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  • : SI ÇA VOUS CHANTE (le blog de Fred Hidalgo)
  • : Parce que c’est un art populaire entre tous, qui touche à la vie de chacun et appartient à la mémoire collective, la chanson constitue le meilleur reflet de l’air du temps : via son histoire (qui « est la même que la nôtre », chantait Charles Trenet) et son actualité, ce blog destiné surtout à illustrer et promouvoir la chanson de l’espace francophone ne se fixera donc aucune limite…
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  • Fred Hidalgo
  • Journaliste depuis 1971, créateur de plusieurs journaux dont le mensuel « Paroles et Musique » (1980-1990) et la revue « Chorus » (1992-2009). Editeur depuis 1984 et créateur en 2003 du « Département chanson » chez Fayard.
  • Journaliste depuis 1971, créateur de plusieurs journaux dont le mensuel « Paroles et Musique » (1980-1990) et la revue « Chorus » (1992-2009). Editeur depuis 1984 et créateur en 2003 du « Département chanson » chez Fayard.

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22 mai 2014 4 22 /05 /mai /2014 10:12

Pauvre Villon, pauvre Verlaine…


La langue française a fait son temps
Paraît qu'on n’arrête pas l’progrès
Que pour être vedette à présent
Il vaut mieux chanter en anglais...
(Jean Ferrat, 1980)

 
Tout a vraiment débuté après la Libération, avec la découverte du « rêve américain ». Puis une certaine chanson – celle de la « vague yéyé » – a servi de cheval de Troie pour désarmer la génération suivante : pseudonymes aux consonances éloquentes (Johnny Hallyday, Eddy Mitchell, Dick Rivers, Frank Alamo, Sheila, etc.), adaptations massives de standards anglo-américains, vocables anglais se substituant insidieusement à leurs équivalents français... Pour être dans le coup, plus besoin d’être « dans le vent », on était « in »… et le tour était joué. Le ver était dans le fruit. Depuis, omniprésente dans les médias qui font l’opinion, la langue de Thatcher s’impose partout à celle de Molière, laquelle perd non seulement en influence internationale mais surtout s’appauvrit dans son pré carré (ou hexagonal si vous préférez). En France, on ne parle plus de défi, mais de challenge, pire : de battle ; pour faire de l’audience à la télé, après l’access prime time (voire le before), c’est The Voice, maintenant, qui a… voix au chapitre. Et c’est en anglais, souvent, que l’on entre désormais en chanson…

 

 
Dans mon éditorial du premier numéro de Chorus (1992), pour expliquer les objectifs de cette revue trimestrielle de 196 pages sous-titrée « Les Cahiers de la chanson » et annoncer d’emblée qu’elle resterait ouverte tant aux styles musicaux les plus divers qu’aux (plus belles) chansons du monde et ne serait pas exclusivement consacrée à la « chanson française » (notion trop étroite voire étriquée laissant place à des tentatives récurrentes de récupération nationaliste), Num-Chorusje m’efforçais d’employer l’expression « chanson vivante » – laquelle traduisait déjà, dès 1980, la nature de Paroles et Musique, précisément sous-titré « Le Mensuel de la chanson vivante ». stylo-arbre-paletteEt bien sûr j’y accolais le terme « francophone », puisque telle était (principalement) la zone de compétence (et d’habitat) de notre équipe rédactionnelle.

Mais je parlais aussi de « paroles et musiques de l’espace francophone » (c’était même le titre de l’édito). Ou, pour être plus précis encore, de « chansons d’expression française et de l’espace francophone », ce qui allait me valoir aussitôt les foudres de certains : pléonasme ! s’écrièrent-ils avec véhémence... et des œillères aux oreilles !!! Comme si l’on pouvait évacuer d’un geste aussi leste la chanson vivante d’Afrique, de l’océan Indien ou de Polynésie écrite et interprétée en langues vernaculaires, ces langues maternelles, complémentaires du français (considéré avant tout comme le vecteur indispensable à l’entente – sous toutes ses formes – entre les différentes composantes ethniques d’un même pays). Sans parler du créole d’Haïti et des Antilles, de la Réunion, de Maurice et des Seychelles, et a fortiori des langues dites régionales que sont l’alsacien, le basque, le breton, le catalan, le corse ou l’occitan.




Partisan de la diversité culturelle et même Citoyen du Monde (à l’exemple d’un Jean Rostand croisé dans mon adolescence), je suis donc fort à l’aise pour dénoncer aujourd’hui le français-bashing – comme ils disent. Rien de plus tristement français, du reste, que ce comportement qui consiste à se déconsidérer soi-même, à dénigrer systématiquement son pays, ses valeurs et ses représentants – dans le sport, la culture, la science ou autre. Mais là, c’est le comble, on touche le fond, puisque c’est carrément notre langue qu’on jette aux orties comme on pousse grand-mère vers la sortie pour en solder l’héritage (alors que, si ça trouve, comme le disait mon cher Frédéric Dard, « elle brosse encore » !).

Ainsi, à force d’à force, on rend obsolète sa propre langue en lui substituant sans cesse des mots anglais ou en inventant des barbarismes (par exemple « le jour d’après » ou « le jour d’avant » – pour The Day After ou The Day Before – au lieu tout simplement du « lendemain » et de la « veille ») qui n’ont pas lieu d’être. Peu importe, la société du spectacle privilégie l’anglicisme au français courant. Et la chanson, en l’occurrence, va même plus vite que la musique.
 

  

Rien de nouveau sous le soleil, certes. Réécoutez donc La langue française de Léo Ferré qui date de 1964. Et puis Pour être encore en haut d’l’affiche (« …faudrait qu’je susurre en angliche… »), la goualante du pauvre Jean (Ferrat) qui, seize ans plus tard mais avec une même ironie, rattachait directement cette dérive linguistique à la chanson. « Pour être encore en haut d’l’affiche / J’commence à penser en angliche / Quand j’aurai le feeling ad hoc / Ça va faire mal en amerloque… » Rien de nouveau à l’Ouest, c’est sûr : dès 1964 aussi, l’excellent et indispensable professeur Étiemble n’avait-il pas dénoncé cette même pollution (consistant à remplacer un mot français existant par son équivalent britannique) en pointant son origine au… débarquement américain de la Seconde Guerre mondiale ? Cette année-là, en effet, Étiemble publiait Parlez-vous franglais ?, à lire et à relire. Tenez, en guise d’aperçu (ou de rafraîchissement), voici le texte de quatrième de couverture, signé de l’auteur :

« Les Français passent pour cocardiers ; je ne les crois pas indignes de leur légende. Comment alors se fait-il qu’en moins de vingt ans (1945-1963) ils aient saboté avec entêtement et soient aujourd'hui sur le point de ruiner ce qui reste leur meilleur titre à la prétention qu’ils affichent : le français.

 » Hier encore langue universelle de l’homme blanc cultivé, le français de nos concitoyens n’est plus qu’un sabir, honteux de son illustre passé. Pourquoi parlons-nous franglais ? Tout le monde est coupable : la presse et les Marie-Chantal, la radio et l'armée, le gouvernement et la publicité, la grande politique et les intérêts les plus vils.

» Pouvons-nous guérir de cette épidémie ? Si le ridicule tuait encore, je dirais oui. Mais il faudra d’autres recours, d’autres secours. Faute de quoi, nos cocardiers auront belle mine : mine de coquardiers, l’œil au beurre noir, tuméfiés, groggy, comme disent nos franglaisants, K.O. Alors, moi, je refuse de dire O.K. »

 

  
Un demi-siècle après le coup de gueule d’Étiemble, force est de constater que ce phénomène d’anglicisation, particulièrement dans la chanson – vecteur essentiel de propagation d’une langue –, connaît ces temps-ci une amplification alarmante. De plus en plus de groupes, de jeunes artistes, natifs de l’Hexagone (ou d’autres pays non anglophones, car l’épidémie ne cesse de s’étendre), chantent désormais en anglais – encouragés par les médias qui les invitent ou en parlent volontiers et les festivals qui les accueillent sans se poser trop de questions –, justifiant l’abandon de leur langue natale sous le prétexte (ô combien éculé et fallacieux) que l’anglais sonnerait « tellement mieux » que le français (ou donc que l’espagnol, l’italien, le portugais, etc.)… Mensonges, foutaises ! se fâchait Nougaro dans son ode à l’alexandrin : « Moi, ma langue, c’est ma vraie Patrie / Et ma langue, c’est la française / Quand on dit qu’elle manque de batterie / C’est des mensonges, des foutaises ! »

 
Et quand bien même ! Quel mépris porté à l’écriture, à l’idée, à l’histoire, au « message », en un mot au sens, au seul profit du son ! Merci bien ! Merci pour les Béranger (les deux) et les Bruant, Couté, Montéhus, Lemarque, Trenet, Brassens, Souchon, Leprest… Pauvre Villon, pauvre Verlaine ! Lamartine, Baudelaire, Hugo, Aragon, Prévert, réveillez-vous, ils sont devenus fous ! Mais peut-être que, dans leur langue natale, les textes de ces déracinés volontaires seraient jugés un tantinet moins intéressants que ceux de leurs prédécesseurs dans la carrière…

S’il n’y a plus rien d’autre à faire
Pour échapper à la misère,
Si c’est l’seul moyen ici-bas
D’intéresser les mass media,
Si le français ou le breton
Si l’occitan ou l’auvergnat,
Comme on m’le dit sur tous les tons,
Le show-business il aime pas ça,
Y a p’t-êtr’ quand même un avantage
À cette évolution sans frein :
On pourra chanter sans entrave
Quand les gens n’y comprendront rien !

Pauvre Modigliani aussi et Cioran dont une même indignation, pour les mêmes motifs – à un siècle de distance –, me revient ici en mémoire. De grands artistes français par le talent et pourtant étrangers par la naissance. L’Italien : « Et vous ? Vous ne bougez pas ? C’est pourtant vous que ça regarde, vous dont la langue est le français que des voyous assassinent ! » Le Roumain : « Moi le métèque, le rebut des Balkans, je suis inconsolable de cet abandon et d’autant plus outré que des hommes nés sur ce sol, entichés de déprédations, s’en accommodent ou, pire, en accélèrent la chute. Il y a là comme une joie maligne à se détruire. On s’obstine à choquer, à crétiniser, à alourdir, à infecter l’atmosphère. On se rebelle, dans un conformisme satisfait, contre la pollution industrielle. On oublie celle de la langue ! » Une pollution que de Gaulle lui-même, qui avait des belles lettres, appelait « du volapük intégré ».
 
vielle accordeon 

Il y a longtemps, on le voit, que le problème existe. Mais les médias l’amplifient et le mondialisent chaque jour davantage. Des bastions hautement francophones comme le Québec qui, ô paradoxe !, nous servait d’exemple (voire de prétexte) pour défendre encore le français en France, cèdent à présent du terrain à leur voisin hégémonique, la relève chansonnière en particulier qui n’hésite plus à emprunter la langue de John Wayne dans l’espoir de mieux chevaucher les hit-parades. Le rêve d’un « pays » francophone ouvert comme une île aux autres cultures serait-il en train de s’effacer, de se fondre dans un océan anglophone sans partage ? Au Québec, ironisait en tout cas Gilles Vigneault dès 1976, « on chante dans les veillées au lieu de régler nos problèmes… et après cela on vote libéral, comme tout le monde ! » Pis, on s’en va au market…
 

 

Ce même Québec, cette « Belle Province », où l’irremplaçable Bernard Dimey aimait pourtant à se ressourcer, en regarnissant sa besace langagière de bons et loyaux mots perdus en cours de route, jusqu’à la butte Montmartre dénaturée par les fast food et autres maux commerciaux à l’effigie de l’Oncle Sam… Dimey-de Gaulle – qui l’eût cru ? – même combat !
 
DimeyLeFrancais 

C’est du reste l’Europe tout entière qui prend ce mauvais pli. Un exemple symbolique entre tous : le concours Eurovision de la chanson, dont la cinquante-neuvième édition a eu lieu début mai. Belle opportunité d’y faire valoir les spécificités culturelles et linguistiques de chacun des pays participants, de promouvoir la grande diversité du continent et de favoriser l’émergence de vrais talents, pas vrai ? Il en résulte au contraire le constat consternant d’une Europe monochrome où la quasi-totalité des quelque trente nations en lice a fait le choix de renier ses propres couleurs, de baisser frileusement son étendard, je veux dire d’abandonner sa langue au profit de l’anglais standard. Vous objecterez à juste titre que, lorsqu’un pays, comme la France, fait le pari de chanter encore dans sa langue, il finit bel et bon dernier ! La preuve par l’absurde (et le masochisme), en fait, de la domination librement admise de l’anglais – absurde comme la chanson ni faite ni à faire (quel tintouin !) présentée par les « représentants officiels de la France », les Twin Twin… Et je ne parle pas de l’uniformisation du format chanson réduit au mieux à un concours de voix (doublé d’un défilé vestimentaire), ni de son nivellement par le bas (son absence de fond atteignant des profondeurs insoupçonnées), à l’image de la politique continentale menée à Bruxelles… On voudrait favoriser l’abstention aux élections européennes qu’on ne s’y prendrait pas autrement. L’Eurovision ? Une arme de promotion massive contre l’Europe de la culture !

Je m’égare ? Pas un instant. « La chanson peut tout dire / Le meilleur, le pire… », chante Gilles Servat, n’étant rien de moins que le reflet de l’air du temps. Air du temps que le Québécois Bori a su capter avec éloquence (et quelque moquerie désespérée) dans une chanson de son nouvel album, sobrement intitulée Je suis français...

 


Le bon roi François, ami et protecteur des arts et des artistes, doit se retourner dans sa tombe quand il écoute nos porte-parole autoproclamés qui s’invitent et se congratulent les uns les autres en usant d’un franglais qui s’éloigne de plus en plus de « la langue de chez nous » (que disait Stendhal, à ce sujet ? Que « le penchant des esprits médiocres est de briller par le ton et le jargon du moment »…). Lui qui avait institué le « langaige maternel françoys » (cf. l’ordonnance de Villers-Cotterêts, 1539) comme langue du droit et de l’administration en France, en remplacement du latin ; ce qui n’empêchait nullement les idiomes régionaux de vivre (et de chanter) en bonne coexistence.
 

 

 

« C’est quoi une chanson sans texte ? » demandais-je dans mon sujet précédent. Peut-être une chanson française qu’on écrit en anglais pour masquer ses carences dans sa propre langue… « Faut pas avoir peur de jouer avec sa langue maternelle, assurait Frédéric Dard alias San-Antonio. La langue est un matériau. On doit l’éprouver. Casser la croûte des traditions. » À vous de jouer, donc, amis artisans de la chanson ! À vous de réinventer la langue, la vôtre, la mienne, la nôtre. Chacun et chacune à sa façon, mais sans renier un vocabulaire (ni son histoire : « Le passé est notre fortune », aimait à rappeler Brassens) qui a fait ses preuves, plus riche et nuancé que bien d’autres. « C’est une langue belle à qui sait la défendre / Elle offre les trésors de richesses infinies / Les mots qui nous manquaient pour pouvoir nous comprendre / Et la force qu’il faut pour vivre en harmonie. »

À quoi ça aurait servi sinon, crénom de nom, que la Jeanne boute l’Angloy hors de France, si c’est pour lui dérouler complaisamment le tapis rouge aujourd’hui ?! La langue française, faut lui faire des marmots, pas la poignarder dans le dos, encore moins la faire monter sur le bûcher ou l’échafaud. Foin d’autodafé et de franglais : face à ces maux récurrents, le français n’a pas dit son dernier mot ! Ni la chanson qui ne pleure que pour vous plaire…

      

 

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13 mai 2014 2 13 /05 /mai /2014 16:49

Les « Découvertes » au cœur… d’Alors Chante ! 


Cela fera cinq ans, l’été prochain, que Chorus a disparu. Mais chaque printemps à Montauban, l’affiche d’Alors… Chante ! continue de faire chorus en associant artistes émergents et confirmés de la plus belle eau, offrant ainsi « un panorama riche et singulier de la chanson » qui s’exprime dans la langue de Molière. Revue de détail, du lundi 26 au samedi 31 mai, d’une édition qui fêtera les vingt ans des Ogres de Barback : la vingt-neuvième d’un festival où l’on se sent comme en famille…
  

 

 
Au départ, en 1986, celui-ci s’était donné – à la façon du mensuel Paroles et Musique avec lequel les dirigeants d’Alors… Chante !, son directeur Jo Masure en tête, ont souvent revendiqué une filiation d’esprit – une sorte de ligne éditoriale composée de trois critères essentiels : refléter la réalité de la chanson vivante, médiatisée ou pas ; saluer la carrière des grands de la chanson et leur faire « la fête » ; s’appliquer à déceler le meilleur des lendemains qui chantent et le donner à voir et à entendre au public et aux professionnels.

Avec le temps, le premier critère étant imprescriptible et le deuxième se heurtant à l’impitoyable « évolution » d’un métier qui, depuis une dizaine d’années, rend les carrières au long cours de plus en plus difficiles pour ne pas dire improbables, Alors… Chante ! s’est particulièrement attaché au renforcement de son troisième axe fondateur : les jeunes talents. 

 

 
Fini les « Fêtes à… » où l’invité(e) d’honneur se voyait célébré(e) par ses pairs lors d’une soirée finale, après qu’il (ou elle) avait assisté à toute l’édition, côtoyant les spectateurs au quotidien. Fini les grands moments partagés avec (par exemple) Hugues Aufray, Pierre Barouh, Leny Escudero, Léo Ferré, Juliette Gréco, Georges Moustaki, Claude Nougaro, Serge Reggiani, Pierre Perret… ou, pour les générations suivantes, avec Catherine Lara, Louis Chedid, Francis Cabrel, Laurent Voulzy, Renaud et ainsi de suite (sans parler de leurs amis présents, les Maxime Le Forestier, Allain Leprest, Kent, Nilda Fernandez, Romain Didier, Jean Guidoni, Juliette, Yves Jamait, etc.), jusqu’aux paris engagés avec certains représentants de la « relève » comme Bénabar, Sanseverino ou Renan Luce. Fini, oui, les fêtes collectives autour d’un artiste et place aux « Découvertes » de Montauban, avec un espace spécifique formalisé en l’an 2000.
  
 

 
Dès lors, douze artistes ou groupes sélectionnés par l’équipe de programmation se succédaient pendant la semaine de l’Ascension devant un parterre de curieux et de professionnels (parmi lesquels les directeurs d’une trentaine de festivals chanson de l’espace francophone rassemblés en fédération). En l’espace d’une douzaine d’années, le public a pu découvrir ainsi nombre d’artistes prometteurs, comme Agnès Bihl, Nicolas Jules, Bénabar, La Rue Kétanou, Franck Monnet, Jeanne Cherhal, Pierre Lapointe, Jamait, Camille, Thierry Romanens, Aldebert, Tom Poisson, Amélie-les-Crayons, Émily Loizeau, Karpatt, Khaban’, Catherine Major, Balbino Medellin, Renan Luce, Damien Robitaille, Daphné, Benoît Dorémus, Imbert Imbert, Barcella, Presque Oui, Mélissmell, Carmen Maria Vega, Zaz, Chloé Lacan, Zoufris Maracas, Liz Cherhal, bien d’autres encore, avant que les producteurs et les grands médias, pour les plus chanceux d’entre eux, ne s’y intéressent. Mais cette année, à la veille de sa trentième édition, le festival a mené une importante réflexion sur la question de ses découvertes, compte tenu de l’époque, « très mouvante, et de ses nouveaux enjeux ».
       
 

 
Le choix de douze artistes par édition restait-il pertinent, alors que « la chanson a changé, décalant petit à petit ses frontières vers d’autres genres musicaux » ? Jo Masure et son équipe ont donc décidé « de faire de la scène découverte le cœur du projet d’Alors… Chante ! à Montauban, en passant de 12 à 28 artistes et formations venant de la pop, de l’électro, du hip hop, de la chanson, mais tous et toutes rassemblés par la même langue qu’ils défendent. » C’est un pari, certes, qui ne connaîtra peut-être qu’un printemps, mais un pari assumé : « Certains n’existeront peut-être plus dans quelques mois ou quelques années, d’autres seront les futures têtes d’affiche des grands événements. Mais tous auront le mérite d’avoir participé au renouveau de la chanson et à son questionnement, ainsi qu’à la vitalité d’un festival fêtant sa vingt-neuvième année, donc encore très jeune… et pour longtemps encore. »
       
 

 

On le voit, l’optimisme est de rigueur à Montauban, malgré un contexte général plutôt déprimant : production en berne, tournées et fréquentation en baisse, peu ou plus de suivi des nouveaux talents encensés la veille et oubliés des médias et des tourneurs-producteurs le lendemain… L’absence d’une revue de référence capable d’assurer le suivi artistique, de faciliter l’évolution de carrière et de constituer le lien (indispensable) entre toutes les parties composantes de la chanson vivante – des mots pour lutter contre les maux – n’a pas fini de se faire (douloureusement) sentir.
   

 
Passons – provisoirement. Et revenons à nos moutons non pas de Panurge mais à ceux que s’apprête à recevoir le Tarn-et-Garonne, tous fièrement enracinés dans leur espace francophone. On trouvera le programme détaillé de l’édition sur le SITE du festival, que l’on peut toutefois résumer de la sorte, réparti en quatre lieux principaux. Au Magic Mirrors : vingt-huit nouveaux talents, donc, offerts à la découverte, à raison de quatre artistes ou groupes à partir de 14h30 et trois autres à partir de 21h30 ; soit, dans l’ordre d’apparition sur scène, français, belges et québécois confondus : Volin, Baptiste W. Hamon, Horla, Les Hay Babies, Minuit 6 heures, Bigflo & Oli, D-Bangerz, La Demoiselle inconnue, Chouf, Lior Shoov, Nicolas Michaux, Bagarre, Pendentif, Schlauberg, Ottilie (B), Bessa, Le Noiseur, Olivier Juprelle, Marvin Jouno, Av, Peter Peter, Eskelina, Martin Rahin, Auden, Estelle Meyer, Radio Elvis, Grand Blanc et Feu Chatterton.ay NaHay...
       

Cette année, les festivaliers (porteurs d’un passeport donnant droit à ces découvertes) et un large jury de professionnels (composé notamment des directeurs de festivals francophones), chargés de voter pour deux lauréats seulement (« Bravos du Public » et « Bravos des Pros »), ont du pain sur… les planches ! En fait, non (c’était juste pour le plaisir de la formule), rassurez-vous, les spectateurs, le festival ne vous obligera pas à jouer les stakhanovistes de la découverte (au risque de louper bien d’autres petits bonheurs aux mêmes heures) : désormais, en lieu et place des « Bravos » habituels, et quitte à n’assister qu’à une partie de cette programmation, le public et les pros n’auront d’autre obligation que de décerner des « Coups de cœur »... Logique, quand on a la découverte au cœur !

Au Théâtre Olympe de Gouges (à partir de 19h) : Strange Enquête (« Bravos Public » 2013), Les Innocents, Iaross (« Bravos Pros » 2013), Thomas Fersen en solo (ukulélé ou piano-voix), Des Fourmis dans les mains, Dominique Dalcan, Nevché (ex-Nevchehirlian) et Babx à qui l’on remettra sur scène le prix Raoul-Breton de la Francophonie (après Alexis HK l’an dernier).
     

 
Dans la grande salle d’Eurythmie (à partir de 20h) : Bensé puis Zaz, le mardi 27 mai ; Nathalie Natiembé (la Réunion), Giédré puis Les Ogres de Barback qui fêteront leurs vingt ans, le mercredi ; François & The Atlas Mountains, Jeanne Cherhal puis Renan Luce, le jeudi ; Florent Marchet, Gaëtan Roussel puis Jacques Higelin, le vendredi ; Cause Commune, S-Crew puis Fauve, le samedi.
 

Au Chapitô enfin, « Mômes en Zic », en matinée (10h) et en début d’après-midi (14h30), la programmation jeune public toujours très attendue : Les Frères Léon, Soul Béton, Virginie Capizzi, Les Frères Casquette, H2ommes, Vincent Malone, Weepers Circus, Pascal Parisot et Aldebert, à trois reprises (dont une « tous publics »), pour de nouveaux, contagieux et entraînants Enfantillages.
       
 

 

On notera enfin une nouveauté, à 12h15 (les 28, 29 et 30 mai), au Musée Ingres (où l’on trouve non seulement quelques-uns de ses tableaux mais aussi son fameux violon !) : une séance de lecture chansonnière par Christian Olivier. Sous le titre Chut, l’auteur-compositeur-interprète se propose en effet de nous dire des chansons bien connues pour donner à les entendre autrement. Partant du constat qu’« un chanteur sachant chanter sans chanter est un bon chanteur ! », gageons que l’exercice vaudra le déplacement jusqu’à la ville natale de l’auteur de La Grande Odalisque.
  

ChristianOlivier.jpg 

« C’est quoi une chanson sans musique ? » s’interroge le penseur des Têtes Raides. Un « sketch en vers » comme dit Fersen ? « Un skontch » selon Gilbert Laffaille… Un poème, dans le meilleur des cas ? Et une chanson sans texte, au fait ? C’est quoi ? Du bruit qui pense ? Une mélodie ? Une symphonie inachevée ? La réponse, peut-être, à Montauban où, quoi qu’il en soit, a cappella ou pas, le mot d’ordre reste inchangé : Alors… Chante !


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9 avril 2014 3 09 /04 /avril /2014 11:42

La légende d’Hiva Oa

 
1929 : grand millésime pour la petite Belgique qui voit naître deux personnages appelés à devenir mondialement célèbres par leurs aventures, l’un arborant une houppe, l’autre inséparable de sa pipe… Mais un troisième, né le 8 avril de cette même année, n’aura besoin de personne, ni d’Hergé ni de Simenon, pour se forger lui-même un destin… et, au-delà de sa carrière exceptionnelle, pour vivre des aventures d’autant plus étonnantes qu’elles ne seront pas de papier. Quand la réalité dépassera la fiction, le navigateur au long cours devenu pilote au grand cœur, « là-bas, sous un ciel de corail » (où tout le monde l’appelait affectueusement Jacbrel, sans distinction de prénom ou de nom), surpassera le chanteur-comédien…


brel_Jojo.jpg
« Veux-tu que je te dise ? », ami amoureux de la chanson et admirateur de Jacques Brel, si je sais bien que « Gémir n’est pas de mise aux Marquises », j’aimerais néanmoins te confier l’impatience qui est la mienne, dans l’attente de pouvoir enfin partager la suite des aventures du Grand Jacques... Car si L’aventure commence à l’aurore, en 1974, au plat pays, elle se prolonge encore, en 2014, en Polynésie !

Inutile de revenir sur la raison d’être de ce livre – dont l’idée ne m’avait pas même effleuré auparavant –, sinon pour rappeler que son écriture s’est comme imposée à moi, après coup, tant il semblait indispensable et urgent de partager autant que possible les découvertes effectuées sur place, les informations et témoignages recueillis. La vie « d’après » de Jacques Brel, sa vie méconnue d’aventurier, éclaire en effet celle du chanteur d’un jour nouveau en crédibilisant totalement et définitivement son œuvre. Après les déclarations d’intention, les actes : une « chanson de geste » d’autant plus admirable qu’on ne lui connaît aucun équivalent.

Bonheur, donc, d’offrir pour la première fois cette histoire-là en partage, et bonheur, ensuite, de constater que ce qui nous a touchés « là-bas » où sa voix « chante encore » (cf. la Lettre à Jacques Brel de Barbara) touche pareillement ceux qui en lisent le récit. Mais surtout, depuis, bonheur d’aller plus loin, beaucoup plus loin, dans ce voyage au bout de la vie, avec les anciens amis du Grand Jacques qui l’ont fréquenté durant ses trois dernières années, à Tahiti comme aux Marquises, à Punaauia comme à Hiva Oa... où la légende (comme le chantait le regretté Pierre Rapsat) est en marche.

Depuis la parution du livre, en effet, ma satisfaction principale (voire mon principal motif de fierté) est d’être devenu proche… des proches de Brel aux antipodes. Nous n’arrêtons plus de converser, d’échanger des idées, de vérifier des informations, de les recouper et même d’échafauder des hypothèses sur ce qui aurait pu être le quotidien de « Jacbrel » (sobriquet phonétique sous lequel le connaissaient les Marquisiens, comme s’il s’agissait d’un patronyme en soi) une fois construite sa propre maison sur les hauteurs d’Atuona. Pourquoi ? Parce que chacun d’entre eux s’est déclaré heureux, ému même, de retrouver « le » Brel qu’ils ont connu, qu’ils ont été très peu à connaître d’aussi près, dans la vérité des choses et non dans l’artifice du spectacle (bien qu’une même sincérité, dans son cas, l’ait toujours accompagné à la ville comme à la scène).  

Bonheur, oui, d’avoir intégré le cercle restreint des amis du poète disparu. Mieux : ses membres me font à présent la joie (et l’insigne honneur) de me considérer comme leur confident privilégié s’agissant de Jacky le Polynésien. Tant et si bien qu’en l’espace de six mois, j’ai amassé nombre d’informations complémentaires sur son (modeste) mode de vie, ses paris (fous) d’aviateur ou son altruisme (exemplaire), des anecdotes aussi (souvent savoureuses), des documents (uniques) et même des lettres (éloquentes) qui ne demandent – avec l’accord des intéressés – qu’à être portées à la connaissance du plus grand nombre.

Tout au long de cette histoire, pendant que je la vivais ou la retranscrivais, je l’ai déjà dit, j’ai été interpellé par de curieuses coïncidences. Retrouvailles inattendues, passerelles improbables… Bizarre, vous avez dit bizarre ? Comme c’est bizarre. « Il n’y a pas de hasard, affirmait Eluard, il n’y a que des rendez-vous. » Justement, ne voilà-t-il pas que l’un des principaux personnages de la saga brélienne aux Marquises se révèle, par alliance, être l’un de mes parents ?! Un cousin de ma chère et tendre, laquelle a régulièrement fréquenté sa famille jusqu’à la fin de son adolescence… Pas croyable, c’est sûr... Et pourtant vrai : il a fallu que notre voyage accouchât d’un livre imprévu, puis que celui-ci fasse naître un dialogue nourri, malgré douze heures de décalage horaire, pour que cette parenté nous saute aux yeux ! « Ce n’est pas moi qui écris, note Charley Marouani dans son livre de souvenirs, c’était écrit... »

 



En annonçant l’automne dernier sur ma page Facebook un second tirage de Jacques Brel – L’aventure commence à l’aurore, je posais la question : « Deux sans trois ? Il n’en tient qu’à vous… » Depuis, une autre réimpression a bel et bien été effectuée avant les fêtes de fin d’année ; Askoy-haut-copie-1.jpgpreuve que l’histoire du Grand Jacques aux antipodes suscite autant d’intérêt que d’enthousiasme. L’histoire véridique d’un homme pétri d’empathie parti à l’assaut des moulins à vent du Pacifique… Le jour où Brel est mort, Brassens lui-même ne disait-il pas : « Ce n’est pas pour rien qu’il a fait L’Homme de la Mancha, c’est parce qu’il était un véritable Don Quichotte. Il l’était dans la vie. »

Aujourd’hui, ami amoureux de la chanson et admirateur de Jacques Brel, j’espère que le prochain tirage de l’ouvrage pourra donner lieu à une édition « revue et augmentée », intégrant l’essentiel des éléments inédits recueillis depuis six mois. En début d’année, j’avais même annoncé au site « Planète francophone » qui a consacré un long sujet au livre (sous l’angle « Bilan et perspectives ») que je travaillais d’ores et déjà à une nouvelle mouture…

À vrai dire, je bous d’impatience, tellement il est frustrant d’être à la tête d’une somme pareille d’informations (et de savoir qu’on est le seul à l’être !) et de ne point pouvoir en faire aussitôt profiter les autres… Peut-être à l’occasion d’un prochain épisode de la saga ? Si ce 8 avril est la date anniversaire de la naissance du Grand Jacques (lui qui disait que ça n’était pas la durée d’une vie, l’essentiel, mais son intensité, l’imagine-t-on à 85 ans ?!), c’est aussi et surtout le début du compte à rebours jusqu’au jour très attendu de la remise à l’eau de l’Askoy. En effet, « le voilier de Jacques » (comme l’a joliment chanté Jean-Roger Caussimon), rescapé des sables de Nouvelle-Zélande où il s’était échoué dans les années 90 et restauré depuis en Belgique, devrait reprendre la mer le 24 juillet prochain : quarante ans pile après que Jacques en eut levé l’ancre et largué les amarres avec sa fille France et sa compagne Maddly pour mettre – à l’aurore – le cap sur l’aventure !
 


D’ici là, sans vous commander bien sûr, quelques précisions à partager autour de vous – si ça vous chante ! –, histoire de répondre collectivement à de nombreux messages faisant état de la difficulté à trouver désormais l’ouvrage en librairie. Le monde de l’édition est ainsi fait, aujourd’hui, qu’un livre – même bénéficiant d’un réel succès d'estime – se voit vite remplacé dans les étagères par plus récents que lui. Seuls échappent à ce système de cavalerie les best-sellers et autres nouveautés « vues à la télé »… 

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Alors, qu’on se le dise : pour n’être plus visible en magasins, L’aventure commence à l’aurore reste bel et bien disponible – dans les meilleurs délais – sur commande chez votre libraire (via l’éditeur, les bien-nommées Éditions de l’Archipel), ou en ligne dans les différents sites de vente par correspondance. Notamment chez : Amazon ; Chapitre ; Decitre ; Dialogues ; Fnac, Le Furet du Nord ; Mollat ; ou encore Archambault (Québec). Disponible également en numérique, en « e-book », chez Google ; Kobo ; Les Libraires ; Numilog, etc. Il n’y a vraiment que l’embarras du choix. Cela dit, n’attendez pas pour le commander (ou le recommander à vos amis) la parution d’une éventuelle édition augmentée, car celle-ci – encore hypothétique et de toute façon lointaine – est forcément conditionnée par l’épuisement des stocks actuels... Condition sine qua non pour tout éditeur.

En cette attente (du moins je l’espère), je reste à votre entière disposition – et avec grand plaisir – pour répondre à toute demande d’envoi d’exemplaires dédicacés (en l’adressant ICI). Pour répondre à vos questions aussi (ou simplement prolonger la conversation) sur cette quête qui a mené « Jacbrel » jusqu’à l’archipel le plus isolé au monde ; l’histoire d’un homme qui tourna le dos à la gloire pour réaliser son « impossible rêve » : transformer une vie d’artiste en destinée d’exception. La légende d’Hiva Oa ne fait que commencer. À suivre !

 ____________

NB. Pour rappel, je propose une conférence illustrée, complémentaire du livre, sur « la fabuleuse histoire du Grand Jacques aux Marquises » : précisions et comptes rendus sur mon site, rubrique « Conférences », ou sur ce blog (cf. « L’Echappée Brel »)... si ça vous chante.

 

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