La vie d’artiste à Montauban
Pour le vingtième anniversaire de la disparition du Vieux Lion, l’édition 2013 d’Alors… Chante ! de Montauban – la vingt-huitième du nom, du 6 au 12 mai prochains – rend hommage à celui qui fut son invité d’honneur en mai 1992. Cinq jours durant, l’artiste participa à la vie du festival, assistant aux spectacles et encourageant les jeunes talents avant d’assurer lui-même la première partie d’un final, à jamais mémorable, qui réunissait autour de lui Jean-Pierre Chabrol, Nicole Croisille, Leny Escudero, Jacques Haurogné, Xavier Lacouture, France Léa, Georges Moustaki, Bruno Ruiz, Sapho, Jean Vasca…
Il y eut encore deux récitals durant l’été 1992 et une ultime apparition en public à la Fête de l’Humanité pour chanter Est-ce ainsi que les hommes vivent ? en compagnie de Bernard Lavilliers, mais cette soirée à Montauban constitua son dernier grand rendez-vous scénique du genre. À l’automne, la maladie l’empêcha de faire sa rentrée dans la capitale, prévue en novembre au Grand Rex. Déjà, le 8 octobre, son ami et directeur artistique historique Richard Marsan s’était discrètement éclipsé ; « Richard ? Un dernier pour la route ?... » Quelques mois plus tard, le 14 juillet 1993, la Mort (qui, racontait-il avec le plus grand sérieux, lui avait téléphoné pour lui dire qu’elle aimait beaucoup ce qu’il faisait…) privait à son seul profit les amateurs de chanson, d’amour et d’anarchie mêlés, d’un des plus importants représentants de son histoire millénaire.
Vingt ans après donc, Montauban se souvient de Léo Ferré… Si l’édition de 1992 s’était refermée avec lui, celle de 2013 va s’ouvrir avec « Les enfants de Léo ». Sur la grande scène du festival, les uns accompagnés par le grand orchestre du Conservatoire de Montauban (fort d’une soixantaine de musiciens !), les autres par un pianiste seul, comme du temps où Léo taillait la route avec « Popaul », ou bien se produisant a capella, à la guitare ou en trio, ils seront une douzaine de privilégiés à redonner vie aux différentes époques de son répertoire exceptionnel. Une bonne vingtaine de chansons et de textes parmi lesquels (selon des sources « autorisées », dirait Coluche), les heureux spectateurs auront droit à une sélection de grands classiques (La Mémoire et la Mer, La Vie d’artiste, Les Anarchistes, C’est extra…), de premiers succès, de poètes mis en musique voire de grands récitatifs de la dernière période. On parle notamment du Chien et d’Il n’y a plus rien… Mais chut, mieux vaut laisser la surprise et le plaisir de la découverte.
Les enfants de Léo ? demanderez-vous. Ils auraient pu être dix fois plus nombreux ! Mais pour une seule soirée, et non un marathon de la chanson, il a bien fallu limiter le générique. Alors, ceux qui seront là sont tout simplement les premiers à avoir répondu par l’affirmative à la proposition de Jo Masure, directeur-créateur et âme (des poètes) de ce festival : Alexis HK, Cali, Nilda Fernandez, Yves Jamait, Camélia Jordana, Les Grandes Bouches, Mélissmell, Bruno Ruiz… et Catherine Boulanger, en quelque sorte la « régionale de l’étape » dont la (superbe) chanson écrite spécialement Pour Léo constitua un sommet d’émotion de la fête de mai 1992, chantée en sa présence :
Léo, j’aurais aimé être une chanson de toi
Pour naître sur tes lèvres et vivre par ta voix
M’endormir dans tes rêves, m’éveiller sous tes doigts
J’aurais aimé, Léo, être une chanson de toi.
Ça, c’est pour le mardi 7 mai à 21 h 30. Le hors d’œuvre (composé seulement de chefs-d’œuvre) d’un plat de résistance (francophone) s’articulant comme toujours autour des fameuses « Découvertes d’Alors… Chante ! », celles qui ont permis de révéler en avant-première les Bénabar, Jeanne Cherhal, Camille, Yves Jamait, Aldebert, Amélie-les-Crayons, Émily Loizeau, Renan Luce, Daphné, Barcella, Carmen Maria Véga, Melissmell, Zaz… ou plus récemment Vendeurs d’Enclumes, Chloé Lacan, Tiou et Liz Cherhal, lauréats des « Bravos » du public et des professionnels. À l’affiche 2013, douze groupes et artistes (français, belges, suisses et québécois) encore inconnus du grand public, mais dont certains ne le seront peut-être plus pour très longtemps : Charles-Baptiste, Jur, Patrice Michaud, Strange Enquête, Blanche, Échappés de Sangatte, Lia, Laura Cahen, Yordan, Iaross, Face à la Mer, La Mine de Rien. Départ pour le futur, du mardi au samedi à 14 h 30, sous le Magic Mirrors, à raison de trois prestations chaque après-midi.
Une sélection mise sur orbite par un panel plus que représentatif de « professionnels » puisque c’est à Montauban et nulle part ailleurs dans l’espace francophone que, chaque année, se retrouvent et se réunissent (pour travailler dans l’intérêt général, et d’abord des artistes et du public) les directeurs et responsables de programmation d’une bonne vingtaine de festivals internationaux constitués en Fédération des festivals de chanson francophone. Coïncidence éloquente : à la fin les choix desdits professionnels recoupent souvent, sans concertation préalable, ceux du public. Il est vrai qu’une bonne partie de celui-ci, extrêmement connaisseur, est composé d’habitués venus d’un peu partout qui retiennent spécialement cette semaine de l’Ascension pour suivre ce festival qui, en France et dans cette catégorie-là, je veux dire cette dimension populaire, est probablement le « dernier des Mohicans »…
Côté jeune public, la programmation affiche la même volonté farouche de présenter toujours le meilleur de la création du moment pour permettre aux « consommateurs » de demain de former eux-mêmes leur propre jugement face au rouleau compresseur débilitant de la société (médiatique) du spectacle. À 10 h et 14 h 30 : Poncet, Nicolas Berton, Zut, Abel, Alain Schneider, Tomas Sidibé… et même Bia et Michèle Bernard dans leur nouveau spectacle plus spécialement destiné aux enfants, Pyjama party et Sens dessus dessous respectivement.
Et puis d’anciennes découvertes qui montent en « grade » (Askehoug, Imbert Imbert, Mélissmell, Maissiat, Alexis HK, Julien Fortier, Amélie-les-Crayons), des secondes parties de soirée (Lo’Jo, Barcella, Valérian Renaut, Barbara Carlotti…), et puis des têtes d’affiche (BB Brunes, Olivia Ruiz avec Liz Cherhal en première partie, etc.), et puis une programmation spéciale Wallonie Bruxelles (Vincent Delbushaye, Peter Bultink, Françoiz Breut)… Et puis des « Afters » comme on dit maintenant partout, y compris au Québec (quelle tristesse que l’acceptation tacite et sans réflexion aucune du reniement de sa culture !) – et pourquoi pas simplement des « Après », messieurs et mesdames du festival (n’y aurait-il plus d’après, aussi, à Montauban-les-Prés ?) – en fin de soirée du mardi au vendredi au Magic, avant une « Nuit des Découvertes », le samedi, tous et toutes ensemble réunis à minuit et demie pour finir en beauté l’édition, dans la foulée de la remise des Bravos 2013, elle-même précédée du récital du lauréat 2012 des Bravos du public, l’excellent Tiou (qui gagne vraiment à être connu) et suivie du grand spectacle de Tryo (qui, lui, n’est plus à présenter).
Ce n’est pas tout ? Ben non, puisque Montauban ne manque pas de rester fidèle aux siens, en l’occurrence à celui qui, programmé ou pas, arpentait ses allées et fréquentait ses salles chaque année avec autant de curiosité que de plaisir, autant d’obstination que d’enthousiasme – j’ai nommé Allain Leprest. Une création autour de ses chansons, Où vont les chevaux quand ils dorment ?, rassemblera mercredi 8 mai au Théâtre à 20 h 15 un trio chantant à bride abattue : Jean Guidoni, Yves Jamait (photo ci-dessus avec Leprest... à Montauban) et Romain Didier. À ne pas manquer, est-il besoin de le préciser... ?
Ajoutez à cela un salon des professionnels de la scène (tourneurs et producteurs, programmateurs de salles et de festivals) le samedi matin (le dernier « salon où l’on cause » de francophonie en France ?), la remise du Prix Raoul-Breton le vendredi sur la scène du Théâtre à Alexis HK (après Pierre Lapointe en 2011 et Presque Oui en 2012), la cérémonie désormais traditionnelle des Coups de cœur de l’académie Charles-Cros le jeudi (et je ne parle même pas des ateliers et résidences durant l’année), et vous n’en douterez plus, si vous n’avez encore jamais mis les pieds dans la ville d’Ingres (et de son fameux violon) : la vie d’artiste, c’est ici et maintenant à Montauban, qu’il faut la vivre et l’apprécier.
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• Programmation détaillée de l’édition 2013 et réservations sur le SITE Internet d’Alors… Chante !