Le trou dans le seau
Peuchère ! Quelle galère ! Misère de misère ! Mieux vaut en rire qu’en pleurer. Le « mythique Chorus » (j’ai encore lu ça tout récemment dans un hebdo de la presse nationale) a beau ne plus exister depuis un an et les patrons de labels s’en déclarer « orphelins », les disques ne cessent d’affluer dans ma boîte à lettres. Quasiment par pelletées… Et souvent de bons, voire d’excellents crus ! Et je ne parle pas de ces lettres et courriels (fort sympathiques au demeurant) quémandant une petite place au soleil de Si ça vous chante… C’est dire si le créateur est en quête (en manque ?) de débouchés médiatiques, d’intermédiaires crédibles entre lui et son public potentiel.
Alors, pauvre misère, pauvre de moi, pauvre passeur qui, à l’inverse d’un fossoyeur – vous me connaissez, j’ai plutôt l’âme d’un Martin-pêcheur (de talents) –, n’a d’autre objectif que de mettre en lumière les meilleurs d’entre nous (salut Sommer !), je culpabilise à l’idée de contribuer à enterrer toutes ces belles créations, faute de n’avoir ni le temps ni les moyens de remplir à moi seul la fonction unique qu’occupait Chorus naguère dans l’espace francophone. Comment faire, misère de misère ?! « Avec une bêche à l’épaule / Avec à la lèvre un doux chant / Avec à l’âme un grand courage / Il s’en allait trimer aux champs / Pauvre Martin, pauvre misère / Creuse la terre, creuse le temps… »
Même si, de leur côté, mes camarades et ex-confrères de la revue font un beau travail d’écrémage dans leurs propres blogs (voir colonne de gauche « Le fil nous lie, nous relie » et « Le fil tendu entre nous »), pour ma part je ne peux m’empêcher de ressentir la désagréable impression de jouer les porteurs d’eau… à l’aide d’un seau percé. Comme dans la chanson (de Béart, du grand Guy Béart) : « “Jacques ! Va chercher de l’eau !” / De l’eau ? On y va chère Lise, on y va / Y a un trou dans le seau / Chère Lise, y a un trou ! / “Cher Jacques bouche-le / Cher Jacques bouche-le” / Avec quoi le boucher / Chère Lise, le boucher ?… »
Guy Béart (avec Dominique Grange) – Le Trou dans le seau
Impossible en effet à quiconque voudrait présenter l’essentiel de la création (surtout francophone et non exclusivement française), sans faire d’impasses criantes et injustes, de consacrer, seul dans son coin, une chronique véritable à chaque album qui le mériterait. Mais conscient (ô combien !) de l’attente légitime des artistes (d’autant que je me garde bien de les solliciter…), je ne vois pas d’autre façon de procéder qu’en publiant, de loin en loin (comme au printemps dernier), un florilège purement informatif ou presque. Mon florilège. Une sélection subjective, donc (et puis je ne reçois pas non plus – ni ne suis informé de – toute la création, loin s’en faut), mais une sélection dont je revendique la qualité et l’éclectisme, sans autre jugement de valeur. Priorité à l’info. Dans l’espoir de me montrer utile à tout le monde, aux créateurs et aux amateurs de chanson. Bref, d’être aussi efficace que possible.
À vous ensuite, si ça vous chante, d’aller plus loin avec l’album et l’artiste (ou le groupe) concerné, sur les sites (où l’on peut souvent écouter des chansons et visionner des clips) dont je donne systématiquement les liens directs. D’accord ? Alors, c’est parti pour plusieurs séries d’albums recommandés et recommandables (ne manquez pas de contribuer à leur partage), sans hiérarchie autre que celle de l’ordre alphabétique.
Dernière chose : vous apprendrez en écoutant les radios nationales, en lisant la « grande » presse que la production française a subi une baisse notable depuis un an, en parallèle à un coup d’arrêt brutal de nouvelles signatures. C’est absolument exact et on ne peut que le déplorer. Sauf… sauf que cela ne concerne que les « majors » du disque, la production phonographique de talent existant toujours bel et bien, et peut-être même de façon plus florissante que jamais : la différence (mais il y a longtemps déjà que le glissement avait commencé de se produire), c’est que celle-ci se développe aujourd’hui plus souvent à travers des labels indépendants et l’autoproduction… auxquels les grands médias, prisonniers des indices d’audience, se montrent assez rétifs, soit qu’on juge les artistes trop éloignés de la norme grand public, soit que leurs albums ne bénéficient pas d’une large distribution nationale. Et c’est bien ça le plus regrettable, qui empêche le public d’être réellement informé. « Dans regrettable / Il y a regret / Il y a table / Il y a blé / Est-ce le nom / De ceux qui n’ont / Rien à se mettre dans le râble ? / […] Dans regrettable / Il y a râler / Dressons la table / Pour bramer… »
ALDEBERT
Pour fêter ses dix ans de carrière (dont cinq albums en studio : le dernier, Enfantillages, est paru en 2008), Aldebert a monté un formidable spectacle mêlant cirque et chanson dont j’ai dit, à propos de sa création au dernier festival de Montauban (voir « Alors… Chante ! » dans ce blog), tout le bien (sans réserve) qu’on en a pensé, tout le bonheur (palpable) qu’en ont ressenti les spectateurs. À votre tour d’en profiter : en tournée à partir du 2 octobre, on pourra notamment le voir aux Nuits de Champagne de Troyes le 26 octobre et au Zénith de Paris le 20 novembre. Cet album-anniversaire, qui sort le 11 octobre, en reprend les chansons enregistrées en public lors des premières représentations, outre trois inédits en studio et plusieurs « incontournables » de son répertoire revisités en jazz manouche.
• J’ai dix ans, 17 titres, 70’39 ; Prod. et distr. Warner Music (site de l’artiste ; ou Myspace).
BARCELLA
On l’a vu et apprécié en début d’année à Risoul (voir « Étoiles des neiges »), puis à Chant’Appart (cf. « Les Affranchis de Chant’Appart ») pour son art de manier le verbe, son côté pince-sans-rire et son éclectisme qui se moque des barrières musicales : Barcella, « avec deux ailes pour vous faire voyager », est aussi inclassable qu’impayable. Renouant avec la tradition des chanteurs de cabaret, il alterne aussi bien valse et hip-hop qu’humour et désarroi. Innovant mais héritier à la fois de la chanson française d’auteur. Un personnage jubilatoire sur scène (en solo ou accompagné d’un seul instrumentiste) auquel ce troisième album (après L’Air du temps en 2005, avec la superbe chanson Mademoiselle qu’on retrouve ici avec bonheur, et Le Manège enchanté en 2006), enregistré au studio de la Cartonnerie de Reims avec une vingtaine de musiciens (piano, accordéon, cuivres, percussions et une belle section de cordes !), fait indéniablement passer un cap.
• La Boîte à musiques, 14 titres + 2 bonus vidéo, 43’54 ; Ulysse Productions, distr. L’Autre Distribution (Myspace).
LES BLAIREAUX
Dix ans déjà et maintenant quatre albums pour nos six Blaireaux préférés ! Dix ans que ces copains de William Schotte, Jeff Kino et autres Marcel et son orchestre jouent les bêtes de scène… « Le blaireau est un animal fouisseur : il construit patiemment de longues galeries souterraines, observe l’ami Philippe Meyer. Les Blaireaux ont fait leur trou en une dizaine d’années. D’abord à Lille, chez eux, avant de conquérir les six coins de l’Hexagone, et aussi son centre et même ses départements les plus retirés… Le blaireau ne fiche rien de toute la sainte journée. Il ne sort que le soir, pour chercher sa nourriture. Les Blaireaux en fichent-ils une rame de plus ? Peut-on appeler en ficher quelque chose l’écriture de chansons divertissantes ou énergétiques, sentimentales ou chroniqueuses, moqueuses ou oniriques ?... Une fois réveillés, ils viennent raconter sur scène leurs songeries de la nuit avant d’aller assurer la fermeture des bars. Les Blaireaux, dix ans après leurs premiers pas, c’est toujours le même plaisir. Simplement, nous sommes plus nombreux à le partager. » Bien vu, Philippe : je confirme et cosigne des deux mains, d’autant plus que ce Bouquet d’orties, avant-goût de leur prochain festin collectif, est un plat de « chansons swing à textes » qui se déguste intrinsèquement !
• Bouquet d’orties, 15 chansons, 51’24 ; Prod. At(h)ome, distr. Wagram (site ; Myspace).
FABIEN BŒUF
Il y a trois ans, Yannick Delneste soulignait dans Chorus la « belle surprise » que représentait le premier album de celui qui se faisait alors appeler tout simplement « Bœuf ». On l’avait découvert en première partie de Dick Annegarn, des Ogres de Barback ou, plus tôt, au sein de P.O.C., un groupe landais. « Notre auteur-compositeur, notait Yannick, fait preuve à la fois d’éclectisme et de cohérence dans les textes comme dans les musiques. Une voix douce et précise, des cordes boisées de contrebasse et de violoncelle, des machines pertinentes, un folk chaud. » L’homme persiste et signe, creusant son sillon avec ce troisième opus, au point que Valérie Lehoux (autre ex-plume sensible de Chorus) écrit maintenant dans Télérama qu’il déroule « un joli collier de chansons mélodiques », metttant à juste titre l’accent sur « la finesse, la souplesse et la tendresse d’une écriture pas démonstrative, souvent même assez touchante » ; relevant enfin (et je crois Valérie sur parole, n’ayant pas encore vu cet artiste sur scène) que cet album ne reflète pas « du tout la force d’interprétation dont le jeune homme est capable en public ». On ne cesse de le dire : pour réussi qu’il soit, un album ne remplacera jamais la performance d’un (véritable) artiste sur scène.
• Les Premiers Papillons, 13 titres, 43’12 ; Prod. Jaba, distr. Differ-ant (site ; Myspace).
BORI
ACI québécois, Egard Bori a sorti son premier album, Vire et valse, en 1994. En 1997, alors qu’il se présentait masqué sur scène (comme dans les médias), ou en ombre chinoise derrière un paravent, il reçut le Prix Miroir de la Révélation du Festival d’été de Québec, dont le jury présidé cette année-là par François Cousineau (et auquel participait, subjuguée par ledit Bori, ma chère et tendre « Blonde ») releva « le bonheur de l’imagination, de l’étonnement continuel : du rire aux larmes, du théâtre qui ensemence la chanson et vice-versa ». Depuis, c’est une œuvre qui s’est bâtie, qui ne ressemble à aucune autre au Québec (tout au plus pourrait-on dire qu’elle a préparé la venue d’un Pierre Lapointe, y compris dans le chant « à la française »), faite de chansons d’auteur tendre qui demandent parfois à être apprivoisées au fil d’écoutes successives. Ici encore, comme dans certains des six albums précédents, on apprécie la complicité de Michel Rivard, cette fois pour une jolie ballade écrite ensemble (Toute ta lettre) et interprétée par « le duo Borivard » ! Finalement, après dix ans à s’avancer masqué, Bori a levé le voile ; profitez-en pour le découvrir (si ce n’est déjà fait) : il sera en tournée en France pour une dizaine de concerts du 12 octobre (au FestiVal de Marne) au 5 novembre (Les Oreilles en pointe, dans la Loire) en passant par Rennes, Nantes, Roubaix…
• Fous les canards, 12 titres, 48’17 ; Productions de l’onde ; distr. Canada : Sélect (site de l'artiste).
STÉPHANE CADÉ
Il a cosigné des chansons avec Allain Leprest, Florent Marchet, Florent Vintrigner, Suzy Firth… Auteur-compositeur, ses chansons ont été interprétées par Bernard Joyet, Dikès… Comme ACI, ce Cityrama est son troisième album : une sorte de carnet de voyage égrenant des chansons nées lors d’une tournée avec La Rue Kétanou. Neuilly, Charleville-Mézières, Strasbourg, Metz, Mulhouse… et jusqu’à Taïwan ! Si la voix est du genre minimaliste, l’univers musical, lui, est pop et acoustique : guitare, clarinette, violon, basse électrique, batterie, trompette, claviers… et scratchs. Pas commercial pour un sou, personnel, planant… Atmosphère, atmosphère ! Certains y seront sensibles, d’autres pas du tout. Envoûter les uns, dérouter les autres, tel est peut-être le destin de l’artiste ?
• Cityrama, 12 titres, 49’49 ; Prod. Stylenouille, distr. Musicast (site et Myspace de l'artiste).
ANNICK CISARUK
Enfance dans la région de Roanne, découverte du théâtre à Tours : elle joue Brecht qui, avec Kurt Weill, la mène inévitablement à la chanson. « C’est avec les atouts de son double parcours, vocal et dramatique, écrit Michel Trihoreau dans son “Portrait” de Chorus, qu’Annick Cisaruk mène le combat pour l’émotion naturelle des mots avec l’intelligence du cœur. Ce genre d’interprète est pourtant une espèce en grand danger de disparition. À côté des stars que l’on habille d’un répertoire sur mesure, combien sont-ils aujourd’hui qui – comme naguère Catherine Sauvage, Cora Vaucaire ou Yves Montand – savent choisir dans le prêt-à-chanter le meilleur de la création, pour lui apporter leur propre style ? Annick Cisaruk, elle, possède ces atouts, qualités de ceux, comme disait Léo Ferré, qui “sont d’une autre race” ? » Tout est dit : avec cet album entièrement consacré à Ferré, justement, la chanteuse parvient à un superbe travail de recréation. Superbe et sobre à la fois, puisque ce troisième opus, après un premier CD en piano-voix en 2001 (du Vian et Aragon, surtout), bénéficie comme le précédent (un spécial « Barbara » en 2005) du seul accompagnement de l’excellent David Venitucci à l’accordéon. Comme un remake de la formule scénique d’un Léo avec un Popaul (Castanier) désormais au piano du pauvre…
• Léo Ferré, l’âge d’or, 20 titres, 61’45 ; Le Chant du Monde, distr. Harmonia Mundi (site de l'artiste).
PETITE SÉLECTION D’AUTRES PARUTIONS :
• ADISSABEBA : Sous la Lune, 13 titres ; Eben Prod., Mosaic Music distr. (site).
• ALEX TOUCOURT : StudiOrange,15 titres ; La Prod Toucourt (site).
• ALLO CAROLINE : Pincez-moi, 13 titres ; Coquelicot Prod, L’Autre Distribution (site).
• AURÈLE & LUDOVIC HELLET : Vocalcordes, 13 titres, Coprod. Lapin Lapin Prod. & Service Compris (site).
• LES BECS BIEN ZEN : À la force du vent, 13 titres ; Azai.d Productions (site).
• LES BERTHES : Chroniques amères, 13 titres ; Trollsprod (site).
• CHRISTOPHE BOURDOISEAU : Constellation périphérique, 15 titres, livret de 24 pages ; autoproduction (site).
• FLORIAN BRINKER : Filer à l’anglaise, 10 titres ; Atlantis Productions, Anticraft distr. (site).
• MILTON ÉDOUARD : Foto di Milton, 10 titres ; Toschuss Prod. (site).
• FRANÇOISE HAUTFENNE : Palimpseste, 14 titres ; Prod. Clair de Mer (site).
• JEAN-MARIE KOLTÈS : 1974-2009, 2 CD, 24 et 22 titres ; et Jean-Marie Koltès par Jean-Baptiste Mersiol, 25 titres ; Akoufène Productions/Five Lights Records (site du premier et du second).
• LA GOUAILLE : éponyme, 12 titres ; autoproduction (site).
• PIERRE MARGOT : Kamaïeu, en public, 15 titres ; Édito Musiques, distr. Rue Stendhal (site)
• (Collection) « POÈTES & CHANSONS » : La Poésie érotique, anthologie, 2 CD, 50 titres ; Couleur femme, 25 titres, anthologie avec Bernard Ascal, Julos Beaucarne, Michèle Bernard, Martine Caplanne, Georges Chelon, Chantal Grimm, Catherine Sauvage… (site).
• LE P’TIT SON : En cavale…, 14 titres ; Sur Ta Tête Prod., distr. Avel Ouest (site).
• VERBEKE & FILS : La P’tite Ceinture, 13 titres, Coprod. Adima/Frémeaux & Associés (site de Frémeaux).
• RAPHA DE WARNING : Rêveries marines, 14 titres ; autoproduction (site).
À suivre…
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