Vendanges d’automne, clap de fin
Il faut une fin à tout… En l’occurrence à ces vendanges d’automne qui, mine de rien, nous auront permis de présenter une centaine de crus divers (qui a parlé de crise de la création ?!), qu’ils soient de première jeunesse ou d’appellation contrôlée (c’est-à-dire des plus prometteurs ou reconnus par les amateurs et spécialistes du genre), n’ayant pas de temps à perdre à évoquer le tout-venant de la grande consommation. Pour refaire la balade, au besoin – dont l’itinéraire respecte l’ordre alphabétique, hors cuvées spéciales (Béart…) ou à fermentation spécifique (Brassens…) –, il suffit de cliquer ci-contre en colonne de gauche sur la catégorie « Actu Disques et DVD ».
Après avoir goûté progressivement, depuis début septembre, aux cuves classées A à T, voici donc le clap de fin (de U à Z comme il se doit) de cette dégustation sélective 2010. Parce qu’il faut bien mourir pour renaître, se résigner à perdre sa peau de saison pour muer, peut-être, en lendemains qui chantent. Après le vin d’automne, le vin de glace ? Suivront de toute façon quelques récoltes hors catégorie… En attendant, « l’échanson de la chanson » vous propose de déboucher encore une Jolie bouteille que Graeme Allwright, incapable de se défaire de son addiction, malgré les ans qui passent (84 ans déjà, mais toujours aussi jeune, plein de vie et d’envie !), ne cesse de partager avec de nouveaux convives, au grand banquet de l’amitié et de la chanson vivante.
• UNE TOUCHE D’OPTIMISME : En avant pour demain ; 13 titres, 41’17 ; Prod. Benoît Falip, distr. L’Autre Distribution (site du groupe).
C’est encore de prime jeunesse, mais porteur d’avenir par définition. Et puis, quoi de plus jouissif que de débuter cette dernière livraison d’un blog célébrant l’utopie nécessaire qu’avec un groupe et un album aux nom et titre pareils ?! Le groupe ? Montpelliérain, composé de sept musiciens (guitare, violoncelle, clarinette, piano, basse, batterie… et violon pour la seule fille de la formation) et d’un auteur-interprète, Evan Braci. Famille revendiquée : Brel, Debout sur le zinc, La Rue Kétanou et Mano Solo (dont on retrouve en effet des inflexions dans la voix du chanteur, mixée en avant). Les thèmes ? Plus sombres, nostalgiques et lucides que le parti pris affiché ne l’indique, mais au service, volontariste, de lendemains – ou d’aujourd’hui – qui chantent : « Allez vas-y prends ta guitare / Fais-nous vibrer jusqu’à très tard / J’veux oublier les coups qu’j’ai pris / J’veux oublier les coups qu’j’ai mis / J’veux qu’tu enflammes notre nuit / De tes dix doigts, mon vieil ami / Et je t’accompagnerai en chantant / C’est le seul truc que j’sais faire / Alors j’y r’mettrai tout mon cœur / Et tant pis si c’est la misère… » (En chantant). Les titres des chansons, eux, font plutôt penser à Ferré (L’Âge d’or, Les Artistes…). Après Quelques grammes de bonheur, c’est le second album (autoproduit) d’Une touche d’optimisme, une touche seulement puisque, loin d’être béate, l’inspiration du groupe va jusqu’au suicide, qui met un point final à En avant pour demain : « Je suis seul dans ma chambre, il faut que je m’en aille / Je te laisse cette lettre qui finit par Je t’aime / Ma décision est prise… Amen. » Ainsi soit-il… à suivre.
• SERGE UTGÉ-ROYO : Chante Léo FERRÉ, d’amour et de révolte ; 17 titres, 63’55 ; production Édito Musiques, distr. Rue Stendhal (site de l’artiste).
Utgé-Royo chantant Léo Ferré, c’est si évident qu’on se demande pourquoi il aura fallu attendre aussi longtemps. Car cela doit déjà être le quinzième album de l’artiste, aux racines hispano-anarchistes. « Léo Ferré, rappelle-t-il, a fait partie de ma large tribu d’exilés espagnols, depuis mon enfance », avant d’expliquer : « La famille Ferré m’a proposé d’enregistrer les chansons “politiques” de Léo. J’ai longuement réfléchi (deux ans) avant de faire un choix différent, arbitraire et subjectif… » À savoir douze titres, paroles et musiques, de Léo (Mon général, Les Anarchistes, Madame la misère, Flamenco de Paris, À toi, L’Oppression, Le Printemps des poètes, Ni dieu ni maître, Le Bateau espagnol, L’Âge d’or, Le Testament, Les Poètes), et cinq mis en musique par lui : La Vie d’artiste (Francis Claude), Pauvre Rutebeuf (Rutebeuf), Nous deux (Jean-Roger Caussimon), L’Affiche rouge et Est-ce ainsi que les hommes vivent ? (Aragon).
Le traitement musical ? « J’ai eu le bonheur, répond Utgé-Royo, d’avoir eu à mes côtés, pour cette “sélection”, mon ami Léo Nissim, pianiste, compositeur et arrangeur, qui s’est ensuite attelé à la tâche des orchestrations. Les autres amis du groupe, Jean My Truong au rythme et au tempo, Jack Thysen et ses basses, et Jack Ada, ses guitares et son ukulélé, ont donné le grand jeu. Le duduk (cousin arménien du hautbois) de Rostom Khachikian est venu nous rejoindre en pensant avec émotion à Missak et Mélinée Manouchian, et à l’exil universel des humains en quête de liberté. La guitare flamenca de Jean-Baptiste Marino dansait sur les airs hispaniques… Le violoncelle de Miwa Rosso a gonflé nos cœurs, tandis que la harpe de Myriam Serfass souriait et pleuvait doucement sur les chansons… Le bugle de Claude Egéa rappelait quelques airs latins et de jazz du Vieux Lion. » Ajoutez-y une pincée de chœurs (Henri Courseaux, Christiane Courvoisier, Pierre Margot…) et vous aurez au final, entre les mains, un beau digipack trois volets comprenant les paroles des chansons accompagnées de notes resituant leur contexte et de photos de l’enregistrement. Non pas un album de chansons politiques, en effet, mais bien D’amour et de révolte, interprétées à la manière habituelle et caractéristique d’Utgé-Royo.
• JOAN PAU VERDIER : Les Rêves gigognes… ; 16 titres, 59’57 ; prod. et distr. L’Yeuse Productions, Le Cambord, 24200 Sarlat (site de l’artiste).
Encore un enfant de Ferré, mais quel ! La dernière fois qu’on a vu Joan Pau Verdier sur scène c’était le 14 juillet 2003 – date du dixième anniversaire de la disparition de Léo – aux Francofolies de La Rochelle. « On se souvient, écrivait alors Marc Legras dans Chorus, que Verdier salua Léo Ferré (Maladetto, Léo) dès 1974 et adapta Ni dieu ni maître, l’année suivante, en occitan. Sa façon à lui, entre oc et rock, d’assumer une forme de filiation et souligner combien l’œuvre de Ferré constitua un révélateur pour nombre d’adolescents de sa génération. » En 2002, Joan Pau avait entériné cette filiation avec Léo Domani, un « Ferré » aussi original dans le fond que dans la forme. Voici donc Verdier de retour en auteur-compositeur, d’Oc (la moitié des chansons est interprétée en occitan) et de rock (son traitement de prédilection), qui n’exclut pas, loin de là, des incursions dans la tendresse des cordes, contrebasse et autre accordéon. Comme dans Les Dés de Mallarmé (cf. « Un coup de dés jamais n’abolira le hasard »), petit chef-d’œuvre de tournerie musicale (cosignée Verdier et Patrick Descamps), perle précieuse d’écriture et de spleen : « Sur un visage / Que l’on épure au fil des ans / Et des naufrages / Et qui s’estompe lentement / Où est la page / Qu’on a blanchie sous le harnais / De rêve en cage / Où sont les dés de Mallarmé ? »
Autre bijou, dont la thématique a été bien peu explorée dans la chanson (depuis Le Droit à la paresse de Moustaki), est ce Jour de flemme où la construction littéraire, le chant et la mélodie sont à l’unisson : « C’est un jour de flemme / Les seuls jours que j’aime / Où jamais rien ne se passe / Hormis les heures qui s’effacent / Pour rien, pour presque rien / C’est un jour sans haine / Un rêve à la traîne / […] C’est un jour-sourire / Un jour sans vieillir… » Du Verdier pure merveille où, chassez le naturel, il revient au galop, en clin d’œil affectueux à Léo : « C’est un jour-farniente / Res, nada ou niente / Une journée occitane / Comme un reflet de Toscane… » Dans la foulée, le Filh de lop (Fils de loup) s’aventure dans des contrées là aussi peu fréquentées ; chanson faite pour être écrite et chantée de toute évidence en occitan, qui renvoit (mais pas seulement) au temps des troubadours : « Fils de loup, fils de lièvre / Mais aussi fils de rien / Le chemin qu’il te faudra suivre / Ne sera pas droit chemin / […] Tu traîneras, flâneras / Et la vie passera / Tu chanteras chanteras / Mais vivras comme tu pourras… » Et que dire de la chanson suivante, Miséricordes, qui joue du contraste entre l’humain et la Terre d’une part, le pouvoir et la finance d’autre part : « Pitié pour l’enfance / Zeste d’innocence / Prélude aux finances / Des requins qui dansent / Et président… » D’autres sujets d’admiration ? Anar liures (S’en aller libres), superbe poème occitan de Domenja Decamps mis en musique par Verdier (« Voyageur des cimes / Tu es revenu sourd / De toutes les musiques rencontrées… / Voyageur de la vie / Tu es revenu aveugle / De toutes les clartés éclatantes… / Voyageur de l’amour / Tu reviendras vivant / De toutes les louanges recueillies »).
Voulez-vous que je vous dise ? Quelle chance nous avons de compter sur de tels « chantauteurs » ! Mieux que contemporains : vivants, actuels, à portée de mains, d’oreilles et de cœur ! Que la chanson française est belle, et riche ! Quelle fabuleuse diversité ! Et quel luxe, pour les médias qui font l’opinion, que d’arriver à se priver avec constance de pareils créateurs ! Je ne donnerais pas un seul Verdier pour toutes les « nouvelles stars » du monde, je ne donnerai pas cette Pluie d’images à laquelle l’album emprunte son titre (« Les nuits de vergogne / N’apaisent jamais / Nos rêves gigognes / Au fil des macramés / D’amoureux… ») ; ni cet hommage à « Serge et Alain “Play Blessures” » (« J’ai revu ma revue d’affectif / Mes imparfaits du subjectif / Je fuis la fugue / Et te conjugue / De repères / En repaires / Phalanstères…. »). Et encore moins le dernier titre, En-defora (En dehors), sommet poétique sur reggae lavilliéresque : « L’autisme inventé chante à l’avant-scène / Je vends des rébus et j’y mets le prix / Si t’as pas les clés la fable est obscène / Et marchandera le coût du mépris… »
Cerise sur le gâteau, la sortie de ce nouvel album est accompagnée, pour la première fois, de la réédition en CD de Tabou-le-Chat (1977) et Le Chantepleure (1979), quatrième et septième opus « mythiques » (son premier date de 1973) de la discographie de Joan Pau Verdier, jusqu’alors gelés (bien que non commercialisés) par la major qui en assura la production. Dépêchez-vous de les commander directement à l’artiste, car cette renaissance est, par contrat, limitée dans le temps. Marchander le coût du mépris, disait-il… Les Rêves gigognes… ? Un disque (un « Quichotte », cela va sans dire) où, comme dans La Règle du jeu qui l’ouvre, on se retrouve tout entier : « De l’amour à cœur fendre / Je n’ai plus rien à vendre / Tu es là dans mon espoir / Pierres noires, silence / Les amitiés auxquelles je pense / Me frissonnent l’hiver… »
• LES VIEILLES PIES : Une vie formidable… ; 15 titres, 64’53 ; autoproduction, distr. L’Autre Distribution (site du groupe).
Second album studio pour ce groupe généreux et plein d’avenir qui, dès le départ, proposait des Utopies de comptoir (octobre 2004). Ici, l’Utopie s’annonce dès la première chanson (« Mais je sais, oui je sais, que quelque part, pourtant / Tapie dans un sourire / Un soleil ou un chant / Une utopie m’attend, une de celles qui / Font croire en chaque instant à la beauté de la vie »). Ensuite, on passe sans heurt au Roman de Rimbaud, on croise la voix du Grand Jacques qui justifie le titre du disque dans l’instrumental éponyme (« Je trouve que j’ai une vie formidable, je considère ça comme un cadeau absolument fantastique, et encore maintenant je suis ébloui tous les matins »), on parcourt La Mort, l’Amour, la Vie de Paul Eluard… Pour le reste, ce groupe né en 2003 à Rennes et reformé en 2008 à Toulouse autour de leur chanteur (au timbre vocal un peu à la Cali) et auteur-compositeur Gabriel Saglio, a son style bien à lui, qu’on pourrait néanmoins classer, histoire de vous faciliter son approche, dans la famille Têtes Raides. Des textes forts, mélancoliques, fraternels, sur des musiques intelligentes, en ce sens qu’elles forment un univers (acoustique) cohérent bien que se frottant à diverses influences (klezmer, hip-hop, reggae, jazz, guinguette…) ; le tout orchestré avec bonheur par cinq excellents musiciens (guitares, accordéon, banjo, contrebasse, batterie, clarinette). Cinq instrumentaux jubilatoires complètent d’ailleurs les chansons de Gabriel Saglio, enrichis ici par un quatuor à cordes et une section de cuivres. Dernière chose : si, comme moi, séduit ou séduite par ce disque sorti le 8 novembre dernier, vous voulez tout savoir sur ces Vieilles Pies, véritables VIP de la chanson qui promet, sachez qu’il existe aussi un CD-DVD en concert, paru un Samedi soir de novembre 2007.
• DANYEL WARO : Aou Amwin ; 2 CD digipack 3 volets, 15 titres, 112’06 ; Prod. Cobalt, distr. L’Autre Distribution (site sur l’artiste).
Je connais (et admire) Danyel Waro depuis le tout début des années 80, ayant même été l’un des deux premiers journalistes à parler de lui au plan national (alors que Ti Fock connaissait son heure de gloire en essayant de fusionner maloya et rock) et à encourager les artistes de passage à la Réunion (à commencer par Jacques Higelin) à lui rendre visite ; le second, alors à Libération, Philippe Conrath, étant aujourd’hui son producteur. Qu’en dire ici sans trop avoir l’impression, depuis trente ans que j’écris sur lui ou que je rapporte ses propos, de rabâcher ? Simplement qu’il est l’artiste qui a redonné ses lettres de noblesse au maloya réunionnais (l’autre musique locale, celle des anciens esclaves africains ; souvent opposée au séga, à tort puisque également d’origine est-africaine mais beaucoup plus « occidentalisée » au fil du temps), qu’il a fait connaître à travers le monde, avec des textes en créole à la fois universels et très ancrés dans la réalité socio-culturelle de « l’île à grand spectacle ». Et que le « pape du maloya », comme on l’appelle parfois (bien que descendant des « petits blancs » des hauts de l’île et non du continent noir), figure depuis cet automne au panthéon des artistes de world music : il a en effet reçu le 31 octobre dernier à Copenhague la plus haute distinction en la matière, le « WOMEX Award » pour l’année 2010.
« Héros » et prophète en ses terres depuis longtemps, poète reconnu et facteur d’instruments (kayamb, bobre, roulér…), Danyel Waro vit, crée, enregistre et tourne à son rythme, laissant à la vie le soin et le temps de le ressourcer. Aucune pression d’aucune maison de disques n’aurait pu le faire changer d’attitude. C’est pourquoi cet album est précieux. Parce que ses disques sont rares, bien sûr, et que celui-ci est un double. Mais aussi parce qu’il contient le fruit de ses rencontres (trois titres) avec le groupe corse historique A Filetta, autres insulaires héritiers de la tradition. À noter, parmi bien d’autres choses, un hymne vibrant à Mandela chanté avec Tumi Mokedane (le rappeur sud-africain de Tumi & The Volume) et un autre à Alin, son « pays » Alain Péters, génial auteur-compositeur-interprète réunionnais, prématurément disparu en 1995, à l’âge de 43 ans. Avec Ziskakan, la formation de Gilbert Pounia, dont on a présenté ici le dernier album (Madagascar), puis Baster (de Thierry Gauliris, que l’on voit dans la vidéo ci-dessus chanter avec lui), Danyel Waro aura été non seulement le maître d’œuvre du renouveau du maloya mais surtout un modèle à suivre pour nombre d’artistes des nouvelles générations, à l’image de Christine Salem (voir « Vendanges d’automne » n° 10). Un personnage définitivement entré dans l’histoire musicale de la Réunion. Ah oui, un mot encore : le titre de son album, Aou Amwin, signifie « De vous à moi ».
• ZEN ZILA : éponyme ; 11 titres, 43’15 ; production Acte public, distr. L’Autre Distribution (site du groupe).
Rock toutes ! « Depuis une douzaine d’années, écrivait Yannick Delneste (en 2006) dans Chorus, Wahid (Chaïb) et Laurent (Benitah) cultivent au sein de Zen Zila des textes teints aux couleurs du réel, des musiques empreintes de leurs voyages intérieurs et une amitié tranquillement indestructible. » Ils en étaient alors à leur troisième album, Mais où on va comme ça, sorti chez AZ ainsi que le précédent, 2 pull-overs 1 vieux costard en 2003, après Un mélange sans appel en 2000 chez Naïve. Un quatrième, Gueules de Terriens, allait encore paraître chez AZ/Universal en 2008, avant celui-ci, sans titre, réalisé en totale indépendance, signe que quelque chose ne fonctionne pas ou plus, soit dans les majors soit dans les médias, car Zen Zila figure sans aucun doute parmi ce qui se fait de mieux aujourd’hui dans le rock français « à textes ». Musicalement, c’est imparable pour les amateurs du genre, très guitares (électriques, of course) d’un bout à l’autre de l’album ; avec des incursions dans le blues et des allures, dans l’ambiance, la densité et parfois le chant, proches de Manset. Ou d’un Thiéfaine. Voire d’un Bashung. « Tourne, tourne, manège enchanté / Tourne à perdre haleine, à te désaxer / Percepteurs de la décadence, allumez les callumets / Plumeurs, traders à outrance, partisans de l’indécence / Osez poser sur l’asphalte / En vrac, vos bric à brac, toutes vos frasques / Constellation à la décimale / Horticulteurs des Fleurs du Mal… » Sans être sectaire ou amoureux d’une seule forme de chanson (ce qui revient au même), on ne peut qu’être sous le charme, emporté dans le tourbillon de cette musique envoûtante mettant en scène des textes citoyens : « Levez-vous, levez-vous les invisibles / Venez passer le pont des possibles / Oubliez, oubliez les prévisibles / Ceux qui rendent nos rêves impossibles… » Utopie, quand tu nous tiens !
• ZORA : Panaméenne ; 14 titres, 48’28 ; Prod. MVS Music, distr. Anticraft (site de l’artiste).
Il aura fallu patienter huit ans, après un premier album sorti en 2002 chez Warner, Bout de Terre (le premier, aussi, réalisé par Stefan Mellino, compositeur et guitariste des Négresses Vertes), pour que Zora (Bensliman) remontre enfin le bout de son joli museau, désormais en autoproduction. « Enfin », parce que la jeune femme qui signe l’essentiel de cet album (avec son alter ego, à la ville comme à la scène, Jean-Philippe Courtois) ne manque pas d’atouts. Découverte du Printemps de Bourges dès 1998, elle a multiplié depuis les premières parties (Richard Bohringer, Gnawa Diffusion, CharlÉlie Couture, Souad Massi, Zebda… dont la synthèse donnerait un bon aperçu du style de ses chansons) et les apparitions en festivals, et compte dans son jeu un certain M, lequel cosigne deux musiques de ce Panaméenne « aux parfums de pop revigorante ». Verbe décomplexé, ironie mordante, invective dessalée, c’est joyeux et riche musicalement, ça swingue au son d’une voix plutôt grave… « Moi, avec ma voix garçonne et mon caractère bien trempé ; lui, Jean-Fi, avec sa guitare et ses élucubrations, ensemble on concocte ces chansons où je me livre, par bribes, tout en peignant les travers de personnages attachants qui nous rappellent forcément quelqu’un. L’humeur est à l’humour tendre ou corrosif, souvent, au franc-parler toujours. » Dépression, angoisse chronique, égalité des chances, équilibre homme-femme, mixité, émigration, mercantilisme, surconsommation… On ressent l’urgence d’un retour à l’essentiel, jusqu’à la confession ultime d’un guitare-voix feutré aux envolées poignantes (Silence austère), en passant par un facétieux duo entre Jean-Fi et Zora (Super la mer), bossa pop sur fond de sirtaki ! Après le « faux départ » de 1998 (et deux vrais enfants, quand même, dans l’intervalle), gageons que ce second album sera le bon.
Voilà, c’est la fin de ces vendanges d’automne. Plus de cent disques et DVD présentés en trois mois… Je visiterai encore quelques caves spéciales où, avec le temps, le bon vin se bonifie en silence. Mais ensuite ? Ici en tout cas, histoire de refermer ce sujet comme il a débuté, avec Graeme Allwright, je vous propose une autre vidéo qui laisse deviner (malgré sa qualité technique médiocre) la réalité ordinaire des concerts de cet artiste extraordinaire, depuis qu’il parcourt les routes, en trimardeur de la chanson, sans relâche aucune et en faisant toujours le plein… en marge totale des médias. Le plein des salles, mais surtout le plein d’amitié, d’amour et de joie, le public ne demandant – spontanément et systématiquement – qu’à chanter en c(h)œur avec lui.
Formidable Graeme, aussi authentique à la ville qu’à la scène et vice-versa ! Je garde au cœur, par exemple, le souvenir ému d’une humble visite, dans la Corne de l’Afrique, rien que tous les deux, auprès de réfugiés somaliens au temps de la Guerre de l’Ogaden… Quelle humanité chez cet homme-là – non, hélas, ça n’est pas un pléonasme – qui sait parler autant sinon plus avec les yeux qu’avec les mots… Alors, maintenant qu’on a fêté pendant un an nos retrouvailles, suite au coup d’arrêt brutal que vous savez (y a-t-il un « docteur » dans la salle d’attente de Si ça vous chante prêt à nous aider à faire de nouveau chorus sur le papier ?), avec Graeme Allwright, buvons encore à l’amitié, l’amour, la joie… Une dernière fois (pour cette saison : « Au cœur de l’arbre il y a le fruit / Au cœur du fruit il y a la graine / Au cœur de la graine il y a la vie / Et la saison prochaine… »). Aujourd’hui, en effet, ça m’fait d’la peine, mais il faut que je m’en aille.