Ne chantez pas la mort (2/3)
Comme Jean-Claude Darnal, Ricet Barrier ne songeait pas à faire carrière dans la chanson. Né en région parisienne, il se destinait plutôt au métier de professeur d’éducation physique. il nourrissait pourtant, même inconsciemment, d’autres ambitions. « Après le bac, confiait-il à Serge Dillaz pour une rencontre-bilan de Chorus (n° 15), ma mère a tout de même consenti à m’emmener voir Félix Leclerc aux Trois Baudets. C’est lui, en fait, qui m’a donné envie de gratter de la guitare… ». Tout est parti de là. Près d’un demi-siècle de chanson. C’est le temps que la grande Faucheuse lui a concédé, avant de lui fixer à son corps défendant (« N’insistez pas, Stanislas… ») un ultime Rendez-vous, le 20 mai dernier.
À l’âge de vingt-trois ans, en 1955, il fait la connaissance de Bernard Lelou qui devient dès lors un compagnon de chansons inséparable (ils travailleront, paroles et musiques, en étroite complicité jusqu'à la mort de celui-ci en 1990), et c’est grâce aux Frères Jacques en particulier, qui interprètent Dolly 25 (la première des vingt et une chansons signées Barrier/Lelou qu’ils auront chantées), que Ricet Barrier se fait connaître. En 1958, son premier album (produit par Jacques Canetti) obtient le Grand Prix de l’académie du disque français : La Servante du château, La Java des Gaulois, Dolly 25, Le Crieur de journaux… Sa carrière est lancée, caractérisée par « une joyeuseté de bon aloi », famille Boby Lapointe. « Depuis quarante ans, écrivait l’ami Dillaz dans Chorus au printemps 96, ce fabuliste aux personnages pittoresques, tout droit sortis du petit théâtre de la vie, brosse à coups d’éclats de rire le portrait de notre société. »
Tout comme pour Darnal avec son dernier album, Chorus chercha à rafraîchir les mémoires en promouvant et en offrant à ses abonnés, en accord et en collaboration avec Ricet et son épouse, trois de ses albums dont une compilation, le Disque d’or (Les Spermatozoïdes, Les Vacanciers, L’Enterrement, Isabelle v’là l’printemps, Stanislas/Rendez-vous, La Java des hommes-grenouilles, Eh ! la Marie, Y a plus d’sous – une chanson plus que jamais d’actualité !) et les deux derniers, celui de 1991 (vingt titres de Faut qu’ça plaise à Thérèse à Trompet’ Spleen) et le superbe digipack double (Ricet Barrier tel quel) enregistré en décembre 1994 à la Maison de la Chanson de Québec, ex-Théâtre du Petit-Champlain où il avait fêté en 1988 ses trente ans de métier, à l’initiative, tiens tiens, d’un certain Pierre Jobin. Quand je vous dis qu’il n’y a pas de hasard...
L’an dernier à Montauban, où l’on célébrait les vingt-cinq ans du festival, l’une des « découvertes » d’Alors… Chante !, Manu Galure, avait choisi d’interpréter Les Spermatozoïdes de Ricet, son grand classique, une merveille d’humour et d’intelligence, rappelant que ce même festival lui avait fait « la Fête » en 1989. L’occasion alors, pour Si ça vous chante, de remettre à l’honneur « les Spermatos », sous-titrés 300 millions, dans leur version originale. À Chorus, l’auteur-compositeur avait confié l’origine de cette chanson qui s’était imposée d’emblée, en 1975, suite à une manifestation sanglante à la Bastille : « Maurice Fanon est arrivé au Port du Salut où je me produisais. Il était bouleversé. Dame, on déplorait des dizaines de blessés, un tué ! Là-dessus, on a gambergé sur la vie, la mort. L’idée des “Spermatos”, curieusement, est venue de cette discussion. Du hasard, de la série de miracles nécessaires à ce qu’on appelle la vie humaine… »
Vainqueur des 299 millions 999 999 autres spermatozoïdes de sa course personnelle à la vie à la mort, le dénommé Ricet Barrier (né Maurice-Pierre Barrier, le 25 août 1932 à Romilly-sur Seine) a pris définitivement la poudre d’escampette le 20 mai 2011 à Sainte-Christine, en Auvergne. Loin de la grande ville, il aimait à y cultiver son jardin personnel, entre deux séjours dans son pied-à-terre de La Chaux-de-Fonds où, il y a deux ans, fut réalisé le « portrait » suivant. Il avait alors 77 ans.
Il y aurait évidemment beaucoup à dire, encore, sur lui (voir son SITE officiel) pour tenter simplement de retracer les grandes lignes de sa carrière, de La Mythologie (un album-concept pour les Frères Jacques) au Roman de Renart adapté en comédie musicale, en passant par l’anecdotique qui lui valut pourtant une renommée certaine : la voix qu’il prêta de 1964 à 1970 au personnage principal de la série télévisée, fort populaire, de Jean Tourane, Saturnin le canard… Mais le mieux à faire, aujourd’hui, c’est plutôt de l’écouter, lui. Dans ses chansons bien sûr, mais aussi dans la dernière interview qu’il donna le 3 mars 2011 à l’émission Carnet de notes de la Radio Suisse Romande, et dont Añe Barrier nous a fait l’amitié de nous informer.
Cet entretien d’une heure, entrecoupé de chansons, a été recueilli par Philippe Robin qui annonçait ainsi sa diffusion, le 19 août dernier : « Lorsque nous avons rencontré Ricet Barrier, nous l’avons découvert, comme toujours, accueillant, volubile, malicieux et bavard. Nous pourrions presque dire en pleine forme. Et puis, au cours de la discussion, autour d’un bon café, Ricet nous avouait qu’il avait perdu une vingtaine de kilos. La maladie nous était masquée par sa bonne humeur communicative, et son plaisir d’évoquer ses souvenirs à notre micro. Et puis, le 20 mai 2011, la nouvelle de son décès était publiée. Il aurait eu 79 ans le 25 août. Quelques jours après, Añe Barrier nous envoyait un message pour nous apprendre que notre interview fut la dernière de la vie du chanteur fantaisiste. » C’est cette discussion, « chaleureuse et animée », que l’on vous propose de découvrir aujourd'hui, en cliquant ICI.
Entre autres souvenirs personnels, je garderai au cœur celui d’un déjeuner de fins gourmets avec lui et son épouse, qui ne s’acheva qu’au milieu bien sonné de l’après-midi : le temps qu’il me raconte toute son histoire, avec la bonne humeur et l’autodérision dont il avait le secret. Sur la même longueur d’ondes, nous refîmes le monde en mode rigolade. Le monde tout court… et celui de la chanson où certains sont beaucoup moins chanceux que d’autres, mais font souvent preuve de beaucoup plus d’humanité. Eh oui, Ricet, comme tu le disais toi-même (cf. On t’enterrera, olé !, 1973), « Ce sont toujours les meilleurs qui nous quittent les premiers. »
(À SUIVRE)