…mais n’enchante pas moins !
« Elle est toute en rondeur mais ne manque pas de piquant, écrivais-je en intro d’une rencontre de notre ami Serge Dillaz avec Juliette pour le n° 23 de Chorus, daté du 21 mars 1998. Voilà déjà un bout de temps qu’on n’avait plus connu pareil raz-de-marée dans le landerneau chansonnier. Avec elle, on ne risque pas de bayer aux corneilles. Juliette est un oiseau rare dont le chant annonce le renouveau avec juste ce qu’il faut de kitsch pour que l’on ne se méprenne pas. Le futur a toujours besoin d’antériorité ; les variétés, d’un brin de classicisme… » Vingt ans après, voici qu’arrive à point nommé son nouvel opus pour annoncer à nouveau, en ces périodes de météo marine des plus déprimante, ce renouveau dont on a tellement besoin.
Juliette, je l’avais découverte – disons, plutôt, vue sur scène pour la première fois – une dizaine d’années avant cette « Rencontre » chorusienne (laquelle avait été précédée par un « Portrait » de deux pages dans le n° 2 de l’hiver 92-93) dans un café-théâtre de Bourges, en off de la programmation du Printemps – époque Paroles et Musique qui fut probablement le premier journal national à relever son immense potentiel artistique. Déjà irrésistible. Trente ans, donc… et pour fêter cet anniversaire, une intégrale discographique sortait à l’automne 2016 (14 CD dont son premier enregistrement en piano-voix de 1987, dix titres en public, sous forme de cassette, et un CD de « raretés »).
Enfin, « intégrale », ça n’était pas tout à fait l’avis de l’intéressée, qui soulignait alors : « Ceci n’est pas mon “intégrale”. Il manque : des noms, des sourires, des instruments de musique, des professeurs, des amis, des collègues, des soutiens, des amours.
Il manque les soirs de première, les matins de dernière, les jours de répétition, les nuits en studio. Et puis il manque encore quelques notes et quelques mots qui volètent autour de moi et que j’essaye – encore ! – d’attraper ! Non, décidément, ceci n’est pas mon intégrale, il manque : demain! » Simple question de patience. Déjà, Juliette, « l’irrésistible », avait eu droit à sa consécration dans Chorus, avec un dossier lui aussi printanier (décidément !) : c’était le n° 47 du 21 mars 2004, où elle figurait aux côtés d’Adamo, Aznavour, Manset, Pierron, Sanseverino, MC Solaar… et d’une jeune débutante nommée Olivia Ruiz qui l’avait convaincue d’écrire un titre pour son premier album, J’aime pas l’amour… Deux ans plus tard, en 2006, le « métier » décernait à Juliette la Victoire de la Musique de l’artiste-interprète féminine.
Et nous voilà ce soir, comme disait le Grand Jacques, ou ce matin c’est comme on veut, rendus à « demain » devenu aujourd’hui (avec le temps, n’est-ce pas…), avec ce nouvel album disponible dans les bacs à partir du 9 février (le précédent, Nour – comme Nourredine bien sûr mais aussi comme Lumière en arabe – date de l’automne 2013)… Son neuvième album studio depuis 1993 (Irrésistible), le quatorzième au total depuis sa première cassette en public en 1987. Pour lui trouver un titre, il a suffi à Juliette de se rappeler de celui qu’elle avait donné à la « carte blanche » que France Inter lui avait confiée en 2015, le samedi matin durant une partie des programmes d’été puis à nouveau pendant huit semaines à la fin de l’année : J’aime pas la chanson, mais… À un mot près, notez-le bien, un seul… mais qui a son importance comme elle l’explique ici avec le bagout qu’on lui connaît, la causticité pince-sans-rire qu’on adore chez elle, jamais très loin d’une aimable provocation : « C’est marrant, cette impression de faire vraiment un “nouvel” album après trente ans de bons et loyaux services. Parce que finalement je n’ai jamais fait ça : un piano-solo accompagné par des musiciens (l’équipe “un peu réduite” de mes garçons habituels) ! Ce qui, cette fois, va être le cas.
« “J’aime pas la chanson” ? On s’attend à ce que j’explique ce titre mais cet album aurait tout aussi bien pu s’appeler “J’aime pas le piano” ; il s’appelle “J’aime pas la chanson” parce que j’aime pas non plus la chanson. Ce qui est rigoureusement vrai, mais ne m’empêche pas d’en faire. Même si je n’aime pas écrire, chercher le mot juste au sens exact, la forme, le fond, patin-couffin, gratter pendant des heures du papier à carreaux ou à musique, tâtonner le piano, et chantonner des lalalas pas seulement sous la douche.
« J’ai bien connu une crèmerie qui proposait des produits sublimes (ce qui pourrait laisser entendre que je considère mes produits “sublimes” : non, car ce ne sont que des chansons et je n’aime pas la… on a compris !) dans un coin de Paris et dont la patronne ne mangeait jamais de fromage parce que, disait-elle, elle n’aimait pas ça. Voilà ! Je suis la crémière de la chanson. »
Pour en finir tout à fait avec pareil désastre, voulez-vous que je vous dise ? Quand on n’aime pas la chanson, mais vraiment pas, qu’on voit ce qu’on voit et qu’on écoute ce qu’on écoute aujourd’hui dans nos médias qui font l’opinion (cf. Souchon…), c’est forcé, on ne peut que détester cette galette ni faite ni à faire. La preuve avec cette Météo marine qu’une fois écoutée, quel chagrin !, vous ne saurez plus vous débarrasser. Tel est le triste destin des ritournelles éternelles…
Une phrase encore, pour ajouter que, non contente de nous délivrer aujourd’hui ces plats en boîte, l’auteure-compositrice-interprète (l’ai-je bien féminisée ?) viendra bientôt nous les servir – comme jadis avec son festin – sur toutes les scènes de France et de Navarre. Dont une escale parisienne le 12 avril à la Salle Pleyel. Si vous n’êtes pas encore totalement dégoûté(e), vous trouverez le détail du menu ou de la carte sur son site.
Et le mot de la fin, si vous permettez, à l’adresse de la responsable de ces lignes (qui, je vous le ferai remarquer, comme je l’avais déjà noté à propos d’Hubert-Félix Thiéfaine, ne constituent aucunement une critique de disque, n’étant plus rédacteur en chef de quoi que ce soit sinon de mon petit comité de rédaction interne) : sachez « Madame » Juliette, vous qui n'aimez ni l'amour ni la chanson, sachez qu’à la scène comme à la ville, je vous… hais !
NB. La première vidéo de ce sujet, où Juliette chante Irrésistible en duo avec Jean Guidoni (« Je suis irrésistible / Comme Satan me l´a dit / Sous ma taille flexible / Ce corpus delicti / Est un fruit comestible / Aux nobles appétits / […] Je suis une maladie / Sexuellement transmissible / Comme Satan me l’a dit : / “Tu es irrésistible, Irrésistible !” »), a été captée le 2 septembre 2015 à Castelsarrasin lors d’une soirée unique à tous points de vue. Primo, parce qu’elle réunissait un plateau artistique plus qu’exceptionnel (voir ici le compte rendu détaillé que j’en fis alors, avec en bonus les « minutes » et photos d’une cérémonie privée où Juliette s’illustra à sa façon !). Secundo, parce qu’elle resta finalement sans suite, alors que son but était de favoriser dans cette ville où naquit Pierre Perret la renaissance du festival Alors… Chante ! qui, après quelque trente ans d’existence, venait d’être chassé sans ménagement de son fief historique de Montauban, n’ayant plus l’heur de plaire à une municipalité davantage marquée par l’esprit partisan que par celui de l’ouverture. Il n’empêche que cette soirée – qui n’eut hélas pas le retentissement recherché faute d’une absence incompréhensible de la plupart des médias nationaux – fut à marquer d’une pierre blanche dans l’histoire des spectacles collectifs francophones. Et aujourd’hui, comme moi (et comme le talentueux Francis Vernhet qui prit les photos nécessaires à mon compte rendu), quelque cinq mille personnes peuvent dire : « J’y étais ! »
POST-SCRIPTUM EN FORME DE SCOOP
On vient de le voir, dans son nouvel album, sur scène et dans les médias, Juliette assure avec beaucoup d’aplomb ne pas aimer la chanson… Sauf que – soit dit entre nous – je connais la vérité vraie depuis belle lurette et il m’est impossible de continuer à contribuer plus longtemps à cette entreprise de désinformation publique : non, les fake-news ne passeront pas par ici ! Alors, au risque de vous faire perdre votre latin avec son anathème jeté sur la chanson, voici une autre version de Juliette, signée en bon uniforme (oui, je sais, sauf qu’elle aussi a lu San-Antonio...) : de véritables aveux ! Me reste plus qu’à espérer ne pas être voué aux gémonies pour avoir violé – dans l’intérêt commun, notez-le bien – le secret de la confession !