1 avril 2013
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Éphémère éternité
C’est un florilège de l’œuvre de Georges Moustaki, la fine fleur de son répertoire : un bouquet de chansons, des plus évidentes aux plus discrètes (96 textes exactement sur quelque trois cents), choisies et présentées par Marc Legras, expert connu et reconnu en « moustakiologie ». Des chansons qui jalonnent nos souvenirs, nos intimes cheminements, précise-t-il avant d’inviter à l’embarquement pour Cythère : « Pour peu que l’on soit disposé à se laisser surprendre une nouvelle fois en les lisant, elles apparaissent comme si les années avaient glissé autour d’elles sans toucher à leur fraîcheur, à leur éclat. »
Proche de Moustaki, qu’il aura fréquenté tant amicalement que professionnellement depuis les années 1970, Marc Legras a vécu deux existences journalistiques en parallèle : l’une de « responsable d’édition » des journaux télévisés de France Télévisions et l’autre de spécialiste de la chanson ; à la radio d’abord, avec ses propres émissions sur France Musique et France Culture (seul ou en duo avec Jacques Erwan) dans les années 70 à 90, puis dans la presse à travers Paroles et Musique et Chorus, dont il fut un membre éminent (et fidèle de bout en bout, trois décennies durant) des comités de rédaction.
Après ce dossier de référence et deux livres écrits en collaboration avec l’artiste (Un chat d’Alexandrie en 2002, Chaque instant est toute une vie en 2005), Marc Legras propose donc ce recueil de textes, comme un arrêt sur image : un « moment de grâce et de beauté / Une rencontre où chaque instant / Dure jusqu’à la fin des temps / Une éphémère éternité » (2003). Une anthologie présentée non pas dans l’ordre chronologique mais sous forme de trois grandes thématiques : « Le Temps d’aimer » (et de vivre), « Le Temps d’un regard » (sur l’autre et le monde), « Le Temps de la mémoire ».
Une géographie du cœur, de la musique et du souvenir, en somme : l’Égypte des premiers jours (« Dans ma mémoire encore émue / Les parfums, les odeurs, les cris / De la cité d’Alexandrie / Le soleil qui brûlait les rues / Où mon enfance a disparu… »), le Brésil adopté (« C’est la saison des pluies, c’est la fonte des glaces / Ce sont les eaux de mars, la promesse de vie… »), la Méditerranée revendiquée (« Dans ce bassin où jouent / Des enfants aux yeux noirs / Il y a trois continents / Et des siècles d’histoire… ») ; enfin, son Île-de-France, l’île Saint-Louis (« Adieu Tahiti, Fort-de-France / Adieu Doudou et Vahiné / Qu’elle est douce, ma douce France / Depuis que je l’ai rencontrée / Mon Île-de-France… ») et sa Dame brune (« Pour une longue dame brune / J’ai inventé / Une chanson au clair de la lune / Quelques couplets / Si jamais elle l’entend un jour / Elle saura / Que c’est une chanson d’amour / Pour elle et moi… »). « Mes chansons, confirme l’auteur à son accoucheur (dans un long entretien de dix pages réalisé en janvier 2010 et publié ici en introduction des textes), ont le poids de ce que je vis. »
Avec des mots chantés à voix profonde et douce
Avant qu’un peu de terre n’emplisse notre bouche,
Confier la vie à notre lucide amour.
C’est là notre travail sans trêve et notre fête,
Notre raison de vivre et de mourir poète,
Notre unique et divin recours. »
Il fallut attendre presque une décennie entière entre ses deux premiers albums. Huit titres (dont Éden blues, interprété aussi par Piaf) rassemblés en 1960 sur un 33 tours 25 cm, puis douze en 1969, constituant une incroyable litanie de succès : Le Métèque, Gaspard, Le Facteur, Ma solitude, Il est trop tard, La Carte du tendre, Le Temps de vivre, Joseph… ! L’homme se souvient, partagé entre tendresse et lucidité : « Le Métèque a changé ma vie. Encore aujourd’hui, des gens m’affirment gentiment qu’ils connaissent toutes mes chansons. Ils citent Le Métèque… et rien derrière ! Entre-temps, j’ai rencontré Barbara – lien d’amitié et de travail – qui m’a présenté à Serge Reggiani. Je n’imaginais pas qu’il existait encore des gens de sa stature. Après Piaf, on devient difficile ! Nos chansons m’ont sorti de la retraite où, à trente et quelques années, je me confinais avec volupté. » Et quelles chansons ! Ma liberté, Ma solitude, Madame Nostalgie, Sarah, Votre fille a vingt ans…
C’est lui qui écrivit, par exemple, le dossier spécial Moustaki, extrêmement pointu et complet, de Chorus (n° 15, printemps 1996). Plusieurs dizaines de pages de biographie et d’entretien où l’on croisait ce « citoyen de la langue française » aux côtés de Barbara, Georges Brassens (c’est par admiration pour lui que Joseph Moustaki – Yussef Mustacchi à l’état civil – se fera appeler Georges en empruntant les pistes chansonnières…), Léo Ferré, Paco Ibañez, Maxime Le Forestier, Serge Reggiani, Mikis Theodorakis… Édith Piaf, bien sûr, à qui l’auteur-compositeur offrit le fringant Milord, en 1958, avant que l’interprète ne connaisse lui-même la gloire avec Le Métèque (1969).
Après ce dossier de référence et deux livres écrits en collaboration avec l’artiste (Un chat d’Alexandrie en 2002, Chaque instant est toute une vie en 2005), Marc Legras propose donc ce recueil de textes, comme un arrêt sur image : un « moment de grâce et de beauté / Une rencontre où chaque instant / Dure jusqu’à la fin des temps / Une éphémère éternité » (2003). Une anthologie présentée non pas dans l’ordre chronologique mais sous forme de trois grandes thématiques : « Le Temps d’aimer » (et de vivre), « Le Temps d’un regard » (sur l’autre et le monde), « Le Temps de la mémoire ».
Une géographie du cœur, de la musique et du souvenir, en somme : l’Égypte des premiers jours (« Dans ma mémoire encore émue / Les parfums, les odeurs, les cris / De la cité d’Alexandrie / Le soleil qui brûlait les rues / Où mon enfance a disparu… »), le Brésil adopté (« C’est la saison des pluies, c’est la fonte des glaces / Ce sont les eaux de mars, la promesse de vie… »), la Méditerranée revendiquée (« Dans ce bassin où jouent / Des enfants aux yeux noirs / Il y a trois continents / Et des siècles d’histoire… ») ; enfin, son Île-de-France, l’île Saint-Louis (« Adieu Tahiti, Fort-de-France / Adieu Doudou et Vahiné / Qu’elle est douce, ma douce France / Depuis que je l’ai rencontrée / Mon Île-de-France… ») et sa Dame brune (« Pour une longue dame brune / J’ai inventé / Une chanson au clair de la lune / Quelques couplets / Si jamais elle l’entend un jour / Elle saura / Que c’est une chanson d’amour / Pour elle et moi… »). « Mes chansons, confirme l’auteur à son accoucheur (dans un long entretien de dix pages réalisé en janvier 2010 et publié ici en introduction des textes), ont le poids de ce que je vis. »
Ce que Legras traduit ainsi en avant-propos : « Chacun de ses disques est le chapitre d’un journal intime mis en musique, porté par les mélodies, célébrant un lieu, un moment, une rencontre, ou stigmatisant les blessures et les travers de l’époque. Ce “nonchalant qui passe” (bien vu, Marc !) à l’esprit vif témoigne à sa façon, sans hausser le ton, engagé dans le seul parti qui vaille sous toutes les latitudes, celui de l’Humain. » Une intro, un avant-propos… et un prologue spécialement réservé à Brassens, à qui le jeune Moustaki avait remis ses premiers écrits. Un texte incroyablement visionnaire que le bon Georges lui offrit en mai 1954, pour encourager le poète qu’il voyait déjà en lui : « Il a eu vingt ans tout à l’heure (NDLA : Moustaki est né le 3 mai 1934) et c’est plus difficile qu’on ne le suppose (le petit cheval de Paul Fort dans le mauvais temps, qu’il avait donc du courage !). Il écrit des chansons entre les lignes. Il aurait pu bâcler des insanités et se faire chanter par la canaille lyrique. Il a choisi les chemins escarpés, les chemins coupés. Il fait confiance au public. Il aura sa récompense. […] Chante Moustaki ! Ta chanson s’envolera vers des oreilles. Le temps s’en charge. Tu n’es pas seul. Écoute Guy-Charles Cros :
Avec des mots chantés à voix profonde et douce
Avant qu’un peu de terre n’emplisse notre bouche,
Confier la vie à notre lucide amour.
C’est là notre travail sans trêve et notre fête,
Notre raison de vivre et de mourir poète,
Notre unique et divin recours. »
Vingt ans après, en 1974, une fois les prédictions de Brassens réalisées, Moustaki paiera sa dette – et de bien belle façon – en écrivant Les Amis de Georges. « La plupart d’entre eux n’ont pas bougé d’un poil / Ils se baladent encore la tête dans les étoiles… » À Marc Legras qui lui rappelle aujourd’hui l’œuvre « de philosophe, d’écrivain, de moraliste, de poète » qu’il a vue dans les chansons de Brassens, « Jo » assure qu’il persiste et signe : « Je suis heureux d’avoir parlé de lui en de tels termes. » Mais sans se déclarer en reste, sans fausse modestie : « J’ai, moi aussi, la prétention, à moindre échelle, d’être un peu tout ça. »
Il fallut attendre presque une décennie entière entre ses deux premiers albums. Huit titres (dont Éden blues, interprété aussi par Piaf) rassemblés en 1960 sur un 33 tours 25 cm, puis douze en 1969, constituant une incroyable litanie de succès : Le Métèque, Gaspard, Le Facteur, Ma solitude, Il est trop tard, La Carte du tendre, Le Temps de vivre, Joseph… ! L’homme se souvient, partagé entre tendresse et lucidité : « Le Métèque a changé ma vie. Encore aujourd’hui, des gens m’affirment gentiment qu’ils connaissent toutes mes chansons. Ils citent Le Métèque… et rien derrière ! Entre-temps, j’ai rencontré Barbara – lien d’amitié et de travail – qui m’a présenté à Serge Reggiani. Je n’imaginais pas qu’il existait encore des gens de sa stature. Après Piaf, on devient difficile ! Nos chansons m’ont sorti de la retraite où, à trente et quelques années, je me confinais avec volupté. » Et quelles chansons ! Ma liberté, Ma solitude, Madame Nostalgie, Sarah, Votre fille a vingt ans…
Les deux derniers albums en studio de Georges Moustaki portent des titres qui ressemblent à sa vie de chanteur errant : Vagabond (2005) et Solitaire (2008). Ce livre aussi lui ressemble intimement qui s’ouvre sur Le Temps de vivre (1968) et se referme en compagnie de L’Ambassadeur (1984) :
Je suis l’ambassadeur du temps et de l’espace
Mon pays c’est un peu toute la galaxie
Je ne suis pas d’ailleurs je ne suis pas d’ici
Je suis contemporain de chaque instant qui passe […]
Demain lorsque l’hiver étouffera ma voix
Demain lorsque la mort aura raison de moi
Lorsque viendra le temps de rejoindre l’espace
Le ciel d’Alexandrie sera mon dernier toit.
Mon pays c’est un peu toute la galaxie
Je ne suis pas d’ailleurs je ne suis pas d’ici
Je suis contemporain de chaque instant qui passe […]
Demain lorsque l’hiver étouffera ma voix
Demain lorsque la mort aura raison de moi
Lorsque viendra le temps de rejoindre l’espace
Le ciel d’Alexandrie sera mon dernier toit.
Demain, ce recueil de textes constituera l’une de ces petites traces qui font que jamais tout à fait la mémoire ne s’efface. Une trace sensible, une borne affective, un instant… d’éphémère éternité. Celui, peut-être, au train où vont les choses, qui précédera les retrouvailles d’une bien-aimée, d’une infidèle, d’une fille bien vivante, qui se réveille à des lendemains qui chantent… et « qui nous donne envie de vivre / Qui donne envie de la suivre / Jusqu’au bout, jusqu’au bout ».
• Georges Moustaki : Éphémère éternité – Chansons choisies, Prologue de Georges Brassens ; édition établie par Marc Legras. 210 pages, dont quelques annexes (repères biographiques, discographie, bibliographie). Éditions Le Cherche Midi, Paris (site officiel de Georges Moustaki).
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NB. Quelques précisions sur certaines vidéos (merci à l’Ina !) illustrant ce sujet. Le document d’archive où Édith Piaf est filmée chez elle, interprétant Milord avec Marguerite Monnot au piano et Moustaki debout date de 1958 ; l’émission des « Dossiers de l’écran » qui le reprend, où Moustaki rappelle la genèse de cette chanson, a été diffusée le 24 janvier 1978. La première vidéo en compagnie de Barbara (Fleurs de méninges, que reprendra Reggiani) date de 1962 (avril) et les deux versions de La Dame brune, l’une en couleur, de 1967 (octobre), et l’autre en noir et blanc, de 1968. La version du Métèque, en duo avec Zazie, a été captée le 28 novembre 2000 à l’Olympia dans un concert « autour de la guitare ». Enfin, la toute dernière vidéo (Sans la nommer) est tirée d’une émission du premier août 1981 présentée par le regretté Michel Lancelot.
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NB. Quelques précisions sur certaines vidéos (merci à l’Ina !) illustrant ce sujet. Le document d’archive où Édith Piaf est filmée chez elle, interprétant Milord avec Marguerite Monnot au piano et Moustaki debout date de 1958 ; l’émission des « Dossiers de l’écran » qui le reprend, où Moustaki rappelle la genèse de cette chanson, a été diffusée le 24 janvier 1978. La première vidéo en compagnie de Barbara (Fleurs de méninges, que reprendra Reggiani) date de 1962 (avril) et les deux versions de La Dame brune, l’une en couleur, de 1967 (octobre), et l’autre en noir et blanc, de 1968. La version du Métèque, en duo avec Zazie, a été captée le 28 novembre 2000 à l’Olympia dans un concert « autour de la guitare ». Enfin, la toute dernière vidéo (Sans la nommer) est tirée d’une émission du premier août 1981 présentée par le regretté Michel Lancelot.