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  • : SI ÇA VOUS CHANTE (le blog de Fred Hidalgo)
  • : Parce que c’est un art populaire entre tous, qui touche à la vie de chacun et appartient à la mémoire collective, la chanson constitue le meilleur reflet de l’air du temps : via son histoire (qui « est la même que la nôtre », chantait Charles Trenet) et son actualité, ce blog destiné surtout à illustrer et promouvoir la chanson de l’espace francophone ne se fixera donc aucune limite…
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  • Fred Hidalgo
  • Journaliste depuis 1971, créateur de plusieurs journaux dont le mensuel « Paroles et Musique » (1980-1990) et la revue « Chorus » (1992-2009). Editeur depuis 1984 et créateur en 2003 du « Département chanson » chez Fayard.
  • Journaliste depuis 1971, créateur de plusieurs journaux dont le mensuel « Paroles et Musique » (1980-1990) et la revue « Chorus » (1992-2009). Editeur depuis 1984 et créateur en 2003 du « Département chanson » chez Fayard.

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15 décembre 2010 3 15 /12 /décembre /2010 19:56

Supplément de programme

 

Oh ! là, là ! que n’ai-je dit ou fait (en déclarant achevées nos vendanges d’automne) ?! Alors que rares sont les réactions des intéressés suite à la publication d’une chronique (et ce n’est pas un reproche, seulement un constat), j’ai été assailli en revanche (et en privé) de questions ou de demandes d’explications : et moi et moi et moi ? et pourquoi lui ou elle et pas moi ? et le disque d’untel ou d’unetelle que je vous ai adressé, vous ne l’avez pas reçu ? Etc. D’où ce « supplément de programme ». Car : oui, bien des disques arrivés jusqu’à moi ce trimestre auraient également mérité des chroniques spécifiques ; et non, si je ne les ai pas présentés, ça n’a certes pas été par manque d’intérêt ni d’envie… Mais à l’impossible nul n’est tenu. On attend de moi que je continue à faire Chorus (avec un C majuscule), tout seul dans mon coin, ce qui relève à l’évidence de la quête de l’inaccessible étoile…

 

 

Quoi de plus normal, me rétorquera-t-on, pour un blog qui a choisi comme « avatar », comme marque de fabrique (et comme distinction pour les albums jugés les meilleurs) un « Don Quichotte » (dessiné par l’excellent Bridenne) ? Certes, mais n’oublions pas que le Chevalier à la triste figure montait à l’assaut de moulins à vent, qu’il luttait contre des géants hautains et indifférents sans espoir aucun de les vaincre. Quitte à y laisser la vie. C’est d’ailleurs toute la beauté de sa quête : n’avoir pas hésité à se colleter à (définitivement) plus fort que lui pour défendre « la veuve et l’orphelin ». « Tenter sans force et sans armure / D’atteindre l’inaccessible étoile / Telle est ma quête / Suivre l’étoile… »

Sans poursuivre le parallèle, tout hidalgo qu’on soit (« Dans un village de la Manche, dont je ne veux pas me rappeler le nom, vivait, il n’y a pas longtemps, un hidalgo avec lance au râtelier, bouclier de cuir à l’ancienne et rosse efflanquée… »), on ajoutera néanmoins à nos récoltes d’automne – pour faire bon poids et se sentir moins coupable d’abandonner les intéressés (même si certains d’entre eux n’ont pas besoin de nous) – une moisson d’albums reçus, écoutés et surtout aimés, appréciés, quel que soit leur genre musical. Ingénieux, l’hidalgo d’un village de l’Hexagone, n’est-il pas ? Précision : les albums recommandés ci-dessous ne sont pas (forcément) ceux des artistes, attachés de presse ou producteurs qui ont manifesté (le plus fort) leur désappointement. Là encore, il s’agit d’une sélection qualitative, car je m’oblige à passer sous silence les productions qui ne sont manifestement pas (ou plus ou pas encore) à la hauteur (voir « État critique » dans ce blog), en l’occurrence plus de cent autres albums reçus (et non sollicités), eh oui ! Pour rester exclusivement à l’affût d’un chant, d’une note, d’un mot qui sortent du lot… « Et puis lutter toujours / Sans questions ni repos / Se damner / Pour l’or d’un mot d’amour. »

   

 

L’« échanson de la chanson » vous propose donc un supplément de programme, comme aux beaux jours du music-hall. Seul « effort » demandé : emprunter soi-même le reste du chemin, en allant voir sur le site de l’artiste (quand il existe) à quoi ressemble son album. Dans la plupart des cas, on peut en effet y écouter des chansons, y visionner des vidéos et y glaner les renseignements biographiques élémentaires. Seul classement, comme d’habitude dans Si ça vous chante (l’éclectisme des styles et des générations étant ici une revendication fondamentale) : celui de l’ordre alphabétique. À charge,  si ça vous chante, d’y aller chercher sinon la perle rare du moins le petit bonheur qui vous conviendra le mieux.

 

 Abd Al Malik : Château rouge ; 14 titres (dont l’éponyme et impressionnant Château rouge composé par Gérard Jouannest : 12’05 !) ; prod. Barclay, distr. Universal (site de l’artiste).

 Amipagaille : Pan t’es mort ! ; un duo (Elsa Ferrier et Jean-Luc Bazille) de chanteurs d’histoires et de conteurs de chansons qui ne prend pas les enfants pour des gamins ; le premier CD, Tu peux pas dire, avait reçu le Prix Mino 2008 et un Coup de cœur de l’académie Charles-Cros ; 12 titres, prod. Victorie Music, distr. Universal (site du duo).

 Anne-Flore : Mélangés ; premier album, chanson française mélangée d’accents ibériques et de vagues méditerranéennes ; 12 titres ; L.P. Prod, distr. Rue Stendhal (site de l’artiste).

 Valérie Barrier : Béni ; second album d’une enfant de la balle, fille d’Anne Lefébure (Les Parisiennes) et de Ricet Barrier ; 13 titres ; Mistiroux Productions, L’Autre Distribution (site de l’artiste).

 Batignolles : Y a pas de problème… ; premier album du nouveau groupe d’Olivier Leite, ex-La Rue Kétanou ; 14 titres ; autoproduit, L’Autre Distribution (site du groupe).

 Mathieu Boogaerts : À la Java ; CD enregistré en public entre octobre 2009 et juin 2010, en duo avec le bassiste Zaf Zapha ; 16 titres ; Tôt ou tard, distr. Wagram Music (site de l’artiste).

 Candide : Et si… ; premier album ; 12 titres et CD-Rom : paroles + vidéoclip ; autoproduit (site de l’artiste).

 Caracol : L’Arbre aux parfums ; second album en solo, après celui du duo DobaCaracol : 13 titres, Indica Records, Québec, L’Autre Distribution (site de l’artiste).

 Louis Chedid : On ne dit jamais assez aux gens qu’on aime qu’on les aime ; album réalisé de concert par Louis et Matthieu Chedid (site du disque).

 Eva : À Marlène ; dans cet album paru initialement au Québec, Eva interprète tour à tour en français, en anglais et en allemand « les plus belles chansons » de Marlène Dietrich, avec Pierre Grimard au piano solo ; 15 titres, autoproduit, Le Chant du Monde, distr. Harmonia Mundi (site de l’artiste).

 Fergessen : Les Accords tacites ; premier album, 10 titres, MVS Records, Anticraft distribution (site du duo).

 Catherine Fontaine & Marie : Les Histoires de Zoé ; troisième opus jeune public du duo (paroles, musiques et chant de Catherine ; voix, accordéon, percus, etc., de Marie) ; 12 chansons « pour faire rêver la marmaille » en disque ou sur scène ; prod. et distr. Blue Velvet (site du duo).

 Hamon Martin Quintet : Du silence et du temps ; troisième album du quintet (après un en quartet) ; 12 titres ; prod et distr. Coop Breizh (site du groupe).

 Alexis HK et Liz Cherhal : Ronchonchon et compagnie ; au départ, La Maison Ronchonchon était une chanson dans le dernier album d’Alexis HK (voir « Les Affranchis de Chant’Appart » notamment), c’est devenu une aventure musicale pour le jeune public écrite et composée pour l’essentiel par le sus-nommé et Liz Cherhal, et interprétée avec Laurent Deschamps, Jehan, Juliette et Loïc Lantoine. 23 titres, Formulette production & La Familia, L’Autre Distribution (sites de Liz et d’Alexis, extraits en écoute ici).

 La Clouée : Décousus ; premier album (plutôt jazz) d’une ancienne élève de Michèle Bernard et Xavier Lacouture qui a fait ses classes comme chanteuse d’orchestre et leader d’un groupe de reprises rock dans l’est de la France ; 12 titres, autoproduit et autodistribué (site de l’artiste).

 Geneviève Laloy : Hirondelles ; c’est la révélation (belge) de la chanson jeune public de ces deux dernières années (après un premier opus, Si la Terre, grand prix Mino et Coup de cœur 2009 de l’académie Charles-Cros, et le spectacle éponyme, prix Mino 2010) ; 12 chansons qui traduisent « l’envie d’envol de l’hirondelle, indocile », symbole du voyage et de la liberté… Prod. Polyson, Victorie Music/Universal (site de l’artiste).

 Bernard Lavilliers : Causes perdues et musiques tropicales ; 11 titres ; prod. Barclay, distr. Universal (site de l’artiste).

 L’Espoir Williams : Les Rongeurs ; premier album de l’auteur-compositeur accordéoniste Dominique Bouchery, ex-Entre 2 Caisses, en duo avec Emmanuel Gaillard. 15 chansons qualifiées « de vertes et de pas mûres », à la moralité de saison : « Mieux vaut lever le coude / Que baisser les bras », où, pour le prouver, il est question par exemple d’Écrivains et spiritueux : « Pour résumer on peut conclure / Que si l’on veut vivre en gourmet / Tous les goûts sont dans la lecture / Tout est possible, tout s’admet / Une exception, je vous adjure / De n’y désobéir jamais / Règle d’or et vérité pure / C’est : “Mieux vaut nectar que gamay” » ! Autoproduit et autodistribué  (site du groupe).

 Monsieur Melon : Le Trou du chapeau ; second album après avoir fait ses gammes (Même en hiver, 2007) dans le métro parisien ; label (maison) 5’OP production, L’Autre Distribution (site de l’artiste).

 Serge Ménard : Bulles de savon ; « les mots que j’écris, me dit-il, sont des bulles de savon, des petites bulles d’amour qui flottent au gré du vent. Rien de bien grave en somme ; ce ne sont que des mots, que des bulles de savon… et puis, il y a un peu de musique aussi » ; 11 titres, autoproduit et autodistribué (site de l’artiste).

 Papet-J. Rit : Point ; en provenance de la cité phocéenne, rencontre entre le « Papet » des Massilia Sound System et « Rit », homme orchestre faussement naïf, fusionnant dans un style « dub, reggae, électro, blues » ; 12 titres, prod. Roker Promocion, distr. Wagram Music (site du duo).

 Peppermoon : Les Moissons d’ambre ; un second album (du duo Iris Koshlev et Pierre Faa) qui débute là où le premier (Nos ballades, 2009) s’achevait, sur la plage de piano Lonelunaire, où des paroles sont venues se poser entre-temps, et annonce déjà le dernier d’une trilogie cohérente ; 14 titres, prod. Peppermoon Music, distr. Discograph (site du groupe).

 Le Pied de la Pompe : Ici ou là ; 14 titres paroles et musiques de Gérome Briard (avec la participation sur la chanson éponyme de membres de Tryo, de Karpatt, de Oaistar, de la Rue Kétanou, de Coup d’Marron, de Mon Côté Punk, de la Ruda, et puis de Batlik, Jamait… !), prod. Sakabouger, L’Autre Distribution (site du groupe).

 Loïc Rabache : Orange ; un premier album « d’un artiste d’invitation, écrit son confrère Gildas Thomas : ses musiques et textes vous invitent à entrer dans son univers, son interprétation douce mais affirmée vous donne les clés de la porte d’entrée. Il faut accepter cette invitation car on découvre alors un ton et un rapport fond/forme très originaux. Finalement, Loïc Rabache n’a qu’un seul défaut : son nom… » ; 12 titres, prod. Là-bas dans ton chant, autodistribué (site de l’artiste).

 Christophe Sarale : Chants lointains ; septième album d’un ACI niçois qui assure « presque toujours l’ensemble de la réalisation, de l’écriture au mixage, en passant par l’instrumentation » – jusqu’à l’objet CD qui se présente vierge avec un simple livret de 4 pages proposant les textes des 11 titres. Mais qu’importe le flacon s’il procure l’ivresse… aux amateurs de chansons minimalistes, « volontiers perçues comme poétiques et intemporelles », sachant que « c’est en concert, dans l’intimité des petites salles, qu’elles trouvent leur juste place » ; autoproduit et autodistribué (site de l’artiste).

 Dominique Scheder (& Alexandre Cellier) : La Farandole des bagnoles ; 19 chansons thématiques autour du moteur à explosion (et des dizaines de marques citées !), de la valse du mécano au disco des chapeaux de roues en passant par le charleston des pistons, le blues du volant, le rap des manettes, le funk à mille tours, la reine de la boîte à gants, etc. ! Textes et chant de Scheder, musiques et arrangements (piano, trompette, accordéon, percussions, harmonica et clarinette) d’Alexandre Cellier. Un exploit en la matière que cette « ballade des dingues du volant », véritable album-concept qui, au passage, effectue une Virée chez Brassens. Humour, nostalgie et poésie naïve mêlés. « Ressuscité » l’an dernier (voir « Helvétiquement vôtre » sur ce blog), Dominique Scheder est ici au meilleur de sa forme. Prod. La Brouette à chanson (site de l’artiste).

 Siam : L’Amour à trois ; premier album d’un duo formé de Bruno Leroux et Fanny Labiaux dont Miossec dit : « Guitares, voix, bandonéon, machines, des parfums de valse à l’arrière-goût argentin, Siam s’est trouvé une patte, un style, une atmosphère… » ; 13 titres, L’Oz Production, distr. Avel Ouest (site du duo).

 Spi & la Gaudriole : Le Bal des hérétiques ; nouvel album qui traduit « le virage musical trad’ à fond » (écrivait Hélène Triomphe dans Chorus n° 27 à propos de son premier opus en 2004) de Spi, alias Jean-Michel Poisson, poète-troubadour et ex-auteur-chanteur du groupe OTH : « J’ai reçu de mes ancêtres le plus précieux des héritages / Un caractère de rebelle et le goût des terres sauvages / Qu’on me donne des musicos prêts à jouer partout à la ronde / Une poignée de danseurs et je soulèverai le monde… » ; 11 titres, prod. Label de Mai, autodistribué (site de l’artiste).

 André Stocchetti : Flûturiste ; des flûtes de toutes sortes, « à la fois contrebasses, hautbois ou guitares électriques saturées, au service de textes poétiques et métaphysiques hilarants, cyniques ou poignants » signés Michaux, Claude Roy, Cioran, Marot, plus quelques aïkus japonais ; 14 titres, Tempo Productions, distr. Socadisc (site de l’artiste).

 Syrano : À la fin de l’envoi ; troisième opus au style résolument urbain, « entre hip hop et musique sociale, dans la lignée du blues et du punk », et au propos radical contre le sexisme, la manipulation, le consumérisme… 16 titres, prod. Les Doigts dans l’Zen, L’Autre Distribution (site de l’artiste).

 Rony Théophile : Cœur Karaïbes ; second album de cet ACI guadeloupéen (le premier, Lakaz, est sorti en 2008), défenseur de la biguine et des traditions antillaises, qui élargit son horizon en visitant les principales îles de la Caraïbe : salsa, compas, reggae... Des standards mais aussi des titres inédits, comme le premier de l’album, Fanm, en hommage « aux femmes qui travaillent, à celles qui se sacrifient… ». 14 titres, prod. Aztec Musique, distr. DJ Flo (site de l’artiste ou en écoute sur celui-ci).

 Tierce Majeure : Demain, peut-être… ; nouvel album d’un trio de Marseille devenu duo (Denis Salfati et Gilles Trimont), mais « comme le nom nous plaisait bien, on l’a gardé. Nous sommes entrés dans le monde de la chanson française par la petite porte, en amateurs, et nous en sortirons sûrement par la même, mais ça n’a aucune importance : l’important, c’est que ces chansons continuent à vivre tant que vous voudrez bien les écouter… et surtout sur scène, car c’est là que les chansons existent le mieux… Alors, demain, peut-être ? » 14 titres, autoproduit et autodistribué (site du groupe). 

 Jean-Louis Viñolo : De la Garonne au Saint-Laurent ; un album un peu plus ancien mais qui nous est parvenu tout récemment, d’un artiste venu du froid aux origines sudistes qui revendique ses influences, de Nougaro au Québec… en passant par Saint-Pierre et Miquelon où il vit depuis 2003 et où a été enregistré le CD : « …La marée éblouit / Le phare de Pointe aux Pères / Et chante que son pays / Ce n’est pas que l’hiver. » 14 titres, autoproduit et autodistribué (lire la chronique d’Henri Lafitte sur le site Mathurin.com, « le magazine de St-Pierre et Miquelon », ou e-mail : jlvinolo@hotmail.com).

 

Enfin, deux coffrets de compilation à signaler en particulier :

 Les Disques Motors ; ce coffret retrace l’aventure phonographique du label indépendant créé par Francis Dreyfus, grand éditeur récemment disparu (le 24 juin dernier). Plus de trente ans au service d’une chanson et d’une musique sans frontières de styles, où se croisent Jean-Michel Jarre, Christophe, Larry Greco, Vince Taylor, François de Roubaix, Mounsi, Ferré Grignard, Louis Deprestige, Jean-Claude Vannier… et autre Bernard Lavilliers. 3 CD (digipack 4 volets), 54 titres, prod. Disques Motors, distr. Sony Music (site du label).

• Trois poètes : Brel, Brassens, Ferré ; 3 CD (digipack 4 volets) et un livret des textes rassemblant une sélection pertinente de 18 chansons de chacun de ces trois géants ; prod. Mercury, distr. Universal. livreBBF2.jpgL’occasion de rappeler, à la veille de « l’année Brassens », l’existence sous forme de beau livre de la seule et unique table ronde ayant jamais réuni le Grand Jacques, Tonton Georges et le Vieux Lion : rencontre organisée à l’initiative de (et propos recueillis par) François-René Cristiani, photos inédites (outre celle du fameux poster) en n&b et en couleur du grand Jean-Pierre Leloir. Un document définitivement de référence, indispensable à tout amateur de chanson, à (s’)offrir, si ce n’est déjà fait, pour les fêtes : Brel, Brassens, Ferré, trois hommes dans un salon, 80 pages, reliure cartonnée et toilée, grand format ; chez Fayard (en commande par correspondance à la Fnac ou chez Amazon).

 

pere-noel.jpg

 

Voilà. C’était le contenu (loin d’être exhaustif…) de ma hotte de Noël. Faites-en bon usage, car je ne peux moi-même faire davantage : imagine-t-on le travail que cela représenterait pour un individu seul (pourvu déjà qu’il trouve le temps nécessaire) de chroniquer dans le détail chacun de ces albums ? Pourquoi croyez-vous qu’avec ma chère et tendre, amateurs de chanson tombés l’un et l’autre dans la marmite et frustrés à l’époque de n’être informés que d’un tout petit pan de la création, nous ayons pris le risque professionnel (mais aussi personnel, avec nos seuls moyens) de lancer un magazine mensuel de « chanson vivante » en 1980, transformé (amélioré) en « Cahiers de la chanson » en 1992 (et jusqu’à la création de ce blog fin 2009 pour tenter de continuer à faire chorus aussi peu que ce soit) ? Parce qu’il fallait – parce qu’il faut toujours – une équipe importante, compétente et passionnée pour parvenir à rendre compte du meilleur de l’ensemble de la création francophone.

Cela dit, je me propose d’effectuer encore deux ou trois visites guidées de « vins et spiritueux » millésimés 2010 de châteaux que j’apprécie tout spécialement (et ne figurent pas dans ce « supplément de programme »). Peut-être dans les jours suivants, sinon aux premières lueurs du prochain millésime. En attendant, je vous souhaite – je te souhaite, amie lectrice, ami lecteur (si fidèles pour certains : trente ans révolus !) – un joyeux Noël et d’ores et déjà une bonne et heureuse année 2011 (si le grand méchant loup ne vient pas souffler encore plus fort sur nos maisons d’amour).

 

 

Ensuite, c’est promis, je continuerai à faire chorus, mais plus comme au cours de l’année écoulée. Peut-être moins en « échanson de la chanson » (comme m’a surnommé une bien aimable lectrice) qu’en « veilleur » (comme m’appelle toujours, ici, l’excellent « chantauteur » Jean-Louis Bergère) de la plus haute tour, si je peux me permettre cette évocation rimbaldienne (« Qu’il vienne, qu’il vienne / Le temps dont on s’éprenne »), histoire de faire un clin d’œil à la grande Colette Magny. Ce qu’en d’autres termes un (autre) grand Jacques de la chanson traduisait ainsi : « Il nous faut des porteurs de parole avec des chenilles d’acier dans la tête / La vérité, la vérité comme si la vie en dépendait / Je vous dis qu’il est temps… Que se lèvent ici ceux qui ont de l’esprit pionnier dans la tête / Il va falloir dès ce soir tout recommencer. »

Un conseil encore, après ces mots incandescents d’un rare « porteur de parole » (bel et bien vivant, mais ô combien occulté médiatiquement), ami(e) de Paroles et Musique, de Chorus et de Si ça vous chante (successivement ou séparément), en un mot ami(e) de la chanson ? Plutôt un vœu pour l’année nouvelle, extrait du titre éponyme de l’album d’un autre grand poète (vivant !) de la chanson, distingué en 1976 (par le « Prix des Critiques de Variétés ») : « Astique-nous donc tous tes cuivres / Et que ça flambe en tes châteaux / Fous ton minerai ciel ouvert / Et fais-lui cracher ses pépites » ; bref, Rêve ou meurs ! Le même cri du cœur, la même espérance folle, là encore (les grands artistes n’ayant fait que filer au fil du temps la même métaphore de la chaîne aux maillons solidaires dont on a déjà parlé et reparlé ici), de l’Homme de la Mancha de la chanson française : « Brûle encore, bien qu’ayant tout brûlé / Brûle encore, même trop, même mal / Pour atteindre à s’en écarteler / Pour atteindre l’inaccessible étoile. » 

   

 
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11 décembre 2010 6 11 /12 /décembre /2010 12:57

 Vendanges d’automne, clap de fin 

 

Il faut une fin à tout… En l’occurrence à ces vendanges d’automne qui, mine de rien, nous auront permis de présenter une centaine de crus divers (qui a parlé de crise de la création ?!), qu’ils soient de première jeunesse ou d’appellation contrôlée (c’est-à-dire des plus prometteurs ou reconnus par les amateurs et spécialistes du genre), n’ayant pas de temps à perdre à évoquer le tout-venant de la grande consommation. Pour refaire la balade, au besoin – dont l’itinéraire respecte l’ordre alphabétique, hors cuvées spéciales (Béart…) ou à fermentation spécifique (Brassens…) –, il suffit de cliquer ci-contre en colonne de gauche sur la catégorie « Actu Disques et DVD ».

 

verreRaisin.jpg

 

Après avoir goûté progressivement, depuis début septembre, aux cuves classées A à T, voici donc le clap de fin (de U à Z comme il se doit) de cette dégustation sélective 2010. Parce qu’il faut bien mourir pour renaître, se résigner à perdre sa peau de saison pour muer, peut-être, en lendemains qui chantent. Après le vin d’automne, le vin de glace ? Suivront de toute façon quelques récoltes hors catégorie… En attendant, « l’échanson de la chanson » vous propose de déboucher encore une Jolie bouteille que Graeme Allwright, incapable de se défaire de son addiction, malgré les ans qui passent (84 ans déjà, mais toujours aussi jeune, plein de vie et d’envie !), ne cesse de partager avec de nouveaux convives, au grand banquet de l’amitié et de la chanson vivante.

   

  

• UNE TOUCHE D’OPTIMISME : En avant pour demain ; 13 titres, 41’17 ; Prod. Benoît Falip, distr. L’Autre Distribution (site du groupe).
C’est encore de prime jeunesse, mais porteur d’avenir par définition. Et puis, quoi de plus jouissif que de débuter cette dernière livraison d’un blog célébrant l’utopie nécessaire qu’avec un groupe et un album aux nom et titre pareils ?! Le groupe ? Montpelliérain, composé de sept musiciens (guitare, violoncelle, clarinette, piano, basse, batterie… et violon pour la seule fille de la formation) et d’un auteur-interprète, Evan Braci. Famille revendiquée : Brel, Debout sur le zinc, La Rue Kétanou et Mano Solo (dont on retrouve en effet des inflexions dans la voix du chanteur, mixée en avant). Les thèmes ? Plus sombres, nostalgiques et lucides que le parti pris affiché ne l’indique, mais au service, volontariste, de lendemains – ou d’aujourd’hui – qui chantent : « Allez vas-y prends ta guitare / Fais-nous vibrer jusqu’à très tard / J’veux oublier les coups qu’j’ai pris / J’veux oublier les coups qu’j’ai mis / J’veux qu’tu enflammes notre nuit / De tes dix doigts, mon vieil ami / Et je t’accompagnerai en chantant / C’est le seul truc que j’sais faire / Alors j’y r’mettrai tout mon cœur / Et tant pis si c’est la misère… » (En chantant). Les titres des chansons, eux, font plutôt penser à Ferré (L’Âge d’or, Les Artistes…). Après Quelques grammes de bonheur, c’est le second album (autoproduit) d’Une touche d’optimisme, une touche seulement puisque, loin d’être béate, l’inspiration du groupe va jusqu’au suicide, qui met un point final à En avant pour demain : « Je suis seul dans ma chambre, il faut que je m’en aille / Je te laisse cette lettre qui finit par Je t’aime / Ma décision est prise… Amen. » Ainsi soit-il… à suivre.

 

• SERGE UTGÉ-ROYO : Chante Léo FERRÉ, d’amour et de révolte ; 17 titres, 63’55 ; production Édito Musiques, distr. Rue Stendhal (site de l’artiste).
Utgé-Royo chantant Léo Ferré, c’est si évident qu’on se demande pourquoi il aura fallu attendre aussi longtemps. Car cela doit déjà être le quinzième album de l’artiste, aux racines hispano-anarchistes. « Léo Ferré, rappelle-t-il, a fait partie de ma large tribu d’exilés espagnols, depuis mon enfance », avant d’expliquer : « La famille Ferré m’a proposé d’enregistrer les chansons “politiques” de Léo. J’ai longuement réfléchi (deux ans) avant de faire un choix différent, arbitraire et subjectif… » À savoir douze titres, paroles et musiques, de Léo (Mon général, Les Anarchistes, Madame la misère, Flamenco de Paris, À toi, L’Oppression, Le Printemps des poètes, Ni dieu ni maître, Le Bateau espagnol, L’Âge d’or, Le Testament, Les Poètes), et cinq mis en musique par lui : La Vie d’artiste (Francis Claude), Pauvre Rutebeuf (Rutebeuf), Nous deux (Jean-Roger Caussimon), L’Affiche rouge et Est-ce ainsi que les hommes vivent ? (Aragon).

Le traitement musical ? « J’ai eu le bonheur, répond Utgé-Royo, d’avoir eu à mes côtés, pour cette “sélection”, mon ami Léo Nissim, pianiste, compositeur et arrangeur, qui s’est ensuite attelé à la tâche des orchestrations. Les autres amis du groupe, Jean My Truong au rythme et au tempo, Jack Thysen et ses basses, et Jack Ada, ses guitares et son ukulélé, ont donné le grand jeu. Le duduk (cousin arménien du hautbois) de Rostom Khachikian est venu nous rejoindre en pensant avec émotion à Missak et Mélinée Manouchian, et à l’exil universel des humains en quête de liberté. La guitare flamenca de Jean-Baptiste Marino dansait sur les airs hispaniques… Le violoncelle de Miwa Rosso a gonflé nos cœurs, tandis que la harpe de Myriam Serfass souriait et pleuvait doucement sur les chansons… Le bugle de Claude Egéa rappelait quelques airs latins et de jazz du Vieux Lion. » Ajoutez-y une pincée de chœurs (Henri Courseaux, Christiane Courvoisier, Pierre Margot…) et vous aurez au final, entre les mains, un beau digipack trois volets comprenant les paroles des chansons accompagnées de notes resituant leur contexte et de photos de l’enregistrement. Non pas un album de chansons politiques, en effet, mais bien D’amour et de révolte, interprétées à la manière habituelle et caractéristique d’Utgé-Royo.

 

quichote_3.jpg• JOAN PAU VERDIER : Les Rêves gigognes… ; 16 titres, 59’57 ; prod. et distr. L’Yeuse Productions, Le Cambord, 24200 Sarlat (site de l’artiste).
Encore un enfant de Ferré, mais quel ! La dernière fois qu’on a vu Joan Pau Verdier sur scène c’était le 14 juillet 2003 – date du dixième anniversaire de la disparition de Léo – aux Francofolies de La Rochelle. « On se souvient, écrivait alors Marc Legras dans Chorus, que Verdier salua Léo Ferré (Maladetto, Léo) dès 1974 et adapta Ni dieu ni maître, l’année suivante, en occitan. Sa façon à lui, entre oc et rock, d’assumer une forme de filiation et souligner combien l’œuvre de Ferré constitua un révélateur pour nombre d’adolescents de sa génération. » En 2002, Joan Pau avait entériné cette filiation avec Léo Domani, un « Ferré » aussi original dans le fond que dans la forme. Voici donc Verdier de retour en auteur-compositeur, d’Oc (la moitié des chansons est interprétée en occitan) et de rock (son traitement de prédilection), qui n’exclut pas, loin de là, des incursions dans la tendresse des cordes, contrebasse et autre accordéon. Comme dans Les Dés de Mallarmé (cf. « Un coup de dés jamais n’abolira le hasard »), petit chef-d’œuvre de tournerie musicale (cosignée Verdier et Patrick Descamps), perle précieuse d’écriture et de spleen : « Sur un visage / Que l’on épure au fil des ans / Et des naufrages / Et qui s’estompe lentement / Où est la page / Qu’on a blanchie sous le harnais / De rêve en cage / Où sont les dés de Mallarmé ? »

Autre bijou, dont la thématique a été bien peu explorée dans la chanson (depuis Le Droit à la paresse de Moustaki), est ce Jour de flemme où la construction littéraire, le chant et la mélodie sont à l’unisson : « C’est un jour de flemme / Les seuls jours que j’aime / Où jamais rien ne se passe / Hormis les heures qui s’effacent / Pour rien, pour presque rien / C’est un jour sans haine / Un rêve à la traîne / […] C’est un jour-sourire / Un jour sans vieillir… » Du Verdier pure merveille où, chassez le naturel, il revient au galop, en clin d’œil affectueux à Léo : « C’est un jour-farniente / Res, nada ou niente / Une journée occitane / Comme un reflet de Toscane… » Dans la foulée, le Filh de lop (Fils de loup) s’aventure dans des contrées là aussi peu fréquentées ; chanson faite pour être écrite et chantée de toute évidence en occitan, qui renvoit (mais pas seulement) au temps des troubadours : « Fils de loup, fils de lièvre / Mais aussi fils de rien / Le chemin qu’il te faudra suivre / Ne sera pas droit chemin / […] Tu traîneras, flâneras / Et la vie passera / Tu chanteras chanteras / Mais vivras comme tu pourras… » Et que dire de la chanson suivante, Miséricordes, qui joue du contraste entre l’humain et la Terre d’une part, le pouvoir et la finance d’autre part : « Pitié pour l’enfance / Zeste d’innocence / Prélude aux finances / Des requins qui dansent / Et président… » D’autres sujets d’admiration ? Anar liures (S’en aller libres), superbe poème occitan de Domenja Decamps mis en musique par Verdier (« Voyageur des cimes / Tu es revenu sourd / De toutes les musiques rencontrées… / Voyageur de la vie / Tu es revenu aveugle / De toutes les clartés éclatantes… / Voyageur de l’amour / Tu reviendras vivant / De toutes les louanges recueillies »).

 

 

Voulez-vous que je vous dise ? Quelle chance nous avons de compter sur de tels « chantauteurs » ! Mieux que contemporains : vivants, actuels, à portée de mains, d’oreilles et de cœur ! Que la chanson française est belle, et riche ! Quelle fabuleuse diversité ! Et quel luxe, pour les médias qui font l’opinion, que d’arriver à se priver avec constance de pareils créateurs ! Je ne donnerais pas un seul Verdier pour toutes les « nouvelles stars » du monde, je ne donnerai pas cette Pluie d’images à laquelle l’album emprunte son titre (« Les nuits de vergogne / N’apaisent jamais / Nos rêves gigognes / Au fil des macramés / D’amoureux… ») ; ni cet hommage à « Serge et Alain “Play Blessures” » (« J’ai revu ma revue d’affectif / Mes imparfaits du subjectif / Je fuis la fugue / Et te conjugue / De repères / En repaires / Phalanstères…. »). Et encore moins le dernier titre, En-defora (En dehors), sommet poétique sur reggae lavilliéresque : « L’autisme inventé chante à l’avant-scène / Je vends des rébus et j’y mets le prix / Si t’as pas les clés la fable est obscène / Et marchandera le coût du mépris… »

Cerise sur le gâteau, la sortie de ce nouvel album est accompagnée, pour la première fois, de la réédition en CD de Tabou-le-Chat (1977) et Le Chantepleure (1979), quatrième et septième opus « mythiques » (son premier date de 1973) de la discographie de Joan Pau Verdier, jusqu’alors gelés (bien que non commercialisés) par la major qui en assura la production. Dépêchez-vous de les commander directement à l’artiste, car cette renaissance est, par contrat, limitée dans le temps. Marchander le coût du mépris, disait-il… Les Rêves gigognes… ? Un disque (un « Quichotte », cela va sans dire) où, comme dans La Règle du jeu qui l’ouvre, on se retrouve tout entier : « De l’amour à cœur fendre / Je n’ai plus rien à vendre / Tu es là dans mon espoir / Pierres noires, silence / Les amitiés auxquelles je pense / Me frissonnent l’hiver… »

 

• LES VIEILLES PIES : Une vie formidable… ; 15 titres, 64’53 ; autoproduction, distr. L’Autre Distribution (site du groupe).
Second album studio pour ce groupe généreux et plein d’avenir qui, dès le départ, proposait des Utopies de comptoir (octobre 2004). Ici, l’Utopie s’annonce dès la première chanson (« Mais je sais, oui je sais, que quelque part, pourtant / Tapie dans un sourire / Un soleil ou un chant / Une utopie m’attend, une de celles qui / Font croire en chaque instant à la beauté de la vie »). Ensuite, on passe sans heurt au Roman de Rimbaud, on croise la voix du Grand Jacques qui justifie le titre du disque dans l’instrumental éponyme (« Je trouve que j’ai une vie formidable, je considère ça comme un cadeau absolument fantastique, et encore maintenant je suis ébloui tous les matins »), on parcourt La Mort, l’Amour, la Vie de Paul Eluard… Pour le reste, ce groupe né en 2003 à Rennes et reformé en 2008 à Toulouse autour de leur chanteur (au timbre vocal un peu à la Cali) et auteur-compositeur Gabriel Saglio, a son style bien à lui, qu’on pourrait néanmoins classer, histoire de vous faciliter son approche, dans la famille Têtes Raides. Des textes forts, mélancoliques, fraternels, sur des musiques intelligentes, en ce sens qu’elles forment un univers (acoustique) cohérent bien que se frottant à diverses influences (klezmer, hip-hop, reggae, jazz, guinguette…) ; le tout orchestré avec bonheur par cinq excellents musiciens (guitares, accordéon, banjo, contrebasse, batterie, clarinette). Cinq instrumentaux jubilatoires complètent d’ailleurs les chansons de Gabriel Saglio, enrichis ici par un quatuor à cordes et une section de cuivres. Dernière chose : si, comme moi, séduit ou séduite par ce disque sorti le 8 novembre dernier, vous voulez tout savoir sur ces Vieilles Pies, véritables VIP de la chanson qui promet, sachez qu’il existe aussi un CD-DVD en concert, paru un Samedi soir de novembre 2007.

 

 • DANYEL WARO : Aou Amwin ; 2 CD digipack 3 volets, 15 titres, 112’06 ; Prod. Cobalt, distr. L’Autre Distribution (site sur l’artiste).
Je connais (et admire) Danyel Waro depuis le tout début des années 80, ayant même été l’un des deux premiers journalistes à parler de lui au plan national (alors que Ti Fock connaissait son heure de gloire en essayant de fusionner maloya et rock) et à encourager les artistes de passage à la Réunion (à commencer par Jacques Higelin) à lui rendre visite ; le second, alors à Libération, Philippe Conrath, étant aujourd’hui son producteur. Qu’en dire ici sans trop avoir l’impression, depuis trente ans que j’écris sur lui ou que je rapporte ses propos, de rabâcher ? Simplement qu’il est l’artiste qui a redonné ses lettres de noblesse au maloya réunionnais (l’autre musique locale, celle des anciens esclaves africains ; souvent opposée au séga, à tort puisque également d’origine est-africaine mais beaucoup plus « occidentalisée » au fil du temps), qu’il a fait connaître à travers le monde, avec des textes en créole à la fois universels et très ancrés dans la réalité socio-culturelle de « l’île à grand spectacle ». Et que le « pape du maloya », comme on l’appelle parfois (bien que descendant des « petits blancs » des hauts de l’île et non du continent noir), figure depuis cet automne au panthéon des artistes de world music : il a en effet reçu le 31 octobre dernier à Copenhague la plus haute distinction en la matière, le « WOMEX Award » pour l’année 2010.

 

 

« Héros » et prophète en ses terres depuis longtemps, poète reconnu et facteur d’instruments (kayamb, bobre, roulér…), Danyel Waro vit, crée, enregistre et tourne à son rythme, laissant à la vie le soin et le temps de le ressourcer. Aucune pression d’aucune maison de disques n’aurait pu le faire changer d’attitude. C’est pourquoi cet album est précieux. Parce que ses disques sont rares, bien sûr, et que celui-ci est un double. Mais aussi parce qu’il contient le fruit de ses rencontres (trois titres) avec le groupe corse historique A Filetta, autres insulaires héritiers de la tradition. À noter, parmi bien d’autres choses, un hymne vibrant à Mandela chanté avec Tumi Mokedane (le rappeur sud-africain de Tumi & The Volume) et un autre à Alin, son « pays » Alain Péters, génial auteur-compositeur-interprète réunionnais, prématurément disparu en 1995, à l’âge de 43 ans. Avec Ziskakan, la formation de Gilbert Pounia, dont on a présenté ici le dernier album (Madagascar), puis Baster (de Thierry Gauliris, que l’on voit dans la vidéo ci-dessus chanter avec lui), Danyel Waro aura été non seulement le maître d’œuvre du renouveau du maloya mais surtout un modèle à suivre pour nombre d’artistes des nouvelles générations, à l’image de Christine Salem (voir « Vendanges d’automne » n° 10). Un personnage définitivement entré dans l’histoire musicale de la Réunion. Ah oui, un mot encore : le titre de son album, Aou Amwin, signifie « De vous à moi ».

 

• ZEN ZILA : éponyme ; 11 titres, 43’15 ; production Acte public, distr. L’Autre Distribution (site du groupe).
Rock toutes ! « Depuis une douzaine d’années, écrivait Yannick Delneste (en 2006) dans Chorus, Wahid (Chaïb) et Laurent (Benitah) cultivent au sein de Zen Zila des textes teints aux couleurs du réel, des musiques empreintes de leurs voyages intérieurs et une amitié tranquillement indestructible. » Ils en étaient alors à leur troisième album, Mais où on va comme ça, sorti chez AZ ainsi que le précédent, 2 pull-overs 1 vieux costard en 2003, après Un mélange sans appel en 2000 chez Naïve. Un quatrième, Gueules de Terriens, allait encore paraître chez AZ/Universal en 2008, avant celui-ci, sans titre, réalisé en totale indépendance, signe que quelque chose ne fonctionne pas ou plus, soit dans les majors soit dans les médias, car Zen Zila figure sans aucun doute parmi ce qui se fait de mieux aujourd’hui dans le rock français « à textes ». Musicalement, c’est imparable pour les amateurs du genre, très guitares (électriques, of course) d’un bout à l’autre de l’album ; avec des incursions dans le blues et des allures, dans l’ambiance, la densité et parfois le chant, proches de Manset. Ou d’un Thiéfaine. Voire d’un Bashung. « Tourne, tourne, manège enchanté / Tourne à perdre haleine, à te désaxer / Percepteurs de la décadence, allumez les callumets / Plumeurs, traders à outrance, partisans de l’indécence / Osez poser sur l’asphalte / En vrac, vos bric à brac, toutes vos frasques / Constellation à la décimale / Horticulteurs des Fleurs du Mal… » Sans être sectaire ou amoureux d’une seule forme de chanson (ce qui revient au même), on ne peut qu’être sous le charme, emporté dans le tourbillon de cette musique envoûtante mettant en scène des textes citoyens : « Levez-vous, levez-vous les invisibles / Venez passer le pont des possibles / Oubliez, oubliez les prévisibles / Ceux qui rendent nos rêves impossibles… » Utopie, quand tu nous tiens !

 

• ZORA : Panaméenne ; 14 titres, 48’28 ; Prod. MVS Music, distr. Anticraft (site de l’artiste).
Il aura fallu patienter huit ans, après un premier album sorti en 2002 chez Warner, Bout de Terre (le premier, aussi, réalisé par Stefan Mellino, compositeur et guitariste des Négresses Vertes), pour que Zora (Bensliman) remontre enfin le bout de son joli museau, désormais en autoproduction. « Enfin », parce que la jeune femme qui signe l’essentiel de cet album (avec son alter ego, à la ville comme à la scène, Jean-Philippe Courtois) ne manque pas d’atouts. Découverte du Printemps de Bourges dès 1998, elle a multiplié depuis les premières parties (Richard Bohringer, Gnawa Diffusion, CharlÉlie Couture, Souad Massi, Zebda… dont la synthèse donnerait un bon aperçu du style de ses chansons) et les apparitions en festivals, et compte dans son jeu un certain M, lequel cosigne deux musiques de ce Panaméenne « aux parfums de pop revigorante ». Verbe décomplexé, ironie mordante, invective dessalée, c’est joyeux et riche musicalement, ça swingue au son d’une voix plutôt grave… « Moi, avec ma voix garçonne et mon caractère bien trempé ; lui, Jean-Fi, avec sa guitare et ses élucubrations, ensemble on concocte ces chansons où je me livre, par bribes, tout en peignant les travers de personnages attachants qui nous rappellent forcément quelqu’un. L’humeur est à l’humour tendre ou corrosif, souvent, au franc-parler toujours. » Dépression, angoisse chronique, égalité des chances, équilibre homme-femme, mixité, émigration, mercantilisme, surconsommation… On ressent l’urgence d’un retour à l’essentiel, jusqu’à la confession ultime d’un guitare-voix feutré aux envolées poignantes (Silence austère), en passant par un facétieux duo entre Jean-Fi et Zora (Super la mer), bossa pop sur fond de sirtaki ! Après le « faux départ » de 1998 (et deux vrais enfants, quand même, dans l’intervalle), gageons que ce second album sera le bon.

 

 

Voilà, c’est la fin de ces vendanges d’automne. Plus de cent disques et DVD présentés en trois mois… Je visiterai encore quelques caves spéciales où, avec le temps, le bon vin se bonifie en silence. Mais ensuite ? Ici en tout cas, histoire de refermer ce sujet comme il a débuté, avec Graeme Allwright, je vous propose une autre vidéo qui laisse deviner (malgré sa qualité technique médiocre) la réalité ordinaire des concerts de cet artiste extraordinaire, depuis qu’il parcourt les routes, en trimardeur de la chanson, sans relâche aucune et en faisant toujours le plein… en marge totale des médias. Le plein des salles, mais surtout le plein d’amitié, d’amour et de joie, le public ne demandant – spontanément et systématiquement – qu’à chanter en c(h)œur avec lui.

Formidable Graeme, aussi authentique à la ville qu’à la scène et vice-versa ! Je garde au cœur, par exemple, le souvenir ému d’une humble visite, dans la Corne de l’Afrique, rien que tous les deux, auprès de réfugiés somaliens au temps de la Guerre de l’Ogaden… Quelle humanité chez cet homme-là – non, hélas, ça n’est pas un pléonasme – qui sait parler autant sinon plus avec les yeux qu’avec les mots… Alors, maintenant qu’on a fêté pendant un an nos retrouvailles, suite au coup d’arrêt brutal que vous savez (y a-t-il un « docteur » dans la salle d’attente de Si ça vous chante prêt à nous aider à faire de nouveau chorus sur le papier ?), avec Graeme Allwright, buvons encore à l’amitié, l’amour, la joie… Une dernière fois (pour cette saison : « Au cœur de l’arbre il y a le fruit / Au cœur du fruit il y a la graine / Au cœur de la graine il y a la vie / Et la saison prochaine… »). Aujourd’hui, en effet, ça m’fait d’la peine, mais il faut que je m’en aille.

 

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5 décembre 2010 7 05 /12 /décembre /2010 18:04

L’utopie… ou la mort ?

  

« Si tous les gars du monde » faisaient chorus… Les « Chansons autour du monde » (Songs Around The World) du mouvement Playing For Change : Peace Through Music (« Jouer pour le changement : la paix à travers la musique »)… L’esprit qui anime ces pages (commentaires inclus : allez-y voir, on y parle d’utopie comme seule solution d’avenir, seul remède possible à un monde en déconfiture) est récurrent dans la chanson vivante, quel que soit son langage. Souvenez-vous par exemple de Give Peace A Chance (« Donnez une chance à la paix ») ou bien sûr d’Imagine (« …le monde entier / Vivant le moment présent / Vivant dans la paix / Partageant la planète entière »), d’un certain John Lennon… assassiné il y a exactement trente ans.

 

 

  « John Winston Ono Lennon, dit John Lennon (Liverpool, 9 octobre 1940 ; New York, 8 décembre 1980), auteur-compositeur-interprète. D’abord avec le groupe The Beatles, groupe phare des années 1960 et de la culture pop/rock (voir « Édith et John » dans ce blog avec les séances épiques d’enregistrement de Help…) ; puis en solo, période ponctuée de plusieurs albums (dont le célèbre Imagine) et marquée par ses actions en faveur de la paix avec sa compagne Yoko Ono. » Voilà, de façon (très) succincte, comment l’on pourrait résumer l’histoire professionnelle de cet artiste majeur. L’histoire de l’empreinte qu’il laisse dans la chanson comme dans l’esprit des hommes (et des femmes) de bonne volonté, elle, n’a pas fini de s’écrire.

On se contentera donc de lui rendre hommage à travers quelques vidéos éloquentes. D’abord, l’annonce de sa disparition (ici, au JT d’Antenne 2 du 9 décembre 1980) qui plongeait dans la stupeur des centaines de millions d’amateurs de chanson. Pour notre part, nous venions de sortir le dernier numéro de la première année d’existence de Paroles et Musique, le « mensuel de la chanson vivante » qui, pour se consacrer prioritairement à l’actualité, au patrimoine et aux lendemains qui chantent de l’espace francophone, n’allait pas faire l’économie d’un hommage à cette icône de la chanson anglophone dans le numéro suivant. Mais comment apporter quelque chose d’original, un mois plus tard, après le déferlement médiatique que l’on… imagine ? En choisissant, comme le ferait intelligemment notre ami et collaborateur Jacques Vassal, de relier John Lennon à la tradition du folk-song, pointant précisément en lui un guitar-hero de la classe populaire (cf. sa chanson Working Class Hero de 1970).

 

 

Défendant depuis toujours l’idée que la chanson est une chaîne sans fin, dont chaque artiste est un maillon par définition aussi indispensable que celui qui le précède ou qui le suit (même s’il existe indubitablement des maillons plus brillants que d’autres !), conforté en cela par des conversations sur la chanson avec Jean-Roger Caussimon (la métaphore de la chaîne est de lui) et Gilles Vigneault, la découverte de passerelles entre les artistes (de quelque genre musical, langue, frontière ou époque soient-ils) me réjouit à chaque fois. C’est en effet le signe que la chanson est vraiment l’expression artistique (pour ne pas dire l’art – sacré Gainsbarre ! –, même si pour moi la chose n’a jamais souffert de discussion, ne pouvant en aucun cas être moins qu’un art, étant de fait la synthèse de plusieurs arts reconnus comme majeurs : poésie, musique, théâtre, voire danse… et donc l’art majeur par excellence !) la plus chargée d’humanité immédiate. Capable de faire éprouver simultanément la même émotion (cf. Quand les hommes vivront d’amour, en août 1974, sur les Plaines d’Abraham, à Québec…) ou de relier les hommes entre eux à travers le temps et l’espace.

Autre spécificité insigne : elle n’a quasiment besoin de rien, d’aucun matériel sophistiqué pour exister, à peine d’un instrument (quoi de plus beau et plus émouvant qu’une chanson reprise en chœur et a cappella ?), et se contente le plus souvent, pour sa diffusion, du bouche à oreille. Comme le montre par exemple Le Temps des cerises, sans doute la chanson la plus populaire de l’Histoire de France. Car on ne peut pas dire qu’elle soit le fruit de faiseurs ou de producteurs à but lucratif, ni qu’à sa création elle fut matraquée par des médias intéressés directement (ou indirectement par l’audience suscitée : « ici, m’avait-on expliqué dans les années 80, à l’avènement des FM musicales, on a pour consigne de ne diffuser que ce qui plaît au public » !) aux bénéfices. C’est là toute la définition de la « chanson vivante », celle qui aura guidé toute ma « carrière » comme on part en quête de l’inaccessible étoile. Ainsi, j’aime bien qu’à trois décennies d’intervalle John Lennon et l’équipe de Playing For Change : Peace Through Music aient montré une même prédilection pour cette belle chanson qu’est Stand By Me

   

 

Il est d’ailleurs probable que ladite équipe se soit inspirée de la première chanson que Lennon a écrite en solo (en 1969), au moment de mettre en pratique leur gageure à travers le monde (voir « Prends le chorus » du 29 novembre dernier). De Peace Through Music à Give Peace A Chance, il n’y a en effet qu’un pas. Mêmes vibrations humanistes. « Tout ce que nous disons, c’est : donnez une chance à la paix ! » Une autre manière de chanter, à l’instar de Paco Ibañez, que « la poésie est une arme chargée de futur ». C’était la grande époque de « Faites l’amour, pas la guerre ! » Quelle meilleure façon pour John, avec Yoko auprès de lui, de faire passer le message qu’en donnant une conférence de presse dans son lit…

 

   

Dépassé, le mouvement pacifiste ? Périmé le slogan Make Love Not War ? Trop relié à la Guerre du Vietnam ?... Allons donc ! C’est comme si l’on voulait nous faire croire que l’Irak et l’Afghanistan, aujourd’hui, étaient des opérations de maintien de la paix, en oubliant les intérêts financiers sous-jacents… Qui cela trompe-t-il encore ? Baisse la pression (de pétrole ou de gaz), dirait San-Antonio, tu me les gonfles ! Alors que les mêmes laudateurs de la Liberté (de faire du fric) s’assoient gaiement sur les droits de l’homme les plus élémentaires quand il y a des contrats juteux à la clé. Jean Rostand, réveille-toi, ils sont devenus fous !

Trente ans après d’ailleurs, en 2008 plus précisément, Paul McCartney a montré combien le sujet restait d’actualité. Cet été-là, sur les fameuses Plaines d’Abraham, théâtre final du conflit entre troupes royales anglaises et françaises qui scella le sort de la Nouvelle-France (« Je me souviens »…), il donna un concert inoubliable sous les étoiles, le long du Saint-Laurent où à quelques encablures se détachait l’île d’Orléans du roi Félix. Et que croyez-vous qu’il chanta, en hommage à son ami John ? Après A Day In The Life, signée Lennon et McCartney en 1967, ce fut bel et bien Give Peace A Chance, reprise en chœur par cent mille francophones au diapason. Tous et toutes, à ce moment-là, « Citoyens du Monde »… Comme jadis Jean-Roger Caussimon, comme aujourd’hui Gilbert Laffaille et tant d’autres dont votre serviteur.

   

   

Alors, « Imagine qu’il n’y ait pas de paradis / C’est facile si tu essaies / Pas d’enfer en dessous de nous / Au-dessus seulement le ciel / Imagine le monde entier / Vivant le moment présent. » Oui, « Imagine qu’il n'y ait plus de pays / […] Aucun emblème pour lequel tuer ou mourir / Et aucune religion non plus / Imagine le monde entier / Vivant dans la paix. » Imagine un autre monde où quelques centaines de rats du Cac40 et autres valets de la finance assoiffés de pouvoir ne régiraient plus la vie quotidienne de milliards d’être humains : « Plus besoin d’avidité ou de famine / Une fraternité entre hommes… »

   

   

« Imagine le monde entier / Partageant la planète entière ».
Naïveté ? Utopie ? demandé-je dans « Prends le chorus ».
Tu te dis que je suis un rêveur ?... Que je ne suis qu’un rêveur !
Peut-être bien, mais je ne suis pas le seul ; j’espère qu’un jour tu nous rejoindras et que le monde entier ne fera qu’un… « You may say I’m a dreamer / But I’m not the only one / I hope some day you’ll join us / And the world will live as one. »

L’utopie ou la mort ? Non : l’utopie ET la vie !

 

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