La vie devant soi
Tout ce que tu m’as dit
C’était menti
Tout tout était menti
Alain Souchon
Pour tout le monde, hier, c’était la Fête de la Musique. Pour nous, c’était aussi (surtout ?) le jour « anniversaire » d’une certaine Défaite de la chanson. Un an auparavant, en effet, se tenait l’ultime réunion de l’équipe de rédaction de Chorus (nos retrouvailles trimestrielles s’étalant toujours sur un week-end, celui des 20 et 21 juin 2009 en l’occurrence). Mais une réunion dont le seul objet, comme les dizaines qui l’avaient précédée depuis juin 1992, était de déterminer le sommaire du numéro suivant (celui du n° 69 de l’automne 2009, à paraître le 21 septembre), et d’en répartir les tâches.
Un mois après, le 22 juillet, alors que chacun d’entre nous vaquait normalement à son travail, à travers l’espace francophone, on apprenait, incrédules, que la société éditrice, pourtant nouvellement reprise, était placée en liquidation judiciaire.
Suite à cette disparition, et sans parler des sentiments de ses journalistes qui ont eu beaucoup de mal à se relever du choc subi, d’autant plus violent qu’il était inattendu, on a pu entendre sur Europe 1 les réactions unanimes des artistes de la chanson francophone, tous genres musicaux et générations confondus, lors de l’émission spéciale de deux heures du 10 octobre 2009 intitulée On connaît la musique fait chorus. Quant à ses lecteurs, on a mesuré l’importance de leurs regrets et de leur incompréhension à la lecture des innombrables lettres pétries d'émotion qui ont suivi la non parution (ou la non réception pour ses abonnés) du n° 69, mais aussi, depuis lors, des commentaires spontanés qui continuent d’apparaître ici et là, notamment dans les blogs des différents ex-journalistes de « la revue de référence de la chanson francophone ».
Ce rappel, non pour remuer le couteau dans la plaie de qui que ce soit – même si aucun membre de la Rédaction de Chorus n’a pu faire l’impasse sur cet « anniversaire » : pensez, un an plus tôt, nous bâtissions un formidable sommaire (Manu Chao en dossier exclusif, Romain Didier et Allain Leprest en « duo d’artistes », Michel Jonasz, M, etc. : 196 pages de chanson vivante, jusqu’à notre lot habituel de découvertes francophones, une bonne dizaine de portraits de nouveaux talents), sans pouvoir imaginer que ce numéro ne paraîtrait jamais… Non, comme on l’a vu depuis avec les activités de chacun d’entre nous, la cause est désormais entendue : plutôt que de déplorer ad libitum la disparition d’un titre reconnu dans le monde entier depuis plus de quinze ans, l’important est d’aller de l’avant, d’envisager des lendemains qui chantent… et les projets ne manquent pas : écriture et édition de livres, conférences sur la chanson contemporaine à travers l’histoire de Paroles et Musique et de Chorus, chroniques radio spécifiques…
La vie est ainsi faite, avec ses coups bas et ses déceptions, il n’y a (hélas) rien de nouveau sous le soleil : si la vie est dure aux tendres, elle est toujours devant soi, comme disait Romain Gary. Une volonté d’avancer coûte que coûte (sans rien oublier pour autant du passé) qui rejoint « la pédagogie de l’enthousiasme » prônée par Aragon (et que j’essaie modestement, depuis mes débuts « dans la carrière », de mettre en pratique : voir « État critique » dans ce blog), ou la philosophie positive de Rudyard Kipling : « Si tu peux supporter d’entendre tes paroles / Travesties par des gueux pour exciter des sots / Et d’entendre mentir sur toi leurs bouches folles / Sans mentir toi-même d’un mot… / Si tu sais méditer, observer et connaître / Sans jamais devenir sceptique ou destructeur… / Tu seras un homme, mon fils. »
Aux anciens abonnés de « Chorus »
Alors, pourquoi, pour quoi faire, ce rappel ? Parce qu’il est l’occasion, justement, d’aller de l’avant en essayant – entre-temps – de réduire aussi peu que ce soit (un peu comme on réduit une fracture… pour repartir du bon pied) l’amertume des anciens abonnés de Chorus, soudainement orphelins de leur revue, pendant que ses journalistes, eux, devaient se résigner à faire connaissance avec Monsieur Paul Emploi… On le sait, une décision de liquidation judiciaire (toujours en cours) a aussitôt suivi le dépôt de bilan de l’éditeur. Or, la société éditrice possédait à son actif des stocks d’anciens numéros qu’elle n’a pas souhaité utiliser et dont le « mandataire de justice » chargé de la liquidation a déclaré nous laisser libre usage, suite à une démarche de notre part avant pilonnage pur et simple.
Nous avons en effet pensé que les anciens abonnés (et parfois les « nouveaux » abonnés ou réabonnés récents qui n’ont pas même reçu un seul numéro) seraient sans doute heureux d’obtenir gratuitement, en lieu et place de ceux dont ils ont été privés, l’équivalent en numéros anciens de leur choix (voir la liste des « numéros disponibles » en pages 190-192 du n° 68). Même si plusieurs centaines d’entre eux au moins – fidèles entre les fidèles – possèdent la collection complète, ils pourront toujours offrir à des amis ces numéros de remplacement, sachant, justement, qu’ils sont appelés à devenir des pièces de collection…
Conscients que cela risque de nous valoir un travail assez considérable avec, au bout du compte, quelques milliers d’exemplaires à mettre sous pli, affranchir et déposer à la poste, nous ne pourrons évidemment pas assumer, en plus, les frais d’envoi correspondants (les chèques d’abonnement ou de réabonnement encaissés l’ayant été par la société éditrice domiciliée à Nantes, où se situe toujours la « maison mère », et dont nous étions nous-mêmes de simples salariés). Nous prierons par conséquent nos interlocuteurs, pour répartir en quelque sorte les « charges », de bien vouloir nous adresser le montant de ces frais sous forme de timbres-poste.
Difficulté de l’opération (on a beau être disposé à faire confiance autant que possible, chacun sait qu’il y a toujours des « profiteurs ») : dans la mesure où nous n’avons pas accès au listing des abonnés, il nous est impossible de savoir combien il restait à chacun de numéros à recevoir. Nous aurons donc besoin d’un document faisant foi du règlement, comme par exemple la photocopie du relevé bancaire indiquant le montant (pour un an ou deux ans d’abonnement) et la date d’encaissement dudit règlement.
Voilà. Sans préjuger de l’avenir, nous espérons que cette initiative de notre part sera favorablement accueillie… et que les intéressés voudront bien être indulgents quant aux délais d’expédition. Il est en effet probable – n’ayant certes plus d’obligations strictement professionnelles, nous continuons néanmoins à suivre de près l’actualité musicale (très fournie l’été, avec les festivals…), ne serait-ce que pour la faire partager ici – que l’opération se prolonge jusqu’à la rentrée prochaine. Donc, « paciencia », comme disait Léo Ferré.
Merci à ceux et celles qui sont concernés de nous contacter – via cet e-mail : sicavouschante.info@orange.fr – et nous leur communiquerons alors l’adresse postale ad hoc. À ce sujet, attention à ne plus écrire à « Chorus (Rédaction), BP 28, 28270 Brezolles », car tout courrier expédié à ces coordonnées devenues caduques « est mis au rebut » ou dans le meilleur des cas retourné à son expéditeur. Et merci à tous ceux et celles qui en ont l’occasion (notamment nos amis des médias) de bien vouloir répercuter ce message (avant qu’il soit trop tard), de façon à tenter d’informer le maximum d’anciens abonnés de Chorus, dont une majorité, c’est certain, ignore encore l’existence de Si ça vous chante.
« Sans préjuger de l’avenir », disais-je : non seulement parce que nous avons déjà été échaudés et que, comme le chantait admirablement Jean Ferrat, empruntant les mots d’Aragon, « Rien n’est précaire comme vivre » ; mais aussi, en se situant à l’inverse dans une perspective optimiste, que s’il est « long de renoncer à tout », nous n’avons renoncé à rien… « Si tu peux voir détruit l’ouvrage de ta vie / Et sans dire un mot te mettre à rebâtir / Tu seras un homme, mon fils. »