Boby, Wally, Camille, Tiou, Liz et les autres
Évidemment, il faut faire ses choix. Parfois les spectacles se chevauchent, ce qui permet d’en voir un en entier et la fin d’un autre, parfois les horaires concordent et le choix s’impose. D’autant plus quand les salles sont bondées, ce qui a été le cas du jeudi de l’Ascension au samedi soir, la fréquentation des trois premiers jours étant progressive pour atteindre quasiment le plein dans la soirée du mercredi. Notamment avec la création Boby Lapointe repiqué, à 21 h 15 au Chapitô. Pour être repiqué, le répertoire du Boby, ça, il est repiqué. Mais comme ledit Boby était un poil piqué lui-même, si la forme peut surprendre, le fond est à l’avenant (lavement ?) du personnage ainsi honoré. Ou plutôt revisité avec du poil à gratter, et même carrément déjanté… mais, heureusement, toujours en français lapointesque dans le texte.
On connaît la victime, c’est un Piscénois anti-pisse-froid. Mais les coupables ? Ils viennent de partout. Dénonçons-les sans état d’âme : Roland Bourbon (batterie), Dimoné (guitare électrique), Évelyne Gallet (guitare ac.), Imbert Imbert (contrebasse), Presque Oui (guitare ac.) et Yeti (ustensiles divers), et tout ce petit monde au chant… et à l’hélicon pour démarrer la soirée, pom-pom-pom-pom ! Une folle création appelée à tourner, si l’on en juge par le triomphe obtenu ce soir-là (où Dany Lapointe, la petite fille et directrice du Printival de Pézenas, a rejoint la troupe sur scène pour le salut final). À noter entre autres la reprise du fameux duo de Boby avec Anne Sylvestre (voir vidéo ci-dessus) sur l’inénarrable Depuis l’temps que j’l’attends, mon prince charmant…
Au Chapitô encore, Wally, le régional de l’étape, est venu nous régaler seul en scène avec ses petites chansons. Petites au sens de brèves, parfois très brèves, mais toujours très réussies. Il faut dire que le bougre (qui, soit dit au passage, a perdu quarante kilos en un an, sans perdre un gramme de son humour) est non seulement un excellent interprète, tant au plan vocal que de sa maîtrise de la scène, mais aussi une bien belle pointure à la guitare. On a ri comme des fous, y compris quand le drôle s’amuse à inventer une chanson dramatique, bien lourde et dense, irrésistible parodie de « chanson à texte » (un qualificatif que j’ai toujours trouvé ridicule, soit dit en passant, puisqu’il laisse entendre qu’il existerait une chanson sans texte…). Dans la salle, un public aux anges, des directeurs de festivals enthousiastes, des collègues complices…
Respectueux des horaires, Wally s’est appliqué à terminer sa prestation juste avant celle de Camille à Eurythmie, qu’en connaisseur et bon camarade il n’a pas manqué de recommander à l’assistance. Bonne pioche, malgré le volume du lieu que ladite Camille parvient à nous faire oublier avec une création intime et grandiose à la fois. Mais, surtout, magique. Tout acoustique, trois musiciens faisant dans la dentelle, un son absolument parfait (comme quoi c’est bien l’ingé-son et pas la taille de la salle qui détermine la qualité sonore), des lumières tamisées comme dans un salon, dessinant un décor dépouillé, avec des projections et des ombres chinoises, pour une mise en scène réglée au cordeau, mais d’une sobriété, d’une finesse et d’une originalité remarquables.
L’ensemble permet d’apprécier une Camille largement au-dessus du tout-venant artistique. Au-dessus ? Ailleurs, plutôt, se promenant vocalement et physiquement dans un univers étrange et magnifique qui ne ressemble à rien de ce que l’on connaît déjà. Une Camille à la voix d’or dont elle joue (et se joue) à merveille, quel que soit le registre choisi, dégageant une émotion esthétique pure, engendrant l’admiration du public, captivé et emporté après un instant de doute. Par moment, on pourrait presque entendre une mouche voler (d'où la demande faite au public et aux pros de ne pas prendre de photos). Car le spectacle de Camille est tout sauf facile. À émettre bien sûr, de même qu’à recevoir. Tout d’abord déroutant, sans véritables tubes auxquels se raccrocher, inclassable, puis de plus en plus prenant, saisissant. Beau, tellement beau… Allez-y voir, sans idées préconçues (y compris pour le rappel, avec une reprise d’un standard français des plus populaires, que Camille réinvente comme une magicienne, ou comme une fée dont elle a d’ailleurs l’allure dans sa longue robe claire), la tête et le cœur disponibles. Vous resterez longtemps sous le charme. Comme nous l’avons été, collectivement, au point qu’il nous aurait paru sacrilège, ce soir-là, de ne pas terminer la journée sur cette belle note.
Il y avait pourtant, à ce moment-là au Magic Mirrors, un excellent Oldelaf installé au centre de la piste, ses musiciens et les spectateurs faisant cercle autour de lui, les uns debout, complices, les autres, assis à même le sol, visiblement séduits par le personnage et ses chansons. Le lendemain en ce même lieu s’achevait la série de concerts des Découvertes 2012 avec Jali, Carrousel et Zoufris Maracas (à suivre de près, ce quintette masculin, avec ses textes sociaux, son humour et ses rythmes ensoleillés).
Au total, douze artistes et groupes sélectionnés (tous en français dans le texte) : From & Ziel, Liz Cherhal, Antoine Hénaut, Anouk Aïata, Tiou, Ginkoa, Alex Nevsky, Jeanne Plante, Les Yeux d’la Tête et les trois précités. Au final, le samedi soir à Eurythmie, deux lauréats interprétant chacun avec succès trois titres entre la prestation d’une autre découverte pour beaucoup de monde, Chloé Lacan (déjà vue et appréciée le jeudi au Théâtre, avant Presque Oui) et le concert de clôture de Thomas Dutronc : Tiou et Liz Cherhal.
Les « Bravos » du public sont allés au Bordelais Tiou (devant Zoufris Maracas, Jeanne Plante et Liz Cherhal) ; les « Bravos » des professionnels à la Nantaise Liz Cherhal (devant Zoufris Maracas, Tiou et Jeanne Plante). Le premier se décrit comme « un enfant des bistrots » qui possède « une forme de désinvolture et de liberté scénique hors du commun » ; avec des textes incisifs, accompagné par trois musiciens, il apparaît tour à tour satirique, lucide, déconcertant et tendre. Quant à la seconde (oui, la petite sœur…), avec ou sans accordéon pour compagnon (mais avec deux musiciens aux petits oignons), elle est confondante d’aisance et d’humour pince-sans-rire. On a pu le vérifier encore lors de la cérémonie de remise des prix « Coup de Cœur Chanson » de l’académie Charles-Cros (récompensant un album), le vendredi midi sous le Magic Mirrors.
Alain Fantapié, le président de cette docte Académie créée il y a plus d’un demi-siècle, en 1947, a remis les diplômes 2012 en mains propres aux trois quarts des artistes distingués, présents au festival (soit qu’ils y étaient programmés, heureux hasard, soit qu’ils avaient spécialement effectué le déplacement). Devant un parterre de membres du Charles-Cros et une assistance nombreuse, chaque artiste a pu commenter son parcours et interpréter une chanson.
Par ordre alphabétique : Aldebert (pour son album Les Meilleurs Amis), Wladimir Anselme (Les Heures courtes), Barcella (Charabia), Barbara Carlotti (L’Amour, l’Argent, le Vent), Liz Cherhal (Il est arrivé quelque chose), Lili Cros et Thierry Chazelle (Voyager léger), Claide Denamur (Vagabonde), Mansfield Tya (Nyx), Nevchehirlian (chante Prévert : Le soleil brille pour tout le monde ?) ; outre quatre « Coups de cœur francophones » : Bo Houss (Shimaore Tu, Mayotte), Vincent Liben (éponyme, Belgique), Moran (Mammifères, Québec), Sand (Sirocco, Suisse romande). Pour la petite histoire, quatre de ces lauréats (Aldebert, Anselme, Cherhal, Cros et Chazelle) avaient été distingués par votre serviteur dès le 11/11/11 (!) dans un seul et même sujet (voir « Les Chansons de l’échanson »). Un « Coup de Cœur Pro » complétait enfin le palmarès de cette douzième édition, décerné à Patricia Teglia pour son travail d’attachée de presse qui, dans son cas, va souvent jusqu’à l’accompagnement des artistes dans leur développement de carrière. « Bien mérité ! », dirait Clarika.
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