« Sang pour sang pure souche »
À l’heure où le national-populisme entraîne la Catalogne (mon pays du côté maternel, d’une exemplaire ouverture culturelle au monde… jusqu’à ces jours-ci de repli et de xénophobie assumés) vers un gouffre sans fond, au risque en outre de réveiller les vieux démons de l’Espagne (pourtant « enfouis dans la mer »*, comme l’écrivait Rafael Alberti, depuis que « Franco est tout à fait mort », cf. Jacques Brel, 1977), je retrouve ce polar inachevé (et très perso…), que j’avais commencé à écrire à la fin de Paroles et Musique, en 1990. Seul le lancement de Chorus, un an et demi plus tard, m’avait empêché de l’achever. Je vous livre son préambule tel quel, non pour quémander votre éventuelle envie de connaître la suite, mais parce que j’y trouve des échos profonds au drame que l’on vit aujourd’hui outre-Pyrénées, qui a fracturé les familles et la société, résultante directe (et impardonnable) de ce que je dénonçais d’entrée dans ces lignes d’il y a vingt-sept ans : l’affirmation du sang pour sang pure souche, qui est à l’origine des pires barbaries de l’Histoire.
Il s’agissait en quelque sorte d’un « pilote » que je comptais confier à un éditeur pour lui proposer d’en faire une série, entre espionnage et thriller. Dans le même temps, mon ami Leny Escudero souhaitait que j’écrive avec lui une saga policière, dont le héros récurrent aurait été un inspecteur de compagnie d’assurances. Leny ne se sentait pas capable d’écrire des romans mais il possédait une imagination aussi fertile que débordante. J’aurais dû choisir entre mon « Quichotte » et cette aventure à quatre mains et double matière grise ! Finalement, la passion pour la chanson allait reprendre très vite le dessus, avec le constat du vide abyssal que la disparition de Paroles et Musique avait laissé, en ce domaine chansonnier, dans les kiosques.
Et nous voilà ce soir, comme disait Jacques Brel, encore lui, que je citais déjà – évidemment – dans mon polar… dont il ne faut pas confondre le narrateur (pas très modeste, c’était même sa « marque de fabrique » de ne pas l’être du tout !) avec l’auteur. « Toutes ressemblances avec des personnes existantes ne pourraient être que purement fortuites », on connaît la formule…
« On m'appelle “Le Quichotte”. Allez savoir pourquoi... Ma gueule en lame de couteau ? Mon profil acéré, ma silhouette longiligne ? Ou bien ma propension naturelle à combattre les moulins à vent, à défendre les causes prétendument perdues d’avance ? En fait, dans ce milieu-là, faut pas chercher midi à quatorze heures. Mes ascendances espagnoles, probable : l’apparence ombrageuse, le regard ténébreux, toutes ces conneries, quoi... Encore que plus franchute (1) que moi, comme on dit au royaume d’Ibérie, impossible de trouver mieux en la matière. Difficile d’envisager plus séducteur, plus fin gourmet, plus curieux de tout, plus fier de ses acquis, de ses bonnes manières et plus ouvert aux autres à la fois... Pas forcément modeste comme il le faudrait, tu vois, mais lucide ! Plus Français que moi, tu meurs ! Mais attention, Français de cœur et de raison, façon Voltaire : “je ne suis pas d'accord avec ce que vous dites, mais je me battrai jusqu'au bout pour que vous puissiez le dire !”...
Voltaire, ouais, pas Descartes ! Le Discours sur l’homme, ça baigne, rien à foutre de celui de La Méthode. Ou alors la méthode à mimile, le système D, du vécu, du senti. Celle qui a donné tous ces footeux qu’on nous envie, des Kopa, Piantoni, Platini et autre Fernandez de naguère aux Zidane, Thuram, Djorkaeff et Anelka d’aujourd’hui ; tous ces chanteux qui font chorus mieux que n’importe qui avec l’air du temps, du père Montand d’antan aux Jonasz, Cabrel ou Goldman de maintenant en passant par les Ferrat, Aznavour de toujours ; car on ne les compte plus les franchutes, artistes, sportifs ou savants à la Marie Curie, Haroun Tazieff, Georges Charpak, originaires des quatre coins du globe, qui ont fait avancer le schmilblick bleu-blanc-rouge. Du sang neuf, palsambleu, voilà la recette du miracle français !
Laissons aux haineux l’illusion de maintenir la race : dégénérés du cœur, raccourcis du bulbe et atrophiés du pénis, ces partisans du statu quo, de l’immobilisme à tout crin voire du retour au passé, faux vicomtes vendéens et vrais cons du bocage, finiront là où on aurait dû les laisser à leur naissance, dans le formol. Bouge de là, si tu veux échapper à ton destin pourri ! La vie est mouvement, crévindieu, elle aime que ça fricote, que ça se mélange... Moi itou, Le Quichotte (mon côté brélien, aussi), c’est tout ce que j’aime. Avec le soleil et puis la mer, comme bêlait l'autre. Sea, sex and sun, à la manière de mon distingué confrère british… »
1. Français, bien sûr, comme on dit espingo ou espingouin pour Espagnol.
NB. Un grand poème de León Felipe (1884-1968) sur Don Quichotte, mis en musique et interprété par le chanteur catalan Joan Manuel Serrat,Vencidos (Vaincus) :
*Je rappelle que l’Espagne, depuis la mise en œuvre de sa Constitution (approuvée en 1978 par 90 % des Catalans…), est sans doute la seule démocratie européenne à ne posséder aucun parti politique d’extrême droite.