Tu es de ma famille
C’est un beau roman, c’est une belle histoire, dit la chanson. D’autant plus extraordinaire et « belle », en l’occurrence, qu’il ne s’agit pas d’un roman mais d’un récit vécu. Protagonistes : les familles Caliciuri et Hidalgo, de l’Italie et de l’Espagne mêlées qui se rencontrent et se fondent, pour l’enrichir (mais sans renier la mémoire), dans cette terre d’accueil nommée France. Cette histoire, pour qu’on puisse l’écrire, il aura fallu bien du temps (plus de soixante-dix ans !)… et la sortie du nouvel album (double !) de Cali, au titre sibyllin, La vie est une truite arc-en-ciel qui nage dans mon cœur.
Hasard ? Destinée ? Simples coïncidences ? La question est posée… Mais chaque chose en son temps. Au début de l’automne, j’apprends que la sortie du quatrième opus studio de l’ACI catalan est annoncée pour le 15 novembre. Bonne nouvelle car, dans la « relève » de la chanson francophone, j’apprécie particulièrement cet artiste depuis ses débuts en solo (un « Cœur Chorus » – l’équivalent d’un « Quichotte » de Si ça vous chante ! – dès l’été 2003, décerné par notre collaborateur et ami Jean-Claude Demari, pour L’Amour parfait, avant même sa sortie dans le commerce). En fait, je l’appréciais déjà, sans savoir que c’était lui qui en écrivait les chansons, du temps du groupe Tom Scarlett dont l’album autoproduit (1998), avec des titres inhabituels pour une formation dite de rock, m’avaient interpellé : Entre Dieu et nous, Léo Ferré est mort, La Chanson la plus triste…
J’ai rencontré l’homme pour la première fois le 9 novembre 2004 (la date est précise, car c’était lors de la présentation du nouveau C.A. des Rencontres d’Astaffort – auquel Francis Cabrel m’avait proposé de participer), ayant découvert entre-temps l’artiste sur scène, vivement impressionné par sa prestation et sa liberté de parole ; aussi rares aujourd’hui l’une que l’autre. Nous avons échangé quelques mots et, déjà, parlé de notre mémoire commune, puisque Cali ne se privait pas, en concert (ce qu’aucun autre chanteur français n’avait fait jusque-là), d’évoquer l’histoire des républicains espagnols, embastillés par dizaines de milliers en 1939, dans de tristes camps de concentration, sur la terre même des Droits de l’Homme. Là, sur les plages du Roussillon, délimitées de barbelés, ou dans les baraquements du camp de Rivesaltes, les plus faibles ou les blessés mouraient de froid, de faim ou de soif dans l’indifférence des autorités et sous l’œil hostile des tirailleurs sénégalais (ils avaient l’ordre de tirer sur tous ceux qui cherchaient à s’échapper de cet enfer).
Désolante page de l’histoire de France, longtemps méconnue, du moins jusqu’à la commémoration sur place, en février-mars 2009, du 70e anniversaire de la Retirada (la retraite des Républicains devant les troupes franquistes, armées par l’Allemagne nazie et l’Italie fasciste), à l’initiative d’associations de descendants de ces combattants de la Liberté (parmi les premiers, ensuite, à intégrer les rangs de la Résistance française, et même, à la fin de la guerre, à libérer Paris). Dès notre première rencontre, nous avons parlé, lui, de son grand-père Giuseppe, et moi de mon père Alfredo, internés tous deux dans ces camps d’Argelès, du Barcarès ou de Saint-Cyprien… Bref.
En 2008, Cali a sorti un troisième album studio rendant hommage à la fois à son chanteur de référence, par son titre, L’Espoir, et à ses grands-parents paternels, Giuseppe et Maria, rescapés de la guerre d’Espagne, enfonçant ainsi le clou de nos racines spirituelles et familiales. Léo Ferré ? « Oui, “Dans le ventre des Espagnoles, il y a des armes” ! Cette phrase m’avait vraiment touché. Je voulais aller à un des derniers concerts de Ferré, à Paris. Et puis j’ai eu un empêchement, mais cette version publique de son disque est sensationnelle. Dans L’Espoir, la mienne, j’ai voulu affirmer mes racines dans la chanson. » Giuseppe Caliciuri ? « Mon grand-père Giuseppe a fui l’Italie de Mussolini dans les années 20… En 1937, il a rejoint les Brigades internationales, en Espagne, pour se battre contre Franco. Il était lieutenant et a été gravement blessé sur le front de Brunete, à l’ouest de Madrid. »
Brunete, tiens donc ?! Mon père à moi, qui avait le grade de commandant dans l’Armée républicaine, s’y trouvait aussi, et c’est à Brunete qu’on l’a laissé pour mort, criblé d’éclats, plusieurs jours durant… Alfredo et Giuseppe se sont peut-être parlé, ils sont peut-être montés ou tombés au front côte à côte, ils se sont peut-être retrouvés ensemble à l’infirmerie, et qui sait, même, s’ils n’ont pas sympathisé ? Toujours est-il que l’un et l’autre ont failli mourir au même endroit, peut-être le même jour, lors de ces combats intenses décrits par Frédéric Rossif dans son film Mourir à Madrid… Ou peut-être se sont-ils croisés en France plus tard, ignorant tout de leur histoire respective, dans un camp, voire à… Vernet-les-Bains, au pied du Canigou, là où Cali viendrait au monde ? Mais n’anticipons pas.
Un mot d’abord de Maria, la future grand-mère de Cali. Était-ce celle chantée par Ferrat (« Maria avait deux enfants / L’un était rouge et l’autre blanc… ») ? Non, à l’époque elle n’avait pas encore de fils : « C’est en soignant les blessés, à Barcelone, qu’elle a rencontré mon grand-père, raconte l’artiste. Et ils ne se sont jamais séparés. Ils ont eu mon papa, né à Barcelone en 1938, puis ils ont atterri en février 39 sur les plages de Saint-Cyprien et d’Argelès-sur-mer, dans des camps de réfugiés où ils étaient accueillis comme des chiens. Ils se faisaient tirer dessus s’ils essayaient de sortir… Puis, mon grand-père s’est engagé dans la Résistance et il a terminé ses jours comme chef de section du parti communiste. Il est mort à 56 ans et moi, son petit-fils, j’écris des chansons sur lui. »
Mon père Alfredo, de la même génération que Giuseppe, lui a survécu plus de vingt ans. « Il était à Teruel et à Guadalajara / Madrid aussi le vit au fond du Guadarrama… / Il m’a serré fort contre lui / Alors mon père m’a dit : “Mourir / Pour des idées, ça n’est qu’un accident” / Je sais lire et écrire / Et mon père est vivant », chante, tel le grand frère que je n’ai jamais eu, Leny Escudero. Pour cela, après s’être évadé des camps du Roussillon, il lui a fallu survivre à l’épreuve de la forteresse de Collioure, où le régime d’alors enfermait les plus « récalcitrants » des républicains espagnols, en lui donnant seulement de la morue séchée et salée à manger… et le moins possible à boire. La forteresse de Collioure ? Ce magnifique et imposant « Château royal » qui surplombe aujourd’hui la cité balnéaire, visitée par des touristes du monde entier, attirés par la beauté des lieux et la lumière singulière – si chère jadis aux Matisse, Derain et autre Picasso –, ignorants de l’histoire secrète et infâme de ces lieux.
Joan Manuel Serrat – En Collioure
Quand enfin mon père a quitté Collioure, le poète était mort. « Loin du foyer natal / Il est recouvert de la poussière d’un pays voisin / En le quittant, on le vit pleurer… » raconte Joan Manuel Serrat, dans sa magnifique chanson À Collioure. Lui qui disait « Chemineau, il n’y a pas de chemin / C’est en avançant qu’on trace son chemin » (« Caminante no hay camino / Se hace camino al andar »), quelques pas seulement hors d’Espagne, sans espoir de retour, lui suffirent pour s’éteindre, comme on souffle une chandelle (« J’ai mal de ne pas mourir chez moi », dit Cali à la fin de L’Exil). Il repose aujourd’hui au vieux cimetière de Collioure. Le poète ? Machado bien sûr, le grand Antonio Machado, que Paco Ibañez, notamment, a mis en musique et chanté... Hasard, vous avez dit hasard ? Comme c’est bizarre !
Mon père ensuite a vécu à peu près ce que vit L’Espagnol dans le « roman » de Bernard Clavel, mis en scène et tourné pour la télévision par Jean Prat… avec un certain Paco Ibañez dans la distribution. Coïncidences, vous croyez ? Attendez un peu la suite. Blessé une nouvelle fois au combat, il fut soigné à Barcelone (dernière ville à tomber en janvier 1939), dans un hôpital de fortune installé sur la colline de Montjuich – c’est là, si ça se trouve, qu’officiait Maria l’infirmière, là peut-être qu’elle avait rencontré Giuseppe, combattant communiste. Mon père, lui, était plutôt de sensibilité anarchiste : « Y en a pas un sur cent et pourtant ils existent / La plupart Espagnols, allez savoir pourquoi / […] Ils ont tout ramassé / Des beignes et des pavés / […] Ils sont morts cent dix fois / Pour que dalle et pourquoi / Avec l’amour au poing / Sur la table ou sur rien / Ils ont un drapeau noir / En berne sur l’Espoir… »
Quand L’Espoir de Ferré mène à L’Exil émouvant de Cali (« No pasaran… »), et que celui-ci vous mène dans les camps, ouais, il est sacrément en berne, L’Espoir… Et pourtant ! Nous sommes là, « roses et frais, bien Français » (salut Laffaille !). Le petit-fils de Giuseppe et Maria, qui passèrent le reste de leur existence à Vernet – station thermale des Pyrénées-Orientales fréquentée jadis par les rois, les reines et les puissants de ce monde –, où naquit Cali… dont La vie est une truite arc-en-ciel qui nage dans mon cœur (vous commencez à mieux saisir ce titre ?) a été enregistré dans son studio de Rivesaltes, là même où s’élèvent les derniers vestiges du camp de concentration (voir la vidéo de L’Exil, titre inédit en album studio). Et puis le fils de « don Alfredo », dévoué à la cause de la chanson française...
Petite parenthèse : Brunete, c’est aussi le titre d’un tableau impressionnant de noirceur, une œuvre majeure de mon oncle maternel Antonio Lamolla (dont la ville d’enfance, Lleida, fête actuellement le centenaire de la naissance, par une expo rappelant qu’il fut l’un des chefs de file de l’école surréaliste catalane, le premier, bien avant Dali, à exposer à Madrid, avant la guerre civile). Pour Lamolla aussi vint l’exil, vinrent les camps puis une carrière sinon brisée, car il continua de peindre et d’exposer jusqu’au bout, proche de Vlaminck par l’amitié et la proximité géographique, mais différente, adoptant dès lors un style figuratif suscité par les circonstances.
Détail encore (vous me connaissez : on se dit tout ou rien), c’est mon père, hidalgo à la triste figure, qui lui servit de modèle pour ses nombreuses toiles représentant l’Homme de la Mancha… D’où, aussi et bien sûr, le « Quichotte » (incarnation de la quête de l’inaccessible étoile, des utopies nécessaires à l’amélioration du réel) de Si ça vous chante. Hasard encore ? En 1934, mon oncle peint près de Barcelone un extraordinaire tableau intitulé… Il a plu des chansons, en français dans le texte ! Puis La Musique, à découvrir ci-dessous… Non, ne croyez pas que je m’égare. Je reste au cœur de mon sujet, au centre de la toile, du motif, dirait Anne Sylvestre ; là où chanson et Histoire ne font qu’un, où la réalité rejoint la création.
Mais reprenons la chronologie ; sinon, c’est un livre dont j’aurai besoin pour raconter cette histoire de destins croisés… Le 15 novembre 2010, donc, sort le sixième album de Cali (inclus les deux en public de 2006 et 2009). Déroutant et insaisissable (comme une truite, forcément) à la première écoute : il surprend par ses grands écarts. On passe des guitares saturées ou des cuivres entraînants au quatuor acoustique, on navigue du rock le plus hard à l’univers symphonique ; d’un cri de révolte à une déclaration d’amour. Inclassable, vraiment. Aux antipodes du tout-venant de la production actuelle.
Peu à peu, pourtant, une écoute se superposant à l’autre, on apprivoise les chansons (comme chez Bashung, Manset ou Thiéfaine) et on comprend : non content de donner toute la mesure de son talent, de son inspiration, de ses influences, Cali a voulu montrer que la vie, diverse par définition, qui s’enrichit du mélange des genres comme elle s’enrichit du brassage des populations, n’a pas à être calibrée, enfermée dans un carcan ; qu’à force d’homogénéiser, de standardiser nos créations, de copier-coller ce qui marche, on n’avance plus, on fait du sur-place, pire on régresse… et on perd son âme. Cali, lui, a choisi d’aller de l’avant, quitte à en dérouter plus d’un – sans parler des médias soumis au plus grand dénominateur commun –, en ne se refusant aucune liberté, son parti pris étant de ne point en avoir.
Et ce titre, que d’aucuns ont cru malin de brocarder, La vie est une truite arc-en-ciel qui nage dans mon cœur, s’éclaire d’un coup, devient lumineux. « Dans le cœur de Cali nage une truite, animal sauvage et ambigu symbolisant ce que l’on ne domestique pas, ce que l’on ne soumet pas, sinon au bout d’une lutte acharnée pour la vie à tout prix. » Une truite certes, mais « arc-en-ciel » : aux couleurs multiples de l’amour, de la peine, de la rage, de la joie, malgré le marasme étouffant et l’égoïsme moderne. Bref, un témoignage « en forme de main tendue vers les autres, souvent ouverte, parfois fermée en poing serré ».
C’est avec l’équipe musicale de ce disque que Cali va écumer ce printemps les scènes des Zéniths et autres grandes salles de France et de Navarre (du 16 mars à Caen au 21 mai à Grenoble pour commencer, presque tous les soirs, en passant par Forest National à Bruxelles, le 24 avril, et le Zénith de Paris le 4 mai : voir détail de la tournée sur son site calimusic). À sa « garde rapprochée » (Julien Lebart aux claviers, Blaise Margail et Nicolas Puisais aux cuivres, Philippe Entressangle à la batterie), s’est ajouté ce qu’il appelle son « rock band belge » : Geoffrey Burton (Arno, Bashung, Higelin, Iggy Pop) aux guitares, Boris et Sarah Zeebroek aux chœurs, le bassiste de Deus, Alan Gevaert, et puis le violoniste irlandais Steve Wickham (The Waterboys, U2). Outre l’Orchestre Philharmonique de Prague avec lequel Cali a enregistré deux titres en direct (Nous serons tous les deux et Je viens te chercher), à l’ancienne, façon Brel (voir l’excellent documentaire d’Éric Vernazobres sur la réalisation de l’album), à l’approche de l’été dernier, dans une ambiance gorgée de soleil puisque l’essentiel a été mis en boîte à Rivesaltes.
On y retrouve Léo Ferré, à qui plusieurs chansons rendent indirectement hommage. Et Brel, ici ou là, à travers des thèmes, quelques tournures. On plonge dans les sillons, nageant entre plusieurs courants ; on touche le fond, puis on remonte à la surface. Remué, couvert d’écume... heureux. Entre deux eaux on enlace le passé, on pleure les proches perdus, rongés par le malheur ; on étreint l’utopie, on pleure sur l’injustice, on implore un peu d’humanité, mais la colère n’est jamais loin (Lettre au ministre du saccage des familles et des jeunes existences dévastées !). Et puis on court éperdument après L’Amour fou, on se rappelle l’époque insouciante où l’on croyait que la mort n’existait pas ; et l’on court, encore, on court après la vie qui file entre les doigts telle une truite dans l’eau vive...
Voilà pour ce disque. Car il y en a un second, du même tonneau, Vous savez que je vous aime, fort de neuf autres chansons, dans un coffret dit « Édition généreuse ». Avec aussi un DVD, Tu honoreras ton erreur comme une intention cachée (citation, éloquente, de Brel), un livret de quarante pages signé Michel Reynaud, L’Insurgé de la République, outre des photos et les textes des vingt-deux chansons. Une édition découverte dans le fief de l’artiste, à Perpignan, lors d’une soirée privée organisée pour célébrer l’événement, rien qu’avec la famille, les musiciens et quelques amis catalans – à une exception près : celle du couple Hidalgo, vibrations et mémoire communes aidant, sans doute.
Lieu choisi ? Le stade Aimé-Giral, dans la brasserie de l’Usap, la fameuse équipe de rugby, dont l’hymne officiel, joué avant chaque match, n’est autre que L’Estaca de Lluís Llach (à écouter ainsi que L’Espoir dans « Mille cœurs debout » sur ce blog). Parmi les amis proches, les parents d’Olivia Ruiz venus de Narbonne. Après avoir parlé du disque et de la tournée (« J’ai hâte de retrouver le public avec les musiciens qui ont participé à l’enregistrement. Cette tournée des Zéniths va être très proche des couleurs de l’album, plutôt rock, mais dans la foulée, nous confie-t-il, j’aimerais en faire une autre, dans des salles de capacité moyenne, en simple formule piano-voix, j’adore ça… » – et nous, on s’en régale à l’avance !), s’engage bientôt une conversation d’un tout autre genre.
Protagonistes : Didier Blanc, père d’Olivia et chanteur lui-même (il est également responsable, à la municipalité de Narbonne, de la formation des talents émergents), Cali, sa sœur Gina, et nous deux (salut, Caussimon !). Sujet : l’histoire de nos parents ou grands-parents respectifs.
À un moment, je tends une feuille à Cali et Gina : c’est une « sortie imprimante » d’une photo de mon père censée avoir été prise en 1939, sans doute au début du printemps, à… Vernet-les-Bains.
– C’est ce qu’il nous avait dit... Qu’en pensez-vous ?
– Mais bien sûr que c’est à Vernet ! s’exclame Cali. C’est devant le Casino.
– Bel hidalgo, hein, glisse Gina, le sourire aux lèvres. Oui, c’est bien devant les marches du Casino, confirme-t-elle. Plein de choses ont changé à Vernet, mais pas ça, ça n’a pas changé du tout, c’est fou… Ce qui est extraordinaire aussi, poursuit-elle plus sérieusement, c’est la dignité de ces hommes qui s’employaient à faire bonne figure, à être bien habillés devant le photographe. Quand on voit cette image, difficile d’imaginer les épreuves subies pendant deux ans et demi…
– Sans parler, dis-je, du passage des Pyrénées à pied, en plein hiver, dans le froid et la neige… Les premières photos, côté français, montrent des soldats et des familles entières, femmes et enfants désemparés, exténués, malades, en guenilles… D’après nos souvenirs de famille, la police française emmenait directement les gradés à Vernet ?
– C’est vrai, assure Didier Blanc dont la famille maternelle a partagé la même histoire, avant de se fixer dans la région de Carcassonne. C’est par Vernet que transitaient les officiers républicains, où ils étaient recensés, fichés, avant d’être envoyés dans les camps, sur la côte.
– Exact, précise Cali. Ils restaient seulement quelques semaines sur place…
– Cette photo a donc près de soixante-douze ans, elle doit dater de mars ou début avril 39… Au dos du tirage original, un petit 6x9 jauni par le temps, figure seulement le tampon d’un studio de Prades où la photo a dû être développée…
– Ce serait un hasard incroyable, suggère la sœur de Cali, mais je me demande si cette photo n’aurait pas été prise par notre arrière-grand-père ?
– Mais oui ! s’exclame l’auteur de L’Amour fou. Notre arrière-grand-père Alexandre ! Celui dont je dis toujours qu’il était, à Prades, le photographe de Pablo Casals… C’est à lui qu’on avait demandé de prendre en photo les républicains espagnols à Vernet ! [silence] Cette photo de ton père, Fred, c’est mon arrière-grand-père qui l’a prise !
Vous dire ce que j’ai ressenti à ce moment-là est impossible. Mais vous l’imaginez sûrement... un peu. Comme de retrouver enfin une famille perdue ; « bien plus que celle du sang / Celle que j’ai choisie / Que je ressens »… On ne saura sans doute jamais, avec certitude, si cette photo est l’œuvre ou pas de l’arrière-grand-père de Cali ; si face au regard de mon père se trouvait l’objectif du « photographe de Pau Casals » (le génial violoncelliste catalan lui aussi exilé en 1939 puis installé à Prades, à deux pas de Vernet, où un célèbre festival de musique porte toujours son nom). Nous la mettons ici en ligne au cas où quelqu’un pourrait nous aider à le vérifier (peut-être existe-t-il un fichier, dans les archives officielles du département, des officiers républicains photographiés à Vernet, avec le nom du photographe ?). Mais, à en croire Cali et sa sœur, il y a de fortes présomptions pour que ce soit le cas.
Toujours est-il que l’artiste m’a demandé si je lui permettais de garder la sortie imprimante. Il a plié la feuille soigneusement et l’a placée dans la poche intérieure de sa veste. Côté cœur… Je l’aurais embrassé, serré à bras-le-cœur. Ne l’ai-je pas fait d’ailleurs ?! Comme dirait Jean-Jacques Goldman : « Tu es de ma famille / Du même rang, du même vent / Même habitant du même temps / Dans cette armée de simples gens… »
Alors, quoi ? Brunete, Barcelone, Vernet, Collioure, les camps, ces destins croisés qui vivent toujours en nageant dans nos cœurs arc-en-ciel... Hasard ? Destinée ? Simples coïncidences ? La question reste posée. À côté de ça, les coups durs du métier, les journaux que vous avez enfantés et suivis comme on élève des enfants et puis qu’on vous tue sans préavis, quelle importance au fond ? Certes, « La gueule était cassée, les yeux étaient en bas / On nous voyait de loin, déguisés en chagrin… » mais « Même en mille morceaux, les yeux brillent à nouveau / Comme des morts de faim, on revient, on revient / On revient au combat, couteau entre les dents / On revient / On revient, on revient, on revient, on revient ! »
Cali – On revient
PS. Cet article est dédié à nos mères.
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• ÉDITION GÉNÉREUSE. 1) La vie est une truite arc-en-ciel qui nage dans mon cœur : Je sais ta vie – L’Amour fou – Je te veux maintenant – Cantona – Murano – Madame Butterfly – Nous serons tous les deux – Ma douleur – Lettre au ministre du saccage des familles et des jeunes existences dévastées – Je vais arrêter de boire – Mille ans d’ennui – Je regarde mes dix-sept ans – Je n’attends que la revanche ; 2) Vous savez que je vous aime : On revient – Il n’y a plus rien après l’amour – Ma femme – La mort n’est rien à côté – Maudit bandit – Putain de vie – Dans mon ventre – Je viens te chercher – C’est trop dur de t’aimer. (61’59 et 35’53 + DVD Tu honoreras ton erreur comme une intention cachée, 30’ + livret L’Insurgé de la République, 40 pages ; prod. et distr. EMI Music, site de l’artiste).
NB. Il nous reste quelques exemplaires collectors du numéro Cali de Chorus (bio et œuvre, interview, témoignage, repères et discographie, par Jacques Vassal) ainsi que du suivant proposant un reportage exclusif sur la tournée de L’Espoir, dans l’intimité de l’artiste et de son équipe (par Yannick Delneste, photos dans les deux cas de Francis Vernhet). Si intéressé(e), nous adresser un courriel en cliquant sur sicavouschante.info@orange.fr ; à noter que le premier (n° 63, printemps 2008) contient un second dossier sur Guy Béart et des rencontres avec Daniel Darc, Allain Leprest, Thomas Pitiot, Alexis HK et Renan Luce, et le n° 64 (été) deux dossiers sur Francis Cabrel et le Québec (spécial 400e), et des sujets developpés sur François Béranger, Yves Duteil, Tiken Jah Fakoly, Catherine Ribeiro et Damien Saez.