Collection d’hiver – 7
Second album solo du Nordiste Thibaud Defever (à la ville) qui a choisi de conserver à la scène le nom du duo qu’il avait formé en 1998 avec Marie-Hélène Picard, prématurément décédée en novembre 2006. Les ingrédients qui ont fait le succès du duo (un album, Sauvez les meubles, en 2005) puis de Thibaud auprès des professionnels (lauréats de prix, tremplins et concours à tire-larigot) sont toujours là, plus affirmés et affinés que jamais. Presque Oui, c’est sûr, a l’art de raconter des histoires, drôles ou tragiques, l’air de rien, façon Trenet, Souchon, Laffaille, sur des mélodies légères et variées.
• MA BANDE ORIGINALE. Et j’aime bien – Séquoia – L’Autobus – J’étais vieux – Le Feu sous la toque – Le Capitaine du firmament – Mi-clos – L’Eau de l’aurore – Mancini – Top movie – Nina – Tchou tchou – Rossignol – Bande originale. (47’15 ; co-prod. Sostenuto-Absilone-Ass. Presque Oui ; distr. L’Autre Distribution ; disques et tournées : Sostenuto sostenuto1@free.fr ; site de l’artiste.)
Présentant dans Chorus (n° 66) son premier album en solo, Peau neuve, paru à l’automne 2008, Serge Dillaz notait que Thibaud avait eu d’autant plus raison de conserver ce nom, Presque Oui (hommage à Marie-Hélène… ainsi qu’à Mireille et Jean Nohain), qu’il résume « assez bien le personnage : drôle, sentimental, timide, grave, futile… Toujours entre retenue et excentricité ». En scène, ajoutait notre collaborateur, seul à la guitare ou à la mandoline (dont il joue en… presque virtuose), le jeune homme montre en tout cas un punch pas commun, capable d’emballer « vite fait un public sidéré de voir comment l’artiste reste lui-même en faisant Peau neuve ».
Et Yannick Delneste, à l’issue du festival Alors… Chante ! 2008 de Montauban où Thibaud fut lauréat des Bravos des professionnels (et deuxième des Bravos du public), estimait que « la tragédie du décès prématuré de sa compagne, le chanteur la porte artistiquement, sans l’ombre aucune d’un exhibitionnisme douteux mais en filigrane d’un répertoire comique et (ou) bouleversant. […] Ou comment faire pleurer en souriant. » Tout est dit : loin des chansons rentre-dedans qui assènent, Presque Oui propose des chansons « en filigrane », sur le fil ; empreintes de douceur et de délicatesse. Des chansons tout en finesse, tant dans l’écriture que dans les mélodies, avec des musiques de genre (tango, etc.) qui n’hésitent pas à emprunter aux rythmes ensoleillés, pour rire, façon Lavilliers qui ne se la jouerait pas.
Autre caractéristique de Presque Oui : la remise au goût du jour d’une chanson qui raconte, au lieu de se complaire dans l’introspection nombrilesque aux antipodes de l’universalité qui caractérise les grandes chansons. Si certains représentants de la « nouvelle scène » font penser à cette littérature « moderne » aussi falote que pâlotte, sans intérêt aucun pour le lecteur, la manière de faire de Defever renvoie à la meilleure tradition de la chanson française. Celle qui raconte des histoires et nous emporte sans coup férir là où on ne s’y attend pas. On l’a compris, plutôt qu’à ces littératés à la mode qui s’écoutent écrire pour mieux se pavaner sur les plateaux qui font l’opinion, Presque Oui s’apparente à un Pennac ou un Vautrin. Pour la qualité de l’écriture, l’humour et l’intrigue. Voyez, ou plutôt écoutez, la triste histoire du commissaire Mancini…
Une inspiration devenue assez rare en la matière (mais qui semble reprendre du poil de la bête grâce à des Alexis HK, Bénabar, Agnès Bihl et autre Renan Luce) qui n’exclut pas pour autant, traités avec une infime pudeur, les sujets graves. L’Autobus, par exemple (voir vidéo ci-dessus, en guitare-voix), ne vous fait-il pas songer à l’immigration tunisienne qui touche massivement les côtes italiennes ces jours-ci ? « Une place pour mes fesses dans cet autobus / Où qu’il aille, je me taille, je m’expulse / […] Ce radeau, ce rafiot, ce pousse-pousse / Même à l’étroit, même sur le toit / Je veux du vent dans ma voilure… » Allez Thibaud, tiens bon la vague et tiens bon le vent, hisse et ho !