Petit matin, 3.10, heure d’été
Nous savions – IL savait – l’issue inéluctable. On se prenait toutefois à espérer qu’elle serait aussi lointaine et tardive que possible, car notre ami Jean faisait tout pour la repousser et ne montrait rien ou presque de ses inquiétudes quant à lui-même. Mais la Camarde n’a pas voulu patienter davantage : Jean Théfaine est mort samedi 18 août à Rennes, au petit matin, non pas à 4 h 10 comme le chante Hubert-Félix Thiéfaine, son presque homonyme dont il était aussi le biographe, mais une heure plus tôt, à 3.10, heure d’été…
L’heure, justement, n’est pas venue pour l’hommage qu’il nous incombe de lui rendre ici. Trop tôt, trop dur, car Jean Théfaine – outre qu’il fut l’un des principaux piliers de Chorus, membre de son comité de rédaction dès l’origine – était un ami, un vrai de vrai, lui-même grand ami de Marc Robine qui nous avait vivement conseillé de lui proposer d’intégrer notre équipe première ; Marc dont jamais il ne s’était vraiment remis de la disparition lors d’un sale mois d’août, déjà… Mais le jour viendra, très prochainement. Non pas que le chagrin aura fui d’ici là – bien au contraire son départ, comme une plaie ouverte, une amputation dans nos propres vies, va immanquablement engendrer un manque chaque jour plus… présent –, mais parce que le temps de l’écriture (et, je l’espère, de sa lecture, pour les gens qui l’aimaient et/ou ceux qui aimaient le lire), Jean Théfaine sera à nouveau à nos côtés, bien vivant.
Pour l’instant, il s’agit surtout de saluer sa mémoire, quitte à en peiner plus d’un, plus d’une, dans la sphère francophone en particulier, de la Bretagne au Québec en passant par les Antilles, l’Afrique et l’océan Indien… où d’innombrables artistes ont compté pour lui, dont certains lui doivent parfois beaucoup. Jean Théfaine a rejoint mardi 21 août à midi sa dernière demeure à Pancé, une petite commune de la région de Rennes, à moins de trois kilomètres de sa maison villageoise, ce « petit paradis » où il était le plus heureux des hommes avec son épouse Anne-Françoise.
Dans la foule venue accompagner sa dépouille, une large majorité de parents et d’amis bretons bien sûr, compte tenu de la période estivale, trois jours seulement après son décès, dont quelques artistes et journalistes : de ses jeunes confrères Philippe Richard et Michel Troadec, auxquels il avait fait la courte échelle à Ouest-France (où il a effectué l’essentiel de sa carrière) mais aussi à Chorus (où son talent s'est totalement épanoui), à Dan Ar Braz, Gérard Delahaye ou Melaine Favennec qui, s’accompagnant à la guitare et à l’harmonica, ont interprété trois chansons, l’une de Gérard (Si mon bien-aimé s’en venait, d’après Le Cantique des cantiques), les deux autres de Bob Dylan, l’un des artistes de prédilection de Jean (Dan Ar Braz clôturant la cérémonie d’adieu par Blowin’ in the wind).
Sans chercher aucunement à dresser une liste des présents, je citerai encore Jean-Louis Jossic, leader de Tri Yann auquel Jean avait consacré un superbe dossier dans Chorus puis un « beau livre » (et qui, en tant qu’adjoint à la Culture, représentait aussi la municipalité de Nantes et son désormais ex-maire Jean-Marc Ayrault, vieil ami de Jean qui était d’ailleurs venu le saluer et discuter longuement avec lui un jour que nous tenions ensemble un stand de Chorus…), Jean-Pierre Riou, leader du groupe quimpérois Red Cardell dont le nouvel album aura fait l’objet de l’ultime article de son blog, éloquemment intitulé « Toutes les musiques que j’aime », ou encore Alan Simon et Guy Demaysoncel, représentatifs des chanteurs plus ou moins médiatisés que Jean pouvait apprécier autant que les pointures les plus célèbres et qui venaient d’apprendre la triste nouvelle par le quotidien régional.
Et puis, outre ses amis et ex-collègues de Chorus, un certain Hubert-Félix Thiéfaine, parti de la région de Dijon vers trois heures du matin pour être à l’heure aux obsèques de son biographe, devenu ami. Un Thiéfaine aussi chagriné que discret. Jean m’avait conté par le menu les deux spectacles d’Hubert donnés récemment à Rennes et à Nantes, car il continuait de vivre sa passion avec la même intensité (son dernier concert aura été celui de Bob Dylan, le 23 juillet, aux Vieilles Charrues…). Ce furent aussi leurs ultimes rencontres. À paraître à la rentrée, l’album CD-DVD de la tournée Homo Plebis Ultimae Tour, enregistré justement et en totalité à Nantes, lui sera spécialement dédié… La décision a été prise devant nous, en notre compagnie et celle d’un « ancien » de Paroles et Musique et de Chorus, Rémy Le Tallec, vieil ami aussi de Jean Théfaine, au moment où le cortège s’ébranlait en direction du cimetière de Pancé.
Là, à quelques pas seulement de l’endroit où Jean repose désormais, un magnifique araucaria s’élance avec majesté comme pour rivaliser avec le clocher de l’église. Un signe ? Jean Théfaine tout comme Marc Robine n’a-t-il pas cheminé de concert avec nous, fraternellement et si fidèlement, sous le sceau symbolique de l’araucaria, l’arbre de vie cher à Pablo Neruda (voir « Y a rien qui s’passe ») ? « Nous perdons là, m’a écrit Jean-Michel Boris, directeur historique de l’Olympia, un amoureux sincère de cette chanson à laquelle nous sommes tant attachés et un homme admirable, d’une grande valeur morale. » Quant à Francis Cabrel que j’avais alerté de l’hospitalisation en urgence de notre ami, fin juillet (et dont le dernier dossier paru dans Chorus fut cosigné par Jean et votre serviteur), il m’a répondu : « Aïe… je m’étonnais de son silence après le passage de Dylan à Carhaix, dont nous devions longuement parler. Quelle triste nouvelle… » Et puis le choc, samedi 18, l’indicible chagrin et des mots, quand même, qui peinent à dire l’essentiel : « Vraiment, un bon garçon qui s’en va. Quelqu’un de bien... »
Jean-Louis Murat pour sa part, prévenu par Michel Troadec qui savait les liens de complicité l’unissant à Jean (en particulier depuis que l’auteur-compositeur l’avait reçu chez lui en vue d’un dossier dans Chorus, resté sans équivalent à ce jour), a envoyé un message extrêmement émouvant qui a été lu en public et dont voici la fin : « Jean, tu savais si bien être exigeant et sévère que tu es devenu mon ami. Dorénavant, le meilleur de mon chant portera aussi ton souvenir. »
Si Dieu n’est pas vraiment mort, ou pas tout à fait, si quelque part existe le paradis des musiciens et des artistes (dont Jean Théfaine, journaliste et tout modeste qu’il fût, faisait indéniablement partie par sa sensibilité et son art de l’exprimer), tous ces bons mots, ça doit le faire rougir… de plaisir. Allez, Jean, un dernier pour la route ! À la tienne, à la nôtre… buvons une dernière fois (?) à l’amitié, l’amour, la joie comme nous l’avons fait tout récemment encore, chez toi (cf. photo ci-dessus) et avec ta belle, que nous enveloppons de notre tendresse. C’est elle qui, pour ta dernière sortie, a choisi de passer cette chanson de Leonard Cohen, dans la version sublime – que tu appréciais tant – de Jeff Buckley. Hallelujah, my friend !