Vendanges d'automne (4)
Après la sortie du nouvel album de Guy Béart, qui valait bien un sujet en soi, et celle de deux livres indispensables à tout amateur de chanson, il est temps de revenir à nos vendanges phonographiques d’automne. On en était resté au chapitre 3, avec un spécial Brassens (« Les Amis de Georges »), voici le quatrième du nom qui – abondance de disques oblige (pour l’essentiel autoproduits ou de labels indépendants) – reprend l’ordre alphabétique à son début. C’est reparti, de A jusqu'à Z.
Tout récemment se tenait à Montpellier la première édition du Forum des Musiques Indépendantes (le FMI !), auquel on m’avait invité pour débattre du rôle et de la place des médias dans l’industrie musicale. Il en est résulté (grâce à une forte participation d’artistes, de producteurs indépendants, de responsables de médiathèques, de journalistes de presse écrite et de radio, etc. ; sans parler des « simples » amateurs de chanson) le constat que le disque physique – malgré la crise et la révolution numérique – reste pour l’artiste le moyen par excellence d’exister en tant que tel. Mais aussi une carte de visite professionnelle irremplaçable, pour lui permettre de se faire connaître (en particulier des organisateurs de spectacle) et de pouvoir se rendre ainsi, sur scène, à la rencontre du public.
Nous l’avons d’ailleurs vérifié de visu, car ce FMI – appelé à devenir une manifestation importante du « métier » (sous réserve que la ville de Montpellier, qui s’y est associée pleinement dans l’esprit, et via la présence volontariste du maire adjoint délégué à la Culture, Michaël Delafosse, la soutienne à l’avenir à la hauteur de ses ambitions) – a fait la part belle aux labels indépendants. Lesquels exposaient leurs productions, les 17 et 18 septembre dernier, dans les allées piétonnes de l’Esplanade Charles-de-Gaulle (qui débouche sur la fameuse place de la Comédie). « La production phonographique indépendante, soulignait le directeur artistique (et « philosophique » !) du FMI, Daniel Bourguet, représente (en France) 35 % du marché du disque. » Malgré cette contribution importante à la diversité culturelle, « elle reste dans une économie précaire et la place qu’elle occupe dans les médias et la distribution est faible voire inexistante ».
À partir de là (et du fait que « l’objet CD », en dépit d’une rentabilité devenue difficile, demeure « une étape nécessaire voire indispensable au développement d’un artiste ou d’un groupe »), le FMI s’est fixé pour objectifs de « s’interroger sur un nouveau modèle économique “équitable” et sur le rôle de chacun – institutionnels, labels indépendants, réseaux et sociétés de distribution, vente numérique, vente par correspondance, presse, radios… –, de dialoguer avec le public sur la réalité de la production musicale, le rôle d’Internet, le téléchargement libre et/ou payant, l’avenir de la création et de la diversité de l’offre ». Plus généralement, « face à une offre très limitée dans les rayons des supermarchés et une promotion sélective sur les ondes des radios commerciales », l’idée de ce marché du disque indépendant est de « créer la rencontre directe et physique entre la diversité et la richesse de la création musicale et le grand public ».
Tout est là, dans la problématique de cette rencontre entre créateurs et public, car plus personne (ou presque) n’ose affirmer aujourd’hui (comme nous ne l’avons que trop entendu au cours des décennies précédentes, avant l’avènement de la « Génération Chorus », dite « nouvelle scène ») que « la chanson française se meurt ». C’était naguère une antienne reprise à plaisir par les grands médias, comme un serpent de mer journalistique (on appelle ça un « marronnier » dans notre jargon), simplement parce qu’il était impossible aux jeunes talents de passer le mur des médias… et que la ménagère de moins de 50 ans se contentait du prisme déformant desdits médias, alors que la presse écrite (dans le sillage de Paroles et Musique puis de Chorus) ne cessait de s’enthousiasmer de ses découvertes régulières.
Néanmoins, le fait que, pour la première fois, la production chansonnière a baissé chez les majors du disque (qui n’ont quasiment pas « signé » de nouveaux artistes durant l’année passée), risque de laisser à nouveau se propager le virus bidon selon lequel notre création serait en danger. Simplement, celle-ci se réfugie de plus en plus dans l’autoproduction et les petits labels qui, hélas, sont rarement pris en compte (voire jamais) dans les grands médias, les nouveaux talents restant dès lors inconnus du grand public. Un cercle vicieux que tente de rompre le Forum des Musiques Indépendantes de Montpellier (qui, le temps d’un week-end, a également occupé avec une douzaine d’artistes et de groupes les salles « historiques » locales comme l’Antirouille, le Rockstore ou la salle Rabelais, et dont les ateliers-débats ont eu lieu quasiment à « guichets fermés »), sa première édition augurant de lendemains qui chantent, mais aussi des médias… comme Si ça vous chante.
La preuve ? Ce qui suit ci-dessous. Une production pléthorique qui continue de nous être adressée, malgré le fait que je ne dirige plus aucun journal et que les coordonnées de Chorus sont devenues obsolètes (ne les utilisez plus, votre courrier se retrouverait au rebut de La Poste à cause de la mise en place de machines de tri automatique qui ne font pas dans le sentiment et n’ont pas la moindre mémoire…). Un signe de santé à la fois réconfortant, dans l’absolu, mais un poids extrêmement lourd pour votre serviteur, étant totalement impossible de rendre compte en détail (du meilleur) de ce que l’on reçoit. Car, même si je ne sollicite rien, la confiance qui m’est ainsi accordée (dans l’espoir implicite et bien légitime d’en trouver ici l’écho) me fait culpabiliser en permanence…
Alors, à ma manière, équivalente à celle du FMI qui a permis à tous les labels indépendants de France et de Navarre qui le souhaitaient d’exposer publiquement leur catalogue, on trouvera ici et dans la suite de ces « vendanges d’automne » une liste de nouveautés (outre quelques « rattrapages » du dernier semestre), avec un minimum de commentaires. Rien qu’à titre informatif, afin qu’on puisse aller soi-même plus loin dans la découverte : un simple clic et nous voilà sur le site de l’artiste ou du groupe concerné.
J’écris ces mots, avec un goût d’inachevé, tant j’aurais aimé prendre le temps de me pencher vraiment sur nombre de ces albums, mais à l’impossible nul n’est tenu. Pas plus le blogueur que je suis devenu (et reste classé depuis des mois, sans le chercher, dans « Le Top des blogs » de l’espace francophone !) que l’artiste qui, mettant le meilleur de lui-même dans sa création, ne peut jouer efficacement le rôle d’agent, de tourneur et d’attaché de presse à la fois. Tel est le prix de l’indépendance : savoir-faire et faire savoir vont rarement bien ensemble… Alors, je me console en me disant, comme Alain Souchon, que… c’est déjà ça. À vous, ensuite, de faire chorus... si ça vous chante !
• ALEX TOUCOURT : Studiorange, 15 titres, 50’05. Sept ans passés au sein du groupe lorrain « Conscience tranquille », 450 concerts, deux albums… et voilà un premier album en solo. La Prod Toucourt, 11 bis rue des écoles, 54440 Herserange (Site de l’artiste).
• ALLAIN : Allain, 10 titres, 35’56. Premier album en 2006 : celui-ci est le second d’un ex-étudiant en sociologie qui a fait ses premiers pas dans la chanson, à 15 ans, en interprétant Cohen, Dylan, Brassens, Yves Simon… Prod. Quart de Lune, distr. Rue Stendhal (site de l’artiste).
• ARESKI : Le Triomphe de l’amour, 11 titres, 40’12. À Jean Théfaine, pour le dossier de Chorus n° 59 (printemps 2007) consacré à Brigitte Fontaine, son alter ego dans la vie et en musique, il annonçait déjà son projet de sortir Le Triomphe de l’amour. Le voici enfin (ce 25 octobre) : trente-neuf ans après Un beau matin (Saravah), c’est son second album sous seul nom ! Formidable à tous points de vue : un Quichotte de Si ça vous chante. Prod. Emarcy, distr. Universal Music Classics & Jazz (site de l’artiste).
• SAMIR BARRIS : Tenter l’atout, 12 titres, 42’37. Second album (après Quel effet ? en 2007) d’un jeune ACI d’outre-Quiévrain porté sur les musiques latines et les ambiances jazzy, vu avec plaisir en Off du dernier Alors… Chante ! de Montauban, juste après avoir été Découverte belge du Printemps de Bourges. Prod. Team 4 Action, distr. en Belgique : Bang ! (Site de l’artiste).
• BATIGNOLLES : Y a pas de problème… 14 titres, 61’02. Ex-La Rue Kétanou, Olivier Leite a formé ce quatuor (du nom du quartier où il vivait à Paris avant de s’installer dans le Lot) avec Olivier Cocatrix, Alex Roger, Benjamin et Thierry Roques. À côté de leurs propres chansons, Bruant et Dimey sont relookés rock, façon Mano Solo. Autoproduit, distr. L’Autre Distribution (site du groupe).
• LES BECS BIEN ZEN : À la force du vent, 13 titres, 55’34. Second album d’un quintette (tendance Têtes Raides…) formé autour de l’ACI Pierre Luquet, aux textes à dimension poétique. Prod. Aza-i.d productions et l’O dans le gaz, distr. Mosaic Music (site du groupe).
• LES BERTHES : Chroniques amères, 13 titres, 43’04. Troisième album après Mines de rien en 2004 et Contes de faits en 2006. En formation acoustique à quatre dans les bars ou à sept sur les grandes scènes, cette brochette de Francs-Comtois « festifs, incisifs et amoureux du mélange des genres » a déjà plus de cinq cents concerts au compteur. Prod. Trollsprod, distr. Anticraft (site du groupe).
• ÉRIC BÉLANGER : À 35 millimètres du bonheur, 12 titres, 41’39. Un Bélanger québécois (Daniel) peut en cacher un autre (Éric), lui aussi ACI et ne dédaignant pas les duos (Andrea Lindsay, Anaïs). Autoproduit, distr. Sony Music (site de l’artiste).
• BIZERN : 13 vies, 14 titres, 54’11. Un « rattrapage » pour une curiosité. Un premier album à la quarantaine, paroles et chant de Bizern, musiques (enlevées et mélodiques) du guitariste Jean-Louis Fourcade, pointures et invités à l’appui, dont Denis Barthe (Noir Désir), Cali et plusieurs de ses musiciens dont le talentueux Julien Lebart (claviers, accordéon). Prod. BCBA label Arlette et Mireille Productions (site de l’artiste).
• FLORIAN BRINKER : Filer à l’anglaise, 10 titres, 42’12. On l’a croisé dans divers groupes de folk, pop ou rock avant de basculer dans le tourbillon électronique avec Rinôcérôse. ACI originaire de Montpellier, il se lance à présent en solo, avec « le désir d’innover, l’amour des belles mélodies et des histoires sensées, mêlées aux tourments de l’existence ». Dandy et mélancolique. Atlantis Productions, distr. Anticraft (site de l’artiste).
(À SUIVRE)