6 août 2013
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L’aventurier de la chanson française
Comme tout un chacun, la Camarde aurait pu s’offrir des vacances à la belle saison. Elle a préféré jouer les stakhanovistes, fauchant par exemple Léo Ferré un 14 juillet, Gilles Elbaz un 18 juillet, Jean-Michel Caradec un 29 juillet, Nino Ferrer un 13 août, Allain Leprest un 15 août… L’été n’est que trop souvent meurtrier pour la chanson, tant pour ceux qui lui donnent vie et l’incarnent que pour ceux qui la rendent vivante en faisant profession de la partager. L’an dernier, c’est Jean Théfaine qui s’éteignait un 18 août et avec lui l’une des plus belles plumes que la presse musicale ait connues. Le 26 août, cela fera dix ans que Marc Robine, l’homme-orchestre, « le colporteur » de la chanson française, a rejoint le paradis des musiciens.
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Journaliste à Paroles et Musique et Chorus, certes, mais aussi biographe, historien, conférencier, directeur artistique et j’en passe. Chanteur bien sûr, auteur-compositeur et interprète. Pour s’en souvenir, un « coffret » de trois disques vient de sortir chez son ancien producteur, compilant ses deux derniers albums studio, L’Errance (1989) et L’Exil (1997), et son seul et unique album en public, Du « Temps des chevaux » au « Temps des cerises » (1998). Plus de trois heures de bonheur. Quarante-trois titres estampillés Les Années EPM pour aider à maintenir vive la mémoire de celui qui a tant fait, peut-être plus que nul autre, pour que perdure celle de la chanson française. L’occasion de retracer ici son parcours, à l’intention de ceux qui n’ont pas eu la chance de le connaître… mais aussi à l’usage, peut-être, de ceux qui un jour le chanteront ou écriront des livres à son sujet.
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Contrairement aux « imbéciles heureux qui sont nés quelque part », comme dit Brassens, Marc Robine se sentait partout chez lui auprès de ses « frères humains » dont parle Villon. Nomade dans l’âme (natif de Casablanca le 14 octobre 1950, il vécut sa petite enfance au Kenya) et doué d’une culture générale encyclopédique, il n’en avait pas moins une prédilection, presque une addiction, pour la chanson et la poésie françaises, et le besoin de les offrir en partage ; le souci, également, d’en assurer la préservation.
Pour ce faire, après l’initiation à la musique (banjo, guitare, dulcimer), un premier groupe folk, les premières scènes à Bordeaux et l’apprentissage de la lutherie (en 1971 il ouvre un atelier à Agen tout en participant à la création de Perlinpinpin Folc), il devient compositeur-instrumentiste (album Ruelles, 1976), compositeur-interprète (album Gaston Couté, 1979) puis auteur-compositeur-interprète (quatre albums studio, dont L’Errance et L’Exil aux titres éloquents, et un CD en public, Du « Temps des chevaux » au « Temps des cerises », entre 1980 et 1999). Mais bien qu’allant souvent à la rencontre du public, du nord au sud de l’Europe (c’est en Allemagne qu’il enregistre son troisième 33 tours, Die Französische Musik), sans courir pour autant après la notoriété (car il se veut seulement, comme son modèle Woody Guthrie ou comme Félix Leclerc, « un homme qui chante »), cela ne suffit pas à étancher sa soif de partage.
Alors, après avoir tâté de la presse musicale dès 1977 à L’Escargot Folk, il rejoint en 1981 la rédaction de Paroles et Musique, le mensuel « de la chanson vivante » (créé un an plus tôt), sur proposition d’un ami commun, Jacques Vassal, journaliste-écrivain bien connu. C’est là que Marc Robine va déployer l’essentiel de son talent de passeur, à la fois historien de la chanson et témoin – avide de découvertes – de la création du moment ; à Paroles et Musique puis à la revue Chorus/Les Cahiers de la chanson qui lui succède durant les décennies 1990 et 2000. Détail (éloquent) : c’est grâce à lui, cette fois, qu’aux premiers jours de l’été 1992 Jean Théfaine intégra l’équipe première de Chorus ; il n’y a pas de hasard, disait Eluard, il n’y a que des rendez-vous.
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Bientôt, Marc conjugue ses activités de chanteur et de journaliste avec celle de conférencier, rôle dans lequel il excelle, en ajoutant à son époustouflante connaissance du sujet l’art consommé mais naturel chez lui du conteur, captivant chaque fois son auditoire sans frontières – en Allemagne, en Italie, en Scandinavie, aux Pays-Bas… comme en France, en Amérique du Nord, à Madagascar, au Mali, à Tahiti ou à Saint-Pierre et Miquelon ! Il donne ses premières conférences sur l’histoire de la chanson française en 1986 à Rome, où il demeure un temps – dix ans plus tard, cela se traduira par une série d’émissions de télévision et de radio pour la RAI (Radio Télévision Italienne). À la fin des années 1990, il présente un cycle de conférences sur « L’Histoire de la censure à travers la chanson française » et « La Poésie dans la chanson française depuis la Libération ». L’Université aussi fait appel à lui : il est chargé de cours sur « La Chanson et son histoire, des origines à nos jours » à Lyon 1 en 1997 et à Grenoble-Mendès-France en 1999.
Entre-temps, décidément insatiable et doté d’une énorme capacité de travail, Marc Robine a encore ajouté une autre corde à son arc : celle de l’écrivain. En 1985, il publie au pays de Goethe un livre bilingue consacré aux chansons populaires de France, Volkslieder aus Frankreich. En 1987, il s’attaque à sa première biographie (qu’en tant que directeur de collection chez Seghers, j’ai le plaisir de suivre de bout en bout), qui se trouve être aussi la toute première consacrée à Francis Cabrel : « Au départ, racontera celui-ci à Jean Théfaine pour Chorus (1), je suppose qu’il m’a considéré comme un chanteur parmi la trentaine d’autres qui étaient alors à la mode… Au fil des rendez-vous, ça a pris entre nous la forme de conversations. On s’est mis, notamment, à parler de nos passions pour les guitares, pour une certaine musique. Peu à peu, il s’est éloigné du plan qu’il avait initialement monté. On a écrit quelques livres sur moi, que je n’ai jamais trop considérés. Le sien, c’est vraiment ma référence. »
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Je l’accompagnerai désormais dans toutes ses biographies, comme éditeur et directeur d’ouvrage. L’année suivante, c’est Le Roman de Julien Clerc, écrit à quatre mains, avec l’artiste. « Là encore, notera son confrère Serge Dillaz, Marc Robine fait preuve d’une honnêteté sans faille qui l’amène à demander au chanteur une participation active, c’est-à-dire des annotations et commentaires sur le travail en cours. Ces remarques, qui figureront en contre-champ dans le livre, constitueront indéniablement une innovation dans le genre fort couru de la biographie (1). » Ce que confirmera volontiers Julien Clerc quinze ans après : « On avait trouvé une formule bien originale pour ce bouquin. Le fait que je commente son récit, sous forme de courts inserts, apportait, je crois, quelque chose de nouveau au genre. » Rappel d’un de ces commentaires de l’intéressé, en début d’ouvrage : « J’ai appris dans ce chapitre, pour tout ce qui concerne l’histoire antillaise, une foule de choses ; en fait, j’en ignorais la majeure partie… »
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En 1991, préfacé par son ami Renaud et en collaboration avec Thierry Séchan, Marc publie Georges Brassens, histoire d’une vie, mais dès 1988 il s’est lancé dans son projet le plus ambitieux, celui d’écrire « le »
livre sur l’artiste qui l’a le plus marqué (au point d’assister tous les soirs à ses fameux adieux de l’Olympia 1966 !), Jacques Brel. Après dix ans d’enquête, Grand Jacques, le roman de Jacques Brel impressionne ses lecteurs tant par la justesse de sa vision sur le chanteur que par la somme socio-historique qu’il constitue et lui vaut d’ailleurs un grand prix de l’académie Charles-Cros. « La meilleure des biographies de Brel », estimera la regrettée Anne-Marie Paquotte dans Télérama, tandis que Bertrand Dicale, dans Le Figaro, dira son admiration :
« Robine s’insurge, s’enthousiasme, converse avec Brel en nourrissant son propos d’une somme unique d’informations. Son travail est exemplaire non seulement par son ampleur, mais aussi par sa pertinence. » Dans la foulée, mêlant toujours étroitement le parcours de l’artiste et le contexte général – la marque de fabrique de Robine, pour qui on ne peut efficacement parler d’un artiste censé refléter l’air du temps sans rappeler les tenants et aboutissants de ses racines et de son époque –, il entame la bio qui fait encore défaut à un autre géant de la chanson, Charles Aznavour…
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Auparavant, en 1994, est paru un nouvel ouvrage de référence signé Robine, l’Anthologie de la chanson française : la tradition, un gros volume cartonné de plus de neuf cents pages préfacé par l’écrivain, historien et critique d’art Michel Ragon. Un panorama sans pareil d’un art millénaire (le livre est sous-titré « Des trouvères aux grands auteurs du XIXe siècle »), l’auteur affirmant d’emblée que les chansons présentées, textes et partitions à l’appui, constituent
« la meilleure photographie possible de la société, à chaque étape de son évolution » et qu’elles « nous aident à comprendre l’Histoire et la sociologie aussi bien, si ce n’est mieux, que la plupart des traités savants ».
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En fait, ce livre fait suite à un travail colossal entrepris sur le patrimoine chansonnier depuis 1989. Cette année-là, François Dacla, ex-P.-D.G. de RCA (qui contribua avec son directeur artistique Bob Socquet à l’avènement de la « nouvelle chanson française » à la fin des années 1970 : Souchon, etc.), recherche un partenaire privilégié pour l’accompagner, sous son propre label désormais, dans un vaste projet autour de l’âge d’or de la chanson française. Dacla, en effet, a quitté la multinationale pour fonder avec son ami Léo Ferré une firme indépendante baptisée EPM, et c’est au magazine Paroles et Musique qu’il a songé pour mener à bien ce projet. « Comme on voulait être très pointus, rappelait-il en 2003 à Daniel Pantchenko, j’ai contacté Fred Hidalgo. Plein d’illusions, j’arrivais de RCA et je me disais : rien n’existe encore en la matière, on devrait pouvoir faire quelque chose d’important ; et avec Paroles et Musique qui me semblait tellement dans la lignée (1)… »
Malgré mon adhésion totale au projet, Paroles et Musique étant devenu la propriété d’un repreneur peu concerné par celui-ci, le partenariat souhaité tombe à l’eau. Mais pas le projet. Dacla : « Hidalgo m’a tout de même conseillé de me rapprocher de Robine, qu’il tenait pour un grand connaisseur. C’est comme ça que j’ai connu Marc (1). » Un grand connaisseur certes mais aussi et surtout, me semblait-il de toute évidence, l’homme de la situation, comme la suite allait le démontrer. A l’automne 1994, au terme de six années d’un labeur acharné (au cours desquelles, confiera pudiquement le producteur, « d’autres liens se sont tissés entre nous par-delà le travail »), paraît chez EPM une réalisation monumentale dont Marc a écrit les livrets de tous les coffrets et cosélectionné les chansons : c’est L’Anthologie de la chanson française enregistrée ; composée de soixante-quinze CD, elle rassemble 1771 titres originaux de 1900 à 1980 !
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Dans l’intervalle, taraudé par l’urgence de sauvegarder le patrimoine, Marc suggère à François Dacla d’aller encore plus loin dans leur folle entreprise en s’attaquant aux chansons traditionnelles, du temps des trouvères jusqu’à l’aube du vingtième siècle. Peu ou prou mille ans à couvrir… Et cette fois il faut tout enregistrer, en faisant appel à plusieurs dizaines d’interprètes. En grand seigneur, mais non sans hésiter, Dacla relève le gant : « Là, c’est vrai, j’ai mis un an à prendre ma décision. Après il est parti en studio et nous sommes devenus très complices, de la conception du projet à son financement ; deux années et demie de studio... (1) » Pour l’occasion, Robine se fait directeur artistique et arrangeur (capacités qu’il mettra en outre au service d’autres artistes produits par EPM, Marc Ogeret en particulier). « C’était aussi un homme très organisé. Arriver à enregistrer trois cents titres avec quelque quatre-vingt-dix artistes différents sur une telle période, c’est hallucinant ! Mais Marc s’avérait aussi d’une formidable qualité de relation humaine et d’écoute des gens (1). »
Trois cent trente-huit titres exactement sont proposés dans cet imposant coffret de quatorze CD, fort joliment illustrés par son ami Bridenne (2) qui avait déjà réalisé la pochette de l’album Gaston Couté en 1979. Sorti en 1995 sous l’appellation d’Anthologie de la chanson traditionnelle, il constitue en quelque sorte le pendant sonore de son ouvrage sur La Tradition (automne 94), lequel sera distingué en 1995 par le grand prix de l’académie Charles-Cros. Invité le 25 novembre 1994 par Bernard Pivot à Bouillon de Culture, Marc crève l’écran par sa profonde connaissance de la chanson, son érudition et son enthousiasme communicatif. Dacla : « Il s’est montré remarquable. Il a tenu l’émission à bout de bras devant un Pivot et d’autres invités admiratifs ; il a chanté deux chansons, dont Le Temps des cerises… et le lendemain, on a été inondés de commandes (1) ! » Bientôt, les deux réalisations, réunies, formeront un ensemble exceptionnel, unique dans l’histoire de l’édition phonographique : l’Anthologie de la chanson française. Quatre-vingt-dix neuf CD et plus de deux mille titres (!), le tout resitué par Robine dans le contexte de chaque époque (du Moyen Âge aux années 1980) à travers pléthore de livrets documentaires…
Tout cela, il faut le répéter, en menant de front ses propres activités d’auteur-compositeur-interprète, d’écrivain, d’historien, de conférencier et de journaliste à Chorus, dont il ne manque aucune réunion de rédaction et où il donne le meilleur de lui-même. Pas question pour autant de ralentir le rythme ! Il est vrai que, depuis sa rencontre avec Hélène Triomphe en 1994 (qui deviendra son épouse le 3 août 1996), il connaît une seconde jeunesse. Guitariste aussi sensible que discrète, sa « petite fée » l’accompagne désormais à la scène comme à la ville, à Paris (Café de la Danse 1998) comme en Polynésie (fin 1994) pour y créer une comédie musicale, Le Justicier de la nuit, dont il a composé la musique, écrit plusieurs chansons et dont il joue le rôle principal !
Marc Robine – Marie Toulouse
Comme s’il pressentait son départ prématuré, il lui en faut toujours plus. En 1997, il suggère à François Dacla de lancer une collection de disques sur la poésie d’expression française mise en musique et chantée, un projet aussi important que celui sur la chanson traditionnelle. Trop tôt pour le producteur : « Je l’avoue, je n’ai pas eu le courage de me lancer aussitôt là-dedans. En ces années 98-99-2000, le marché n’était pas extraordinaire et nous n’avions pas les mêmes moyens qu’avant. » Il faut attendre 2001 pour qu’il donne son feu vert, sous réserve de procéder avec prudence, un disque après l’autre (grâce aussi au studio et avec la collaboration de Serge Renard, dit Bouzouki, ancien fondateur en 1975 avec Robine du groupe folk Bière Brune & Misère Noire). Marc avait d’abord songé à un coffret anthologique de seize CD. En définitive, en l’espace seulement de deux ans, il va se faire le maître d’œuvre de vingt-trois albums ! L’ensemble, labellisé « Poètes & Chansons », formant le plus beau florilège phonographique du genre : 458 poèmes du patrimoine français mis en musique et interprétés par les plus grands chanteurs ou enregistrés spécialement sous la direction de Marc Robine.
![Grand-portrait.jpg](http://idata.over-blog.com/3/24/73/37/Blog_166/Grand-portrait.jpg)
Le temps qui lui était imparti, à peine quatre ans de plus que Jacques Brel, son artiste préféré (avec Woody Guthrie, hors francophonie, en lequel il voyait « une référence absolue, une conscience en matière de chanson » et dont il avait fait sienne cette phrase tirée d’un de ses recueils de chansons : « Celui qui sera pris en flagrant délit de chanter l’une de ces chansons sans ma permission a toutes les chances de devenir l’un de mes bons copains… »), tire à sa fin. Marc travaille toujours à son Aznavour ou le destin apprivoisé, il souhaite que je sois l’éditeur d’un projet en plusieurs tomes sur l’histoire de la chanson française et voudrait aussi que l’on mène à bien ensemble, avec l’équipe de Chorus, « le » dictionnaire de la chanson française qui fait tant défaut à cet art trop souvent battu en brèche car manquant d’outils de connaissance et d’enseignement. Il a aussi l’idée de réunir en deux volumes ses chansons de poètes, notamment de ceux qui comme lui ont une prédilection pour la mer et la navigation ; mais il lui en reste quelques-unes à enregistrer et il s’est d’abord engagé à réaliser le nouvel album d’Anne Vanderlove.
Marc Robine – Chanson Marine
Nous sommes en 2003. À son programme, de nombreux spectacles et/ou conférences, entre autres aux festivals Mars en Chanson en Belgique et Fleur des Chants en Lorraine, lequel accueillera sa dernière prestation scénique, accompagné par Serge Renard (bouzouki, basse), Patrice Lacaud (accordéon) et Hélène Triomphe (guitare). Présent ce jour-là, le 31 mai, son collègue de Chorus Albert Weber témoignera du souci de Marc, bien que visiblement diminué, de ne pas s’économiser. Le 20 juin, il donne une dernière conférence-chanson avec Jacques Vassal sur Léo Ferré (dont il avait recueilli, pour Chorus, l’ultime interview) ; le 21 juin il participe à sa dernière réunion du comité de rédaction trimestriel de la revue ; en juillet il travaille en studio avec Anne Vanderlove… et le 26 août, après avoir été hospitalisé sept jours plus tôt, il décède à Nîmes des suites d’un cancer foudroyant.
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Le 13 octobre, une soirée musicale privée était organisée à la Maroquinerie, à Paris, par Chorus et EPM. Des dizaines d’artistes sont venus lui rendre hommage en paroles et en musiques ou par leur seule présence : Antoine, Michèle Bernard, Chanson Plus Bifluorée, Gérard Delahaye, Romain Didier, Gilles Elbaz, Entre 2 Caisses, Jehan, Jofroi, Kent, Xavier Lacouture, Gilbert Laffaille, Allain Leprest, Marc Ogeret, Gérard Pierron, Gérard Pitiot, Francesca Solleville, Anne Vanderlove, Jacques Yvart… Bien d’autres encore (dont Henri Lafitte venu de Saint-Pierre et Miquelon), sans oublier Jean Corti, l’accordéoniste de Brel, et bien sûr les folkeux et compagnons de route de la première heure, Vincent Absil, Ben, Bouzouki, Hal Collomb, Patrice Lacaud, Gabriel Yacoub… Tous ses amis sont là, musiciens, journalistes… ou écrivains, comme Didier Daeninckx, car Marc, l’ancien étudiant en architecture et en peinture, l’ancien objecteur de conscience, vouait aussi une véritable passion au roman policier, surtout à caractère social.
Marc Robine – Lucienne
C’est Pierre Perret qui ouvrit le ban, juste après l’envol émouvant de la voix de Marc chantant Lucienne, sublime chanson : « J’aurais voulu lui dire je t’aime / Et c’est à vous que je le dis… » Difficile après cela, mais l’artiste trouva les mots justes : « Des chansons comme celle-là, on aurait aimé en entendre pendant des années encore. Marc n’aurait certainement pas voulu qu’on soit tristes… Ni trop gais, non plus… C’était un malin qui savait s’entourer des meilleurs et c’est pour ça qu’on est ici ce soir ! » Et Paco Ibañez, à qui Marc avait dédié L’Homme en noir, une chanson de L’Exil, de raconter : « Avant de le connaître personnellement, je le considérais comme l’archéologue de la chanson. Celui qui, grâce à sa passion, avait fait tout un travail, une œuvre immense… »
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Marc Robine – L'errance
Et nous voilà ce soir, comme disait le Grand Jacques, dix ans après la disparition de Marc Robine, avec ce coffret. En signe de fidélité, bien sûr, mais surtout en témoignage d’un auteur-compositeur authentique, tendre et rebelle, à la voix aussi prenante que poignante, qui reste pour beaucoup d’amateurs de chanson à découvrir. Quelle chance ils ont ! Deux albums en studio et un en public dont les titres symbolisent parfaitement la vie nomade de l’auteur, successivement installé à Rabat, à Nairobi, en Thiérache, dans la banlieue parisienne, au Danemark, en Aquitaine, dans le Gers, à Nice, en Bretagne – un an durant il est prof’ de musique au conservatoire de Concarneau ! –, dans le Berry, à Rome… avant de retrouver Paris et de se poser enfin dans un village ensoleillé du Gard. Sans parler de ses périples maritimes, entre autres son « impossible » descente de la mer Rouge et des côtes d’Afrique de l’Est à la voile... Comme la pochette de L’Errance – œuvre offerte spécialement à Marc par son ami Hugo Pratt – représente bien son côté libertaire et humaniste de chanteur-vagabond à la Woody Guthrie. Jamais amer, bien au contraire, toujours positif, enthousiaste et plein d’humour (nul n’échappait à ses histoires drôles, sans cesse renouvelées), il assurait d’ailleurs ne pas faire « le même métier que la plupart des chanteurs, y compris ceux que j’aime ».
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Hélène Triomphe-Robine le confirme : « Il s’énervait souvent contre tous ces chanteurs qui, disait-il, ne s’intéressent qu’à leurs chansons, pas à LA CHANSON, et qui se plaignent de leurs difficultés à vivre de leur travail, tout en assassinant ceux qui ont la chance que cela marche… mais qu’en réalité ils envient ! “On ne devient pas chanteur, répétait-il, parce que votre père vous a mis une baïonnette dans le dos, en vous disant : Tu seras chanteur, mon fils ! On est chanteur parce qu’on a voulu l’être, qu’on veut être libre… et la liberté, c’est cher (1).” »
Homme à casquettes (ou plutôt à chapeau !) d’une étonnante diversité, doué d’une égale et rare compétence dans chacun de ses domaines d’activité – une sorte de Boris Vian à sa façon, auteur, compositeur, interprète, écrivain, conteur, historien, directeur artistique, arrangeur, critique… –, Marc Robine n’en redoutait pas moins la confusion des genres. Voilà pourquoi il tenait à revendiquer d’abord sa vocation de chanteur. Quitte à parler de lui à la troisième personne. « Avant toute chose, avait-il écrit dans un texte autobiographique, dissipons un malentendu : malgré sa collaboration régulière à la revue Chorus, et malgré les différents ouvrages qu’il a consacrés à l’histoire de la chanson, Marc Robine n’est pas un écrivain-journaliste qui se serait mis à chanter ; mais un chanteur-musicien qui, après plus de dix ans de pratique professionnelle, s’est soudain découvert l’envie de parler de la chanson, afin de partager un peu de ce trop-plein de passion qui l’animait. » Dont acte.
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Si chacun de ses spectacles était une invitation au voyage, ses chansons d’errance, d’exil, d’amour et d’aventure en étaient des jalons, griffonnées à la hâte sur un coin de bar, une banquette d’aéroport ou le couvercle d’un étui de guitare ou de banjo, comme « des feuillets épars d’un carnet de route jamais tenu à jour, jamais daté, jamais classé, jamais relié ». Un fragment de mémoire, porté par le regard attentif et tranquille d’un voyageur de passage dont les mots aimaient à se frotter à toutes sortes de musiques, et dont la soif s’étanchait à toutes sortes de rencontres. Un voyageur en éternel transit, curieux de la marche du monde et du quotidien de ceux qu’il croisait en chemin – pour quelques heures ou des pans entiers de vie.
Ni assez long ni jamais tranquille, le fleuve de sa vie a brusquement quitté son lit. Mais la source qui l’alimentait n’est pas près de se tarir. Au contraire, il a su la rendre pérenne au prix d’un travail prodigieux débouchant sur un grand œuvre dont la postérité lui sera forcément redevable. Oui, longtemps, longtemps, longtemps après que cet ami des auteurs, des compositeurs, des interprètes et des poètes aura disparu, sa chanson continuera de vivre en nous.
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– CD1 : L’Errance (Les Aventuriers, Mac Dodo, Gare du Nord, Les Aciéries, La Peur et la Fatigue, Kevin, Station de nuit, Dans le temps, S.O.S. Alexandre, Funambule, Lucienne, L’Errance), 45’57.
– CD2 : L’Exil (L’Exil, Un gamin dans le Nord, L’accordéon naufrageur, Si l’on gardait, L’Homme en noir, Le Destin, Alerte,
Les Demoiselles du temps passé, Lettre-Océan, Carré d’as, Je vous reviens, Je t’aimais avant de t’aimer, Enfer-les-Mines, Les Immigrés, Manchester, Le Paradis des musiciens), 72’09.
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– CD3 : Du « Temps des chevaux » au « Temps des cerises » (Le Temps des chevaux, Dans la ville d’Anvers, Quand je vois passer un bateau, Chanson marine, Amour et printemps, Les Oiseaux de passage, Barney « La Main droite », Les Terre-Neuvas, Lucienne, Les rues de Paris/Streets of London, Le Pieu/L’Estaca, Les Îles sous le vent, Avant Tahiti, Marie-Toulouse, Le Temps des cerises), 65’47.
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(1) Dans le dossier de Chorus en hommage à Marc Robine, n° 46, hiver 2003-2004. (2) Bridenne : « Il avait déjà le goût de sauver ce qui existe, de participer à un travail de mémoire collective. Marc se distinguait par ses goûts affirmés et aussi par son attention aux autres, sa considération pour les gens… Donc il choisissait [pour l’Anthologie] des chansons qui avaient un sens social. Il aimait faire partager ses découvertes, ses enthousiasmes. C’était un “partageux”. »