où selon Pierre Perret y a du tabac, y a du raisin : « C’est pas du havane il s’en faut / Et le vin c’est pas du bordeaux / Mais les gens y sont accueillants / Et j’en connais de bien vaillants… » La preuve !
Il faudra toutefois patienter un an, le week-end de l’Ascension 2016, pour que l’aventure reprenne son cours normal – si tant est qu’on puisse parler de normalité en l’occurrence –, mais d’ores et déjà, le samedi 12 septembre prochain, c’est le trentième anniversaire du festival… de Montauban qu’on célébrera… à Castelsarrasin, à vingt-deux kilomètres seulement de distance. Nous avions eu vent, il y a pas mal de temps déjà, de ce déménagement possible. Espoir… Et puis, l’affaire avait capoté. Dissensions internes... Passons. Il a fallu réorganiser l’association Chants Libres, maître d’œuvre de la manifestation de 1986 à 2014, et attendre simultanément l’invitation officielle des élus de Castelsarrasin. C’est désormais chose faite : Alors… Chante ! s’installera bientôt à demeure dans la ville natale de l’ami (Pierrot) public n° 1, celle de la jolie Rosette aussi, du Café du Canal…
En attendant donc la trentième édition, si tout va bien d’ici là, le rendez-vous de septembre se prépare activement : une grande soirée en plein air à laquelle devraient participer la plupart des artistes qui ont marqué l’histoire du festival (comme ceux de la vidéo ci-dessus). Un événement dans tous les sens du terme. Nul doute que Léo Ferré, Georges Moustaki, Claude Nougaro, Serge Reggiani et autres Allain Leprest ou Maurice Fanon (dont la chanson Mon fils, chante ! inspira le nom du festival), se seraient réjouis à l’idée d’être de la fête. Marquez donc cette date d’une croix blanche dans vos agendas : elle vaudra le déplacement.
Du rêve à la réalité… il n’y a parfois qu’un pas, contrairement à ce que pensent tant et tant de politiciens formatés (et déshumanisés) par l’Ena (…« Et quand ils seront grands, chante Gilbert Laffaille en langage éléphant, ils iront à l’Ena, ils seront présidents ») et sa pensée unique. J’aime à citer Paco Ibañez qui, un jour qu’on parlait de cela, de « l’impossible rêve », de la quête de Don Quichotte et de la triste évolution du monde, répondit tout de go à son interlocuteur d’hidalgo : « L’utopie, c’est tout ce qu’il nous reste à réaliser. » De fait, « les gens assez fous pour penser qu’ils peuvent changer le monde – au premier rang desquels les artistes, les poètes, les musiciens, les écrivains, les peintres… – sont ceux qui le changent ! »
Cela sous-tend bien sûr la présence de l’humain au centre du motif, l’obligation en politique de se mettre au service de la collectivité et non de ses seules ambitions individuelles, comme on a pu le constater à Montauban. « Ceux qui voudront traiter séparément la politique et la morale n’entendront jamais rien à aucune des deux », disait Rousseau. Et dans L’Espoir, Malraux renchérissait à sa façon : « On ne fait pas de politique avec de la morale, mais on n’en fait pas davantage sans. »
Rien de nouveau sous le soleil ? Ben non… C’est simplement qu’avec le temps, les progrès de la science, la fin des mythes religieux (qu’on croyait…), on pouvait espérer une amélioration, oh légère, très légère, de la mentalité humaine avec sa traduction dans la vie de la cité. Mais non, rien de rien, et du coup, comme le notait déjà Albert Camus à propos de « la société politique contemporaine », celle-ci reste en 2015 « une machine à désespérer les hommes. »
D’autres pensées de ce type ? Tenez, ce constat de Montherlant qui ne se berçait pas d’illusions et se payait encore moins de mots : « La politique est l’art de se servir des gens », ajoutant, avec la sombre lucidité qui le caractérisait : « Je préfère en être victime que complice. » Et un dernier pour la route, à méditer quand on voit « la société politique contemporaine », tous pays confondus, pencher de plus en plus vers la démagogie… et ses dangers extrêmes. « Je regarde la nécessité politique d’exploiter tout ce qui est dans l’homme de plus bas, dans l’ordre psychique, comme le plus grand danger de l’heure actuelle. » Signé Paul Valéry, du haut de son cimetière marin.
C’est sans doute ce que l’on appelle la Realpolitik, appliquée partout, dans le seul intérêt national (chacun le sien et au diable les autres !), la mise en œuvre d’un seul et même réalisme matériel faisant fi de l’éthique et de la morale évoquées ci-dessus. L’aboutissement d’une leçon qui n’était finalement que de la realpolitik avant l’heure, développée par un certain Machiavel (1469-1527) dans Le Prince. Un « grand œuvre » auquel on sera toujours nombreux à préférer, quitte à se faire taxer de naïveté et d’utopie, ceux de Saint-Exupéry et Cervantès.
Mais revenons… à nos moutons. De Castelsarrasin. Si, là, le Petit Prince semble prendre le meilleur sur son aîné machiavélique, avec la fête du trentième anniversaire, rien n’est encore acquis pour la suite. D’autant plus que les membres du bureau de Chants Libres (photo ci-dessous), avec sa nouvelle présidente Dominique Janin et l’ancien directeur historique du festival (et cofondateur de l’association) Jo Masure, ont décidé de ne pas déposer le bilan pour tenter de rembourser les dettes et ne léser personne avant de s’atteler à la trentième édition. Ce qui est tout à leur honneur.
Un appel à dons (déductible des impôts) vient d’être lancé… Si ça vous chante d’en être, il suffit de suivre ce lien vers le site du festival où tout est expliqué. Quant à la soirée anniversaire, voici la page Facebook qui l’annonce officiellement. Une fois les finances renflouées ou en passe de l’être, Alors… Chante ! (100% francophone, respectueux de la charte de la Fédération des festivals francophones dont il est à l’origine) pourra vraiment faire sienne la chanson de l’ami Pierrot : « Je suis de Castelsarrasin »…
Y a quelque chose qui cloche là-dedans…
Avant de conclure ce cent quatre-vingt-dix-neuvième sujet de « Si ça vous chante » (!), permettez-moi un petit aparté suite aux commentaires qu’a aussitôt suscité mon article précédent. Tous fort aimables (merci)… mais dans une seule et même tonalité qui, je dois l’avouer, m’a fort surpris. Comme s’il fallait à tout prix me remonter le moral, comme si j’étais au fond du fond, prêt à « lâcher »… Après la surprise, ma première réaction a été de me dire : « Ils ont lu trop vite ! » Je croyais dresser un simple constat général (certes assez désespérant), et il a été pris – vous l’avez pris – pour l’expression, avant tout, d’un coup de blues individuel. Alors, l’ami Boris et son copain Serge m’ont susurré à l’oreille : « Y a quelque chose qui cloche là-dedans », et moi d’acquiescer : « J’y retourne immédiatement ! »
Y aurait-il eu « plantage » ? Pas possible en effet que tout le monde ait saisi mes propos (un peu) de travers. Je dénonçais la grève du rêve généralisé, avec les résultats que l’on sait, mais en aucun cas la mienne ! Maldonne. Je l’ai dit (en réponse à un commentaire) et je le répète ici : le jour où je ferai moi aussi la grève du rêve, c’est que je mangerai les pissenlits par la racine… Et même, alors, qui sait, je continuerai peut-être de rêver encore…
Bref, je me suis relu et puis j’ai relu mes classiques et notamment ce Chant de Boileau que je n’avais plus « écouté » (en détail) depuis le secondaire… et j’ai compris. Que ce soit sur un air de tango, de valse ou de java (…des bombes atomiques), ce sont des choses qui arrivent : parfois les paroles ne sont pas à la hauteur de la musique. Alors, ce « repentir », comme disent les peintres : texte écrit trop vite sans doute, dans mon empressement à vous redonner des nouvelles après trois mois de silence et plein de petits mots doux, inquiets, reçus dans l’intervalle. Colère et confusion, aussi, suite au massacre des amis de Charlie… dont on n’arrive pas à se remettre.
Selon que notre idée est plus ou moins obscure,
L’expression la suit, ou moins nette, ou plus pure.
Ce que l'on conçoit bien s’énonce clairement,
Et les mots pour le dire arrivent aisément.
Travaillez à loisir, quelque ordre qui vous presse,
Et ne vous piquez point d’une folle vitesse :
Un style si rapide, et qui court en rimant,
Marque moins trop d’esprit que peu de jugement.
J’aime mieux un ruisseau qui, sur la molle arène,
Dans un pré plein de fleurs lentement se promène,
Qu’un torrent débordé qui, d’un cours orageux,
Roule, plein de gravier, sur un terrain fangeux.
Hâtez-vous lentement, et, sans perdre courage,
Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage :
Polissez-le sans cesse et le repolissez ;
Ajoutez quelquefois, et souvent effacez.
Dont acte. La prochaine fois je ne me piquerai point d’une folle vitesse et, sans perdre courage – tout comme l’équipe d’Alors… Chante ! – je remettrai vingt fois mon métier sur l’ouvrage... Boileau ? Ça m’va ! Vauvenargues ne voyait-il pas en lui quelqu’un « chez qui la raison n’était pas distincte du sentiment » ? De la politique et de la morale évoquées plus haut. Quand les deux font chorus, tout devient possible, y compris l’impossible rêve. Y compris la renaissance d’un festival qui semblait blessé à mort.
ConcertPS. C’est un essai : nous venons de changer la bannière de mon blog avec une photo prise sur une île lointaine du Pacifique visitée par Stevenson, Melville, Gauguin puis, trois quarts de siècle plus tard, par Jacques Brel… sur les traces duquel j’étais alors parti. Le but n’est pas de faire dépliant touristique mais d’inviter au voyage poétique, au rêve d’un monde meilleur, là où tout n’est qu’ordre et beauté, luxe, calme et volupté, là où l’on aime à loisir… Qu’en pensez-vous ?