Attention, un livre peut en cacher un autre...
Après
La mémoire qui chante,
voici donc
Goldman confidentiel,
en librairie
ce 16 novembre.
Si le premier
(paru le mois dernier)
me tenait à ce point à cœur
qu’il a fallu lancer
un financement participatif
pour l’éditer,
le second me ressemble
tout autant…
Vous me connaissez ? Vous savez alors combien l’adéquation entre l’homme et sa création – entre la nature profonde de l’un et les valeurs humanistes de l’autre – m’aura toujours interpellé : quand il y a osmose, ce qui n’est pas aussi fréquent qu’on le souhaiterait, c’est un éblouissement (cf. la vie de Jacques Brel aux Marquises qui a « crédibilisé », « authentifié » son œuvre a posteriori au-delà de toute espérance…).
Vous me connaissez ? Vous devinez donc qu’il ne s’agit pas là d’une « simple » biographie (même si tout y est, les faits, les dates et les chansons) ; c’est aussi la petite histoire des années 1980 à aujourd’hui qui recoupe le parcours de l’artiste et s’imbrique de bout en bout dans celui de Paroles et Musique et de Chorus ; c’est une réflexion menée en commun, chemin faisant, sur la chanson, sa nature et son rôle, sur sa place dans la société contemporaine. Au final, me semble-t-il, c’est le complément logique de La mémoire qui chante, avec des passerelles d’autant plus nombreuses que j’ai avancé dans ces deux livres en parallèle…
Le premier est le fruit du septennat écoulé depuis la disparition de Chorus, grâce à l’écho que vous m’en avez renvoyé (sans lequel je n’aurais pas poursuivi bien longtemps ce travail…). Le second est un ouvrage que je portais en moi depuis (au moins) dix ans, pour diverses raisons dont la moindre n’est pas celle-ci : Jean-Jacques Goldman est l’un des artistes les plus humainement et définitivement respectables que j’aurai rencontrés sur mon sentier d'échanson de la chanson ; l’un de ceux qui, loin de vous faire regretter d’avoir dédié la plus grande partie de votre vie à défendre et illustrer cette petite chose si « futile », justifient non pas seulement « quinze ans d’amour » – comme l’avait confié Brel, le dernier soir de ses adieux, au public de l’Olympia – mais en l’occurrence au moins le double…
Il y l’homme, donc… La « personnalité préférée des Français » depuis près de deux décennies (à l’époque, à vrai dire, il était classé deuxième derrière l’abbé Pierre, et il s’était empressé de demander que son nom soit retiré des listes des sondeurs, estimant indécent qu’un saltimbanque « simplement doué du talent de capter et de mettre en musique l’air du temps » pût être placé sur le même piédestal qu’un personnage de l’importance de l’abbé Pierre). Jusqu’à ce qu’il ne puisse plus s’y opposer… Sans doute ignorez-vous aussi que JJG avait souhaité (c’est le seul cas de l’histoire de cette académie) à ne plus figurer parmi les « nommés » des Victoires de la musique…
Il y a l’homme… Celui qui œuvre dans la discrétion la plus complète à soutenir nombre d’associations (à la condition qu’on ne communique pas sur son nom…). Celui qui a donné plusieurs mois de son temps chaque année pendant trois décennies aux Restos du Cœur ! Pour rester fidèle à son ami Coluche, en portant à bout de bras Les Enfoirés avec le souci primordial (outre de proposer un spectacle bon enfant et tous publics autour de la chanson française) de générer le plus de recettes possibles à l’association – un milliard de repas fournis aux indigents depuis 1986…
Il y a celui, tout récemment, qui a choisi de mettre une petite distance géographique entre lui et ces mêmes Enfoirés, ayant décidé au seuil de ses 65 ans de passer le témoin, histoire de les laisser totalement libres de réussir leur transition ; dans l’espoir simultané que les médias commencent à l’oublier pour de bon, lui qui n’aspire plus – comme Brel larguant les amarres de son voilier en quête de son impossible étoile – qu’à retrouver l’anonymat et à vivre la vie de Monsieur Tout-Le-Monde.
L’homme. Et puis le créateur, le faiseur de chansons – dans le bon sens du terme. Dans le sens où l’entendait Guy Béart qui s’y connaissait en ritournelles populaires. Il y a plus de trente ans (JJG n’en était encore qu’à son deuxième album), voici ce que m’expliquait l’auteur de L’Eau vive : « La chanson, c’est l’union de l’aveugle – la musique – et du paralytique – les paroles. Sans la musique les paroles restent paralysées, mais sans les paroles la musique va n’importe où… Peu importe que le texte pris tout seul ne soit pas terrible, que la musique seule ne soit pas géniale, c’est l’ensemble qui doit être formidable. [Il chante :] “Qu’on est bien / Dans les bras / D’une personne du genre / Qu’on n’a pas / Qu’on est bien / Dans ces bras- / Là”. Ce n’est pas très original comme texte, et sa musique non plus, pourtant l’ensemble est miraculeux ! »
Miraculeux, en effet. Or, Goldman a toujours eu la même vision de la chanson que Béart. Voici ce qu’il m’a répondu quand j’ai appris que sa chanson Là-bas (superbe au demeurant) venait d'être présentée comme sujet du bac professionnel à l’épreuve de français (c’était en 2003 ; avant lui Jacques Brel avait connu la même « mésaventure » avec Le Plat Pays…) : « Sans vouloir faire le grognon ni le faux modeste, je crois que c’est une erreur, une erreur assez explicable d’ailleurs quand on connaît depuis toujours le malentendu français vis-à-vis de la chanson : un texte de chanson est un texte de chanson, ce n’est pas de la littérature mise en musique. Lire le texte seul, à mon avis, n’a pas de sens ; pas plus qu’entendre une mélodie avec “la la la la la”, ça donne juste un aperçu de la chanson. Les mots, les expressions, les liaisons auraient été différents sur d’autres notes, d’autres rythmes. Pour moi, le mot est indissociable de la note. (Évidemment c’est différent pour des textes mis en musique comme ceux d’Aragon […], dans ces cas la note s’est adaptée aux mots. Ça n’est pas le mien…) »
Et il en a fait, des chansons qui célèbrent les épousailles fusionnelles de la note et du verbe ! Des chansons qui parlent au cœur des gens. De tous âges et de toutes classes sociales – mais à destination en particulier de ceux du parti des perdants (« Pauvre, riche ou bâtard / Blanc tout noir ou bizarre / Je reconnais ton regard... »), qu’il considère de sa famille « bien plus que celle du sang, celle que j’ai choisie, celle que je ressens »… Des perdants qu’il encourage à vaincre la fatalité : « C’est ta chance, ta force, ta dissonance / Faudra remplacer tous les pas de chance / Par de l’intelligence. » Des chansons décriées par d’aucuns (on ne peut pas plaire à tout le monde, des goûts et des couleurs…), dont le message reste pourtant plus que jamais d’actualité, qu’il faudrait enseigner dans les écoles : elles prônent la tolérance, la fraternité, la solidarité, mais aussi la réciprocité des droits et des devoirs (« car c’est mépriser l’autre que de tout lui offrir sans rien lui demander »). Surtout, elles incitent chacun et chacune à prendre en mains son destin, à franchir les obstacles sans chercher de boucs émissaires, pour aller au bout de ses rêves, par l’éducation et la culture.
Plus d’idéologies en isme qui vaillent avec Jean-Jacques Goldman, mais le souci chevillé au corps, malgré tout, de contribuer à changer la vie, en encourageant chacun à le faire, à sa façon, dans son coin :
C’était un professeur, un simple professeur
Qui pensait que savoir était un grand trésor
Que tous les moins que rien n’avaient pour s’en sortir
Que l’école et le droit qu’a chacun de s’instruire…
Chacun à sa place, oui, où qu’il soit, même manquant totalement de confiance en soi :
C’était un petit bonhomme
Rien qu’un tout petit bonhomme
Malhabile et rêveur, un peu loupé en somme
Se croyait inutile, banni des autres hommes
Il pleurait sur son saxophone
Il y mit tant de temps, de larmes et de douleur
Les rêves de sa vie, les prisons de son cœur
Et loin des beaux discours, des grandes théories
Inspiré jour après jour de son souffle et de ses cris
Il changeait la vie.
L’homme (capable de toutes les remises en question), l’artiste et les chansons – pour lui et pour les autres. Bon, d’accord. Mais encore, ce Goldman confidentiel ? Ben… le reste, tout le reste. La totale. Pas d’impasse. Les « migrants » qu’étaient ses parents, le père à la tête d’un réseau de résistants français contre les nazis, la mère encore adolescente internée dans un camp de concentration… français. Le demi-frère révolutionnaire, abattu à 35 ans dans les rues de Paris par un commando d’extrême droite... Les disques (tous de diamant : le seul auteur-compositeur-interprète francophone à avoir vendu plus d’un million d’exemplaires de chacun d’entre eux), neuf enregistrés en studio, six en public, les tournées (qui ont battu des records de fréquentation), les spectacles où la complicité entre l’artiste et les gens (il n'a jamais voulu parler de son public, encore moins de fans...) a rarement été aussi éprouvée – jusqu’à se retrouver seul à la guitare acoustique au milieu de la salle (cf. la photo de Francis Vernhet en couverture du livre), un parmi des milliers d’autres…
Les polémiques, aussi, car ils sont bien peu les artistes francophones – depuis Aznavour et Brel à leurs débuts – à avoir été aussi vilipendés par la presse et une certaine frange du pays. Goldman, vous pensez, l’homme en or, fils d’immigrés juifs… Les Enfoirés, Toute la vie, l’admiration et le respect des uns, la haine (oui, la haine et la morgue) et la petitesse des autres, surtout bien planqués à l’abri des réseaux sociaux ; Brassens et Mourir pour des idées – jamais JJG ne s’était exprimé auparavant sur ce sujet…
Ici et maintenant, bien sûr. L’avenir. Et les lendemains... qui chantent ? Reviendra, reviendra pas ? Tout est là, avec des propos exclusifs, inédits… et des anecdotes vécues ensemble. Un livre « autorisé » alors ? Oui et non, car Jean-Jacques Goldman n’aimerait rien tant à présent qu’on ne parle plus de lui, du tout, qu’on ne le voie plus à la télévision, qu’on n’écrive rien, plus rien, sur lui…
Pourquoi donc aller à l’encontre de ses souhaits ? Pourquoi Goldman confidentiel ? Parce que ! Parce que je n’avais pas le choix. Parce qu’il était urgent de me délivrer de tout cela… Il y a vingt-cinq ans déjà, je formais le projet d’écrire un livre avec lui, à quatre mains. Un quart de siècle... Finalement c’est un peu ça. Et pourtant… Voici un extrait de notre dernière conversation à ce sujet :
« Puis-je compter sur ta bénédiction ? », lui ai-je demandé en l’informant que, cette fois, j’irais au bout… Un livre en gestation, en fait, depuis 2005, après qu’il m’eut officiellement annoncé qu’il se mettait en réserve de la chanson, ou plutôt qu’il arrêtait les disques et la scène pour un temps indéterminé.
Réponse : « Ni bénédiction… ni excommunication », ajoutant avec cette lucidité dont il ne se départit jamais : « Paradoxe d’un type qui a écrit “tout mais pas l’indifférence” ! » Notez que d’autres auraient pris soin de spécifier : « …mais imprimatur requis. » Pas lui, pas JJG ! Respect total de la liberté d’autrui même s’il préfère – euphémisme – qu’on fasse désormais silence à son propos : « Il y a tant d’autres sujets qui m’intéressent », m’a-t-il écrit tout récemment, estimant vraiment, profondément, ne pas « mériter » un livre : « Sans fausse modestie, je ne crois pas que mon parcours mérite tant de papier, de temps. »
En désaccord avec lui, au moins sur ce point, j’ai décidé de passer outre. Je n’allais pas attendre vingt-cinq ans de plus pour livrer ce témoignage sur un homme dont le crédit de tendresse auprès de la population française est au moins aussi important que celui dont jouissaient Brassens et Brel. Ça n’est pas pour rien que plusieurs sondages l’ont placé à côté de ces deux-là dans le cœur des Français. Incidemment, en cours d’écriture, j’ai relevé d’étranges coïncidences, de celles que Jung nommait des synchronicités tellement le destin, parfois, semble vouloir s’amuser malicieusement avec vous (se jouer de vous ?). Comme si certaines choses étaient écrites, dirait Francis Cabrel, alors que Jean-Jacques Goldman s’est toujours évertué à montrer le contraire…
Et voulez-vous que je vous dise ? Au bout du compte, même si j’ai demandé pardon à l’intéressé pour apporter ainsi encore du grain à moudre à son sujet, retardant d’autant plus son retour si espéré à l’anonymat, même si – c’est sûr – je ne le referai plus jamais… non, non, non, non, rien de rien, je ne regrette rien.
NB. Jean-Jacques Goldman confidentiel, l’Archipel éd., 572 pages plus un cahier photo de 16 pages. 34 chapitres en 5 actes, plus un prologue, un épilogue et des annexes (repères, discographie, index, etc.). On peut d’ailleurs lire le prologue et le premier chapitre (cf. « Télécharger un extrait »), voire commander l’ouvrage par correspondance – si ça vous chante – sur l’un des sites de votre choix, en cliquant sur ce lien de l’éditeur.
*Merci à NosEnchanteurs (« le quotidien de la chanson » sur la Toile) pour sa rapidité de réaction… et pour l’honnêteté de ses lignes, lesquelles constituent donc la première critique de Jean-Jacques Goldman confidentiel.