Ami, remplis mon verre
Suite et fin de notre cuvée automnale, avec vingt autres fruits de la treille 2011, tous fort goûteux et à conseiller urbi et orbi, dont certains sont appelés à prendre place dans la grande cave des meilleurs crus de la chanson française et/ou de l’espace francophone. Remplissez votre verre à votre convenance, suivez le guide… et ne ratez pas la marche !
• JOFROI : Cabiac sur terre
Et un de plus, un de mieux pour le plus français des chanteurs belges. Installé à Cabiac, dans le Gard, près de Barjac dont il est l’âme du festival Chansons de Parole, Jofroi trouve les mots justes pour dire l’humain à travers la terre : « Je n’ai de carte identitaire que citoyen, que citoyen de l’univers / Et s’il faut être de quelque part, ça m’indiffère, mais je choisis ce coin de terre / Cet entrelacs de murs de pierre, ce cul-de-sac où j’ai hier posé mon sac / Cabiac sur terre. » La révolte et l’indignation, l’amour et la générosité sont chez lui les deux faces d’une même médaille : « Dire qu’on a marché sur la lune / Égaré Pierrot et sa plume / Un pas de géant mais pourquoi ? / Tous les chemins mènent à .com / Mais l’homme reste un loup pour l’homme / Le temps passe, les chiens aboient / Le temps passe, qu’est-ce qu’on attend ? » Le reste de l’album est à l’avenant, synthèse sensible des univers de Félix Leclerc, François Béranger et Jean-Pierre Chabrol, les « pères nourriciers » de Jofroi. Cabiac sur terre ? Un « Quichotte » à l’assaut des maux du temps présent. 14 titres, 48’20 ; Productions du Soleil, distr. EPM-Socadisc (site de l’artiste).
• SANDRA LE COUTEUR : Terre natale
Originaire de l’île de Miscou en Acadie, Sandra, d’abord comédienne, s’est mise sur le tard à la chanson (premier album, La Demoiselle du traversier – « Cœur Chorus » n° 56 – en 2006) ; elle n’en est pas moins devenue une interprète d’exception, y compris dans le choix de son répertoire. Ici, Jamait (Caresse-moi), Brel (Ne me quitte pas), Vian (Les Joyeux Bouchers), mais surtout d’excellents auteurs québécois : Valéry Robichaud (superbe Terre natale), Bruno Roy, Yves Savard, Georgette Leblanc, Francis Covan, Gaston Miron… De l’émotion à l’état pur. 13 titres, 46’19 ; prod. Île Miscou, distr. Plages (site de l’artiste).
• DAVY KILEMBÉ : Citoyen !!!
Dans son « Portrait » de Chorus 63 (printemps 2008), à l’occasion de son deuxième album, il était ainsi présenté par Michel Trihoreau : « Citoyen naturellement impliqué, chanteur-musicien à la voix chaleureuse portée par les rythmes percussifs de sa guitare et de sa calebasse… » Bien vu, puisque ce troisième opus du Perpignanais au père zaïrois et à la mère espagnole (voir « Mille cœurs debout ») s’intitule précisément Citoyen. Citoyen français et citoyen du monde. À noter en bonus une reprise très personnelle de La Mauvaise Réputation et, en morceau caché, Poulaillers’ Song de Souchon, toujours d’actualité trente-cinq ans plus tard ! 15 titres, 60’44 ; autoproduction (site de l’artiste).
• L : Initiale
Un premier album prometteur, teinté de fortes influences barbariennes, qui rend d’autant plus attendu l’opus suivant et nécessaire l’émancipation artistique de cette jeune femme des plus douée. 11 titres, 41’25 ; prod. tôt Ou tard, distr. Wagram (site de l’artiste).
• LA MATHILDE : Équilibriste
Second album d’un quintette masculin, famille Têtes Raides (Grégoire Simon participe d’ailleurs à trois titres), à l’écriture et aux mélodies soignées, en phase avec l’air du temps. 13 titres, 42’27 ; autoproduction (site du groupe).
• LA MEUTE RIEUSE : Les Yeux des fesses
Pour son second opus, le duo formé de Camille Simeray (chant, accordéon, percussions) et Morgan Astruc (guitare, pandeiro, percussions, chœurs) a bénéficié de bien belles collaborations, de l’écriture jusqu’à la réalisation : Fredo et Sam Burguière des Ogres de Barback, Blu de Moussu T e Lei Jovents… Un univers personnel à l’image de la recréation d’À mourir pour mourir (Barbara). 12 titres, 43’55 ; autoproduction, distr. Irfan (site du groupe).
• RENÉ LACAILLE (èk marmaille) : Poksina
Chanteur-accordéoniste emblématique de la Réunion, René Lacaille est accompagné ici de sa « marmaille » de fils, de fille et de neveu, pour un retour aux sources du séga et du maloya à travers la reprise de classiques signés Jules Arlanda, Georges Fourcade, Jules Joron, Alain Peters… ou René Lacaille. Un travail salutaire pour la préservation du patrimoine et une œuvre jouissive pour l’auditeur. 17 titres, 51’32 ; prod. Daqui, distr. Harmonia Mundi (site de l’artiste).
• BEN MAZUÉ : éponyme
Repéré en « Découvertes » 2010 du festival Alors… Chante ! de Montauban, on disait de ce « grand garçon blond sympathique » qu’il naviguait étrangement « entre le rap américain, le slam, la musique humaniste, la soul en plus vocal, le verbe français, le sens des mots et la musique noire américaine en général ». Le voici signé par une major, entouré d’une quinzaine de musiciens autour de Régis Ceccarelli. 13 titres, 44’24 ; prod. Columbia/Sony Music (site de l’artiste).
• MeLL : Western spaghetti
Sauf erreur il s’agit du quatrième album de cette jeune chanteuse aussi atypique que sympathique. Certains la revendiqueront rock pour l’énergie déployée, d’autres mettront en avant son Prix Félix-Leclerc (2007) : en fait, c’est une artiste jusqu’au bout des ongles, tout-terrain, capable de tirer son épingle du jeu des situations les moins favorables (telle sa prestation au festival de Tadoussac 2009 : cf. le compte rendu qui aurait dû figurer dans le n° 69 de Chorus en cliquant dans « Coulisses » puis « Festival »). Inclassable, MeLL se joue de tout et on aime ! 12 titres, 43’07 ; prod. Mon Slip/tôt Ou tard, distr. Wagram (site de l’artiste).
• MON CÔTÉ PUNK : Passeport
Troisième album déjà pour ce groupe (cinq garçons et une fille) dont le ramage humaniste se rapporte au plumage festif, avec un vrai souci d’écriture poétique et de mélodie sensible. N’ont-ils pas convoqué Bernard Dimey et Allain Leprest pour deux textes mis en musique par eux-mêmes (Seigneurs et Brussel) et invité entre autres à la voix et aux instruments Loïc Lantoine, Olivier Leite, Florent Vintrigner (La Rue Kétanou) et Madjid Ziouane… 14 titres, 43’53 ; prod. Mon point de côté, distr. L’Autre Distribution (site du groupe).
• GÉRARD MOREL : Le Régime de l’amour
Mon premier est un CD de nouveautés oscillant comme toujours chez Morel (Gérard) entre humour et tendresse, révérence aussi (Les Pâquerettes de Roger Riffard, en duo avec Anne Sylvestre ; La Marche nuptiale de Brassens dans la version transalpine de Fabrizio De André, avec Joël Favreau à la guitare). Mon second est un CD en public qui éclaire et complète le travail de studio. Mon tout est un Flot de paroles qui réconcilie avec le genre humain : « Parole fri-frissons / Parole fri-frivole / Paroles de chansons / Chanson de parole »… CD1 : En studio, 11 titres, 38’41 ; CD2 : En public, 14 titres, 54’44 ; prod. Archipel Chanson, distr. L’Autre Distribution (site de l’artiste).
• JEAN-MICHEL PITON : J’me régale…
Nouvelle cuvée d’un artisan au long cours, la dixième depuis 1979 en comptant une compil CD, où la puissance du chant (ah ! Piton a cappella…) n’a d’égale que l’intensité émotionnelle, où l’écriture classique se fond dans des mélodies intemporelles, orchestrées avec bonheur. Le tout au service d’un humanisme en forme de Geste d’amour (titre du 30 cm et de la superbe chanson éponyme grâce auxquels Paroles et Musique l’avait repéré en 1982). Un de ces grands talents méconnus de la chanson, sans lesquels l’envie de se battre pour elle serait moins irrépressible. Même si Piton est plus proche, physiquement, de Sancho Pança que du chevalier à la triste figure, ce nouveau cru mérite un « Quichotte » de Si ça vous chante (le précédent, L’homme qui avait fait fuir ses rêves, en 2008, lui avait déjà valu un « Cœur Chorus »). 12 titres, 57’59 ; autoproduction (site de l’artiste et myspace).
• LISA PORTELLI : Le Régal
Décidément, la chanson est un plat qui suscite le régal (voir Piton) ! Vingt-cinq ans, guitariste ACI, dix ans de scène (premier passage public à 15 ans en scène ouverte à la Goutte d’Or), programmée en « Découvertes » au Printemps de Bourges 2006, premier album autoproduit en 2007, lauréate du Prix « Paris Jeunes Talents » 2010, Lisa Portelli est ce que l’on appelle un talent prometteur. Sur scène elle s’éclate, sur disque elle revendique l’héritage d’un Dominique A ou d’un Rodolphe Burger, il y a pire comme parrains… 12 titres, 40’05 ; prod. et distr. Wagram Music (site de l’artiste).
• PPFC : Entre les ondes
PPFC (pour Petit parc football club !), c’est une voix masculine posée sur des orchestrations riches et acoustiques, des textes évoquant « un univers bigarré, miroir de nos intérieurs, reflet de nos craintes », écrivait Stéphanie Thonnet dans Chorus 68 à l’occasion du précédent opus, La Valse des enragés. Celui-ci est déjà le quatrième de cette bande francilienne de six garçons et une fille, famille Louise Attaque ou autres Ogres de Barback. 14 titres, 53’25 ; autoproduction, distr. L’Autre Distribution (site du groupe).
• DAMIEN ROBITAILLE : Homme autonome
Quatrième album d’un jeune Canadien francophone de l’Ontario (30 ans), lauréat de nombreux prix et tremplins. « Timide et réservé dans la vie, notait Albert Weber en 2006 dans son Portrait de Chorus n° 58, il apparaît faussement confus, expansif et maladroit sur scène. Un sacré rigolo et un drôle de phénomène. » Musicalement, ce disque (qui aura attendu fin octobre 2011 pour être enfin distribué en France, deux ans après sa sortie canadienne), lorgne du côté du meilleur des années 60 et 70, soul en particulier, genre Nino Ferrer, James Brown ou Otis Redding, et c’est jubilatoire. 12 titres, 42’41 ; prod. Disques Audiogramme, distr. Rue Stendhal (site de l’artiste).
• VALENTIN SPOEB : Existentiel
Un enfant du rock anglo-saxon (Bowie, Lou Reed…) qui, après plusieurs groupes (dont Dark Memories, lauréat des « Découvertes » du Printemps de Bourges), retrouve ses racines dans la lignée d’une chanson-rock famille Gainsbourg-Bashung-Couture-Burger-Dominique A… 10 titres, 44’58 ; autoproduction (site de l’artiste).
• TRI YANN : Rummadou (Générations)
« Quarante ans, toutes ses dents » en ce millésime 2011 pour le groupe breton par excellence, celui des Trois Jean de Nantes (Jean Chocun, Jean-Paul Corbineau et Jean-Louis Jossic, auxquels se sont progressivement adjoints Gérard Goron, Fred Bourgeois, Konan Mevel, Christophe Peloil et Jean-Luc Chevalier). Chronique d’une famille bretonne, avec ses joies et ses peines, ses rires et ses larmes, cet album est pour Tri Yann prétexte à aborder l’évolution de l’écriture linguistique et musicale à travers les âges, des « temps barbares » à aujourd’hui. D’une ampleur musicale et vocale superbe, ce qui n’exclut pas l’intimisme quand c’est nécessaire, Rummadou est un grand cru – un « Quichotte » évident de Si ça vous chante – et le spectacle actuel, entièrement renouvelé, à recommander vivement. 15 titres, 60’56 ; prod. Marzelle, distr. Coop Breizh (site du groupe).
• VENDEURS D’ENCLUMES : Décadrant
On a dit ici tout le bien qu’on pense de ce groupe aussi chevronné qu’original (voir « Alors… Chante ! » 2010 de Montauban), qui fête ses dix ans d’existence avec ce troisième opus. Ces six garçons originaires d’Orléans échappent en effet à toute classification étroite pour faire de la « chanson maximaliste », résultante d’un creuset d’influences allant « du théâtre et de la musique classique au jazz pour arriver enfin au rock et à la chanson torturée », portée par la voix sensuelle de Valérian Renault, interprète charismatique et auteur-compositeur de la plupart des morceaux. 10 titres, 46’37 ; prod. Macabane, distr. L’Autre Distribution (site du groupe).
• ÉRIC VINCENT : L’Or de l’instant
Il faudrait lui consacrer un sujet à part, et un long sujet, tant son parcours est particulier. Cela fait plus de trente-cinq ans en effet qu’il vit confortablement de son métier en chantant un peu partout autour du monde (140 pays l’ont déjà accueilli). Rien qu’aux USA, il rassemble chaque automne, à chaque nouvelle tournée, un public de vingt à trente mille personnes… Mais pour faire synthétique et vous donner envie de prolonger la découverte (s’il vous est encore inconnu), voici simplement quelques lignes aussi récentes qu’éloquentes signées Georges Moustaki : « Éric Vincent, chanteur universel. Cet infatigable voyageur dispense ses mots et ses mélodies dans les deux tiers de la planète. Il est temps que le public français connaisse et reconnaisse son talent à travers les chansons de ce nouvel album. » Des chansons, soit dit au passage, enregistrées avec de grandes pointures : Roland Romanelli, Manu Lacordaire, Pierre Chérèze, Sylvin Marc, Tony Rabeson, etc. 10 titres, 41’15 ; prod. Bémol Productions, distr. Pluriel (site de l’artiste).
• WEEPERS CIRCUS : N’importe où, hors du monde
C’était déjà l’un des groupes français les plus intéressants. Le nouvel album (le huitième si je ne m’abuse) de ces six musiciens strasbourgeois (qui se décline soit en CD-livre soit en livre-CD selon qu’on le cherche chez les disquaires ou en librairie) en fait l’un des plus novateurs. Vibrant « dans un espace-temps étrangement sombre et coloré, d’où surgissent des galaxies encore inconnues », il propose une alchimie subtile entre le rock’n’roll et le trip hop et cela reste de l’excellente chanson française. Une démarche qui m’a fait penser, à sa première écoute, à La Mort d’Orion de Gérard Manset… Les voix s’entrecroisent, les arrangements surprennent, le rythme omniprésent n’exclut pas le sens mélodique, et les invités, excusez du peu, s’appellent Cali, Eddy (la) Gooyatsh, Jean-Claude Carrière, Jean Fauque et Jean Rochefort. Le titre ? Il fait référence au poème Anywhere out of the world d’un certain Baudelaire… Tout cela vaut bien un « Quichotte » de Si ça vous chante, sans doute. 13 titres, 55’57 ; prod. Baz Productions, distr. L’Autre Distribution (site du groupe).
Pour en finir (provisoirement) avec cette rubrique disques, j’insiste sur le fait que Si ça vous chante cherche notamment à susciter le dialogue pour mieux remplir ses objectifs de promotion de la chanson vivante. À quoi cela rimerait-il que « l’échanson de la chanson » continuât à se décarcasser si cela ne devait susciter que de l’indifférence ?! Nous attendons – nous espérons ! – vos propres appréciations sur l’un ou l’autre des disques retenus ici ou, mieux encore, sur d’autres nouveautés auxquelles, faute d’avoir été informés de leur existence ou d’avoir pu les écouter, nous avons hélas « échappé ». Cette « maison d’amour » est la vôtre, elle est même grande ouverte aux amoureux des bancs publics (ceux des salles de spectacles) depuis 1980. Ai-je besoin de le répéter encore et encore ? Oui ? Ah bon ! Alors, you’re welcome at home, fellows ; bienvenidos a casa, amigos… mais rien que si ça vous chante !