Vendanges d’automne (8)
Chose promise, chose due : au grand galop ou en prenant le temps de gambader un peu, voici la suite de nos vendanges d’automne – la huitième récolte de la saison. Où les « petits » vins de terroir, des régions de France, de Nouvelle-France, d’Helvétie ou d’ailleurs font la nique aux crus les plus commercialisés. Il est vrai que le fruit desdites vendanges résulte surtout d’un coup de foudre (de qualité supérieure). Je vous invite donc à reprendre nos vendanges d’amour là où nous les avions laissées (au début du sillon « M ») ; cette balade enivrante d’un château l’autre, n’ayant de sens que dans le partage convivial entre amateurs de palais fins (entre « chorusiens », avez-vous dit ?) : oui, « Nous les referons ensemble / Nous les referons ensemble / Demain, les vendanges de l’amour / Car la vie toujours rassemble / Oui, la vie toujours rassemble / Malgré tout, ceux qui se quittent un jour… »
Vous connaissez la musique ? L’échanson de la chanson propose des échantillons. Mais il revient ensuite à chacun de poursuivre la dégustation (via les liens directs sur lesquels il suffit de cliquer en fin de « chronique »… comme on débouche une bonne bouteille). Après, c’est la surprise du chef : chacun ses goûts, ses couleurs (blanc, rosé ou rouge ?), ses terroirs de prédilection… et sa durée préférée de maturation. Mais bouquetés, fruités, capiteux, âpres, moelleux, râpeux, généreux ou clairets, longs en bouche ou encore un peu verts, tous les châteaux et les palais qui suivent valent la visite. Car « Mon palais, dirait Jean Ferrat, ce n’est pas un palais comme les autres / Mon palais et la foule assemblée / Cette complicité qui fait qu’on se connaît / Sans être présenté / Par la vertu des mots, magie de la musique… » Suivez le guide !
• XAVIER MÉRAND : Phare Ouest, 12 titres, 45’42. Après un premier galop d’essai en 2005 (Toutes les histoires ont une chanson) et cinq ans passés à écumer les scènes et à travailler sa plume aux côtés de Claude Lemesle, Xavier Mérand jette l’ancre le temps d’un second album pour lequel il a demandé à douze artistes différents de mettre ses textes en musique (dont Roucaute, Romain Didier ou Ignatus). À noter un duo croustillant (Paradis rose) avec Agnès Bihl. « Xavier, écrit Alexis HK (un de mes artistes préférés de la « Génération Chorus »), je l’ai vu sur scène dans un théâtre de poche. Il est arrivé la main posée sur l’épaule d’un de ses partenaires pour lui servir d’yeux, car il n’y voit pas, ou très peu… Puis il a chanté qu’il était “bigleux” justement, puis plein d’autres chansons où c’est lui qui nous a montré bien des choses de la France des comptoirs et des grèves de train, éclairci l’atmosphère par son charme et son autodérision. […] Le public a suivi le sourire aux lèvres les histoires du drôle d’oiseau aux yeux brillants de malice et de plaisir. […] En repartant, je me suis senti moins aveugle, je voyais différemment… » Autoproduction et autodistribution (site de l’artiste).
• MILLY : Des histoires d’hommes, 13 titres, 43’26. Un premier album d’une maturité prometteuse. Il est vrai que si Milly a écrit (et co-composé) la plupart des chansons, cette jeune femme à l’accent vocal aigu, délicat mais assuré, a bénéficié du soutien de Gabriel Yacoub et Sylvie Berger (La Bergère), ainsi que de Valentin Akriche, Christophe Devillers et Michel Goubin à la réalisation. De ses influences diverses, anglo-saxonnes ou françaises, reste le goût pour la musique vocale, acoustique et la transmission. Un univers à contre-courant, des portraits, des tranches de vie, de l’énergie et de la sensibilité au service d’un voyage hors du temps. Coproduction Événement Productions & Le Roseau, distr. Harmonia Mundi (site de l’artiste).
• FRANÇOIS MOREL : Le Soir, des lions…, 14 titres, 45’47. Trois ans après Collection particulière, voici le Morel (François) nouveau, avec un titre éponyme (mais en V.O., La Sera, leoni…), prétexte à un bel canto endiablé avec Juliette aux chœurs et Nino Rota au cœur. Textes joliment ciselés, mis en musique et en mélodies par le fidèle complice Reinhardt Wagner (ex-Jacques Bertin) et par Antoine Sahler, « le pianiste sur lequel, écrit Morel, on n’a pas envie de tirer », avec du beau monde au casting instrumental. Il y a du Bourvil et du Boris Vian chez François Morel : du premier il affiche la gouaille tendre et candide, du second la fantaisie acérée et mordante. Faut pas exagérer, nous répondrait-il en écho à la chanson d’ouverture, fausse vantardisse de fier-à-bras pas dupe, où l’auteur se compare en vrac et tout à trac à Rambo et Picasso, Corneille et Clooney, Sacha Guitry et Émile Louis… Quand il était petit, François ne savait pas s’il préférait devenir comédien, humoriste, auteur ou chanteur. Alors, il est devenu tout ça à la fois, tel un touche-à-tout d’égal talent. Au final, ici, l’ex-Deschiens (Yolande Moreau participe d’ailleurs à un titre, La Fille du GPS) nous balade du rire aux larmes ; et c’est avec beaucoup de plaisir qu’on effectue la visite. Productions de l’Explorateur, distr. Polydor (site de l’artiste).
• JEAN MOUCHÈS : Quand j’avais encore mon troupeau d’éléphants…, 14 titres, 60’44. Voici un des artistes de la « Génération Chorus » (non seulement que j’apprécie le plus mais surtout) dont je ne m’explique pas la discrétion médiatique à son égard. « Dans sa famille chanson (avec le grand-père Trenet, le père Boby Lapointe, l’oncle Nougaro, le grand frère Laffaille et les cousins Cabrel ou Beaucarne), ne manquez surtout pas de demander le petits-fils : vous en redemanderez ! À son image, nonchalante en diable, son répertoire balance entre la ballade du Néandertal et la fin du monde, frappé d’une voix tendre et faussement fragile. Rien d’autre, en somme – à travers un répertoire jubilatoire conjuguant finesse d’écriture et variété musicale (du blues au rap) – que l’histoire de l’Homo Sapiens. » Rien à retrancher à ces lignes que j’ai écrites en… 1998 (pour Chorus n° 23), après la sortie de La Malédiction du caméléon (un Cœur Chorus, d’ailleurs) ; ses deux précédents albums empruntant à une même thématique zoologique (Tango chevalin et autres chansons, 1988 ; En descendant du singe…, 1993), ainsi que les deux suivants : Du coq à l’âne en 2000 et Pattes de mouche, fin 2001. Il aura donc fallu attendre (hors CD jeune public) neuf ans pour que nous arrive enfin ce sixième opus. Enregistré en public « comme à la maison » (avec ses excellents et fidèles complices Jakes Aymonino à la guitare et Michel Macias à l’accordéon), si sa production ne peut prétendre à la qualité d’un album studio, son contenu présente l’avantage d’offrir à la fois des titres inédits et d’autres « revisités », dont un Sac d’embrouilles délirant en bonus cadeau – « Mais est-ce bien un cadeau ? » s’inquiète ce drôle de fabuliste de la chanson. Autoproduction, distr. Mosaic Music (site de l’artiste).
• MOUSS & HAKIM : Vingt d’honneur, double album live, 25 titres, 92’16. Deux décennies d’activisme musical déjà pour les deux frères Amokrane, ex-Zebda ou 100% Collègues, devenus Mouss et Hakim lors du festival « Origines Contrôlées » qu’ils ont créé à Toulouse en 2005. Ce double album conçu pour célébrer l’événement est un véritable bonheur d’échanges, de rencontres et de partage. Et s’il n’y avait qu’un message à tirer de leurs chansons (originales ou adaptées de symboles de l’exil et du combat politique maghrébin, tels que Matoub Lounès, Slimane Hazem, Cheikh El Asnaoui, Lounis Aït Menguellet ou Idir), ce serait que la fraternité n’a pas de papiers. Ajoutez-y des standards de la résistance aux impéralismes fascistes ou nazis comme L’Estaca, Bella Ciao, El Paso del Ebro ou Le Chant des Partisans, et comme le public qui les reprend en chœur dans la joie et la bonne humeur, comment ne pas se sentir Motivés ? Bonne route, les frangins ! Production Tactikollectif, distr. L’Autre Distribution (site du duo).
• MICHÈLE MÜHLEMANN : Les Pires Espoirs, CD 14 titres + 1 titre caché, 61’50 (+ DVD du concert). On l’a découverte en duo du temps de « Mimi et Clode », prix « Meilleur espoir » 1992 à la Médaille d’or de Saignelégier, en Suisse (car « Mimi », née dans l’ex-Zaïre, a grandi au pays de Guillaume Tell), et finalistes de la Truffe de Périgueux 1994 (un album live en mai 1995) ; on l’a retrouvée en solo en 1997 à la ville (Toulouse) comme à la scène (un premier album, Amourdeuse, en 2001). Depuis Michèle Mühlemann, ACI nourrie au biberon de Renaud et de Perret dans son enfance, a multiplié les spectacles (dont un double Whisky-Chocolat, enregistré en public et en « trio » en 2008) et engrangé les prix d’un tremplin à l’autre… sans parvenir à accrocher l’oreille des médias nationaux (vous avez dit parisianistes ?). Dommage… pour eux. Mais surtout pour le public ! Vous pourrez en juger à l’écoute de cet album enregistré à la Salle Nougaro de Toulouse, mais plus encore en regardant le DVD du concert (entre récital et café-théâtre, car la belle n’a pas la langue dans sa poche) qui montre bien l’énergie, l’humour et la maîtrise de l’artiste (qui n’hésite pas à changer de tenue devant le public !). Sa tendresse aussi quand elle le veut. Accompagnée de trois excellents musiciens multi-instrumentistes (Loïc Laporte, Frédéric Cavallin et Thierry Roques), on la voit arriver jusqu’à la salle à cheval, guitare en bandoulière ; le DVD (réalisé par Marc Khanne) s’achevant par un joli portrait-interview, entrecoupé de bribes de répétitions. À noter que certains titres de Michèle ont été mis en musique par Manu Galure, comme J’aime pas les choses (« Quoi qu’il y ait bien une exception / Mais là, ô rage, ô déception / Elles n’ont de choses que le nom / Et elles appartiennent aux garçons » !). Orphée Productions, distr. Mosaic Music (site de l’artiste).
• NIOBÉ : Manifeste, 12 titres, 45’15. Jean-Pierre Niobé, originaire de la région angevine, s’oriente d’abord vers le théâtre avant de monter un tour de chant en 1990. En 1994, sa rencontre avec Lionel Tua, un comédien qui écrit des textes de chansons, se révèle décisive : un premier album remarquable, Rêves de comptoir, paraît un an plus tard. Deuxième opus en public, Le Nanalphabète, en 1999, concerts (plus de cinq cents à ce jour), Festival d’Avignon, petites salles parisiennes… puis sortie en 2004 d’un troisième CD (…De l’humain dans nos affaires), distingué aussitôt par un Cœur Chorus (n° 50) et un Coup de Cœur de l’académie Charles-Cros. Voici aujourd’hui un Manifeste des plus éloquent et des plus riche quant à l’orchestration, marqué par la découverte de la Réunion. Niobé bénéficie en effet de l’apport aux instruments, au chant voire à la prise de son pour certains titres du groupe Zong et surtout de l’excellent accordéoniste chanteur René Lacaille (Mé sauvé, La Saison sèche…). Superbes titres où Niobé, interprète et mélodiste sensibles, s’essaie au kayamb entre les cuivres, les cordes et les claviers. Superbe album où l’humain reste au cœur des préoccupations, bravant les moulins à vent : « Chez moi comme chez vous autres / Le monde court à nos pertes / Je n’demande rien d’autre / Que les portes restent ouvertes… » Forcément, un « Quichotte » de Si ça vous chante ! Coproduction Collectif Crock’Notes et Tonton La Prod, autodistribué (site de l’artiste).
(À SUIVRE)