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  • : SI ÇA VOUS CHANTE (le blog de Fred Hidalgo)
  • : Parce que c’est un art populaire entre tous, qui touche à la vie de chacun et appartient à la mémoire collective, la chanson constitue le meilleur reflet de l’air du temps : via son histoire (qui « est la même que la nôtre », chantait Charles Trenet) et son actualité, ce blog destiné surtout à illustrer et promouvoir la chanson de l’espace francophone ne se fixera donc aucune limite…
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  • Fred Hidalgo
  • Journaliste depuis 1971, créateur de plusieurs journaux dont le mensuel « Paroles et Musique » (1980-1990) et la revue « Chorus » (1992-2009). Editeur depuis 1984 et créateur en 2003 du « Département chanson » chez Fayard.
  • Journaliste depuis 1971, créateur de plusieurs journaux dont le mensuel « Paroles et Musique » (1980-1990) et la revue « Chorus » (1992-2009). Editeur depuis 1984 et créateur en 2003 du « Département chanson » chez Fayard.

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29 juin 2020 1 29 /06 /juin /2020 08:21

« En résumé, en conclusion »… et la suite


Qu’importe le temps qui reste : « Même si on n’a pas assez d’essence / Pour faire la route dans l’autre sens », on avance, on avance ! De Souchon, chantre de l’ultra moderne solitude contemporaine des foules sentimentales, toujours sur le pont (et l'âme à l'âme qui colle) depuis son embarquement à bord du « vaisseau amiral de la chanson vivante », à nos griots du temps présent disparus récemment (Christophe, Renée Claude, Manu Dibango, Idir, Mory Kanté, Joan Pau Verdier et autres Guy Bedos, Jean-Loup Dabadie ou Luis Eduardo Aute), quarante ans nous séparent. Les plus fidèles (et moins jeunes !) d’entre vous s’en souviennent sans doute : le 15 juin 1980 naissait Paroles et Musique

L’occasion d’un beau voyage en chansons à travers le temps et l’espace… De Djibouti, où en 1979 fut conçu le futur « mensuel de la chanson vivante », à son futur siège social de Brézolles… que Radio-Canada, nous recevant en 2009 au titre des « Cahiers de la chanson », qualifia dans sa matinale d’« adresse mythique de la chanson francophone ». De la mer Rouge aux confins de la Beauce, de l’Île-de-France et de la Normandie, des maquettes de Paroles et Musique à l’automne 1979 jusqu’au numéro d’automne 2009 de Chorus (brutalement empêché de paraître), trois décennies de presse musicale indépendante… Trente ans de chansons qui nous ressemblent et nous rassemblent, quel plus beau voyage ?!

Quarante ans désormais, avec la suite, certes plus virtuelle et sans doute moins chargée d’illusions pour cause de vaches maigres et de ballade des cimetières, mais non moins passionnelle, à travers ce blog et ses dérivés « sociaux », ponctués d’ouvrages comme autant de notes blanches semées sur un chemin de paroles, pour prolonger une seule et même histoire faite de cent paysages. Oh oui, quel beau voyage et qu’elle est belle – quoi qu’elle en ait coûté –, la Liberté, ma Liberté...

Tout avait donc débuté en 1979. À Djibouti, un inconnu nommé Henri Dès ouvrait le bal, seul à la guitare, dans les cours d'école en terre battue (j'ai les photos !), pour le plus grand bonheur des enfants qui découvraient la chanson vivante, grâce à ses bijoux de tendresse, de fraternité et d'intelligence. Cette même année, Bernard Lavilliers stigmatisait tous les Pouvoirs, incitant chacun d’entre nous à ne jamais se résigner : Bats-toi ! Inquiet pour la planète de l’insouciance de l’être humain, Graeme Allwright s’interrogeait sur notre avenir : Condamnés ? Mais Anne Sylvestre se montrait optimiste : J’ai de bonnes nouvelles, assurait-elle. Et Ferrat, silencieux depuis 1976, nous invitait sans façon à la visite d’une compil de réenregistrements, Mon palais, belle manière de nous faire patienter jusqu’à un Bilan qui ferait couler beaucoup d’encre. Jean Vasca, lui, nous offrait l’une de ses pièces maîtresses, De doute et d’envol, saturée de poésie incandescente, rayonnante de mélodies et de sons électriques nous laissant volontiers croire que La lumière chante en nous. Au basculement des générations, un petit jeune encore anonyme mais qui jouait déjà de la gratte comme Personne (prénom Paul) faisait ses premières gammes discographiques (en anglais dans le texte), avec son groupe Basckstage, tandis qu’un Papy rock nommé Jean-Roger Caussimon levait l’ancre de son ultime voyage en studio avec un bel hommage, Le Voilier de Jacques

À l’automne, une goélette blanche, baptisée Om (qui s’était retrouvée bord à bord, cinq ans plus tôt, avec l’Askoy de Brel), accostait l’ancien Territoire des Afars et des Issas (ex-Côte française des Somalis), devenu indépendant depuis peu. À la barre, le globe-navigateur-chanteur Antoine qui avait choisi cette escale à Djibouti pour écrire les chansons de son prochain album, Quel beau voyage ! Une rencontre immanquable pour nous qui entamions sur place, neuf mois avant que ce mensuel ne voie le jour, la gestation (contenu, maquettes, premiers contacts épistolaires avec le monde de la chanson…) de Paroles et Musique.

À l’issue d’une première soirée, où il se plongea avec curiosité dans notre magnétothèque (des dizaines de disques sur bandes !), nous lui fîmes découvrir le premier album d’un jeune chanteur français qui le citait dans un titre : « Y a eu Antoine avant moi, y a eu Dylan avant lui […] / Après moi qui viendra / Après moi c’est pas fini / On les a récupérés / Oui mais moi on m’aura pas ! » Antoine, qui n’avait jamais entendu Renaud, prit le parti d’en rire, le meilleur qui soit, lui qui venait justement de faire ses adieux à la société du spectacle pour aller au bout de ses rêves en voguant en solitaire. Et l’on se donna un rendez-vous de principe avec Renaud, à notre retour dans l’Hexagone, pour s’amuser à vérifier la portée de ces élucubrations certes amusantes, mais un rien présomptueuses du futur « chanteur énervant »

Neuf mois plus tard, expérience professionnelle aidant (un hebdo local, Forum, et un quotidien national, L’Union, déjà semés sur notre sentier, emprunté un temps par un président amateur d’éléphants, de préférence sous forme de trophées…), notre passion accouchait du magazine de la chanson vivante que nous avions recherché en vain dans le paysage de la presse musicale francophone. On n’est jamais si bien servi que par soi-même !

Dans les présentoirs jusque-là, des titres essentiellement voués aux musiques anglo-saxonnes ou affichant à la une d’éphémères vedettes aux chansonnettes tièdes et pas toujours honnêtes, pareilles à ces « savons, savonnettes » dont parlait Gilbert Laffaille, qui laissent « la peau douce et lisse » et « qui dérangent pas la police »… 

Bref. Toute une époque aujourd’hui révolue, où la chanson vivante n’avait guère droit de cité dans l’audiovisuel, le plus souvent confinée dans des tiroirs qu’on n’ouvrait qu’avec parcimonie. Forcément, le premier édito du « mensuel de la chanson vivante » ne mâchait pas ses mots, qui, sous le titre « Un cri dans le silence », en appelait dès l’exergue aux « porteurs de parole, avec des chenilles d’acier dans la tête » : « La vérité, la vérité comme si la vie en dépendait ! Que se lèvent ici ceux qui ont de l’esprit pionnier dans la tête. Il va falloir dès ce soir tout recommencer. »

Arrêt sur image : ces vers étaient tirés d’une chanson grandiose de Jacques Bertin, Menace, dont on n’imaginait pas alors l’incroyable portée prémonitoire, quarante ans avant le confinement de ce printemps 2020 :

Il y a un virus qui se répand…
Les bateaux qui n’arrivent plus…
Regardez s'envoler votre dernier bel avion magnifique
Il s’en va errer dans la banlieue des pourquoi, comment…
Maintenant que le livre se ferme, sentez ce vide capital
Le ciel est désert, la terre bruit de cris désaccordés…

C’était à la mi-juin 1980. Il s’en fallait de dix ans pour que le camarade Renaud se retrouve (pour la quatrième fois !) en couverture de notre journal. Mais pas n’importe laquelle : celle du n° 100… et dernier. Et pas à des fins de promotion, en tenue de Gavroche, vendeur à la criée de Paroles et Musique : sa façon à lui de saluer le parcours accompli. Et de montrer sa fierté d’être à la une d’un numéro collector qui accueillait la crème de la chanson francophone : Bashung, Cabrel, Clerc, Diane Dufresne, Gainsbourg, France Gall, Goldman, Guidoni, Catherine Lara, Le Forestier, Manset, Renaud, Sardou, Simon, Thiéfaine, « etc. » C’est-à-dire, entre autres et pour mémoire : Graeme Allwright, Louis Arti, Jean-Louis Aubert, Guy Béart, Julos Beaucarne, Francis Bebey, Marie-Paule Belle, François Béranger, Michèle Bernard, Richard Bohringer, Louis Chedid, Claire, CharlÉlie Couture, Gérard Delahaye, Romain Didier, Yves Duteil, Leny Escudero, Jean Ferrat, Brigitte Fontaine, Henri Gougaud, Johnny Hallyday, Jacques Higelin, Michel Jonasz, Gilbert Laffaille, Daniel Lavoie, Plume Latraverse, Bernard Lavilliers, Francis Lemarque, Philippe Léotard, Mannick, David McNeil, Eddy Mitchell, Claude Nougaro, Pierre Perret, Paul Personne, Gérard Pierron, Michel Polnareff, Catherine Ribeiro, Henri Salvador, Véronique Sanson, Sapho, Mort Shuman, Alain Souchon, Anne Sylvestre, Henri Tachan, Jean-Claude Vannier, Jean Vasca, Gilles Vigneault… ou Pierre Desproges, Étienne Roda-Gil… D’autres encore, excusez du peu !

Pardon aussi pour cette autocitation, en résumé et en conclusion du centième éditorial de Paroles et Musique (dédié « à mon père »), qui annonçait bien les dix ans, vingt ans, trente ans à suivre ; avec Chorus d’abord pendant deux décennies… jusqu’à ces lignes d’aujourd’hui, composant (une partie seulement de) Mon bistrot préféré. Car l’histoire continue, le beau voyage se poursuit :

« …Quant à nous, qui partageons le même amour pour le plus merveilleux des arts (mais oui, Gainsbarre !), les occasions de retrouvailles ne manqueront pas, au hasard de ces sentes buissonnières, de ces routes enchantées où la chanson vivante, celle qui ne sacrifie ni aux modes ni aux compromissions de l’argent, continuera à faire notre bonheur. Et puis, ainsi que le pays qu’à Gilles Vigneault il reste à dire, il me reste à écrire un gros livre sur la chanson et l’histoire vraiment peu commune de Paroles et Musique. En attendant ces probables rendez-vous, amis lecteurs, merci encore de votre fidélité pendant ces dix ans et à bientôt, donc… on the road again. »

Le livre pressenti parut un an plus tard : Putain de chanson !

Un titre en forme de clin d’œil au Putain de camion de Renaud (évoquant Coluche… avec qui nous avions pris langue en mai 1986 pour lui consacrer, après Guy Bedos en janvier, le dossier du numéro de septembre), et pour rappeler que la chanson, si aimable, si pure et nature puisse-t-elle être, si chargée d’énergie positive quand elle rassemble fraternellement, sait également jouer les courtisanes, en se parant d’artifices, pour mieux tromper son monde. Entre le coup de foudre, certes imprévisible mais pétillant comme une promesse de l’Aube, quand l’étincelle se produit, ou l’amour programmé (et tarifé) ; entre Paroles et Musique, c’est-à-dire, et ces Hit, Top, Podium et autres « magazines » variétesques à but exclusivement lucratif, un lectorat de dizaines de milliers de personnes avait fait son choix, ratifiant ma préférence… à moi.

Pour ce lectorat pas comme les autres, fidèle et confiant à ce point qu’il était inconcevable de l’abandonner, il restait à transformer l’essai en faisant chorus avec une revue encore plus ambitieuse. En l’espace de deux décennies, elle écrirait au fil de milliers de pages (en offrant la parole à des centaines d’auteurs, de compositeurs, d’interprètes, mais aussi d’éditeurs, de producteurs, de tourneurs… et de « passeurs » en tout genre) l’histoire multiséculaire de la chanson francophone. Des trouvères s’en allant de ville en ville colporter l’air du temps, jusqu’à l’apparition des « petits formats », l’industrialisation phonographique, l’avènement du 45-tours, du CD…

Une histoire qui semblait riche encore de lendemains qui chantent, avec l’émergence de la « nouvelle scène » au détour de l’an 2000, laquelle s’afficherait fièrement à la une d’un numéro spécial ; mais plombée depuis par la triste et prévisible « dématérialisation » du disque. Par la cessation de parution, aussi, de Chorus qui, au-delà de son rôle purement informatif, constituait le plus efficace des liens entre toutes les parties composantes de la chanson de l’espace francophone, de la scène à la ville, un organe prescripteur ainsi qu’un réservoir permanent de découvertes où puisaient les organisateurs de spectacles et les médias. « La bible » pour l’Agence France Presse, « le vaisseau amiral de la chanson française » pour dautres, parmi lesquels d’aimables confrères auxquels on ne faisait pas prendre des vessies pour des lanternes…

À peine le temps d’encaisser le coup (coulé !) et le voyage reprenait, laissant dans son sillage comme un fil tissé entre nous, un joli fil « entre nos cœurs passé, le fil de nos sentiments enlacés, qui nous lie, nous relie » : après la presse (et l’édition, avec des dizaines d’ouvrages publiés pendant la traversée), le blog. Embarquement facultatif sur simple invitation, toujours valable aujourd’hui, seulement « Si ça vous chante ».

Au fil des saisons, à l’image de cette arme chargée de futur qu’est la poésie, mon arbre à chansons a produit d’autres fruits en partage : Le Voyage au bout de la vie de Jacques Brel, trop méconnu jusqu’alors, qui a ouvert la voie à d’autres auteurs (y compris l’un de nos romanciers les plus célèbres) et à plusieurs reportages et documentaires ; un Goldman assez « confidentiel » pour permettre de découvrir l’homme de qualité, discret et terriblement attachant, derrière l’artiste le plus populaire de sa génération ; enfin, une Mémoire qui chante pour compléter notre chemin de mots et de notes comme on assemble un puzzle.

Et nous voilà en juin 2020, toujours avec Le Ciel dans la tête, la Terre dans le cœur, comme Luc Romann, l'humanisme fait homme, la tendresse incarnée ; toujours avec une même conception « bio » ou « écologique » de la chanson, malgré le temps qui passe… et ne se rattrape guère. Le secret ? Une évidence, plutôt : que serait la vie sans l’art qu’une longue et banale attente du lendemain ? L’art la magnifie au présent et crée en nous l’irrésistible besoin d’une quête perpétuelle du Beau… Quel autre refuge possible, sans se couper des autres, pour éloigner le néant ? C'est quand le bonheur ? C'est ici et maintenant. Et quel plus beau voyage que celui-là…

Le mien – un voyage au long cours, me rappelle Frédéric (et alors je me fous du monde entier !), quand, m’appuyant un instant au bastingage, je pense « aux copains aujourd’hui dispersés, sans oublier les amours de nos quinze ans » – remonte précisément à mes quinze ans. À la mi-juin 1965, si je devais en dater l’appareillage : quinze ans aussi avant la sortie des presses de Paroles et Musique… Ce jour-là, quelqu’un est entré chez moi – chez mes parents ! – pour me rencontrer… et ne plus jamais ressortir de ma vie. Frédéric Dard (dit San-Antonio… sauf que tout le monde ou presque ignorait alors qu’il s’agissait d’un seul et même auteur) !

Grand admirateur de Charles Trenet (et grand connaisseur de chanson française), il est resté fidèle jusqu’au bout, malgré les contraintes d’écriture d’une œuvre extraordinairement féconde (et plus prolifique que celle de Victor Hugo !), et fidèle je lui suis resté depuis, parsemant mes écrits de sa présence vivante. Pourquoi rester fidèle, s’interroge le poète, « quand tout change et s’en va sans regret / Quand on est seul debout sur la passerelle / Devant tel ou tel monde qui disparaît / Quand on regarde tous les bateaux qui sombrent » ? Parce que c’était Lui, parce que c’était moi ? On est comme on naît, n’est-ce pas ? Et on ne se refait pas.

J’avais quinze ans et, comme Leny Escudero délaissant la gloire pour se mettre en règle avec ses rêves d’enfance, comme le Grand Jacques refusant les compromissions des adultes (« L'enfance, c'est rien avec de l'imprudence, c'est tout ce qui n'est pas écrit… »), j’ai entrepris le voyage, sans céder aux sirènes de la raison qui nous demandaient d’être sages : « Faut être patients, on a tout le temps… on le fera ton beau voyage… » On pense qu’on a toujours le temps, qu’on a juste quinze ans, qu’on aura toujours vingt ans… Certes, « mais pas pour très longtemps / Un jour on en a trente et puis un jour quarante / Et puis on ne compte plus, c’est le temps qui nous compte / Et là, y a toujours plus qu’il n’en faut dans les contes… »

Quinze ans plus tard, je lançais « Un cri dans le silence », au nom d’une frange importante, occultée voire méprisée, du monde de la chanson. Quinze ans plus tôt, j’avais écrit et décrit mon choc à l’auteur de J’suis comme ça, comment et pourquoi j’avais été instantanément frappé d’admiration en découvrant, incrédule, son univers à nul autre comparable, et à quel point je me sentais révolté par l’indifférence médiatique dont il faisait l’objet ; sans parler du monde intellectuel et littéraire (Cocteau excepté), bouffi de condescendance et d’aveuglement à son encontre. Il en fut touché et voulut me rencontrer…

Voilà l’histoire. Du moins sa genèse. Le début du voyage. Si je l’évoque ici, c’est que tout est lié, tout se rejoint et se complète comme dans le refrain d’une jolie ritournelle, à laquelle trois petites notes de musique suffisent pour créer l’émotion et faire chanter la mémoire. C’est en effet grâce à San-Antonio qu’adolescent j’ai rencontré, croisé ou interviewé « mes » premiers artistes : Aznavour, du temps de la bohème, Bourvil, Philippe Clay, Raymond Devos, Gilles Dreu, Maurice Fanon, Georges Guétary, Félix Marten, Jean Richard, Henri Tachan… et j’en passe ! C’est « à cause » de lui aussi, pour le plaisir du partage, que je me suis lancé l’air de rien dans le journalisme, sans complexe aucun, en créant mon premier journal : Le Petit San-Antonien ! Au sommaire, tout ce qui se rattachait de près ou de loin à l’œuvre de Frédéric Dard : littérature, chanson, cinéma, théâtre…

Qu’il est loin mon pays, chantait Nougaro, qu’il est loin… Qu’il est loin ce temps-là pour qui lira ces lignes distraitement, mais si proche encore en moi… car je me souviens de tout, de ses moindres paroles le jour de notre première rencontre et surtout de son incroyable empathie à mon égard. Laquelle ne se démentirait jamais plus, bien au contraire, jusqu’à me désigner publiquement, noir sur blanc (après quelque 300 livres et plus de 200 millions d'exemplaires dévorés par ses lecteurs), comme « le plus féal de [ses] féaux », un an avant sa mort…

Si par malheur (ou ingratitude) j’avais tout oublié de cette histoire, que j’ai la faiblesse de croire assez unique (vous en connaissez d'autres, vous, de ces auteurs ou artistes majeurs capables de se déplacer spontanément, « pour l’amour, pas pour la gloire », chez un gamin inconnu, en faisant plus de cent kilomètres pour le voir ?*), une étrange coïncidence serait venue ces jours-ci me rafraîchir la mémoire… Cinquante-cinq ans, jour pour jour, après sa visite, j’ai reçu un mot d’une personne chère à son cœur sur une carte postale le représentant, souriant, à sa machine à écrire : un fac-similé du timbre que lui consacre la Poste ce mois-ci, oblitéré au verso du tampon « Premier jour ».

Premier jour !!! Moi, vous me connaissez, j’ai du mal à croire qu’un tel clin d’œil du destin ne soit que le fruit du hasard. Peut-être l’esprit malin de l’intéressé, comme des lambeaux d’avenir reliant certains d’entre nous, a-t-il guidé la main de l’affectueuse expéditrice… qui ne se doutait en aucune façon que c’était précisément ce jour-là, ce « premier jour », que tout avait (vraiment) débuté pour moi. Quinze ans avant de commencer à faire chorus avec Paroles et Musique

Tôt ou tard, bien sûr, le voyage prendra fin. On finira par arriver au port. Et comme dans la chanson où on le voit monter à l’horizon, on aura « du vent plein les cheveux, les pieds mouillés, de l’écume dans les yeux et la gorge qui se serre », puisque c’est là qu’on devra se séparer… mais quel voyage on aura fait ! Oh oui, quel beau voyage !

En attendant, qu’on se le dise, d’autres escales sont en vue...

En résumé, en conclusion ?

À suivre !

*À part Jacques Brel, se déplaçant incognito en Lorraine pour exaucer le souhait d'un adolescent hospitalisé, dans un état critique. C'était en avril 1965. Je raconte l'anecdote, témoignage (de première main) à l'appui, en pp. 27-28 du Voyage au bout de la vie. Brel, forcément, le Grand Jacques... Mais qui d'autre, hein ?!

PS. Pardon pour la photo bouffée aux mites, mais totalement inédite, retrouvée miraculeusement, en laquelle certain(e)s ami(e)s de San-Antonio verront avant tout un document. Les mêmes noteront d’autre part que la date de la mise en ligne de ce sujet, le 29 juin, n’a rien d’anodin : Frédéric Dard allait sur ses 44 ans quand il est venu faire ma connaissance, il en aurait 99 aujourd’hui même. « Bon anniversaire », Fredo !

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21 mai 2020 4 21 /05 /mai /2020 10:11

« N’en jetez plus !* »


Nous, quand on ressent de la peine, disait Frédéric Dard (en évoquant les écrivains, les poètes, les artistes en général), on ne peut s’empêcher de lui chercher un titre… Elle revient au triple galop, la gueuse, en ce « pont » de l’Ascension où nous avions l’habitude de retrouver nos amis les plus fidèles (Allain Leprest, Nilda Fernandez, Léo Ferré...) au festival de Montauban, « Alors… Chante ! ».

Jamais en peine, elle, la Camarde ne cesse de nous remettre à notre juste place, celle de « morts en sursis », comme disait Jacques Brel. Heureusement, il y a la mémoire qui chante qui, même lorsqu’elle est triste (un an déjà que le tendre, délicat et tellement talentueux Nilda a discrètement tiré sa révérence...), cherche à nous rappeler le meilleur de nos souvenirs... Lequel, pour moi (et tant d’autres sans doute) tourne souvent autour de San-Antonio... qui connaissait (vraiment) la chanson et adorait les artistes. Et réciproquement !

La preuve avec cette photo du grand comédien (et citoyen solidaire) Michel Piccoli (parti lui aussi dans la plus grande discrétion), se disputant avec Pierre Richard un de ses ouvrages inénarrables de fantaisie débridée comme de lucidité désespérée (en l’occurrence La Vie privée de Walter Klozett, 1975) ; la preuve aussi avec celle, ci-dessus, de Nilda Fernandez, invité en 1991 à Genève, en compagnie de Renaud, par Frédéric Dard qui l’estimait beaucoup et avait été particulièrement ému en découvrant Madrid, Madrid (voir Renifle, c’est de la vraie, paru en 1988, où il le clamait aux quatre vents – un passage dont je parlerai moi-même de l’origine, un jour, ailleurs, puisque je peux dire que « j’y étais », Frédéric m'ayant sollicité en amont à ce sujet, persuadé à juste titre que je devais bien connaître Nilda…).

Si j’avais su que je l’aimais autant, je laurais aimé davantage, disait encore Frédéric Dard, toujours lui. « On est aussi con aujourdhui / Quon sera mort dans dix mille ans », assurait pour sa part Leny Escudero qui vouait un culte à San-Antonio (et que nous étions allés saluer une dernière fois, Nilda et moi...). « Il ne faut pas aimer bien ou un peu / et à tout prendre / mieux vaut ne pas aimer du tout / Il faut aimer de tout son cœur / et sans attendre / dire "je taime" à ceux quon aime / avant quils ne soient loin de nous »... tant que nous sommes, nous-mêmes, « des morts encore vivants » (Brel…). Oh ! que oui, cher Jean-Roger Caussimon... Combien je voudrais pouvoir redire « je taime » à Frédéric, à Leny, à Nilda (avec « sa petite frime de fouine triste »,) à Léo, Allain, Claude, « Jo », Guy... et les autres. Des êtres qui sont « d’une autre race et ne le savent pas », chantait Ferré. Ils sont « d’un autre clan et se mêlent à vous, ils nous tendent leurs bras et nous donnent la main »...

Amis, soyez toujours (Vasca) !

*75e San-Antonio, 1971.

**Pour rappel sur (et avec) Nilda, si ça vous chante, sur ma page personnelle d’ « échanson de la chanson » :

« 37 ans de fraternité » (avec une émission, ensemble, sur France Inter).
• 7 avril 2018, Nilda chantait Garcia Lorca à Paris.
« Ah ! que ça me fait de la peine… »
« Nilda, Vasca : “La porte qui bat / Sur quel au-delà”… »
« L’Ascension de la chanson (Allain, Nilda et les autres) ».
« Nilda, San-Antonio et le temps qui reste ».

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18 mai 2020 1 18 /05 /mai /2020 09:23

« À prendre ou à lécher »*… par les affranchis


L’an dernier, les amateurs du Fou Écrivant (le plus lu du XXe siècle) ont célébré les 70 ans de son héros et alter ego San-Antonio (voir « San-Antonio sans alter ego »). Cette année, la Poste rend hommage à Frédéric Dard à l’occasion des vingt ans de sa disparition, le 6 juin 2000 (voir « San-Antonio fait chorus »), mais surtout en prévision du centenaire de sa naissance en 2021. Lui qui détestait les honneurs en tout genre, mais s’est toujours considéré (non sans humour) comme un « homme de lettres », en raison de sa venue au monde au-dessus d’un bureau de poste – chez un receveur des postes ! –, sûr qu'à se voir ainsi timbré, il se serait exclamé, comme San-Antonio en 1959 : Tout le plaisir est pour moi !a
_________
*Vous me direz que les timbres d’aujourd’hui ne se collent plus avec la langue, qu’ils sont autocollants. Soit ! Avec le temps tout se perd, comme les bas à jarretelles au profit de collants d'hommes-grenouilles, pas vrai San-A. ? Ça n’est pas une raison de se priver, pour autant, d’un titre alléchant, paru en même temps que le premier numéro de Paroles et Musique...

 


Voulez-vous que je vous dise ? En cette période si glauque où nombre d’entre nous ont perdu des proches ou des amis, ça fait un bien… fou de le voir ainsi timbré, en attendant de le découvrir oblitéré ; à moi, peut-être plus qu’au premier venu, qui l’avais « reconnu » déjà, tout minot, sans même savoir qui pouvait se cacher derrière ce nom étrangement hispanisant, alors que la mode littéraire était aux pseudos anglo-saxons (dix ans avant la vague de la chanson yéyé). San-Antonio !?... Comment aurions-nous pu imaginer à l’époque, moi, en lui adressant une lettre « fondatrice », lui en m’apportant (à ma grande surprise et pour mon plus grand bonheur) une réponse inoubliable, qu’un jour – plus d’un demi-siècle après ! – il nous serait possible de correspondre en affranchissant nos lettres à son image ?!

En 1990, déjà, on s’était réjoui quand la Poste française avait émis un timbre (à 2,80 F) à l’effigie de Jacques Brel (même si le portrait choisi, dessiné par Moretti, m’avait laissé dubitatif), mais surtout j’avais été comblé en découvrant sur place qu’en 2009 la Polynésie avait choisi de mettre le Grand Jacques à la une, à l’endroit même (un « pays » autonome, je vous le rappelle, avec son propre gouvernement) de son accessible étoile où l’avait mené l’impossible rêve de sa quête ultime (voir « Le voyage au bout de la vie »). Pour seulement 100 F Pacifique !

Et voici que pour moins d’un euro, le pays de Rabelais nous offre Frédéric Dard dit San-Antonio à prendre ou à lécher !

San-Antonio enfin timbré, pas trop tôt pour ce génial écrivain dont le succès populaire (donc suspect...) lui a trop longtemps valu, de son vivant, d’être enfermé dans des limbes d’indifférence voire repoussé dans un purgatoire de condescendance, par les tenants forcenés de l’agagadémisme et de la bien-pensance.

Cela me rappelle les réactions offusquées d’amateurs purs et durs de « la bonne chanson française » qui refusaient mordicus qu’on pût aimer, par exemple, un Brel et un Goldman en même temps (…alors que le répertoire de celui-ci, soit dit en passant, est infiniment brélien dans l’inspiration). Tant pis pour ces gens-là… Il suffit à mon bonheur de savoir deux ou trois petites choses… Que San-Antonio connaissait la chanson, qu’il était même avec Brel, dans sa loge, après sa toute dernière à l’Olympia… Ou qu’à défaut d’arriver à réunir Jean-Jacques Goldman (qui l’adorait) et Frédéric Dard (qui n’en pensait pas moins à son sujet), j’avais pu leur faciliter un rendez-vous téléphonique, diffusé en direct à la radio et tenu secret jusqu’au dernier moment (voir le verbatim intégral de leur conversation dans « Goldman Confidentiel »).

Bref ! Si vous mordez entr’ les lignes le topo que j’viens d’vous bonnir, les aminches, vous savez quoi faire la prochaine fois que vous aurez des velléités épistolaires, d’amour ou d’amitié ; a fortiori si votre bafouille est destinée au « Grand Connétable de la San-Antoniaiserie » :

l’orner du portrait dentelé (99 ans et toutes ses dents) du Grand Maître de l’Ordre (des plaisantins de bonne compagnie) ! Il ne vous en coûtera que 0,97 euro et une dose gracieuse de sympathie. Quant aux pisse-froid, aux pisse-chagrin, aux aboyeurs professionnels qui trouvent toujours à redire, bien planqués à l’arrière, à critiquer ce que font les autres, aux atrophiés du bulbe auxquels l’ouverture d’esprit est aussi étrangère qu’un semblant d’intelligence aux cons (« les seuls véritables étrangers de l’existence, disait Frédéric, contre lesquels s’exerce ma xénophobie »), quant aux trépanés de la membrane empathique, amputés des glandes lacrymogènes (dixit Bérurier) à force de s’autocastrer le rire salvateur, aux empêcheurs d’aimer (qui on veut) en rond, en long, en large et en travers, qu’ils se tranquillisent : personne ne s’avisera jamais de les regretter s’ils se décident à lâcher (enfin) la rampe !

Pour rire, justement (et pour la curiosité de l’affaire), je vous offre une chanson sur San-Antonio de 1981 tirée du navet « le plus pire » qu’on ait jamais « adapté » de son œuvre inadaptable à l’écran (réalisé par Joël Séria, pourtant, vous savez : Les Galettes de Pont-Aven, avec le regretté Jean-Pierre Marielle…). Interprétée par Robert Carpentier, composée par M. Stelio et J.P. Vinit, mais surtout écrite (commise ?) par le très talentueux et très sérieux Claude Lemesle, eh oui… Mais il lui sera beaucoup pardonné pour avoir eu Jacques Brel comme dieu et n’avoir pas craint, pour autant, de s’avouer idolâtre de San-Antonio !

Rappelons que, dans la seconde moitié des années 60, Frédéric Dard s’était lui-même essayé à l’exercice, sans prétention, en écrivant les paroles de la chanson San-Antonio, enregistrée par Félix Marten (sur une musique de Philippe-Gérard), ainsi que de la ritournelle préférée de Béru, Les Matelassiers, chantée par Bourvil (sur une musique de Jo Moutet). On peut les écouter dans mon premier sujet consacré à San-A. (« fait chorus ») sur ce blog.

Enfin, pour qui voudrait ne pas mourir idiot ou inculte (du Serial Virus Killer ou de connerie assumée), voici le communiqué officiel que La Poste va diffuser dès aujourd’hui, lundi 18 mai 2020, pour accompagner la sortie de son nouveau timbre (et je n’y suis pour rien*, s’il est – forcément – élogieux !) :

« Frédéric Dard est né le 29 juin 1921, à Jallieu (Isère), à l’étage situé au-dessus d’un bureau de Poste, ce qui, disait-il, le prédestinait à une carrière dans les lettres… Issu d’une famille modeste, il manifeste très tôt un goût immodéré pour la lecture. Influencé par des auteurs comme Georges Simenon ou Louis-Ferdinand Céline, il publie son premier livre, La Peuchère, en 1940. Touche-à-tout littéraire et stakhanoviste de la machine à écrire, il se frotte, sous son nom ou sous d’improbables pseudonymes, au roman populaire comme au conte pour enfants, en passant par l’écriture théâtrale ou les adaptations radiophoniques et les scénarios pour le petit et le grand écran. En 1949, en plein épanouissement du roman noir à l’américaine, il publie Réglez-lui son compte !, premier titre d’une série de plus de 180 livres mettant en scène le commissaire San-Antonio. Cette saga deviendra un raz-de-marée littéraire, transcendant tous les lectorats. La faconde, la truculence et la vitalité rabelaisienne de son héros et de son inséparable comparse Bérurier n’ont d’égales que son génie du verbe et ses fulgurances stylistiques. À raison de quatre titres par an, Frédéric Dard a créé un personnage-pseudonyme entré au panthéon des héros populaires.
 

Phénomène unique de la littérature française du XXe siècle, Frédéric Dard a publié près de 300 livres vendus à plus de 250 millions d’exemplaires et traduits en plus de trente-cinq langues. Tant par la diversité de sa production, que par l’art unique avec lequel il a renouvelé la langue, pourfendeur de la bêtise humaine à tous les étages, il est sans conteste l’une des figures majeures du patrimoine littéraire. Homme pudique et sensible, à la personnalité attachante, Frédéric Dard est décédé le 6 juin 2000, à l’âge de 78 ans. Il repose dans le cimetière de Saint-Chef (Isère), village où il a passé une partie de son enfance.

Ce timbre, célébrant les vingt ans de sa disparition, précédera d’un an les événements autour du centenaire de sa naissance. »
*Mais Éric Bouhier, auteur de l'excellentissime Dictionnaire amoureux de San-Antonio (voir mon sujet précédent sur San-A.) y est, lui, pour tout !

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DERNIÈRE HEURE – Je reçois, au moment même de mettre ce sujet en ligne, une information de La Poste, faisant état – compte tenu de l’impact de la crise sanitaire et du confinement sur ses programmations du premier semestre – du report au 15 juin de l’émission du timbre dardo-san-antonien. Dont acte… qui renvoie sans coup férir cet article du genre policier à celui de l’anticipation, en le rendant carrément « scoopesque ». On nous précise aussi, pour le cas où ça vous chanterait, qu’une avant-première de ventes d’enveloppes « Premier Jour » aura lieu à Paris, les 12 et 13 juin, à la librairie Carré d’Encre. Vous voilà affranchis de A jusqu’à Z !

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PS. Pour rappel, une bonne adresse à recommander ici et orbi : le site de l’association « Les Amis de San-Antonio » (à partir duquel vous pourrez accéder à d’autres sites, blogs, pages et groupes également des plus recommandables) ; pour y adhérer, vous pouvez vous présenter de ma part, on vous y accueillera à bras ouverts. Avec l’historique de la revue éditée par l’association, Le Monde de San-Antonio (91 numéros parus depuis 1997), véritable mine d’or pour les passionnés... et les chercheurs universitaires, de plus en plus nombreux à s'intéresser à ce monde-là.

 

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