23 mars 2013
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Et elle chante encore ?
Riche « de quelque quatre-vingts interviews inédites, de proches, de collaborateurs, de journalistes ou de chanteuses et chanteurs », cette première biographie d’Anne Sylvestre, précise son auteur, « a bénéficié de la participation active de l’artiste elle-même, qui a largement abordé sa carrière et sa vie privée (y compris les périodes douloureuses de l’enfance et de l’adolescence), offrant au lecteur autant de clefs pour mieux comprendre et apprécier ses chansons ».
L’auteur ? Daniel Pantchenko. Ancien titulaire de la rubrique chanson à L’Humanité, dans les années 70 et 80, puis membre du comité de rédaction de Chorus (Les Cahiers de la chanson), dans les années 90 et 2000, c’est à lui qu’en accord avec la veuve de Marc Robine je confiai après la mort de celui-ci la tâche d’aller au bout de la biographie de référence que notre regretté ami (voir « Le Colporteur de chansons ») – dont j’avais déjà eu le bonheur de publier les livres sur Francis Cabrel (1987), Julien Clerc (1988) et Jacques Brel (1998) – était en train d’écrire sur Charles Aznavour. Complété et achevé de belle façon, l’ouvrage, sous-titré Le Destin apprivoisé, parut en 2006, coédité par Chorus et Fayard et donc cosigné Marc Robine, de façon posthume, et Daniel Pantchenko. C’est encore à celui-ci que je proposai ensuite, en ma qualité de directeur du « Département chanson » Chorus/Fayard, de s’attaquer à la bio de Jean Ferrat que j’avais moi-même longtemps espéré écrire, mais à quatre mains, avec l’artiste, avant d’y renoncer définitivement du fait de sa volonté, réaffirmée au fil des ans (pour des raisons toutes personnelles), de ne jamais participer à aucun livre le concernant. « Non, je n’ai pas changé d'avis, me disait-il, sourire aux lèvres, à chacune de nos rencontres. Oui, tu peux écrire ce livre, non je n'y participerai pas... » Ce sera donc Daniel Pantchenko qui s’y collera, avec autant de bonheur que de talent, et l’ouvrage, écrit du vivant de l’artiste, Jean Ferrat, Je ne chante pas pour passer le temps, paraîtra en octobre 2010, sans que l’intéressé, hélas, ait pu en prendre connaissance.
Cette fois, Daniel Pantchenko a donc bénéficié de la collaboration de l’artiste monographiée. L’artiste ? Un des grands noms de l’histoire de la chanson française et pourtant l’une des chanteuses les plus méconnues du grand public et surtout les plus oubliées des grands médias… Arrêt sur image. Fin des années 70 : c’est depuis Djibouti, où je contribuais (à ma très modeste mesure) à la naissance d’une nation (mais de façon très résolue à la lutte contre les mutilations sexuelles féminines, en particulier l’inconcevable, si barbare et ô combien meurtrière infibulation, pratiquée dans la Corne de l’Afrique), que je pris contact pour la première fois, par correspondance, avec Anne Sylvestre. Objectif : lui consacrer le premier dossier et donc la couverture du mensuel de chanson francophone que « ma chère et tendre » (comme l’a chanté si joliment Henri Salvador) et moi-même avions décidé de créer à notre retour en France, Paroles et Musique.
En mai 1980, la grande dame me recevait chez elle, à Paris. Elle avait récemment sorti son treizième opus studio, superbe album au demeurant (J’ai de bonnes nouvelles, Je cherche mon chemin, Douce maison, La Faute à Ève…). Au début, notre conversation tourna logiquement autour des difficultés pour une femme, qui écrit et compose elle-même, à s’imposer dans le métier et dans les médias. « Je ne sais pas si j’ai eu plus de difficultés qu’un homme, nous confia-t-elle d’abord, mais tout ce que je sais, c’est qu’en vingt-deux ans de carrière, je n’ai pas eu une seule fois une émission en vedette, je n’ai pas eu une seule fois une couverture de magazine... »
Stupéfaction de ma part : ainsi, la Une du n° 1 de Paroles et Musique, à paraître le mois suivant, constituerait sa toute première couverture de magazine ! Alors que ses débuts scéniques remontaient à 1957, à la Colombe, à peu près à la même époque que Barbara, Béart, Ferrat ou Perret, suivis d’un premier album (Mon mari est parti, Porteuse d’eau, Les Cathédrales…) dès 1961. Vingt-trois ans exactement et tant de chefs-d’œuvre (T’en souviens-tu la Seine, Lazare et Cécile, Mousse, Aveu, Maumariée, Des fleurs pour Gabrielle, Les Pierres dans mon jardin, Non tu n’as pas de nom, Un mur pour pleurer, Une sorcière comme les autres, Clémence en vacances, Les gens qui doutent…) avant de se retrouver, enfin, en couverture d’un magazine national ! Incroyable et pourtant vrai. Cela avait été d’une telle évidence pour nous… Surtout qu’en figure de proue de notre mensuel, nous tenions à une femme (ACI, bien sûr), pour incarner d’autant mieux cet art féminin, résultante de l’union amoureuse de paroles et d’une musique, qu’on nomme chanson.
Stupéfaction de ma part : ainsi, la Une du n° 1 de Paroles et Musique, à paraître le mois suivant, constituerait sa toute première couverture de magazine ! Alors que ses débuts scéniques remontaient à 1957, à la Colombe, à peu près à la même époque que Barbara, Béart, Ferrat ou Perret, suivis d’un premier album (Mon mari est parti, Porteuse d’eau, Les Cathédrales…) dès 1961. Vingt-trois ans exactement et tant de chefs-d’œuvre (T’en souviens-tu la Seine, Lazare et Cécile, Mousse, Aveu, Maumariée, Des fleurs pour Gabrielle, Les Pierres dans mon jardin, Non tu n’as pas de nom, Un mur pour pleurer, Une sorcière comme les autres, Clémence en vacances, Les gens qui doutent…) avant de se retrouver, enfin, en couverture d’un magazine national ! Incroyable et pourtant vrai. Cela avait été d’une telle évidence pour nous… Surtout qu’en figure de proue de notre mensuel, nous tenions à une femme (ACI, bien sûr), pour incarner d’autant mieux cet art féminin, résultante de l’union amoureuse de paroles et d’une musique, qu’on nomme chanson.
Ce jour de notre première rencontre, la grande dame parla vrai, comme toujours, franche et directe, sans faux-semblants et sans crainte du qu’en dira-t-on : « Sachant que je fais quand même quelque chose d’important – la fausse modestie, je trouve ça imbécile – et que mes chansons ont un niveau assez élevé, je suppose en effet que le fait d’être femme, et pas conforme, s’est avéré bien ennuyeux… » Et Anne Sylvestre de conclure à ce sujet : « Il est sûr que, normalement, j’aurais dû être connue beaucoup plus vite, mais je n’ai pas choisi la route la plus facile… Je n’ai pas montré mon cul. Ni au sens propre ni au sens figuré. Je n’étais pas cette jeune fille gentille qui aurait dit ce qu’on avait envie qu’elle dise. Non, j’avais envie de dire ce que, moi, je voulais ! »
Cela se passait il y a exactement… trente-trois ans ! Et depuis ? Rien ou presque n’a changé dans le regard du métier et des médias, sur la plus grande ACI française de l’histoire contemporaine avec Barbara… Nous en parlons en connaissance de cause, après l’avoir accompagnée tout ce temps sans jamais lui faire défaut : après la décennie Paroles et Musique, citons seulement deux autres dossiers importants dans Chorus (le premier, en 1998, écrit par Daniel Pantchenko et Marc Legras, le second en 2005, par ce dernier – voir notre photo ci-dessus) et une dernière rencontre (cette fois avec Michel Trihoreau) à l’occasion de son « Jubilé plein d’avenir », fin 2008. Non, quasiment rien n’a changé… si ce n’est une dizaine d’albums studio de plus et des centaines, voire des milliers de spectacles supplémentaires, où la chanteuse a continué, en toute liberté et en parfaite indépendance – ce qui n’est certes pas « la route la plus facile » – de dire et de faire ce qu’elle voulait, et rien que cela. Par exemple une création très originale, Gémeaux croisées, en 1988 avec la Québécoise Pauline Julien. Ou une autre, beaucoup plus récente, dont nous eûmes la primeur au festival Alors… Chante ! 2012 de Montauban, Carré de dames, en compagnie cette fois d’Agnès Bihl – Anne étant très proche des artistes des nouvelles générations, qui reprennent d’ailleurs de plus en plus son répertoire et revendiquent volontiers son héritage chansonnier.
Cette première vraie biographie, parue le 24 octobre dernier, vient donc combler enfin – cinquante-cinq ans après les débuts de l’intéressée – une lacune abyssale dans l’édition française. Un « Préambule familial » (qui évoque l’histoire singulière de son père, collaborateur durant la Seconde Guerre mondiale, adjoint de Doriot, qui échappera à la peine capitale mais passera huit ans en prison), suivi de vingt-six chapitres chronologiques en quatre parties (De la Demi-Lune à la mer, De la rive gauche aux Capucines, L’Indépendance, Re-naissance) et, en annexes, d’une discographie intégrale, pour adultes et jeune public (notamment avec les fameuses Fabulettes, nées en 45 tours dès 1962 !) ; le tout écrit à l’encre sympathique. Oui, Anne Sylvestre chante encore, toujours aussi bien et toujours aussi juste, dans tous les sens du terme. Et tant que la « Carcasse » (quelle chanson extraordinaire !) le permettra, elle continuera de chanter encore et encore. La preuve avec son nouveau spectacle, qu’elle créera le 15 mai prochain au Casino de Paris, après un nouvel album (à paraître le 22 avril). Son vingt-deuxième opus studio, six ans après le précédent, Bye mélanco (2007), et cinq ans après Son jubilé en public (2008) pour célébrer son demi-siècle de chanson…
Dix nouvelles chansons à l’affiche : Malentendu, Violette, L’Habitant du château, Des calamars à l’harmonica (pendant l’enregistrement de laquelle, le 15 février dernier, a été tournée la vidéo ci-dessus), La Lettre d’adieu, Pelouse au repos, Pour un portrait de moi, Le P’tit sac à dos, Je n’ai pas dit… et celle qui donnera son titre au disque comme au spectacle, Juste une femme. En 1977, Jacques Brel disait : « Tu n’es pas le bon Dieu / Toi tu es beaucoup mieux / Tu es un homme. » Avec humour et autodérision, depuis 1985 (et son album Écrire pour ne pas mourir), Anne Sylvestre chante Trop tard pour être une star. Peut-être, mais qu’importe ? Non contente d’être l’un des principaux artisans de la chanson vivante de ces six dernières décennies, elle aura été bien plus et bien mieux qu’une star, bien moins éphémère et tellement plus authentique qu’une image en toc renvoyée par des miroirs aux alouettes : une femme, juste une femme… qui, pour notre bonheur, chante encore !
• Toutes précisions sur le livre (Fayard, 476 pages + cahier photos noir et blanc de 16 pages), le disque (Prod. Sylvestre/EPM-Universal) et les concerts sur le site d’Anne Sylvestre.
NB. Il nous reste quelques exemplaires collectors des deux numéros de Chorus comportant un dossier consacré à Anne Sylvestre, le premier (n° 24, été 98) abondamment illustré, sur 24 pages, de photos d’actualité et d’archives (biographie, œuvre, interview, repères, discographie…) et le second (n° 52, été 2005) réactualisant le premier avec douze pages d’entretien exclusif pour l’essentiel. Si intéressé(e), nous contacter ici.