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  • : SI ÇA VOUS CHANTE (le blog de Fred Hidalgo)
  • : Parce que c’est un art populaire entre tous, qui touche à la vie de chacun et appartient à la mémoire collective, la chanson constitue le meilleur reflet de l’air du temps : via son histoire (qui « est la même que la nôtre », chantait Charles Trenet) et son actualité, ce blog destiné surtout à illustrer et promouvoir la chanson de l’espace francophone ne se fixera donc aucune limite…
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  • Fred Hidalgo
  • Journaliste depuis 1971, créateur de plusieurs journaux dont le mensuel « Paroles et Musique » (1980-1990) et la revue « Chorus » (1992-2009). Editeur depuis 1984 et créateur en 2003 du « Département chanson » chez Fayard.
  • Journaliste depuis 1971, créateur de plusieurs journaux dont le mensuel « Paroles et Musique » (1980-1990) et la revue « Chorus » (1992-2009). Editeur depuis 1984 et créateur en 2003 du « Département chanson » chez Fayard.

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13 février 2013 3 13 /02 /février /2013 14:00
« Préserver sa liberté de pondre »
   
Il y aurait beaucoup à dire sur l’industrie phonographique, sur l’histoire et l’évolution des maisons de disques. Beaucoup à dire sur le formatage « culturel » dans la production et la médiatisation, accouchant d’éphémères « produits staristiques sans artistes » qui masquent la forêt (et la solitude) des chanteurs de fond. Beaucoup à dire aussi sur le déclin incessant de la francophonie non seulement dans le monde, faute d’une politique volontariste, mais dans le pays même de la langue de Brassens : ainsi, les Victoires de la Musique viennent-elles de franchir un nouveau seuil en consacrant « artiste féminine de l’année » une chanteuse (débutante) qui écrit et chante en anglais…
 
Oui, il y aurait beaucoup à dire, mais ayant moi-même déjà beaucoup écrit sur tout ceci, je préfère passer le témoin… en laissant ici la parole à Nilda Fernandez, gentilhomme s’il en est de la chanson vivante. Il vient en effet de signer une chronique sur le métier (récemment mise en ligne sur son site sous le titre « Prélude au retour vers l’artiste-producteur / La musique à celui qui la fait ») dont la pertinence, par les constats qu’elle dresse et les questions qu’elle soulève, lui mérite la diffusion la plus large. Et de susciter notamment chez ses pairs et les « professionnels de la profession » un dialogue constructif, en vue de nouveaux lendemains qui chantent… et restent à (ré)inventer.
 
Nilda1
 
Je profite d’autre part de l’occasion pour remettre en mémoire, à la suite de ladite chronique, son dernier album, magnifique (sorti le 7 janvier 2010), mais passé inaperçu des grands médias. Peut-être, justement, parce qu’il est l’œuvre d’un « artiste-producteur » ?... En tout cas, parce qu’il le vaut bien et pour qu’au moins il puisse figurer dans les discothèques des « honnêtes hommes » (femmes incluses, ô combien !) qui me font l’heur et l’honneur de continuer à me suivre nombreux, en toute confiance (et pour certains depuis bientôt trente-trois printemps, 33 tours millésimés !). Mais d’abord, chant libre à Nilda Fernandez.
  
 
 « Il y a deux mois, dans une émission consacrée au rôle du Web dans la musique enregistrée, j’ai entendu le PDG d’Universal – que j’ai connu plus inspiré avant qu’il devienne gourou de l’industrie du disque – répondre à la question d’une journaliste par une phrase ahurissante : “Vous savez, quand je produis un disque, c'est moi qui prends tous les risques !”
 « Ainsi, l’employé le mieux rémunéré de la plus grande multinationale du disque reverse une grande partie de son gros salaire mensuel à six chiffres pour soutenir la création ! Avec de tels capitaines à la barre, avec leur myopie et leur suffisance suicidaire, nos Titanic sont bien menés.
« J’ai pourtant voulu les convaincre de ne pas s’éreinter au profit d’actionnaires qui resserrent budgets et personnel mais jamais leur ceinture. Je les ai souvent exhortés à ne plus manipuler le consommateur à coups de pub mais à respecter leurs clients pour ne pas leur fourguer ce dont ils n’auraient pas voulu pour eux-mêmes, semblables à des bouchers qui ne mangeraient pas leur propre viande.Nilda3
« Peine perdue : pour eux, j’étais un idéaliste avec zéro sens des réalités, moi qui ai toujours pensé qu’à force de se confronter à la matière, aux mots et aux sons, les artistes ont davantage les pieds sur terre que n’importe quel diplômé d’HEC, perdu dans ses abstractions.
« Alors, plutôt que m’épuiser la voix en prêchant dans un désert, j’ai préféré abandonner un contrat discographique pour partir cinq années en Russie, dans un show-business autrement sauvage et dangereux mais qui a renforcé, par contraste, ma foi dans l'indispensable mission gallinacée de l’artiste : préserver sa liberté de pondre.
« Pendant tout ce temps, donnant de la voix entre Moscou, Odessa, Irkoutsk, Vladivostok ou Samarcande, j’entendais les échos du coup de grâce infligé par tous ceux qui, au pays de Brassens ou Léo Ferré, voulaient faire croire que tout peut s’obtenir – argent, succès, talent – par la soumission. Les fabriques de stars étaient l’ultime tentative pour créer des produits staristiques sans artistes mais aussi le début de la dégringolade, jusqu'au Virgin Megastore qui vient de rendre les dernières armes. Bien sûr, le sort du millier de personnes laissées sur le carreau me désole, surtout quand on pense aux actionnaires bien vite repartis vers des valeurs plus sûres et pérennes comme l’eau, le vent, la lumière, mais qu’on ne vienne pas nous assommer avec de prétendues conséquences “culturelles” qui feraient passer les “déforesteurs” d'Amazonie pour des bûcherons.
« Depuis longtemps, le mot “artiste” est galvaudé. C’est dommage parce qu’il sonne bien. Je dirai donc à mes confrères “artisans de notes” qu’ils ne s’inquiètent pas pour leurs méventes de disques, qu’ils oublient les vaches trop grasses et les soucis de défiscalisation car, pour notre honte et le malheur de ceux qui les aiment, nos pièces uniques se sont longtemps vendues à la criée, entre jambon et liquide vaisselle.
« La disparition de l’industrie n’est pas la fin de la musique. Au contraire. Elle n’est qu’un coup d’arrêt à l’usurpation d’identité de ses financeurs et de ses re-producteurs.
« Saluons nos albums passés mais soyons fiers de notre musique à venir, immatérielle par nature, et imaginons un autre sort pour elle que des petits carrés aux dimensions de “bacs” en voie d’extinction.
« Soyons notre propre moteur, attirons des forces neuves et enthousiastes, des esprits décidés à ne pas se lamenter sur la fin d'un monde mais prêts à accueillir celui qui vient. Ce sera un bon exemple d’intelligence, ça donnera du souffle et des idées à nos semblables et ça ne se présentera pas deux fois. »
(Nilda Fernandez, auteur-compositeur-interprète, janvier 2013)

 
quichote_3.jpgJe me souviens d’un certain Daniel Fernandez, découvert à l’occasion de son 33 tours de 1981, puis sur scène au Printemps de Bourges. Je me souviens du choc ressenti à l’écoute de cette voix si belle et particulière, née pour chanter la tendresse. Je me souviens de Frédéric Dard me demandant dix ans plus tard, en tête à tête, ce que je pensais d’un certain Nilda Fernandez dont il appréciait beaucoup le premier album CD : Nos fiançailles, Madrid Madrid, Entre Lyon et Barcelone… Succès immense et apparemment fulgurant – sauf qu’une décennie s’était écoulée entre ces deux premiers albums, le laps de temps moyen pour faire d’un débutant un véritable artiste. L’année suivante, en 1992, Nilda figurait au sommaire du premier numéro de Chorus, en « Rencontre », juste après Léo Ferré… et avant Maurane et Richard Desjardins ! Et déjà, il confiait (à Pascale Bigot) ses doutes sur ce métier : « Toute réussite repose sur un malentendu : au-delà d’un certain nombre de disques vendus, on doit se poser des questions. Sur scène, quand j’arrive accueilli par une ovation, cela me gêne presque… »
  
 
Un deuxième CD suivit « normalement » en 1993 : Ne me fais pas mal. En 1997, avec un superbe album sans frontières, Innu Nikamu, l’artiste commençait à dérouter son monde. Il prit alors ses distances avec le métier, ou plutôt avec ce que le métier attend d’un artiste à succès : qu’il fasse fructifier son fonds de commerce, en réutilisant les mêmes recettes. Nilda2En 1999, il consacre tout un disque en espagnol, Castelar 704, à la poésie de Federico Garcia Lorca ; en 2000, telle une carte postale d’adieu, il adresse ses Hommages à la chanson française, avec un disque surprenant de reprises. Et puis plus rien, du moins phonographiquement parlant, car Nilda va continuer de mener sa vie d’artiste de scène mais le plus souvent à l’étranger, en Amérique latine, en Russie où il s’installe, où il devient une vedette, où il crée même un festival itinérant ; sans oublier de rentrer en France, discrètement, le temps d’un concert ou deux. « Je crois en l’organisation du hasard, dit-il aujourd’hui. Ma vie est difficile à lire parce que, de l’extérieur, on ne sait pas forcément à quoi elle obéit. »
 
Enfin, à l’automne 2009, Nilda retourne en studio pour nous donner de ses nouvelles. Après quatre mois de travail à Gênes, avec des musiciens italiens, il regagne Paris pour enregistrer sa voix (et les accordéons de Marcel Azzola et de Lionel Suarez, excusez du peu) : « C’est difficile d’enregistrer ma voix quand on ne comprend pas mes textes… » Dix ans d’attente donc ! Pour douze chansons en forme d’autobiographie. De son « départ » (« Le monde est en délire et moi je me tire / C’est une façon d’être en avance », chante-t-il rétrospectivement dans Plus loin de ta rue, une merveille de chanson d’amour, avec refrain en espagnol et guitare flamenca) jusqu’à son « retour », avec le titre qui ouvre l’album (un tube assuré pour peu que la chanson soit diffusée) : « Plages de l’Atlantique / Ou falaises de la mer Baltique / Je reviendrai sûrement un jour / Je reviendrai place de la Concorde / Ou de la révolution d’Octobre… »
 
Nilda Fernandez ? Un artiste majuscule, un maître ès-mélodie, un chant vibrant d’authenticité grâce auquel on croit tout ce qui est dit, écrit, décrit, raconté. Comme Je lui raconte, justement : « Je lui raconte n’importe quoi / Ce qui me tient chaud, ce qui me tient froid / Mes pensées d’amour et de guerre… » Comme Berceuse : « Pendant que dans le monde / Y a des gens qui se lèvent / Y a des gens qui se couchent sous les bombes… » Comme Si tu me perds : « On devrait pas se laisser mourir / Tant qu’on s’est pas tout dit / Mourir, mourir et sans prévenir / C’est pas d’l’amour d’ami. » Comme Où tu habites, constat de l’absence divine avec chœurs en anglais : « À force de ne pas comprendre où tu es, où tu habites / Je finirai par me pendre / Alors réponds-moi vite, réponds-moi vite. » Comme Le monde est ce qu’il est… « Et t’aurais tort de dire / Qu’il est laid »… Voulez-vous que je vous dise ? J’aime tellement ce disque, ou plutôt ce disque est tellement « aimable » – paroles et musiques, chant et orchestrations (riches et subtiles, cosignées du chanteur et de Mario Canepa) – que je me sens terriblement frustré de ne pouvoir en parler qu’ici, dans la virtualité d’une « toile » qui peut s’effilocher voire se défiler à tout moment ; alors que nous avions prévu de consacrer à Nilda Fernandez un dossier de nos « Cahiers de la Chanson » à l’occasion, précisément, de ce nouvel album…
 

Nilda Fernandez – Où tu habites
 

Mais à défaut de Chorus et pour compenser aussi peu que ce soit le silence audiovisuel assourdissant et le manque de reconnaissance du « métier », décernons-lui notre Victoire de la… chanson : un « Quichotte » de Si ça vous chante (la distinction discographique par excellence de cette « maison d’amour de la chanson vivante »), car si celui-ci se mérite par la hardiesse du propos, de l’éthique et de l’esthétique de l’œuvre concernée, en l’occurrence il ne se discute même pas !

 

Nilda

   
• NILDA FERNANDEZ : Ti amo, 12 titres (Prélude – Plages de l’Atlantique – Plus loin de ta rue – Laissez-moi dormir – Je lui raconte – Berceuse – Si tu me perds – Où tu habites – Le Baiser sous le lilas – Le monde est ce qu’il est – Elle m’aimait plus – Derrière ma fenêtre). 38’10 ; production Nilda Fernandez, distribution Harmonia Mundi (site de l’artiste).
___________
NB. « Je crois à l’organisation du hasard », dit ci-dessus Nilda Fernandez… Eh bien, le hasard veut que les prochains concerts de Nilda Fernandez en France, les 19 et 20 avril au théâtre Antoine-Vitez d’Ivry-sur-Seine, nous permettront de le retrouver sur le même plateau que… Paco Ibañez à qui, sans savoir cela, j’ai consacré mes deux sujets précédents ! Chacun chantera son répertoire et les deux artistes se réuniront en fin de soirée… pour le plus grand bonheur des spectateurs (qui ont déjà pris la précaution de réserver leurs places) ! Cliquer ICI pour tous renseignements à ce sujet.
 
 
 

   

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commentaires

B
cherMonsieur Hidalgo, grâce ou à cause de la covid et du confinement je me suis plongée dans les archives de votre blog. Et par les temps qui courent çà fait encore plus de bien. <br /> Je n'ai pas pour habitude de faire des commentaires en général, timidité, pudeur, sans doute. Et puis il faut laisser cela à d'aucuns qui font très bien la chose. Pour ma part, je me contente, égoïstement, de déguster. Je pense que le manque de réactions aux articles , qui semble vous peiner, vient de la multiplicité de l'offre qui n'existait pas au bon vieux temps de Paroles et Musique. Alors cher Fred continuez de me, de nous enchanter. C'est une vieille Mamie assidue qui le demande et vous dit merci et courage. Moi nos si belles chansons françaises et nos si beaux artistes, m'aident à vivre mieux.
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F
Merci beaucoup, chère "Mamie" Eliane... et vous pouvez m'appeler Fred (j'ai l'impression, quand on m'adresse du "Monsieur Hidalgo" qu'on parle de mon père... que j'adorais !). C'est vrai qu'à partir d'un moment où plus personne n'a semblé avoir envie de réagir à mes petites mises en ligne (alors que les commentaires se comptaient par DIZAINES pour chaque sujet dans les premières années de "Si ça vous chante"... et que nous recevions après chaque numéro de Chorus au moins une centaine de lettres), j'ai été quelque peu peiné par cette indifférence manifeste ou par la manifestation d'une indifférence, si vous préférez. Mais je me suis fait une raison, depuis (tout en ralentissant énormément le nombre de mes sujets : forcément, sans écho, hein ? L'envie disparaît... J'ai toujours écrit pour partager et provoquer un échange, n'étant pas du genre onaniste qui n'écrit que pour lui-même), en intégrant le fait comme vous le dites que cette pseudo-indifférence vient sans doute surtout de la "multiplicité de l'offre" avec la prolifération des réseaux sociaux. Le problème, c'est qu'avec eux, tout se vaut et tout se confond, le pire avec le meilleur, l'incompétence la plus assumée, les mensonges et approximations les plus péremptoires... avec le travail effectué avec rigueur et respect du lecteur. Difficile pour la majorité des gens, ensuite, qui n'ont pas forcément en mains les clés éducatives nécessaires, pour faire le tri entre le bon grain et l'ivraie. Bref.<br /> Merci encore, chère Eliane, et portez-vous bien !
E
Je me souviens très bien de cette belle page et j'ai beaucoup de plaisir à la retrouver.<br /> Merci Fred........
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N
Beau blog, de plus j'adore Nilda, super par son talent, son charisme, c'est un homme extra, merci.
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M
merci pour ce rappel à Michel Bühler, que je suis depuis les débuts, un vrai bon ...
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E
Merci d'avoir attiré notre attention sur ce très beau disque.<br /> <br /> J'ai beaucoup apprécié de pouvoir retrouver l'univers, la voix, la singularité de Nilda Fernandez toujours très inspiré.<br /> Il me manquait. J'avais tant aimé son disque en 1991.<br /> <br /> Souvenir également des Francofolies de Sofia dont j'avais eu la joie de préparer le transport aérien (tiens, qu'est devenu Karim Kacel qui était très angoissé à l'idée de faire voyager son Ovation<br /> dans la soute du Tupolev ?)<br /> <br /> Ce dernier CD de Nilda Fernadez, m'a vraiment parlé.<br /> Je vais le réécouter de nombreuses fois pour bien m'en imprégner et ainsi répondre au rendez-vous.<br /> J'aime beaucoup notamment "Elle M'Aimait Plus".<br /> C'est bien dommage qu'il ne soit pas diffusé sur Deezer, car j'aurais adoré accompagner l'une de mes notes de l'une ou l'autre de ces chansons.<br /> <br /> Il aurait pu être mon professeur d'espagnol à Barentin...<br /> <br /> Par votre intermédiaire, je salue son grand talent que l'on n'est pas prêt d'oublier !<br /> <br /> Merci Fred.<br /> <br /> eMmA
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