La désespérance
L’année commence aussi mal que la précédente a fini pour les amoureux de la chanson vivante : après Alain Féral – le « chantauteur » des Enfants Terribles, groupe aussi brillant qu’atypique qui connut son heure de gloire à la fin des années soixante –, disparu le 24 décembre dernier, c’est Luc Romann qui vient brusquement de nous quitter. Un poète de la chanson, ignoré par la plupart des médias, sa vie durant, alors que ses chansons auraient dû fleurir sur toutes les lèvres...
Je viens juste d’apprendre la nouvelle : Luc Romann est décédé hier lundi 6 janvier, des suites d’une intervention chirurgicale... alors que rien n’annonçait une telle issue. Terrible choc pour ceux et celles qui l’aimaient personnellement, mais aussi chagrin profond pour tous ceux qui ont suivi avec admiration l’évolution de son répertoire et de sa carrière, malgré son retrait de la « compétition » médiatico-showbiztique (il avait quitté Paris pour s’installer dans le Gers, au plus près de la nature qu’il chantait à merveille).
J’en connais plus d’un, hélas, qui vont se sentir effondrés à la lecture de ces lignes… J’avais moi-même le bonheur de le connaître depuis 1980 (cf. la photo ci-dessus prise chez lui, à Salles d’Armagnac, en 1981, qu’il appréciait tout particulièrement) et, avec Paroles et Musique, nous avions même permis le financement (suite à une souscription auprès de nos lecteurs) de son magnifique album Le Ciel dans la tête, la Terre dans le cœur (1982). Un 33 tours où l’on trouvait notamment cette chanson éloquente, avec cet art qu’il avait de savoir passer du personnel à l’universel (qui est la marque des grands), Ceux qui n’ont pas la parole :
Je fais partie de ceux qui n’ont pas la parole
De ceux qu’on a trahis, de ceux qu’on a jugés
Dans toutes les églises, dans toutes les écoles
Sur tous les Golgothas, en toutes Galilées
Je fais partie de ceux qui s’étonnent de vivre
Je fais partie de ceux qui furent tant tués
Qui justifient les hommes enterrés dans les livres
Les prophètes maudits, les justes assassinés…
Je fais partie de ceux qui n’ont pas la parole
De ceux qu’on a trahis, de ceux qu’on a jugés
Dans toutes les églises, dans toutes les écoles
Sur tous les Golgothas en toutes Galilées
Qui justifient les hommes enterrés dans les livres
Les prophètes maudits, les justes assassinés…
On m’excusera de n’être pas plus disert cette fois, mais je n'ai vraiment pas le courage d’en dire plus ici ; simplement le devoir de rappeler que, le découvrant à ses débuts, Léo Ferré disait qu’il était « de la famille des grands », que Brassens le prenait en première partie de ses récitals, que Brel ne tarissait pas d’éloges à son sujet… et que Barbara – encore interprète alors – confiait au producteur de Luc qu’elle serait « comblée pour toujours » si elle arrivait un jour à écrire une chanson comme Amours de mes dix ans...
Je pense non seulement à ses proches mais aussi à d’autres amis communs, à Georges Moustaki qui adorait Luc Romann et l’avait même accompagné à la guitare dans ses tours de chant, qui étaient comme un pansement sur le cœur, velours-velours, ainsi que Paco Ibañez et Graeme Allwright. Salut l’artiste ! Et salut mon cher Luc, tu sais combien Mauricette et moi – et tous les autres – on t’aimait... Au moins, vas-tu retrouver d’autres amis, là-bas, là-haut, je ne sais où, là où tout le monde ça s’met ensemble et ça chante de belles chansons, au paradis des musiciens : plein d’amis qui s’mettent en rond autour d’un joueur d’accordéon, comme Danielle Messia et puis Marc Robine qui t’aimait tant aussi et avait repris sur scène et sur disque ton inoubliable Temps des chevaux…
Il y a quelques jours, nous formulions le vœu que 2014 nous apporte aux uns et aux autres, hommes et femmes de bonne volonté, tout en mieux et surtout rien en moins bien que 2013 ; il semble hélas que ce nouveau millésime ait voulu se charger sans tarder de remettre les pendules à l’heure… « Qu’est-ce qu’il y a au bout du chemin ? / Qu’est-ce qu’il y a au bout de la vie ? »
NB. Le reportage sur Luc Romann a été réalisé par France 3 Bordeaux en septembre 1978. Les chansons Amours de mes dix ans et La Désespérance datent respectivement de 1963 et 1972. Enfin, la vidéo en noir et blanc où l’on découvre un Luc Romann débutant est extraite de l’émission Âge tendre et tête de bois d’Albert Raisner, diffusée le 17 février 1962.