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  • : SI ÇA VOUS CHANTE (le blog de Fred Hidalgo)
  • : Parce que c’est un art populaire entre tous, qui touche à la vie de chacun et appartient à la mémoire collective, la chanson constitue le meilleur reflet de l’air du temps : via son histoire (qui « est la même que la nôtre », chantait Charles Trenet) et son actualité, ce blog destiné surtout à illustrer et promouvoir la chanson de l’espace francophone ne se fixera donc aucune limite…
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  • Fred Hidalgo
  • Journaliste depuis 1971, créateur de plusieurs journaux dont le mensuel « Paroles et Musique » (1980-1990) et la revue « Chorus » (1992-2009). Editeur depuis 1984 et créateur en 2003 du « Département chanson » chez Fayard.
  • Journaliste depuis 1971, créateur de plusieurs journaux dont le mensuel « Paroles et Musique » (1980-1990) et la revue « Chorus » (1992-2009). Editeur depuis 1984 et créateur en 2003 du « Département chanson » chez Fayard.

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2 décembre 2010 4 02 /12 /décembre /2010 12:46

Vendanges d’automne (10)

   

 

Il existe une autre façon de faire « la ronde autour du monde », c’est de partager un verre entre amis ou gens de bonne compagnie, comme l’avait bien compris (et surtout si bien écrit) l’un de nos grands poètes populaires contemporains, j’ai nommé Bernard Dimey : « Si tu me payes un verre, on ira jusqu’au bout / Tu seras mon ami au moins quelques secondes / Nous referons le monde, oscillants mais debout / Heureux de découvrir que si la Terre est ronde / On est aussi ronds qu’elle et qu’on s’en porte bien. » Plus qu’à un verre, c’est à une nouvelle cuvée que je vous convie… si ça vous chante : la dixième de nos vendanges phonographiques d’automne de A à Z.

    

Rangées R à T pour cette fois (en attendant donc U à Z) : en même temps que l’hiver, le dénouement approche… Mais d’abord – puisqu’il est question de lui, on ne va pas s’en priver – on trouvera ici deux chansons de Bernard Dimey : celle qui donne son titre à cette page, mise en musique par Cris Carol et interprétée par Serge Reggiani. Et puis, rien que pour le plaisir (« plaisir d’amour » en l’occurrence, car c’est peut-être bien, mine de rien, l’une de nos plus grandes chansons d’amour), un montage vidéo de Michel Simon s’adressant à Mémère (sur une musique de Daniel White). Merveilleux Bernard Dimey qui, le croirez-vous, s’installa juste à côté de moi, à ma gauche, un soir à l’Olympia où Jacques Debronckart y donnait un récital unique (dans tous les sens du terme). Soirée doublement mémorable pour moi. C’était le 6 avril 1981… et moins de trois mois plus tard, le 1er juillet, à deux semaines d’atteindre la cinquantaine, mon illustre voisin méconnu d’un soir s’éclipsait sur la pointe des pieds.

 Quand il est mort le poète, on ne se bouscula pas pour lui rendre hommage. À l’exception notable de Charles Aznavour qui composa tout un album avec lui, d’Henri Salvador (Syracuse…) et surtout de Jacques Debronckart qui ne tarda pas à lui consacrer une émouvante chanson : « Bernard Dimey n’est pas mort le dix mai / On aurait cru qu’il l’avait fait exprès / L’est mort le premier juillet au matin / Et rud’ment bien / Dans son cercueil il avait l’air hautain / Volant à sa hauteur, pour la première / Et la dernière fois de sa carrière / Très haut, très loin / [ …] Un jour, dans quelques années, pas beaucoup, / On vous dira : “Vous l’avez connu ? Vous ?” / Vous partirez vexé, souvenirs flous / Et cœur bien triste / Si j’avais su... bien sûr, si l’on savait / On regarderait les gens de plus près / Quand tombe le rideau, quand part le train / Y a plus moyen. »

 

 

 

 RED CARDELL : Soleil blanc, 12 titres, 44’06 ; production et distribution Keltia Musique (site du groupe).
Quatuor à l’origine, trio depuis, ce groupe de Finistériens célébrera ses vingt ans d’existence en 2012. Composé du batteur Manu Masko, de l’accordéoniste Jean-Michel Moal et du chanteur-guitariste Jean-Pierre Riou (qui écrit tous les textes, les musiques étant collectives), Red Cardell (« fumier rouge » ou « engrais qui court » en breton de Douarnenez mâtiné d’anglais) nous offre ici son dixième album studio (auquel s’ajoute un live) depuis Rouge sorti en 1993. Un bonheur de métissage musical entre héritage breton, rock anglo-saxon et autres influences africaines ou sud-américaines. De la chanson française bien comprise, en somme, tel un creuset dans lequel se rejoignent et s’intègrent toutes sortes d’airs d’ici et d’ailleurs, au service de textes significatifs à l’écriture soignée. « Chaque fois, écrivait Jean Théfaine à propos de leur album précédent, Le Banquet de cristal (Cœur Chorus n° 64, été 2008), c’est le même constat : l’énergie post-punk et le lyrisme corps à cœur qui ruissellent là ont le parfum sauvage des pistes nouvellement défrichées. Difficile d’expliquer l’alchimie qui fait fusionner au plus tripal la guitare rageuse et la voix griffée de Jean-Pierre Riou, auteur-compositeur inspiré, l’accordéon chavirant de Jean-Michel Moal, et la batterie impeccable et les samples inventifs de Manu Masko, mais le miracle est là. » Confirme et signe : se renouvelant d’un album à l’autre, ce « miracle » fait de Red Cardell, à défaut d’être médiatisé à sa juste valeur, l’un des groupes français au long cours les plus originaux et attachants de ces dernières décennies.

 MAURICE REVERDY : 52 chansons vertes et bleues, double album, 34 + 18 titres, 77’44 + 77’08 ; Hacienda Productions, distr. label Éveil & Découvertes (site de l’artiste).
Il ne se considère pas (du tout) comme un « chanteur jeune public » mais revendique le droit d’écrire et de chanter « aussi » des chansons pour enfants. Auteur de trois albums « tout public » en 1980 (Lucidéaliste), 1982 (Énergie bleue) puis 1995 (Et le monde glisse), Maurice Reverdy mène son « Chemin de Bonhomme » d’une scène à l’autre, « une main en musique, l’autre en écriture, s’appliquant à fabriquer du beau ». C’est avec la rencontre de Daniel Thibon, l’auteur de Je reviendrai à Montréal pour Charlebois, que la chanson jeune public est entrée dans son existence. Le fruit d’un travail de commande, 24 petites chansons pour grandir, sur des textes de Thibon qu’il met en musique et enregistre, lui donne goût à la chose ! Il redemande des textes à Daniel, mêle sa propre plume à la sienne, en écrit seul aussi et compose C’est ma planète et autres chansons, nouvel album qui « s’échappe de la petite enfance et jette une passerelle vers ailleurs ». Au printemps 2006, Daniel Thibon tire sa révérence et Maurice se remet à l’établi, seul, pour les Chansons de sous mon chapeau, quinze titres « pratiquement tout public, mais largement imprégnés d’enfance » que l’on trouve, en inédits, aux côtés des deux albums précédents, dans ce vivier de 52 chansons vertes et bleues. À noter entre toutes ces chansons tendres, émouvantes, drôles, mélodiques, toutes d’harmonies douces, très « nature », très « guitare » et résolument écologiques, pour « grandes et petites personnes et inversement », un duo des plus réussi avec Steve Waring, Le nez, c’est nose, et la présence d’un Petit Joueur de flûteau (ici médiévalo-folk !) qui est la première pierre d’un Brassens Bien Brassé (BBB), travail original (autour de vingt-trois titres de Tonton Georges) qui cherche production. Signalons enfin que les Chansons de sous mon chapeau paraîtront « en solo » en mars prochain sous le nom de Chapeau & Co chez le même éditeur.

 
• CHRISTINE SALEM : Lanbousir, 12 titres, 52’58 ; Prod. Cobalt, distr. L’Autre Distribution (site de l’artiste).
Je l’avais rencontrée à ses débuts lors d’un reportage pour Chorus (n° 53, automne 2005) à la Réunion : Christine Salem était alors, avec Nathalie Natiembé et Françoise Guimbert, l’une des pionnières du maloya au féminin, ce blues local auquel Danyel Waro a donné une portée mondiale en reprenant (et en l’enrichissant) l’héritage des anciens. Sur scène, écrivais-je, le charisme et le magnétisme de Christine, sa voix grave aussi, font merveille. Sur disque, la nature essentiellement rythmique du maloya rend l’exercice plus difficile, mais Christine sait le rendre mélodieux, voire mélodique, quand elle le veut, non seulement grâce à son chant et à l’harmonie des voix chorales, mais aussi en associant parfois la guitare, le gambousi (une sorte de luth à cinq cordes) et le dzenzé comoriens (le cousin de la valiha, la harpe malgache) aux instruments traditionnels du maloya (kayamb, rouler, piker, bobre et autres percussions : congas, djembé…). L’essentiel est de toute façon dans le message dispensé, la défense d’une créolité fièrement assumée, s’enracinant autant dans ses origines ethniques que sociales. Lanbousir (« L’Embouchure ») est déjà son quatrième album depuis Waliwa (« Assoiffé ») en 2001. Résultante d’un long voyage initiatique sur les traces de ses ancêtres qui l’a menée de la côte est-africaine aux Comores et à Madagascar – un retour aux racines qu’elle a intitulé Raisinaz –, il constitue pour Christine Salem une sorte d’aboutissement artistique, du personnel à l’universel : des racines à l’embouchure…

 

 

 

 

• LES TIT’ NASSELS : Même pas mal, 14 titres, 44’09 ; Production At(h)ome, distr. Wagram (site du groupe).
Sauf erreur c’est déjà leur septième album en dix ans (Et hep ! en 2000, Bric à brac en 2002, Pareil en 2004 – en fait une compil des deux précédents, mais réenregistrés, et le premier à bénéficier d’une distribution nationale –, Fonds de tiroir en 2005, CRAC ! Crac ! en 2006 et Deux, trois trucs en 2008). On peut même y ajouter un Best Of sorti l’an dernier, Pêle-Mêle. C’est dire si le duo ne manque pas de sujets à traiter et à chanter. Le duo ? Aurélien (alias Axel) et Sophie, tous deux originaires de Roanne. Dix ans donc qu’ils écument les scènes, d’abord de Rhône-Alpes puis du reste de l’Hexagone. Le style ? « Les Tit’Nassels, écrivait Michel Kemper dans leur Portrait de Chorus (n° 47), font dans la chanson gaiement légère, chargée de sens. » Depuis, ils ont creusé ce sillon, celui de la famille chansonnière qui dit des choses graves l’air de rien, ou plutôt sur des musiques enlevées, des mélodies qui tournent, des orchestrations qui chantent. Un titre en particulier résume bien cette démarche, c’est Au royaume des gallinacés, tube musical en puissance brossant un tableau plutôt sombre de l’évolution des mœurs sociopolitiques : « Au royaume des gallinacés / La révolution est en marche / […] Propriétaires les pieds devant / Tous au cimetière en chantant… » Détail, la chanson (qui n’est pas sans faire penser, dans l’esprit, à Poulailler’ song de Souchon) est interprétée en duo (en double duo !) avec Fred et Alice… des Ogres de Barback. Des « volailles », pour le coup, dont on aimerait bien qu’elles fassent l’opinion. 

   

quichote_3.jpg• BERGE TURABIAN : Aznavour en arménien, CD-livre, 13 titres, 52’35 ; autoproduction (site de l’artiste).
C’est une curiosité, une belle histoire et une réussite. Auteur-compositeur-interprète originaire d’Arménie soviétique mais vivant à New York, Berge Turabian a publié plusieurs albums de ses propres chansons ou d’œuvres de poètes arméniens qu’il a mis en musique. Mais, amoureux de la chanson française et racines obligeant, il a voulu adapter Aznavour(ian) dans la langue de leurs ancêtres communs et lui consacrer tout un album, comme il l’explique dans le livret de ce disque sous forme d’une lettre à l’artiste : « Dans les années 70, en Arménie, la culture française avait une présence considérable, surtout la chanson. On connaissait entre autres Aznavour, Brel, Bécaud, Reggiani ou Piaf. Vous vous étiez déjà rendu en Arménie et aviez donné des concerts pour vos innombrables admirateurs. Vos chansons avaient été traduites et publiées et elles étaient souvent récitées comme de la poésie. Mais elles n’étaient pas traduites pour être chantées. » Alors, Berge (qui avait déjà adapté certains titres de Brel, Brassens, Ferré, Trenet, Le Forestier…), s’est attelé à la tâche. « Aujourd’hui, alors que la chanson française a presque disparu du monde musical arménien, il est encore plus impératif de réintroduire les œuvres de ces auteurs-compositeurs pour montrer que la chanson peut avoir un fond poétique, un message, une qualité. »

L’adaptation ? « Elle a parfois été facile et gratifiante, beaucoup plus souvent difficile. C’est ainsi qu’une simple chanson peut vous posséder pendant plusieurs mois… » L’orchestration ? « C’était une autre difficulté. Nous avons maintes fois fait et refait les arrangements avec Tigran [Nanian] pour trouver le juste milieu : nous ne voulions pas que les orchestrations ressemblent à des karaokés et ne voulions pas non plus d’arrangements originaux… » Il en résulte un ouvrage – interprétation incluse, sobre, fidèle et chaude – à la hauteur de l’attente. Et je me félicite d’autant plus d’avoir joué les Messieurs Bons Offices entre Berge Turabian – lecteur passionné de Chorus à New York ! – et les Éditions Raoul-Breton pour aplanir la question des droits d’édition. Le livret comprend tous les textes à la fois en V.O. et en arménien, outre des articles de présentation du projet également traduits en anglais. Bref, un travail à découvrir ; un « Quichotte » de Si ça vous chante à la clé pour distinguer cet amour exemplaire envers la chanson française et bien sûr pour le résultat des plus estimable et respectable auquel il aboutit ici. Comme une Autobiographie (premier titre du disque) de l’auteur de Je m’voyais déjà (qui conclut l’album), jalonnée de bornes incontournables : La Bohème, Emmenez-moi, Mes emmerdes, Mourir d’aimer, Comme ils disent, Hier encore…

 

 

NB. Dans le deuxième volet de ces « Vendanges d’automne » daté du 21 septembre, je présentais le nouvel album de Romain Dudek, J’veux qu’on m’aime, tout aussi excellent que les précédents mais le premier produit par un label reconnu (Le Chant du Monde). « Artiste engagé ? Enragé ? » écrivais-je. « Peut-être bien les deux, mon capitaine ! Dérangeant, ça c’est sûr. Artiste, en somme, avec un A majuscule, qui n’a que faire de plaire à la ménagère de moins de 50 ans ou de complaire à l’animateur télé. Mais qui trace sa route, coûte que coûte, vaille que vaille. » Ce sujet dédié aux mots et à l’amour (cf. Dimey) me permet d’en rajouter une petite couche sur l’auteur de La Poésie des usines (2006), avec une autre chanson tirée de son récent opus n° 5. Malgré la qualité de celui-ci, l’artiste dérangeant dont je parlais reste toujours aussi occulté. Alors, rien que pour nous, ce petit bijou d’amour tendre, histoire de montrer que, pour avoir la rage contre les maux de notre société, et le rock entre les dents, on n’en est pas moins homme, amoureux des mots… et des « simples gens », des enfants et des femmes. Après Mémère de Dimey, L’Amour et les Mots de Dudek ! À chacun sa déclaration d’amour.

(À SUIVRE)

   

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29 novembre 2010 1 29 /11 /novembre /2010 20:12

La ronde autour du monde

 

Au-delà de son contenu (traitement panoramique de l’actualité de la chanson française et de l’espace francophone, incursions régulières dans le patrimoine et quête permanente de nouveaux talents), ce qui a rendu définitivement « mythique » la revue Chorus (qualifiée tout au long de son existence d’organe de référence, de « bible » de la chanson), c’est sans nul doute l’esprit que son équipe avait su lui insuffler dès sa création. Des valeurs de fraternité et de solidarité en lesquelles tout amateur de chanson vivante se retrouvait naturellement. Car plus que la revue des chanteurs, plus que la revue du « métier », Chorus (comme l’indiquait d’ailleurs son sous-titre, « Les Cahiers de la chanson ») était d’abord et avant tout la vitrine de la chanson, celle-ci n’étant rien de plus mais rien de moins que l’expression artistique la plus populaire, universelle et authentique qui soit ; sa faculté première, son essence même, étant de jouer à saute-mouton avec les frontières physiques et mentales de toutes sortes. En un mot, l’« incarnation » de l’idée humaniste qui a toujours guidé notre démarche.
 

Pourquoi en reparler aujourd’hui ? Peut-être parce qu’un an vient de sonner à l’horloge de Si ça vous chante, un an à continuer de faire chorus… sans Chorus. Reviendra ? Reviendra pas ? La position unique que cette revue atypique occupait dans la presse musicale francophone autorise à penser que sa renaissance s’inscrit dans l’ordre naturel des choses. Surtout sachant que son équipe reste sur le qui-vive, toujours aussi motivée, prête à reprendre du service d’une saison à l’autre… et que ses lecteurs ne cessent, urbi et orbi, en France comme à travers l’espace francophone, de s’en déclarer « orphelins ».  

 

En attendant, peut-être, ce sujet – le premier de l’an 02 de Si ça vous chante – est l’occasion de saluer le travail d’une autre équipe (américaine, celle-ci) qui, convaincue comme nous de l’importance de la chanson, dans la lutte nécessaire contre les inégalités, les préjugés, le repli sur soi (et les malheurs ordinaires ou catastrophes extraordinaires qui en découlent), a eu cette idée magnifique de faire interpréter un standard mondial en direct (et de le filmer en temps réel) à travers le monde par nombre d’artistes de cultures différentes. Une chanson, Stand By Me (Reste près de moi, de Ben E. King, 1961), puis deux (avec Don’t Worry, du Français Pierre Minetti), puis trois, puis bientôt tout un album, du fait de la complicité généreuse des participants et du résultat génial de l’entreprise (des voix nouvelles, des instruments, des chanteurs et groupes divers venant s’ajouter les uns aux autres ou s’y substituer, faisant fi des fuseaux horaires et des latitudes : une incroyable performance technique et artistique !).

 Au final, tout un album, Songs around The World (Chansons autour du monde), et un documentaire, Playing For Change : Peace Through Music (Jouer pour le changement : la paix à travers la musique), récompensé en 2009 d’un Oscar aux États-Unis. Nul besoin de commentaires : il suffit d’écouter, de regarder… et de se régaler. En se disant que dans ce monde trop souvent inhumain, au profit toujours (mais de façon toujours plus prégnante) de la rentabilité immédiate, il est heureusement à toutes les époques des individus – et des chansons – pour tenter d’enrayer les maux qui nous étouffent et nous éloignent ; alors que les mots mis en musique nous lient et nous rendent plus forts.

 

Un demi-siècle avant ce Playing For Change, souvenez-vous, mes aïeux, c’était en 1955, un autre film exaltait le même esprit de compagnonnage et de fraternité universelle, Si tous les gars du monde. Réalisé par Christian-Jaque (avec au générique les jeunes Georges Poujouly et Jean-Louis Trintignant notamment), il était inspiré d’un poème du « prince des poètes » Paul Fort (oui, celui du Petit Cheval blanc de Brassens), La Ronde autour du monde : « Si toutes les filles du monde voulaient s’donner la main / Tout autour de la mer, elles pourraient faire une ronde / Si tous les gars du monde voulaient bien êtr’ marins / Ils f’raient avec leurs barques un joli pont sur l’onde / Alors on pourrait faire une ronde autour du monde… »

Le succès du film et de la musique de Georges Van Parys inspira à son tour l’auteur dramatique Marcel Achard qui écrivit la chanson éponyme, enregistrée aussitôt par Les Compagnons de la chanson (puis par nombre d’autres interprètes) : « Si tous les gars du monde / Décidaient d’être copains / Et partageaient un beau matin / Leurs espoirs et leurs chagrins / Si tous les gars du monde / Devenaient de bons copains / Et marchaient la main dans la main / Le bonheur serait pour demain… »

 

Naïf ? Utopique ? Sans doute. Mais d’abord, quel mal y a-t-il à faire chorus quand cela nous fait du bien ? Et puis, comme me l’a dit un jour Paco Ibañez, « une chanson, ce n’est jamais que quelques mots, ce n’est que trois minutes dans le cours du temps, mais une seule seconde peut être d’éternité. En fait, le pouvoir de la chanson est énorme, et tout à fait inexplicable : elle nous entraîne vers des limites que, peut-être, nous n’atteindrions pas sans elle, et c’est cela notre destin : croire à l’utopie. » Oui, si tous les gars du monde…

 

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18 novembre 2010 4 18 /11 /novembre /2010 12:45

Un an de vendanges enchantées 
 

Alors que Si ça vous chante célèbre aujourd’hui son premier anniversaire, le prochain millésime sera décrété « Année Brassens ». Il y aura en effet trente ans en 2011 que le bon Georges nous a quittés. Enfin, « quittés », façon de parler, car il nous accompagne toujours, nous tous derrière et lui devant. Toujours aussi modeste, simple et prêt à trinquer avec autrui... malgré les usages qui se perdent, « Car aujourd’hui, c’est saugrenu / Sans être louche, on ne peut pas / Trinquer avec des inconnus / On est tombé bien bas, bien bas... » (La Rose, la Bouteille et la Poignée de mains). Le « Mécréant » traitait volontiers du sang de la terre en chanson, qu’il parle du temps du Grand Pan (« La plus humble piquette était alors bénie / Distillé par Noé, Silène et compagnie / Le vin donnait un lustre au pire des minus / Et le moindre pochard avait tout de Bacchus… »), ou d’un coin pourri du pauvre Paris abritant un vieux Bistrot (« Si t’as le bec fin / S’il te faut du vin / De première classe / Va boire à Passy / Le nectar d'ici / Te dépasse »). Sans parler de son ode au Vin, tout simplement, qu’il appelait « le bon lait de l’automne »…

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L’occasion, tout en poursuivant ces vendanges 2010 (opus n° 9), de vous offrir un document exceptionnel de 1957 (enregistré le 12 juin par l’ORTF), où l’on voit le « patron » de la chanson française interpréter cette chanson, parmi ses copains. « On conte que j’eus / La tétée au jus / D’octobre... / […] En guise de sang / (Ô noblesse sans / Pareille !) / Il coule en mon cœur / La chaude liqueur / D’la treille... / […] Au ventre replet / Rempli du bon lait / D’l’automne... » On y reconnaîtra le moustachu René-Louis Lafforgue (Julie la rousse…) à ses côtés, mais aussi, en y prêtant attention (au début du document, sur la gauche), un certain Roger Riffard, grand « chansonneur » scandaleusement ignoré des dictionnaires et dont la disparition elle aussi passa inaperçue, la Camarde venant s’en saisir le 28 octobre 1981… vingt-quatre heures seulement avant Brassens : « Que vienne le temps / Du vin coulant dans / La Seine ! / Les gens, par milliers, / Courront y noyer / Leur peine... »

 

• NOGA : Miel & Poivre, 13 titres, 45’42. C’est en 2006 que Noga, ACI née en Suisse, fait ce qu’elle estime être son « entrée en chanson » avec l’album Rien de neuf sauf les bulles (auparavant, en effet, elle a vécu une autre vie musicale, adaptant et enregistrant notamment Kurt Weill en jazz, sous le nom de Noga & Quartet). Ce Miel & Poivre, mélange de sons et de couleurs apparemment contradictoires, comme son titre l’indique, a été conçu entre l’été 2008 et le printemps 2010 pour sortir cet automne. Définition de l’album par l’intéressée ? « Pfff ! répond-elle. Je fais de la chanson. De la “chanson-jazzy”, comme ils disent. Jazzy, pas jazz… Jazz sans alcool, vous voyez un peu ? De la chanson-jazzy-world. World comme nomade. De la chanson-jazzy-world-eat-pray and love. “Eat, pray and love”, oui, je revendique ! Encore des mots-clefs ? Populaire comme simple. Simple comme s’émerveiller. S’émerveiller comme Frank Capra. Capra comme La vie est belle. La vie est belle comme deux niveaux de lecture. Lecture comme histoires. Histoires trempées dans la réalité mais abordées dans la joie. La joie comme une arme revendiquée. Revendiquée comme ma chanson Oser. Oser comme “être la rebelle qui voit la vie belle”… » Voilà, vous savez tout ou presque : ne reste plus qu’à écouter Noga sur son site (et plus si affinités). Production GoElan (Genève), autodistribution (site de l’artiste).

• PASCAL PARISOT : Bêtes en stock, 14 titres + versions instrumentales, 69’27. Après trois albums en l’espace de six ans (Rumba, 2000 ; Wonderful, 2003 ; Clap ! Clap !, 2006) et un autre de reprises yéyé (Radiomatic), début 2006, Pascal Parisot nous revient avec un bel opus jeune public à mettre entre toutes les oreilles. Voix toujours aussi nonchalante, mélodies tranquilles et entêtantes, sonorités un brin désuètes teintées de bossa nova, textes ciselés où les mots s’amusent. Pour parler de souris qui ont la tête de maman, de caniches qui rôdent dans les bois, de mouches qui empêchent les enfants de se lever pour aller à l’école, de vaches espagnoles qui parlent mal anglais… Un bien curieux bestiaire en chansons qui s’amuse surtout des bêtes que nous sommes. Prod. et distr. Naïve (site de l’artiste).

• MAXIME PIOLOT : Fais confiance… mais attache ton chameau, 12 titres, 38’28. Naissance à Toulon, de parents bretons, enfance entre l’Afrique et la Bretagne. Débuts au théâtre (avec Lavelli, Peter Brook, Jérôme Savary…), puis premier album en 1974 (Cinq jours de pluie) et Prix du public en 1976 au Festival de Spa. Outre son activité d’écrivain de nouvelles, de contes musicaux et d’auteur dramatique (13 pièces de théâtre), d’animateur et de conférencier, Maxime Piolot est comme un baladin moderne, un trouvère toujours sur les routes, souvent à l’étranger, d’où il tire son inspiration (cf. son Rimbaud à Djibouti du précédent opus de 2009, Le temps qui nous est donné : « As-tu écrit des poésies / Rimbaud / À Djibouti / Un soir de fièvre ou le temps d’un sanglot / D’une insomnie ? […] Au lac Assal, à Tadjourah / La poésie ne s’écrit pas / Chacun la chante, elle est partout / Sur les visages et les cailloux… » – pour mémoire, voir Ballade en mer rouge dans ce blog). Ce nouvel opus, qui sort fin novembre, est le dix-huitième en trente-six ans. Il le cosigne avec Corinne Schorp au chant, et principalement Christian Desbordes aux musiques. Autoproduction, distr. Coop Breizh (site de l’artiste).

• POÈTES DE LA NÉGRITUDE (mis en musique et chantés par Bernard Ascal) : 50 ans – Les Indépendances ; double album, CD1 : Voix fondatrices, 21 titres, 52’40 + CD2 : Avant, ailleurs, aujourd’hui, 23 titres, 61’16. Cet anniversaire – un demi-siècle d’indépendance pour les anciennes colonies françaises – a donné lieu cette année à de multiples commémorations. Pour sa part, Bernard Ascal, auteur-interprète (et directeur artistique de la collection Poètes & Chansons chez EPM), a choisi de rassembler son travail de mise en musique des poètes d’expression française issus d’une quinzaine de pays africains et de l’océan Indien, mais aussi des Antilles (Aimé Césaire), de Guyane (Léon Gontran Damas) ou d’Haïti (René Depestre). Un livret de 22 pages présente tous ces poètes et rappelle l’avènement majeur du « Mouvement de la Négritude » qui, selon Bernard Ascal, « partage avec le Surréalisme d’avoir affirmé que l’expression poétique constituait la forme la mieux à même d’ébranler les consciences et de miner les chapes des certitudes. C’est un événement exceptionnel dans l’histoire d’une langue d’autant qu’il advient dans une période de doute envers elle et les valeurs dont elle est porteuse. Mais, alors que le Surréalisme choisit de rester en marge du pouvoir politique, le Mouvement de la Négritude relève le défi et prend sa pleine part des responsabilités… » Ce double album (qui constitue le 64e titre de la collection Poètes & Chansons) a reçu un Coup de Cœur de l’académie Charles-Cros. Prod. EPM, distr. Socadisc (site de « Poètes & Chansons »).

BistrotBrassens.jpg


• TOM POISSON :
Trapéziste, 12 titres, 35’43. Un vieux chanteur, mort de trac en coulisses, juste avant d’entrer en scène pour la dernière fois de sa carrière : c’est le point de départ de ce quatrième album (le premier, Tom Poisson fait des chansons, remonte à 2004). On y trouve ensuite de la méchanceté jubilatoire, du bonheur ahuri de flâner dans l’herbe avec ceux que l’on aime ; on y parle des amours englouties, du temps qui reste, de la renaissance après la maladie, de la difficulté de rester altruiste dans un monde individualiste…Tom traite simplement des choses (importantes) de la vie : nos liens, nos chaînes, nos victoires et nos ratages. « Je repousse mes limites avec délice sur chacun de mes albums », explique Tom. Fred Pallem (Le Sacre du Tympan) signe une réalisation qui vient renforcer la sincérité du tout, en mêlant habilement les guitares folk aux guitares électriques. « Il a eu carte blanche pour arranger, coloriser, réaliser, malaxer la matière brute que je lui ai confiée. » C’était risqué, mais c’est (Sacrément) réussi ! Production La Familia & LQCG, distr. L’Autre Distribution (site de l’artiste)

quichote_3.jpg• ALEXANDRE POULIN : Une lumière allumée, 12 titres, 53’28. Après un premier opus paru en 2008, qui lui a valu une nomination au Gala de l’ADISQ dans la catégorie Révélation (car le jeune homme est québécois), Alexandre Poulin monte en puissance avec ces chansons au contenu encore plus personnel et aux arrangements intimes et chaleureux, mariant habilement l’émotion des textes à la musique – synthèse des multiples influences revendiquées par l’artiste : de Dylan et Neil Young à Brel et Brassens en passant par Paul Piché et Harmonium. Mention spéciale à la chanson éponyme, portée par une voix délicate mais vibrante : « Je suis propriétaire d’une terre qui n’est pas à vendre / J’suis tout sauf millionnaire, je n’ai que du p’tit change / Je suis tout c’qu’on pense et on pense beaucoup / J’suis Amérique et France, tout ça mis bout à bout / Je suis arpents de neige, je suis fleuve de fierté / Je suis de ceux qui rêvent d’un pays “juste à moé” / Je suis… » (Une lumière allumée). Ainsi qu’à celle retraçant l’arrivée de ses ancêtres en Nouvelle-France, récit poignant sur un rythme crescendo : « Mes enfants grandiront ici / Dans l’abondance et la beauté de ce pays / Ils seront fiers de qui je suis / Et jamais ils ne connaîtront… la misère de Paris / La misère de Paris. » Un album touchant et prometteur… pour le moins ! Qui vaut bien, d’ores et déjà, un « Quichotte » de Si ça vous chante. Production Les Disques Victoire, Montréal (site de l’artiste). 

• MIQUEL PUJADO : A contraveu, 14 titres, 61’07. On a commencé ce sujet avec Brassens, on le termine (indirectement) avec lui. En effet, dans le premier dossier spécial de Chorus consacré à Tonton Georges (n° 17, automne 96), je présentais ainsi le chanteur catalan Miquel Pujado : « Amoureux de Brassens, qu’il a traduit, chanté et enregistré en catalan (une trilogie est en cours de parution), grand amateur et connaisseur de la chanson française (il prépare une anthologie personnelle en catalan), auteur-compositeur-interprète (il compte une dizaine d’albums à son actif depuis 1982), Miquel Pujado est sinon le plus atypique des chanteurs catalans, sans aucun doute le plus francophile des catalanistes chantants. » Depuis, non seulement Miquel a mené tous ses projets ou presque à bien, continuant à publier de nouveaux albums (comme celui-ci dont le titre À contre-voix, littéralement, peut également s’entendre À contre-courant), mais il a travaillé aussi cette année à la création d’un spectacle, à Barcelone, avec le comédien-chanteur Ferran Frauca, « consacré à des chansons françaises dramatisées, qui racontent une histoire ou qui mettent au moins un personnage en scène ». Il a ainsi adapté Le Souffleur (Reggiani), La Grande Farce (Escudero), Rosy and John (Bécaud), Non, je n’ai rien oublié (Piaf), Le chef d’orchestre est amoureux (Montand), le monologue de Plume d’Ange (Nougaro), etc. De plus, une troupe de Barcelone a présenté l’an passé, au Teatre Raval, un spectacle sur Boris Vian avec plus de vingt chansons et poèmes adaptés par lui en catalan. Enfin, il prépare pour l’an prochain un double CD avec l’intégrale de ses adaptations de Brassens (40) et un spectacle (Brassenswing), avec un trio de jazz. Production Columna Musica, Barcelone (site de l’artiste et en version française)
 

 

D’autre part, pour qui s’intéresse à la chanson d’outre-Pyrénées, à la cançó catalane comme à la canción espagnole, signalons que Miquel a adapté en catalan (« fifty-fifty » avec Joan Isaac qui en est l’interprète) douze chansons de Luis Eduardo Aute (prononcer Aouté), l’un des cantautores (auteurs-compositeurs-interprètes) majeurs du monde hispanophone. On retrouve d’ailleurs celui-ci en duo avec Joan Isaac dans six titres de cet album, Auteclássic (du fait de son traitement musical), qui s’achève par la très poétique Al Alba (À l’aube), l’une des trois chansons emblématiques de la résistance au franquisme, avec L’Estaca (Lluís Llach) et A galopar (Paco Ibañez). Une chanson à la fois sibylline, pour raisons de censure, et suffisamment éloquente pour être comprise de tous (ayant été écrite à… l’aube des dernières exécutions politiques du franquisme), que l’on peut découvrir ci-dessus par son auteur, en concert, seul à la guitare, ou l’écouter dans une version exceptionnelle, entièrement a cappella, en cliquant ICI : ce lien mène en effet à une page qui permet d’écouter tout un spectacle de l’artiste. Production de Auteclassic : Sony Music Espagne (site de L.E. Aute). 

NB. Pour rappel, à l’attention des privilégiés possédant la collection complète de Chorus, le n° 1 (automne 1992) consacrait une dizaine de pages à cet « artiste total » (Aute est également artiste-peintre et réalisateur de films, ayant été jadis assistant de Manckiewicz, Max Ophuls ou Maurice Ronet), lequel y signait aussi un témoignage exclusif sur sa dernière rencontre avec « Don Ata », le « maestro » (argentin) de la chanson hispanophone, disparu quelques mois plus tôt : un certain Atahualpa Yupanqui, considéré comme… « le Brassens latino-américain ».

(À SUIVRE) 

    

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