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  • : SI ÇA VOUS CHANTE (le blog de Fred Hidalgo)
  • : Parce que c’est un art populaire entre tous, qui touche à la vie de chacun et appartient à la mémoire collective, la chanson constitue le meilleur reflet de l’air du temps : via son histoire (qui « est la même que la nôtre », chantait Charles Trenet) et son actualité, ce blog destiné surtout à illustrer et promouvoir la chanson de l’espace francophone ne se fixera donc aucune limite…
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  • Fred Hidalgo
  • Journaliste depuis 1971, créateur de plusieurs journaux dont le mensuel « Paroles et Musique » (1980-1990) et la revue « Chorus » (1992-2009). Editeur depuis 1984 et créateur en 2003 du « Département chanson » chez Fayard.
  • Journaliste depuis 1971, créateur de plusieurs journaux dont le mensuel « Paroles et Musique » (1980-1990) et la revue « Chorus » (1992-2009). Editeur depuis 1984 et créateur en 2003 du « Département chanson » chez Fayard.

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17 mars 2013 7 17 /03 /mars /2013 11:25
La chanson est une clé à molette
  
C’est un « essai », du moins l’ouvrage se présente-t-il ainsi, mais c’est surtout un coup de maître. Un essai sur la chanson francophone, signé Michel Bühler – l’un des grands auteurs-compositeurs-interprètes de Suisse romande, « cousin » de François Béranger et de Gilles Vigneault –, qui met à plat les problématiques auxquelles se heurte actuellement cet art millénaire et réussit à la fois le prodige (le tour de passe-passe ?) de se montrer (raisonnablement) optimiste quant à son devenir. Malgré ce constat : « Être en rébellion aujourd’hui, chez nous, c’est chanter en français. »
 Buhler.jpg
  
Format poche (240 pages), comme pour montrer le côté « portatif » de la chanson, exclusif de cet enfant de l’amour entre des paroles et une musique, ainsi que l’explique l’auteur : « La chanson, c’est le PPPC, le Plus Petit Produit Culturel ! En trois minutes, en quelques couplets, quelques refrains, vous avez une histoire, un roman, un film entier !  Que l’on pense à La Mère à Titi de Renaud : tout est là, le décor, la vie quotidienne, la banlieue, les rapports entre les personnages ! Que Jacques Brel chante son Plat pays, vous voyez défiler devant vous mieux que tous les documentaires sur la Belgique ! Avec la poésie et les frissons en plus. Écoutez La Pinte vaudoise ou La Partie de Cave de Jean Villard-Gilles, c’est tout le canton de Vaud, c’est toute l’âme vaudoise qui est là, ce sont les vignes pentues du Lavaux, et la lune qui “se reflète au profond de l’eau qui dort”….
 
  
» Contrairement à tous les autres produits culturels, la chanson peut vivre sans support. Pour remplir son rôle, le cinéma a besoin d’un écran et d’un projecteur, ou au moins d’un DVD et d’un lecteur. La littérature n’existe pas sans papier, sans ordinateur ; la peinture nécessite une toile, la sculpture, un morceau de pierre ou de ferraille… La chanson ? Infiniment portable et pratique, elle se moque de ces béquilles. Vous pouvez la mettre au fond de votre mémoire, l’emmener partout, et la faire renaître au moment que vous choisirez ! Elle n’encombrera pas vos bagages, elle ne fera sonner aucun portillon de sécurité, et vous pourrez, sans risquer la moindre question, passer tranquillement avec elle devant les douaniers les plus suspicieux ! C’est l’objet d’art idéal. On ne le répétera jamais assez. »

Trois « couplets », proposant une vingtaine de mini-chapitres chacun (suivis d’annexes sur le métier) composent cet hymne bühlérien, véritable déclaration d’amour à la chanson… considérée comme « une clé à molette » ! Pourquoi ce titre si étrange, au fait ? Parce « tout dépend de l’usage qu’on en fait », écrit Michel. Simple outil pour un garagiste ou un menuisier, une clé à molette peut en effet devenir une arme mortelle entre les mains d’un assassin… À partir de là, extrapole l’auteur, « à partir de la radio et du disque, à partir du moment où la chanson a pu être diffusée largement, à partir surtout de l’instant où elle a pu rapporter gros, elle a été kidnappée par le marché, et s’est transformée en produit commercial. Et tout a changé pour elle ».
 Portrait
  
Les temps changent, chantait Bob Dylan, dès 1964. En l’espace d’un demi-siècle, tout est allé très vite. Au début des années 70, rappelle Bühler, régnait la multiculturalité. « Chaque pays, chaque région, avec sa langue et son génie propre, apportait sa pierre à l’édifice. Pas de mouvement centralisé, non, pas d’hégémonie d’une culture sur les autres, toutes étaient les bienvenues, toutes étaient invitées à participer à un foisonnement créatif extraordinaire. On entendait Dylan et Joan Baez, Vigneault, Leclerc, les Chiliens, les Cubains, les Portugais, les Catalans, les Wallons. En France, on chantait en occitan, en breton, en alsacien… Dans ce contexte, il était tout naturel qu’on revendique son appartenance à la Suisse romande pour écrire ses chansons, parler d’ici. C’est ce qu’a fait une génération d’auteurs-compositeurs qui affichaient tranquillement leur origine valaisanne, jurassienne, fribourgeoise, vaudoise. J’étais de ceux-là. » Parmi eux, ceux de la génération « parrainée » par le grand Jean Villard-Gilles, il y avait Pascal Auberson, Michel Buzzi, Henri Dès, Jean-Pierre Huser, Gaston Schaeffer, Sarcloret, Dominique Scheder, Yvette Théraulaz…
 
Et puis, avec le temps, cette belle diversité a été battue en brèche, en Suisse romande comme partout ailleurs, par le marketing agressif de l’oncle Sam ; ce que Michel Bühler nomme « le trop de présence » : « Le problème, souligne-t-il, c’est que ce qui vient d’Outre-Atlantique ne se comporte pas comme un invité poli, que l’on accueille, chez soi, à qui on demande, curieux, qu’avons-nous à partager ? Non, pas de partage ! C’est la plupart du temps quelqu’un qui entre dans votre maison sans y avoir été invité, et qui vous dit : “Ôte-toi de là, que je m’y mette !” »
 
 
Et nous voilà ce soir… comme disait Brel. Avec un intrus dans la maison, qui vire tous les meubles et refait le décor à sa façon, toujours la même, sans se soucier des goûts, us et coutumes de ses habitants. Il reste pourtant « des raisons d’espérer », assure Bühler. « Les nouveaux outils de communication et de stockage », d’abord, qui, selon lui, « vont peut-être nous rendre un peu de liberté : Internet donne la possibilité à chacun d’aller choisir, sur toute la planète, les airs qui lui conviennent, sans être tributaires des goûts des programmateurs radio ; les iPods nous permettent d’emporter et de faire renaître partout les PPPCs qui nous plaisent ». Et puis et surtout le public, certes minoritaire mais toujours bien présent – car jamais le virtuel, même s’il prend le pas sur la « galaxie Gutenberg » (celle du livre… et du disque), ne pourra rivaliser avec le vivant. Le public du village d’à côté, tellement plus authentique que celui du village planétaire électronique prophétisé en son temps par McLuhan. Un public « fervent et heureux [qui] remplit à longueur d’année les petits lieux où l’on offre de la chanson belle. » Ce que Michel Trihoreau, dans un livre unique en son genre, à recommander encore et encore, urbi et orbi, nomme La Chanson de proximité
 

Sorti il y a plus d’un an, mais trop discrètement et seulement en Suisse, La Chanson est une clé à molette demande à être découvert et partagé dans toute la francophonie. Les livres de ce genre, depuis l’indispensable Chante toujours, tu m’intéresses, de Jacques Bertin (Le Seuil, 1981), se comptent en effet seulement sur les doigts des deux mains. Et encore... Il le demande d’autant plus que son auteur ne prétend pas détenir la vérité, n’ayant eu d’autre but que « de provoquer la réflexion ». Et « accessoirement » de montrer « que cet art de pauvres [est] un lieu de rencontre, de partage, porteur de mémoire, jamais innocent, capable de souder les foules, de réunir des amis... » C’est bien ce qui se passe ici (et maintenant), non ?
  
Pour le plaisir et parce qu’un disque, pas plus qu’un livre, ne se périme dans un temps donné (au contraire, souvent il se bonifie avec le temps) quand son auteur est un créateur-né, pas un faiseur opportuniste, voici ce que nous disions ici de son dernier album en public, paru en 2009.

• Voyageur, 21 titres, 75’06 (distr. France : EPM, Suisse : Disques Office). Enregistré au Théâtre de l’Échandole, à Yverdon (Suisse), du 23 au 26 septembre 2009, avec trois musiciens aux guitares, contrebasse, accordéon et bandonéon, Voyageur retrace Les Tribulations d’un chanteur en Suisse (et ailleurs dans le monde, au Kosovo, au Sahara, au Café arabe de Jésusalem… ou Rue de la Roquette), de son tout premier succès, Helvétiquement vôtre (1969), à plusieurs inédits de l’année. De la tendresse, de la poésie et de l’humour, que demander de plus ? La Simple histoire de quarante ans de carrière phonographique résumée en un seul album dont l’auteur (compositeur et interprète), malgré tout, malgré le temps qui passe et le monde tel qu’il est et se défait, s’efforce encore et toujours de croire en l’Homme : ouvert par une Berceuse pour un enfant qui vient, ce concert ne s’achève-t-il pas sous le signe de L’Espoir… ? Généreux et nécessaire Bubu ! (Voir ici, en complément d’info, une interview vidéo donnée à la Radio Télévision Suisse Romande à la sortie de cet album et du recueil On fait des chansons, imposant volume – près de 500 pages grand format, couverture cartonnée – de l’intégrale de ses chansons, textes et partitions).


Enfin, pour faire entièrement chorus avec le chanteur qui achève son livre sur ces mots : « Regardons l’avenir… », sachez que Michel Bühler vient tout juste de sortir son nouvel album studio, enregistré l’été dernier. Treize chansons (Les Ardéchois, Avignon, À la manif, Et voilà !, Je me bats, Cher Monsieur – en duo avec le Bel Hubert, La Chanson de Fernand, Actualités 2012, Petite berceuse, Tunis 2011, Zoologie, Le Polonais, Est-ce écrit ?), et un titre pour le résumer… et mettre le mot « fin » à ce sujet : Et voilà ! 
________
Contacts pour les disques – Suisse : Éditions du Crêt Papillon, CP 13, Rue de l'Industrie 1, CH-1450 Sainte-Croix (e-mail) ; site de l’artiste ; France : Edito Musique, Cristine Hudin, 33 av. Philippe Auguste, 75011 Paris (e-mail).
Contact pour le livre : Bernard Campiche Éditeur, Grand-Rue 26, CH-1350 Orbe (lien direct, avec critiques de journaux suisses).
 
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16 mars 2013 6 16 /03 /mars /2013 10:16
Quand le bateau est ivre,
 
qu’on a bu tous les livres…
 
 
Quelques jours encore et le Salon du Livre ouvrira ses portes à Paris. L’occasion, avant d’aller flâner dans la plus grande librairie de l’espace francophone, de vous convier à une petite visite guidée dans ma bibliothèque personnelle. Ou plutôt à prendre un verre – en toute simplicité et sans sacrifier aux diktats de l’actualité médiatique qui voudrait qu’un livre (ou un disque) n’ait qu’une durée de vie limitée – dans mon café littéraire…
 
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Ce blog, petit rappel à l’attention des nouveaux venus (bienvenue !), a été créé en novembre 2009 pour renouer le fil avec nos anciens lecteurs, ceux de « la revue de référence de la chanson française et de l’espace francophone » (non, ce n’est pas un pléonasme, puisque nous traitions aussi des langues régionales et vernaculaires) ; lecteurs et lectrices de Chorus, donc, parmi lesquels certains l’étaient déjà de Paroles et Musique quelque trente ans plus tôt – éloquente histoire de fidélité. Cela nous a permis de poursuivre notre action d’illustration et de promotion de la chanson vivante ; de faire encore et toujours chorus… Bref, comme le chantait le poète, de continuer à tenir « la lampe allumée ».
 
 
Et puis, avec le temps, si aucun nouveau journal, où que ce soit à travers la Francophonie, n’est parvenu (hélas !) à prendre la relève de cette revue qui fédérait toutes les parties composantes de la chanson vivante, sur la toile en revanche, les blogs et les sites se sont multipliés ; à commencer par ceux d’anciens membres de notre équipe. Dès lors, comme je l’expliquais ici l’été dernier (cf. « Le jardin extraordinaire »), Si ça vous chante a pris quelques distances avec le rôle que certains de ses visiteurs les plus assidus lui avaient implicitement assigné : celui de continuer à faire Chorus (avec un C majuscule) à lui tout seul. Impossible, en effet – même sur le Net –, à un seul individu de reproduire ce qui était le fruit d’un collectif de journalistes aux talents complémentaires, à l’affût permanent, sur le terrain, de la découverte et du meilleur de la création francophone.
 
 
C’est pourquoi ce simple trait d’union qu’a représenté Si ça vous chante au début, comme « un joli fil entre nos cœurs passé », est devenu à la fois un salon où l’on cause (à travers l’important groupe éponyme, sous-titré « La maison de la chanson vivante », relié à ce blog sur un « réseau social ») et un café littéraire (salut Allain !), aux cimaises duquel j’expose exclusivement, désormais, sans contrainte aucune ni obligation de résultat, des œuvres qui me touchent de plus ou moins près. « Mon café littéraire / Suivez l’itinéraire… »
   
 
Ainsi, à l’approche du Salon du livre, vais-je suggérer, en quelques sujets à suivre, une sélection toute subjective d’ouvrages biographiques ou thématiques sur la chanson. Et comme il n’est plus question de tenter de refaire Chorus, avec des critiques et des commentaires aussi pointus et nombreux que j’ai pu en proposer pendant deux bonnes années (voir notamment la rubrique « Disques »), je me restreindrai à l’information essentielle. Prenez cela, s’il vous plaît, comme une incitation à la découverte, une invitation au voyage – aux voyages, au pluriel, tels que présentés par leurs guides respectifs. Dans l’espoir que cela vous chante et que vous les commentiez à votre tour, histoire de les prolonger collectivement. « Au café littéraire / On a déjà les verres / Apportez l’écriture… »       
       
     
Dans l’espoir aussi, qui sait, de pouvoir susciter des vocations. « L’échanson de la chanson » (comme me qualifia un jour une bien aimable lectrice) en serait ravi, n’ayant d’autre ambition – mais est-il besoin de le rappeler, depuis le temps qu’on se fréquente ?! – que de jouer les passeurs… et si possible les ouvreurs. Comment disait Vasca déjà (qui va bientôt sortir son vingt-cinquième album) ? Ah oui : J’ouvre des portes ! « J’ouvre des portes sur les entrepôts de la nuit / Où s’entassent des rêves en transit / Toutes les brocantes de la solitude…. / J’ouvre des portes au bout du labyrinthe / Où l’on étouffait / Dans le purgatoire de vos silences / Dans l’enfer de vos futiles paroles… / J’ouvre des portes de secours / Des portes dans la marge / Juste à côté / À deux doigts / À quelques décibels de la rumeur quotidienne… »
 
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13 février 2013 3 13 /02 /février /2013 14:00
« Préserver sa liberté de pondre »
   
Il y aurait beaucoup à dire sur l’industrie phonographique, sur l’histoire et l’évolution des maisons de disques. Beaucoup à dire sur le formatage « culturel » dans la production et la médiatisation, accouchant d’éphémères « produits staristiques sans artistes » qui masquent la forêt (et la solitude) des chanteurs de fond. Beaucoup à dire aussi sur le déclin incessant de la francophonie non seulement dans le monde, faute d’une politique volontariste, mais dans le pays même de la langue de Brassens : ainsi, les Victoires de la Musique viennent-elles de franchir un nouveau seuil en consacrant « artiste féminine de l’année » une chanteuse (débutante) qui écrit et chante en anglais…
 
Oui, il y aurait beaucoup à dire, mais ayant moi-même déjà beaucoup écrit sur tout ceci, je préfère passer le témoin… en laissant ici la parole à Nilda Fernandez, gentilhomme s’il en est de la chanson vivante. Il vient en effet de signer une chronique sur le métier (récemment mise en ligne sur son site sous le titre « Prélude au retour vers l’artiste-producteur / La musique à celui qui la fait ») dont la pertinence, par les constats qu’elle dresse et les questions qu’elle soulève, lui mérite la diffusion la plus large. Et de susciter notamment chez ses pairs et les « professionnels de la profession » un dialogue constructif, en vue de nouveaux lendemains qui chantent… et restent à (ré)inventer.
 
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Je profite d’autre part de l’occasion pour remettre en mémoire, à la suite de ladite chronique, son dernier album, magnifique (sorti le 7 janvier 2010), mais passé inaperçu des grands médias. Peut-être, justement, parce qu’il est l’œuvre d’un « artiste-producteur » ?... En tout cas, parce qu’il le vaut bien et pour qu’au moins il puisse figurer dans les discothèques des « honnêtes hommes » (femmes incluses, ô combien !) qui me font l’heur et l’honneur de continuer à me suivre nombreux, en toute confiance (et pour certains depuis bientôt trente-trois printemps, 33 tours millésimés !). Mais d’abord, chant libre à Nilda Fernandez.
  
 
 « Il y a deux mois, dans une émission consacrée au rôle du Web dans la musique enregistrée, j’ai entendu le PDG d’Universal – que j’ai connu plus inspiré avant qu’il devienne gourou de l’industrie du disque – répondre à la question d’une journaliste par une phrase ahurissante : “Vous savez, quand je produis un disque, c'est moi qui prends tous les risques !”
 « Ainsi, l’employé le mieux rémunéré de la plus grande multinationale du disque reverse une grande partie de son gros salaire mensuel à six chiffres pour soutenir la création ! Avec de tels capitaines à la barre, avec leur myopie et leur suffisance suicidaire, nos Titanic sont bien menés.
« J’ai pourtant voulu les convaincre de ne pas s’éreinter au profit d’actionnaires qui resserrent budgets et personnel mais jamais leur ceinture. Je les ai souvent exhortés à ne plus manipuler le consommateur à coups de pub mais à respecter leurs clients pour ne pas leur fourguer ce dont ils n’auraient pas voulu pour eux-mêmes, semblables à des bouchers qui ne mangeraient pas leur propre viande.Nilda3
« Peine perdue : pour eux, j’étais un idéaliste avec zéro sens des réalités, moi qui ai toujours pensé qu’à force de se confronter à la matière, aux mots et aux sons, les artistes ont davantage les pieds sur terre que n’importe quel diplômé d’HEC, perdu dans ses abstractions.
« Alors, plutôt que m’épuiser la voix en prêchant dans un désert, j’ai préféré abandonner un contrat discographique pour partir cinq années en Russie, dans un show-business autrement sauvage et dangereux mais qui a renforcé, par contraste, ma foi dans l'indispensable mission gallinacée de l’artiste : préserver sa liberté de pondre.
« Pendant tout ce temps, donnant de la voix entre Moscou, Odessa, Irkoutsk, Vladivostok ou Samarcande, j’entendais les échos du coup de grâce infligé par tous ceux qui, au pays de Brassens ou Léo Ferré, voulaient faire croire que tout peut s’obtenir – argent, succès, talent – par la soumission. Les fabriques de stars étaient l’ultime tentative pour créer des produits staristiques sans artistes mais aussi le début de la dégringolade, jusqu'au Virgin Megastore qui vient de rendre les dernières armes. Bien sûr, le sort du millier de personnes laissées sur le carreau me désole, surtout quand on pense aux actionnaires bien vite repartis vers des valeurs plus sûres et pérennes comme l’eau, le vent, la lumière, mais qu’on ne vienne pas nous assommer avec de prétendues conséquences “culturelles” qui feraient passer les “déforesteurs” d'Amazonie pour des bûcherons.
« Depuis longtemps, le mot “artiste” est galvaudé. C’est dommage parce qu’il sonne bien. Je dirai donc à mes confrères “artisans de notes” qu’ils ne s’inquiètent pas pour leurs méventes de disques, qu’ils oublient les vaches trop grasses et les soucis de défiscalisation car, pour notre honte et le malheur de ceux qui les aiment, nos pièces uniques se sont longtemps vendues à la criée, entre jambon et liquide vaisselle.
« La disparition de l’industrie n’est pas la fin de la musique. Au contraire. Elle n’est qu’un coup d’arrêt à l’usurpation d’identité de ses financeurs et de ses re-producteurs.
« Saluons nos albums passés mais soyons fiers de notre musique à venir, immatérielle par nature, et imaginons un autre sort pour elle que des petits carrés aux dimensions de “bacs” en voie d’extinction.
« Soyons notre propre moteur, attirons des forces neuves et enthousiastes, des esprits décidés à ne pas se lamenter sur la fin d'un monde mais prêts à accueillir celui qui vient. Ce sera un bon exemple d’intelligence, ça donnera du souffle et des idées à nos semblables et ça ne se présentera pas deux fois. »
(Nilda Fernandez, auteur-compositeur-interprète, janvier 2013)

 
quichote_3.jpgJe me souviens d’un certain Daniel Fernandez, découvert à l’occasion de son 33 tours de 1981, puis sur scène au Printemps de Bourges. Je me souviens du choc ressenti à l’écoute de cette voix si belle et particulière, née pour chanter la tendresse. Je me souviens de Frédéric Dard me demandant dix ans plus tard, en tête à tête, ce que je pensais d’un certain Nilda Fernandez dont il appréciait beaucoup le premier album CD : Nos fiançailles, Madrid Madrid, Entre Lyon et Barcelone… Succès immense et apparemment fulgurant – sauf qu’une décennie s’était écoulée entre ces deux premiers albums, le laps de temps moyen pour faire d’un débutant un véritable artiste. L’année suivante, en 1992, Nilda figurait au sommaire du premier numéro de Chorus, en « Rencontre », juste après Léo Ferré… et avant Maurane et Richard Desjardins ! Et déjà, il confiait (à Pascale Bigot) ses doutes sur ce métier : « Toute réussite repose sur un malentendu : au-delà d’un certain nombre de disques vendus, on doit se poser des questions. Sur scène, quand j’arrive accueilli par une ovation, cela me gêne presque… »
  
 
Un deuxième CD suivit « normalement » en 1993 : Ne me fais pas mal. En 1997, avec un superbe album sans frontières, Innu Nikamu, l’artiste commençait à dérouter son monde. Il prit alors ses distances avec le métier, ou plutôt avec ce que le métier attend d’un artiste à succès : qu’il fasse fructifier son fonds de commerce, en réutilisant les mêmes recettes. Nilda2En 1999, il consacre tout un disque en espagnol, Castelar 704, à la poésie de Federico Garcia Lorca ; en 2000, telle une carte postale d’adieu, il adresse ses Hommages à la chanson française, avec un disque surprenant de reprises. Et puis plus rien, du moins phonographiquement parlant, car Nilda va continuer de mener sa vie d’artiste de scène mais le plus souvent à l’étranger, en Amérique latine, en Russie où il s’installe, où il devient une vedette, où il crée même un festival itinérant ; sans oublier de rentrer en France, discrètement, le temps d’un concert ou deux. « Je crois en l’organisation du hasard, dit-il aujourd’hui. Ma vie est difficile à lire parce que, de l’extérieur, on ne sait pas forcément à quoi elle obéit. »
 
Enfin, à l’automne 2009, Nilda retourne en studio pour nous donner de ses nouvelles. Après quatre mois de travail à Gênes, avec des musiciens italiens, il regagne Paris pour enregistrer sa voix (et les accordéons de Marcel Azzola et de Lionel Suarez, excusez du peu) : « C’est difficile d’enregistrer ma voix quand on ne comprend pas mes textes… » Dix ans d’attente donc ! Pour douze chansons en forme d’autobiographie. De son « départ » (« Le monde est en délire et moi je me tire / C’est une façon d’être en avance », chante-t-il rétrospectivement dans Plus loin de ta rue, une merveille de chanson d’amour, avec refrain en espagnol et guitare flamenca) jusqu’à son « retour », avec le titre qui ouvre l’album (un tube assuré pour peu que la chanson soit diffusée) : « Plages de l’Atlantique / Ou falaises de la mer Baltique / Je reviendrai sûrement un jour / Je reviendrai place de la Concorde / Ou de la révolution d’Octobre… »
 
Nilda Fernandez ? Un artiste majuscule, un maître ès-mélodie, un chant vibrant d’authenticité grâce auquel on croit tout ce qui est dit, écrit, décrit, raconté. Comme Je lui raconte, justement : « Je lui raconte n’importe quoi / Ce qui me tient chaud, ce qui me tient froid / Mes pensées d’amour et de guerre… » Comme Berceuse : « Pendant que dans le monde / Y a des gens qui se lèvent / Y a des gens qui se couchent sous les bombes… » Comme Si tu me perds : « On devrait pas se laisser mourir / Tant qu’on s’est pas tout dit / Mourir, mourir et sans prévenir / C’est pas d’l’amour d’ami. » Comme Où tu habites, constat de l’absence divine avec chœurs en anglais : « À force de ne pas comprendre où tu es, où tu habites / Je finirai par me pendre / Alors réponds-moi vite, réponds-moi vite. » Comme Le monde est ce qu’il est… « Et t’aurais tort de dire / Qu’il est laid »… Voulez-vous que je vous dise ? J’aime tellement ce disque, ou plutôt ce disque est tellement « aimable » – paroles et musiques, chant et orchestrations (riches et subtiles, cosignées du chanteur et de Mario Canepa) – que je me sens terriblement frustré de ne pouvoir en parler qu’ici, dans la virtualité d’une « toile » qui peut s’effilocher voire se défiler à tout moment ; alors que nous avions prévu de consacrer à Nilda Fernandez un dossier de nos « Cahiers de la Chanson » à l’occasion, précisément, de ce nouvel album…
 

Nilda Fernandez – Où tu habites
 

Mais à défaut de Chorus et pour compenser aussi peu que ce soit le silence audiovisuel assourdissant et le manque de reconnaissance du « métier », décernons-lui notre Victoire de la… chanson : un « Quichotte » de Si ça vous chante (la distinction discographique par excellence de cette « maison d’amour de la chanson vivante »), car si celui-ci se mérite par la hardiesse du propos, de l’éthique et de l’esthétique de l’œuvre concernée, en l’occurrence il ne se discute même pas !

 

Nilda

   
• NILDA FERNANDEZ : Ti amo, 12 titres (Prélude – Plages de l’Atlantique – Plus loin de ta rue – Laissez-moi dormir – Je lui raconte – Berceuse – Si tu me perds – Où tu habites – Le Baiser sous le lilas – Le monde est ce qu’il est – Elle m’aimait plus – Derrière ma fenêtre). 38’10 ; production Nilda Fernandez, distribution Harmonia Mundi (site de l’artiste).
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NB. « Je crois à l’organisation du hasard », dit ci-dessus Nilda Fernandez… Eh bien, le hasard veut que les prochains concerts de Nilda Fernandez en France, les 19 et 20 avril au théâtre Antoine-Vitez d’Ivry-sur-Seine, nous permettront de le retrouver sur le même plateau que… Paco Ibañez à qui, sans savoir cela, j’ai consacré mes deux sujets précédents ! Chacun chantera son répertoire et les deux artistes se réuniront en fin de soirée… pour le plus grand bonheur des spectateurs (qui ont déjà pris la précaution de réserver leurs places) ! Cliquer ICI pour tous renseignements à ce sujet.
 
 
 

   

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