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  • : SI ÇA VOUS CHANTE (le blog de Fred Hidalgo)
  • : Parce que c’est un art populaire entre tous, qui touche à la vie de chacun et appartient à la mémoire collective, la chanson constitue le meilleur reflet de l’air du temps : via son histoire (qui « est la même que la nôtre », chantait Charles Trenet) et son actualité, ce blog destiné surtout à illustrer et promouvoir la chanson de l’espace francophone ne se fixera donc aucune limite…
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  • Fred Hidalgo
  • Journaliste depuis 1971, créateur de plusieurs journaux dont le mensuel « Paroles et Musique » (1980-1990) et la revue « Chorus » (1992-2009). Editeur depuis 1984 et créateur en 2003 du « Département chanson » chez Fayard.
  • Journaliste depuis 1971, créateur de plusieurs journaux dont le mensuel « Paroles et Musique » (1980-1990) et la revue « Chorus » (1992-2009). Editeur depuis 1984 et créateur en 2003 du « Département chanson » chez Fayard.

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24 mars 2013 7 24 /03 /mars /2013 16:16
Profondeur de chant

C’est un beau livre, un livre-album grand format illustré de plusieurs dizaines de photos, qui présente la particularité d’avoir été écrit à quatre mains. Un auteur (Alain Wodrascka), pour retracer le parcours biographique d’un artiste (Yves Duteil), et celui-ci, pour glisser ses propres mots entre les lignes, en filigrane. livre.jpgLe premier « ouvre la porte », le second « installe une lumière tamisée ». Au final, quarante années de chansons vécues, habitées, « une moisson d’émotions », écrit le chanteur en avant-propos de cette première biographie.      
   
Quelque cent cinquante pages sous couverture souple déclinées en sept chapitres chronologiques (L’Enfant-poète, 1949-1965 ; Premiers pas dans la lumière, 1966-1971 ; Virages, 1972-1975 ; Le Soleil sur l’agenda, 1976-1984 ; La Langue de chez nous, 1985-1997 ; À mi-chemin de l’existence, 1998-2002 ; Écrivain public, 1999-2012), après une brève mais sensible préface de Véronique Sanson (« Mon cher, tendrissime et bel Yves… »), soixante photos illustrant sa vie et sa carrière (auprès de gens de bonne compagnie : Brassens, Cabrel, Devos, Leclerc, Jonasz, Sanson, Souchon…), sa discographie, sa bibliographie… et divers documents et correspondances, dont un texte on ne peut plus éloquent de Renaud, remettant les pendules à l’heure sur la « profondeur de chant » de l’auteur-compositeur : 
   
Scene-2008.jpg

« Yves D. m’énerve parce que, quand je lis ses textes, j’entends une musique comme si ses mots étaient des notes, comme si ses phrases chantaient toutes seules. Avant, ça ne m’avait fait ça qu’avec Georges B., Charles T. ou quelques rares autres.
 
Mais plus haut que les citadelles
Plus solides et plus résistants
Sont les murs qu’ont bâti la haine
Et la peur dans le cœur des gens…
 
» Yves D. n’eût jamais écrit que ces vers-là qui sont du bois dont on fait les poètes, que je lui pardonnerais quand même de s’être fait décorer par quarante académiciens ! »

 
Autre document qui se passe de commentaire, la Fable pour Yves Duteil que lui adressa, manuscrite, Félix Leclerc en décembre 1981, à l’annonce de la disparition de Georges Brassens : « Après la mort du vieil ours / Les deux loups sont revenus de nuit en pleurant / Jusqu’à ce qu’ils aperçurent devant eux / Un ours jeune, à l’ouvrage / Alors, ils séchèrent leurs yeux. » C’est d’ailleurs d’une conversation avec et chez Félix Leclerc, en 1984, à l’île d’Orléans, que naquit La Langue de chez nous, en hommage, précise son auteur, « au combat de Félix pour la langue française au Québec ».
 
C’est une langue belle à l’autre bout du monde
Une bulle de France au nord d’un continent
Sertie dans un étau mais pourtant si féconde
Enfermée dans les glaces au sommet d’un volcan…
     

 
En ouverture de ce beau livre (dans tous les sens du terme), un « Abécédaire intime » proposant des mots à la résonance particulière chez Yves Duteil, des mots qui font écho, note Alain Wodrascka, « pour tenter d’approcher encore plus l’homme et l’artiste », l’un et l’autre épris d’authenticité. Voici, par exemple, ce que la francophonie inspire à Yves Duteil : « Deux cents millions d’âmes dans le monde ont le français en partage, et trouvent leurs mots sur le bout de notre langue. Nous sommes une grande famille reliée par un petit dictionnaire, et nous entendons résister à la loi du plus fort en glissant le pied dans toutes les portes entrebâillées du cinéma, de la littérature, de la technologie, de l’humanitaire, de l’espace, des transports, de l’informatique, de l’extrême, du sport ou de la musique... Si le français remporte parfois plus de revers que de médailles, il récoltera peut-être demain davantage de roses que d’épines, et nos succès en médecine ou en recherche fondamentale n’ont rien à envier à quiconque. Notre langue est le sommelier du monde, et distille son talent dans tous les palais de la planète. Le français n’est pas un Goncourt de circonstances, et sa poésie ne joue pas petit bras face aux géants culturels. Comme le battement d’ailes d’un papillon, un claquement de langue peut encore soulever des déferlantes de talent sur les cultures au bout du monde. »
 
Portrait.jpg
 
Merci, cher Yves, pour ces bons mots qui viennent réconforter les amoureux de la langue de Molière, accablés au quotidien par les maux qui l’assaillent urbi et orbi ; une langue dont la chanson (du moins celle qui résiste, car il en est une autre qui cède chaque jour davantage à l’anglomanie galopante) reste le vecteur principal. Merci… et bravo pour toutes ces formules (« Le français n’est pas un Goncourt de circonstances », j’adore !), en particulier celle-ci, des plus goûteuse et savoureuse, à resservir en toute occasion : « Notre langue est le sommelier du monde et distille son talent dans tous les palais de la planète. »
 
   
Côté défense et illustration de la francophonie, l’homme en connaît un rayon. Mais il excelle aussi en bien d’autres exercices, comme le note encore, « énervé », le chanteur énervant : « Yves D. m’énerve parce qu’il écrit pour sa femme de bien jolis mots d’amour que j’aimerais dire à ma gonzesse, compose pour sa fille des chansons que j’aimerais chanter à ma môme, des chansons sur l’amitié qui plairaient à mes potes, des chansons un peu mélancoliques sur l’enfance qui rouvrent des blessures dans Chorus39mon cœur d’adulte et qui me rappellent que “la mélancolie c’est le bonheur des tristes”, dixit Desproges. Yves D. m’énerve parce qu’avec son air de ne pas y toucher il chante l’essentiel : l’Amour et la Liberté et l’amour de la liberté. »
 
         
Un art pratiqué au long cours, quarante ans passés à remettre sur le métier son bel ouvrage, puisque son premier 45 tours, notait notre regretté Jean Théfaine en chapeau d’introduction du dossier Duteil de Chorus (n° 39, printemps 2002), date de 1972. « Depuis longtemps, écrivait-il, le Pierrot dansant de Tarentelle a franchi le petit pont de bois qui le fit connaître en 1977, au point de l’avoir adoubé baladin à vie. Cette image-là, l’auteur de La Langue de chez nous ne la renie pas, bien sûr mais il aimerait que certains la révisent. Par exemple les programmateurs radio et TV qui l’ont rangé dans le placard des artisans à l’ancienne, donc hors des alchimies sonores de notre temps. “Il n’y a dans mes chansons / Ni messie ni message / Certains esprits grognons / Trouvent que c’est dommage”, convient l’intéressé lui-même dans l’un de ses textes. Le drapeau noir, c’est un fait, ne flotte pas souvent sur sa marmite, mais, coups de cœur et coups de gueule ne manquent pas pour autant à son répertoire.  
  

» Fils spirituel de Georges Brassens, Félix Leclerc et Vinicius de Moraes, Yves Duteil y met simplement sa forme à lui, élégamment impressionniste, pudique et courtoise. Détricotant à sa façon douce des Blessures d’enfance sur lesquelles il ne s’étend que de façon allusive, mais dont on devine qu’elles l’ont marqué à jamais. Souvenirs furtifs et feutrés qui voilent parfois d’une étonnante mélancolie son regard d’humain rassurant. »
 
avec-Jean-copie-1.jpg
 
En fin analyste (ou simplement en être humain doué d’empathie), Jean Théfaine livrait ainsi les clés de l’homme et de l’œuvre… Pudeur et mélancolie. Ce qui n’empêchait pas l’intéressé de se confier comme jamais ou presque dans ce long entretien à Chorus, explicitement intitulé « Les choses qu’on ne dit pas » (titre qu’il donnera quatre ans plus tard à un ouvrage épistolaire adressé à ceux qui lui sont chers, de Barbara à Véronique Sanson en passant par les anonymes qui ont croisé sa route, mais aussi à des entités comme la Terre, la politique, le métier de chanteur…). Par exemple à propos d’Alfred Dreyfus, dont on avait appris cinq ans plus tôt (album Touché, 1997) qu’il en était un arrière-petit-neveu : « Au bras de ma tante, nièce de Dreyfus, et au milieu de ma famille, j’ai vécu l’hommage qui était rendu par l’armée à mon arrière-grand-oncle dans la cour de l’École militaire. Ça a été un moment inoubliable. […] À cet instant, j’ai eu conscience, à travers ma chanson, d’avoir été un maillon supplémentaire de la grande chaîne qui a amené l’État puis l’armée à réagir. L’armée en organisant une cérémonie. L’État, par une lettre du président de la République aux familles de Dreyfus et de Zola (dont le J’accuse reste un très grand moment de la conscience humaine), dans laquelle hommage était rendu à la dignité, au courage de ces hommes et de leur combat. »
 
     
Ce dossier est paru à l’époque du douzième album studio (original) de l’artiste, Sans attendre. Ont suivi (Fra)Agiles en 2008, puis Flagrant délice, le 5 novembre dernier. Un vingtième opus (en comptant un disque studio de duos, Entre elles et moi, et cinq en public), annoncé dans le livre par une sélection, manuscrite, de ses chansons. Onze au total (Naître, Flagrant délice, Et si la clé était ailleurs ?..., Le Souffle court, Mon tout et mon contraire, Secrets de famille, Le temps presse, Je t’MMS, La Chanson des Justes, Ma grammaire de l’impossible, Le Trésor de l’arc-en-ciel) ; onze chansons et un instrumental, L’Âme de fond. Un album au climat exclusivement acoustique, conçu comme un « journal intime de notre époque contradictoire, pétrie d’incertitudes et jalonnée d’espérances », interprété de cette voix tendre qu’on lui connaît, CD.jpget surtout, surtout, superbement écrit – j’en connais un que ça va encore énerver ! Un recueil de paroles et de musiques à conjuguer à tous les temps :

Pour ma grammaire de l’impossible
J’ai choisi d’écrire le meilleur
Mais sans rien occulter du pire
Ni les larmes, ni la douleur

Et je rêve à la couverture
Du grand livre de l’avenir
Aux chapitres de l’aventure
Qu’il nous reste encore à écrire…
 

Félix Leclerc, dont Yves Duteil reste si proche dans l’esprit et la manière (voir la vidéo de notre hommage conjoint à Roger Gicquel et Félix Leclerc), se définissait lui-même, d’abord et avant tout, comme un homme qui chante. Juste un homme… et sûrement pas une star, comme n’importe qui aujourd’hui passant à la télé-anti-réalité, au grand dam (pour rire) de cette grande dame (grande âme ?) qu’est Anne Sylvestre (voir sujet précédent)… dont le prochain album s’intitulera Juste une femme. S’il fallait de même définir l’auteur de La Chanson des Justes (« Dans ce voyage infernal / Où tant d’âmes ont sombré / Celui qui sauve une étoile / Éclaire l’univers tout entier… »), en trois ou quatre mots seulement, ne cherchez pas, ils sont tout trouvés. Yves Duteil ? Juste… quelqu’un de bien.

   
Yves Duteil – La Chanson des Justes
_________
• Pour toutes précisions sur le livre (Éditions de L’Archipel), sur le disque, Flagrant délice (Prod. Les Éditions de l’Écritoire, distr. Rue Stendhal) et sur les concerts, rendez-vous sur « Le Blog à Part » d’Yves Duteil.      
 
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23 mars 2013 6 23 /03 /mars /2013 12:41
Livre.jpgEt elle chante encore ?

Riche « de quelque quatre-vingts interviews inédites, de proches, de collaborateurs, de journalistes ou de chanteuses et chanteurs », cette première biographie d’Anne Sylvestre, précise son auteur, « a bénéficié de la participation active de l’artiste elle-même, qui a largement abordé sa carrière et sa vie privée (y compris les périodes douloureuses de l’enfance et de l’adolescence), offrant au lecteur autant de clefs pour mieux comprendre et apprécier ses chansons ».
 
L’auteur ? Daniel Pantchenko. Ancien titulaire de la rubrique chanson à L’Humanité, dans les années 70 et 80, puis membre du comité de rédaction de Chorus (Les Cahiers de la chanson), dans les années 90 et 2000, c’est à lui qu’en accord avec la veuve de Marc Robine je confiai après la mort de celui-ci la tâche d’aller au bout de la biographie de référence que notre regretté ami (voir « Le Colporteur de chansons ») – dont j’avais déjà eu le bonheur de publier les livres sur Francis Cabrel (1987), Julien Clerc (1988) et Jacques Brel (1998) – était en train d’écrire sur Charles Aznavour. Cscene-95omplété et achevé de belle façon, l’ouvrage, sous-titré Le Destin apprivoisé, parut en 2006, coédité par Chorus et Fayard et donc cosigné Marc Robine, de façon posthume, et Daniel Pantchenko. C’est encore à celui-ci que je proposai ensuite, en ma qualité de directeur du « Département chanson » Chorus/Fayard, de s’attaquer à la bio de Jean Ferrat que j’avais moi-même longtemps espéré écrire, mais à quatre mains, avec l’artiste, avant d’y renoncer définitivement du fait de sa volonté, réaffirmée au fil des ans (pour des raisons toutes personnelles), de ne jamais participer à aucun livre le concernant. « Non, je n’ai pas changé d'avis, me disait-il, sourire aux lèvres, à chacune de nos rencontres. Oui, tu peux écrire ce livre, non je n'y participerai pas... » Ce sera donc Daniel Pantchenko qui s’y collera, avec autant de bonheur que de talent, et l’ouvrage, écrit du vivant de l’artiste, Jean Ferrat, Je ne chante pas pour passer le temps, paraîtra en octobre 2010, sans que l’intéressé, hélas, ait pu en prendre connaissance.

 
Cette fois, Daniel Pantchenko a donc bénéficié de la collaboration de l’artiste monographiée. L’artiste ? Un des grands noms de l’histoire de la chanson française et pourtant l’une des chanteuses les plus méconnues du grand public et surtout les plus oubliées des grands médias… Arrêt sur image. Fin des années 70 : c’est depuis Djibouti, où je contribuais (à ma très modeste mesure) à la naissance d’une nation (mais de façon très résolue à la lutte contre les mutilations sexuelles féminines, en particulier l’inconcevable, si barbare et ô combien meurtrière infibulation, pratiquée dans la Corne de l’Afrique), que je pris contact pour la première fois, par correspondance, avec Anne Sylvestre. Objectif : lui consacrer le premier dossier et donc la couverture du mensuel de chanson francophone que « ma chère et tendre » (comme l’a chanté si joliment Henri Salvador) et moi-même avions décidé de créer à notre retour en France, Paroles et Musique.

scene-80-PM.jpg

En mai 1980, la grande dame me recevait chez elle, à Paris. Elle avait récemment sorti son treizième opus studio, superbe album au demeurant (J’ai de bonnes nouvelles, Je cherche mon chemin, Douce maison, La Faute à Ève…). Au début, notre conversation tourna logiquement autour des difficultés pour une femme, qui écrit et compose elle-même, à s’imposer dans le métier scene-90et dans les médias. « Je ne sais pas si j’ai eu plus de difficultés qu’un homme, nous confia-t-elle d’abord, mais tout ce que je sais, c’est qu’en vingt-deux ans de carrière, je n’ai pas eu une seule fois une émission en vedette, je n’ai pas eu une seule fois une couverture de magazine... »


Stupéfaction de ma part : ainsi, la Une du n° 1 de Paroles et Musique, à paraître le mois suivant, constituerait sa toute première couverture de magazine ! Alors que ses débuts scéniques remontaient à 1957, à la Colombe, à peu près à la même époque que Barbara, Béart, Ferrat ou Perret, suivis d’un premier album (Mon mari est parti, Porteuse d’eau, Les Cathédrales…) dès 1961. Vingt-trois ans exactement et tant de chefs-d’œuvre (T’en souviens-tu la Seine, Lazare et Cécile, Mousse, Aveu, Maumariée, Des fleurs pour Gabrielle, Les Pierres dans mon jardin, Non tu n’as pas de nom, Un mur pour pleurer, Une sorcière comme les autres, Clémence en vacances, Les gens qui doutent…) avant de se retrouver, enfin, en couverture d’un magazine national ! Incroyable et pourtant vrai. Cela avait été d’une telle évidence pour nous… Surtout qu’en figure de proue de notre mensuel, nous tenions à une femme (ACI, bien sûr), pour incarner d’autant mieux cet art féminin, résultante de l’union amoureuse de paroles et d’une musique, qu’on nomme chanson.


Portrait-2005.jpg

Ce jour de notre première rencontre, la grande dame parla vrai, comme toujours, franche et directe, sans faux-semblants et sans crainte du qu’en dira-t-on : « Sachant que je fais quand même quelque chose d’important – la fausse modestie, je trouve ça imbécile – et que mes chansons ont un niveau assez élevé, je suppose en effet que le fait d’être femme, et pas conforme, s’est avéré bien ennuyeux… » Et Anne Sylvestre de conclure à ce sujet : « Il est sûr que, normalement, j’aurais dû être connue beaucoup plus vite, mais je n’ai pas choisi la route la plus facile… Je n’ai pas montré mon cul. Ni au sens propre ni au sens figuré. Je n’étais pas cette jeune fille gentille qui aurait dit ce qu’on avait envie qu’elle dise. Non, j’avais envie de dire ce que, moi, je voulais ! »  
 avec-Marc.jpg

Cela se passait il y a exactement… trente-trois ans ! Et depuis ? Rien ou presque n’a changé dans le regard du métier et des médias, sur la plus grande ACI française de l’histoire contemporaine avec Barbara… Nous en parlons en connaissance de cause, après l’avoir accompagnée tout ce temps sans jamais lui faire défaut : après la décennie Paroles et Musique, citons seulement deux autres dossiers importants dans Chorus (le premier, en 1998, écrit par Daniel Pantchenko et Marc Legras, le second en 2005, par ce dernier – voir notre photo ci-dessus) et une dernière rencontre (cette fois avec Michel Trihoreau) à l’occasion de son « Jubilé plein d’avenir », fin 2008. Non, quasiment rien n’a changé… si ce n’est une dizaine d’albums studio de plus et des centaines, voire des milliers de spectacles supplémentaires, où la chanteuse a continué, en toute liberté et en parfaite indépendance – ce qui n’est certes pas « la route la plus facile » – de dire et de faire ce qu’elle voulait, et rien que cela. Par exemple une création très originale, Gémeaux croisées, en 1988 avec la Québécoise Pauline Julien. Ou une autre, beaucoup plus récente, dont nous eûmes la primeur au festival Alors… Chante ! 2012 de Montauban, Carré de dames, en compagnie cette fois d’Agnès Bihl – Anne étant très proche des artistes des nouvelles générations, qui reprennent d’ailleurs de plus en plus son répertoire et revendiquent volontiers son héritage chansonnier.
 

Cette première vraie biographie, parue le 24 octobre dernier, vient donc combler enfin – cinquante-cinq ans après les débuts de l’intéressée – une lacune abyssale dans l’édition française. Un « Préambule familial » (qui évoque l’histoire singulière de son père, collaborateur durant la Seconde Guerre mondiale, adjoint de Doriot, qui échappera à la peine capitale mais passera huit ans en prison), suivi de vingt-six chapitres chronologiques en quatre parties (De la Demi-Lune à la mer, De la rive gauche aux Capucines, L’Indépendance, Re-naissance) et, en annexes, d’une discographie intégrale, pour adultes et jeune public (notamment avec les fameuses Fabulettes, nées en 45 tours dès 1962 !) ; le tout écrit à l’encre sympathique. Oui, Anne Sylvestre chante encore, toujours aussi bien et toujours aussi juste, dans tous les sens du terme. Et tant que la « Carcasse » (quelle chanson extraordinaire !) le permettra, elle continuera de chanter encore et encore. La preuve avec son nouveau spectacle, qu’elle créera le 15 mai prochain au Casino de Paris, après un nouvel album (à paraître le 22 avril). Son vingt-deuxième opus studio, six ans après le précédent, Bye mélanco (2007), et cinq ans après Son jubilé en public (2008) pour célébrer son demi-siècle de chanson…
 
 
Dix nouvelles chansons à l’affiche : Malentendu, Violette, L’Habitant du château, Des calamars à l’harmonica (pendant l’enregistrement de laquelle, le 15 février dernier, a été tournée la vidéo ci-dessus), La Lettre d’adieu, Pelouse au repos, Pour un portrait de moi, Le P’tit sac à dos, Je n’ai pas dit… et celle qui donnera son titre au disque comme au spectacle, Juste une femme. En 1977, Jacques Brel disait : « Tu n’es pas le bon Dieu / Toi tu es beaucoup mieux / Tu es un homme. » Avec humour et autodérision, depuis 1985 (et son album Écrire pour ne pas mourir), Anne Sylvestre chante Trop tard pour être une star. Peut-être, mais qu’importe ? Non contente d’être l’un des principaux artisans de la chanson vivante de ces six dernières décennies, elle aura été bien plus et bien mieux qu’une star, bien moins éphémère et tellement plus authentique qu’une image en toc renvoyée par des miroirs aux alouettes : une femme, juste une femme… qui, pour notre bonheur, chante encore !


• Toutes précisions sur le livre (Fayard, 476 pages + cahier photos noir et blanc de 16 pages), le disque (Prod. Sylvestre/EPM-Universal) et les concerts sur le site d’Anne Sylvestre.
NB. Il nous reste quelques exemplaires collectors des deux numéros de Chorus comportant un dossier consacré à Anne Sylvestre, le premier (n° 24, été 98) abondamment illustré, sur 24 pages, de photos d’actualité et d’archives (biographie, œuvre, interview, repères, discographie…) et le second (n° 52, été 2005) réactualisant le premier avec douze pages d’entretien exclusif pour l’essentiel. Si intéressé(e), nous contacter ici.


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19 mars 2013 2 19 /03 /mars /2013 15:13
La fête à la chanchon
     
Le bougre est coutumier du fait. Un coup, il nous propose Garyun CD-livre, un autre c’est un livre-CD. Sa dernière parution, qui date de la fin du premier semestre 2012, relève plutôt de la seconde catégorie. Si un CD y est discrètement glissé sous le rabat de la quatrième de couverture, c’est bien un livre, en effet, qu’on tient entre ses mains et qu’on a d’autant plus plaisir à feuilleter qu’il faut préalablement en découper les feuilles, à l’ancienne... Le tout, précise son auteur, forme « un genre d’essai, une sorte de petite anthologie sauvage de la chanson ». Dans mon café littéraire, j’appelle aujourd’hui Ponchon et Cie
 
Son premier album, un 33 tours 30 cm autoproduit, remonte à 1983, il y a exactement trente ans ! Ne cherchez pas, il fait désormais partie des Archives introuvables de la chanson française ; d’ailleurs il ne s’agissait pas encore de Rémo Gary, mais de Rémi Garraud, chanteur frais émoulu de la campagne franc-comtoise, tout comme les deux albums suivants, une cassette en 1989 et un premier CD en 1991. Rémo Gary, disciple de Jean Richepin, proche parent spirituel d’un Jacques Bertin ou d’une Michèle Bernard, ami des poètes, naît en 1996. Coïncidence, les fonts baptismaux sont avancés par un journaliste de Chorus, Noël Balen, qui a fondé son propre label de production, Moby Dick. C’est L’Appel du petit large
 
 
Et comme l’intéressé a « de la fuite dans les idées », cet appel se concrétisera par un nouvel album tous les deux ou trois ans, jusqu’à un mémorable livre-disque en 2010, La Lune entre les dents, remarqué ici comme il convenait. Après une jolie « récréation » à l’attention plus spéciale du jeune public, Jeter l’encre (2011), sous forme de CD-livre (épais et intelligent comme un titre de la collection originale « Poésie et Chansons » de chez Seghers), voici donc que notre trentenaire de la chanson nous convie à un festin de mots, en 190 pages, chez Ponchon et Cie. « Voilà que je suis arrivé au bout d’une aventure qui me tenait à cœur, m’écrivait l’intéressé à sa parution. C’est un livre-disque à ouvrir au couteau de cuisine, page après page. J’ai rassemblé des écritures que j’aime et des gens qui m’ont transformé peu à peu en chanteur (il en manque forcément beaucoup). » Des gens trop nombreux pour être tous cités ici… « Avec des textes écrits par des camarades, des amis, des collègues, des voisins, des parents, qui ont planché sur la question suivante : “Est-ce que cet objet artistique nommé chanson peut servir aujourd’hui à un peu d’émancipation ? Et comment ?” »
 
De qui, ces textes sur la chanson aux titres éloquents (« Engagée à perpétuité », « Chassée de la culture », « L’Engagement en chanson », « C’est tout ce que tu sais faire ! », « Quand la voie est dégagée, la chanson peut s’engager »…) ? Pour ne citer que des collègues siens, ils sont l’œuvre de Jacques Bertin, Michel Bühler, Pierre Delorme, Dominique Grange, Nicolas Jules, Hélène Martin, Sarcloret, Francesca Solleville… Et chacun, précise Rémo, « a répondu comme il l’entendait. Tant mieux ! Il ne faut pas trop répondre à ce qu’on nous demande ! » C’est donc aussi « un genre d’essai » sur la chanson, mais sans fil conducteur, comme une balade improvisée sur des sentiers de traverse, où l’on n’est pas à l’abri de coups de pied au cœur…
   
 
En fait, pour qui s’attache au de près au parcours de l’artiste, cet ouvrage était déjà annoncé par La Lune entre les dents, à l’identique présentation (format 200 x 134 mm, papier bouffant, feuilles à découper incluses), dont le dernier texte, signé Rémo Gary (sur lequel Jeanne Garraud allait déposer une musique), s’intitulait tout simplement Chez Ponchon !
 
On choisit pas son camp, moitié Jacques Lapointe
Moitié Boby Lacan. Je y va sur les pointes
Moi à califourchon, chez Ponchon

Pourquoi chercher ailleurs, dans quelle œuvre concave
Aucun autre gouailleur ne se tint mieux en cave
En poussant la chanchon, que Ponchon

Devant vous je prends acte, en levant haut mon verre
Qu’à mon futur compact, qu’à mon prochain bréviaire
Je ferai mon mâchon, de Ponchon…
… Sauf si les p’tits cochons…
 
Rémo Gary – Chez Ponchon
   
Eh bien, non, ceux-ci n’ont pas fait ripaille de notre rimailleur. Et c’est une chance pour nous, car, cochon qui s’en dédie, chez Ponchon, c’est fête à la chanson : aux contributions textuelles des auteurs cités plus haut s’ajoutent en effet dix-neuf chansons reprises et interprétées par Rémo Gary sur le CD joint. « J’ai revêtu l’habit de l’interprète, une fois n’est pas “costume” ! Un peu de tout et pas du tout de rien… Sans chronologie, sans ordre, sans hiérarchie, sans préférences, sans préséance. Comme ça, au plaisir des choses. » De qui ces « choses », paroles et/ou musiques ? De Ponchon, bien sûr… et compagnie ; autrement dit, excusez du peu, de Louis Aragon, Michèle Bernard, Jacques Bertin, Eugène Bizeau, Frédéric Bobin, Gaston Couté, Yvan Dautin, Théodore de Banville, Richard Desjardins, Robert Desnos, Jacques Douai, Jeanne Garraud, Jean Genet, Victor Hugo, Paco Ibañez et Gabriel Celaya (en espagnol dans le texte : La poesia es un arma cargada de futuro…), Jules Jouy, Lino Léonardi, Allain Leprest, Hélène Martin, Paul Meslet, Gérard Pierron, Francis Poulenc, Jean Richepin…        
      scene.jpg
Pourquoi Ponchon et Cie, au fait ? « Pour célébrer la poésie. Grâce à Raoul Ponchon. C’est le plus beau prétexte, explique notre homme, que j’ai trouvé pour me lancer dans cette affaire. Magnifique poète, grand copain de mon “arrière-grand-père de chevet”, Jean Richepin qui disait : “Nous sommes copains comme Ponchon.” Il fut un grand chansonnier et ne voulut pas être publié de son vivant. Il y a donc aussi un peu de Ponchon dans ce livre-disque. » De la musique (poétique) avant toute chose, avec de l’humour, de la tendresse… et puis de la révolte, comme ici avec Aragon et Léonardi.
 
Rémo Gary – Je proteste
 
Avec un peu de Leprest aussi, via le titre placé à la coda du CD (enregistré, composé et arrangé par Clélia Bressat-Blum, Joël Clément, Nathalie Fortin, Jeanne Garraud, Frédéric Bobin, Jean-François Bidet, Alain Pilon et Mikael Cointepas) : Le Sculpteur et le Cerisier, sur une musique de Gérard Pierron. Allain Leprest, l’Albatros aux deux ailes, qui sera de nouveau à l’affiche de son prochain album (l’enregistrement doit avoir lieu en avril), mais cette fois sous forme d’hommage. Une exception chez Rémo Gary qui  m’avoue : « Je me méfie des hommages… Mais j’ai tenu à faire celui-là, à ma façon », et qui en offre aujourd’hui la primeur du texte (la musique sera de Clélia Bressat-Blum) aux lecteurs et lectrices de Si ça vous chante – merci Rémo !
     
COMME UN LUNDI
Ça s’est passé un dimanche
Il pleut, il pleut sur ma manche
Je suis plus vieux d’un copain
Qu’avait plus le goût du pain
Plus de goût pour le malheur
Plus beaucoup de ventre au cœur
Qu’avait plus de corps, ou presque
Je fais du Allain Lepresque

Quelque part après minuit
Il a bien plu sur mes nuits
Je l’ai appris au matin
Il avait bu son bulletin
De naissance, comme on dit
J’ai pissé tout mon lundi
Du chagrin crocodilesque
Je fais du Allain Lepresque

Écoutez frères humains
La pluie me tombe des mains
Je suis plus vieux d’un Villon
Qui abreuvait mon sillon
Et ses chansons à la mer
Sont belles, comme Outremer
Sont les révoltes arabesques
Je fais du Allain Lepresque

Dis-le pas, c’est défendu
Je suis plus vieux d’un pendu
La pluie quand ça pleut beaucoup
Ça vous rentre dans le cou
Arthur aurait pu le dire
Le temps, pour les dépendire
Est abracadabrantesque
Je fais du Allain Lepresque

Ça s’est passé un dimanche
Il m’a tant plu sur la manche
D’un chanteur je suis plus vieux
Ça m’occupe encore les yeux
Ça sert à rien mais depuis
Je chante comme un lundi
Et je me demande est-ce que
Je fais du Allain Lepresque

On n’a pas le choix des larmes
Changeons le chagrin en armes
Chantons, va ça séchera
Mouchons-nous dans des grands draps
Nous qu’on n’est pas déjà mort
Pour nos amours, nos amor
J’inverse, c’est pas malin
Faisons du Lepresque Allain

(Rémo Gary, 2013)
 
Pour mémoire, voici ce que j’écrivais sur Rémo Gary dans mon compte rendu du festival de Tadoussac en juin 2009. Je me permets de m’autociter pour de bonnes raisons : d’abord parce que c’était la première apparition du chanteur au Québec ; ensuite parce que cet article aurait dû paraître dans le n° 69 (automne 2009), à jamais mort-né, de Chorus ; enfin parce que son tour de chant, donné devant des spectateurs qui, ce jour-là, le découvraient pour la plupart, s’acheva par une standing ovation, comme on dit en français de France…
 

« … Rémo Gary dont c’était la première venue au Québec. Accompagnée de sa pianiste Clélia Bressat-Blum, sans autre artifice de scène qu’un répertoire exceptionnel qu’il investit et incarne intensément, il a charrié un torrent de haute poésie qui, après un moment de surprise et d’adaptation nécessaire, a déchaîné l’enthousiasme du public. Ovation debout saluant la performance de l’interprète de chansons au long cours (notamment la version intégrale des Oiseaux de passage de Richepin, sur la musique de Brassens), l’inspiration de l’auteur (Les Pieds de singe, extraordinaire inventaire de plus de dix minutes du rôle des doigts et des mains !) autant que la richesse globale du répertoire, d’émotion, d’érotisme et d’humanité à fleur de peau. Dans l’assistance, un couple d’abonnés de Chorus venus spécialement de Montréal pour assister à cette prestation du Franc-Comtois… Rebelotte le lendemain à 20 heures, puis quelques jours plus tard à Québec grâce à Pierre Jobin et… Aux oiseaux de passage, son réseau d’amoureux de la chanson ; enfin à Montréal où, comme le dit la chanson, Rémo Gary reviendra tôt ou tard armé de sa poésie chargée de futur. »
 
Un futur, notez-le déjà dans vos tablettes (ou mieux, réservez sans tarder), qui passera, c’est sûr, par le Théâtre de Bourg-en-Bresse, dans l’Ain (« le zéro-un ! », me dit Rémo), le dimanche 13 octobre 2013. L’artiste y sera le maître d’œuvre d’une grande fête de la chanson et de la parole. Rien qu’à l’idée, j’en jubile déjà. D’ailleurs, cela s’appellera La Jubilation
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• Contacts (livres, disques et spectacles) : Rémo Gary, 278 route de Salles, 01250 Tossiat (site de l’artiste) ; Jean-Pierre Huguet Editeur, Le Pré Battoir, 42220 Saint-Julien-Molin-Molette (site de l’éditeur).
 
 
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