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  • : SI ÇA VOUS CHANTE (le blog de Fred Hidalgo)
  • : Parce que c’est un art populaire entre tous, qui touche à la vie de chacun et appartient à la mémoire collective, la chanson constitue le meilleur reflet de l’air du temps : via son histoire (qui « est la même que la nôtre », chantait Charles Trenet) et son actualité, ce blog destiné surtout à illustrer et promouvoir la chanson de l’espace francophone ne se fixera donc aucune limite…
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  • Fred Hidalgo
  • Journaliste depuis 1971, créateur de plusieurs journaux dont le mensuel « Paroles et Musique » (1980-1990) et la revue « Chorus » (1992-2009). Editeur depuis 1984 et créateur en 2003 du « Département chanson » chez Fayard.
  • Journaliste depuis 1971, créateur de plusieurs journaux dont le mensuel « Paroles et Musique » (1980-1990) et la revue « Chorus » (1992-2009). Editeur depuis 1984 et créateur en 2003 du « Département chanson » chez Fayard.

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19 octobre 2010 2 19 /10 /octobre /2010 10:43

Prenez pas les morts pour des cons

 

Arrêt sur image momentané dans nos « Vendanges d’automne ». Comme pour le nouvel album de Béart et les reprises de Brassens, la sortie d’un album (posthume) de Jehan Jonas, grand précurseur de la chanson moderne contestataire (mâtinée d’humour – souvent corrosif – et de poésie tendre), mérite en effet qu’on s’y attarde spécifiquement. D’autant plus qu’au-delà des modes et du temps, nombre de ses chansons restent dramatiquement d’actualité. Forcément, quand on n’est pas à une Bavure près…

  

 Soixante-neuvième sujet de Si ça vous chante – soixante-neuf comme le numéro mort-né de Chorus (visible néanmoins en grande partie sur le site de la rédaction) – avec un artiste (mort il y a trente ans) hautement représentatif de notre démarche (trentenaire) de partage du meilleur de la chanson francophone. Entre la découverte des talents en herbe et la « redécouverte » des géants consacrés, nous n’avons en effet eu de cesse de rendre justice aux artistes confirmés (et reconnus par leurs pairs) mais scandaleusement méconnus, parce qu’occultés par les médias « qui font l’opinion » pour diverses raisons (censure politique, économique, mode de production ou de distribution, « couleur d’antenne »…) dont certains comme Jacques Debronckart ou Jehan Jonas, en l’occurrence, n’avaient rien, mais vraiment rien, à envier aux plus grands.

Jehan Jonas ? Vous ne connaissez pas ? Vous n’avez jamais entendu parler de lui ou, du moins, jamais entendu la moindre de ses chansons ? Voilà une lacune (hénaurrrrrrrrme !) qui n’attendra pas davantage pour être comblée. Sachez simplement que, mort à 35 ans le 29 avril 1980 (il était né le 12 août 1944 à Paris), les cinq albums (AZ/Vogue pour les trois premiers et SFPP pour les deux autres) qu’il avait sortis entre 1966 et 1972, et n’étaient plus disponibles, furent réédités (par le producteur indépendant Michel Bachelet, chaque pochette déclinant sous une couleur de fond différente le portrait repris ici) suite à l’article qui parut dans le n° 5 de Paroles et Musique. Une simple « brève » dans le n° 2 annonçant sa disparition (en même temps que celle de Stephan Reggiani) nous valut à l’époque un courrier si abondant qu’il ne fit que conforter notre envie de lui consacrer ce sujet.

dessin.jpg

Un exemple (signé « Annie et Michel Dubois » de Vénissieux) : « Nous avons lu les deux premiers numéros de votre revue avec une grande joie, pour ne pas dire une jubilation intense, car elle correspond exactement à ce que nous attendions : elle dit ce qu’il y a à dire sur la chanson que nous aimons. Mais quelle stupeur et quelle tristesse quand, dans un entrefilet de la page 11, nous apprenons la mort de Jehan Jonas !... Nous ne possédons qu’un 33 tours de ce jeune chanteur et deux ou trois chansons enregistrées à la radio, et nous ne savons rien de lui, mais quel talent ! quelle voix extraordinaire ! et quelles merveilles que des chansons comme Mon copain de la lune, L’Album de famille, Tahiti, À celle que j’aime… Le disque a beaucoup tourné ces derniers jours… À quand une rétrospective Jehan Jonas dans Paroles et Musique, avec une discographie complète et peut-être le témoignage de Jean-Marie Vivier* dont nous avons un disque où les chansons de Jehan Jonas occupent une place de choix ? »

Sous le titre « Un “grand” de la chanson est parti sur la pointe des pieds », dans ce n° 5 de décembre 1980 (avec Alain Souchon à la Une, côtoyant Pascal Auberson, Toto Bissainthe et Quilapayun), je rappelai notamment ceci : « Jehan Jonas était en effet l’égal des “grands” de la chanson, mais ça ne se savait que dans le cercle restreint des vrais connaisseurs. Car Jehan avait été rejeté par les médias pour avoir osé chanter (et stigmatiser) la Mentalité française. Une chanson-révolte qui l’avait rendu “maudit” et lui avait valu d’être traité de “petit voyou” par un présentateur radio-télé bien connu ; alors que Jehan était en fait un véritable poète, un tourmenté, un écorché vif, dont les œuvres étaient toujours empreintes de cet humour corrosif, voire cynique, qu’il savait si bien manier. […] Il est mort brusquement, dans le silence général. Nul journal n’a donné l’information, aucune station de radio n’a diffusé la nouvelle, ne parlons même pas de la télévision… »

 

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Aujourd’hui, trente ans pile après ces lignes, Jehan reste (hélas) l’exemple même du grand talent méconnu, une étoile filante de la galaxie Léo Ferré. On serait étonné, à l’écoute de ses chansons, de constater l’ampleur de la dette d’un Lavilliers ou d’un Renaud à son égard, et de tant d’autres (peut-être même d’un Béranger dont il avait contribué à préparer la venue), jusqu’à Jamait aujourd’hui. C’est pourquoi le travail entrepris il y a déjà une dizaine d’années par son ancienne épouse, Laure Cousin-Jonas, est capital (outre d’être digne d’éloges). Elle a notamment permis la réédition en CD dans un beau coffret digipack 5 volets (format livre) de son œuvre enregistrée, accompagnée d’un CD d’inédits. L’album qui sort cette fois est un événement, puisqu’il s’agit de chansons écrites dans les années 60 et 70 et enregistrées par Jehan comme des pré-maquettes, en guitare-voix, sur son magnétophone Revox. Des bandes, certes « malmenées par l’usure du temps, écrit Laure, mais recélant l’évolution de son écriture et de sa voix. Elles représentaient pour lui un support de préservation, d’instantanés musicaux, et de réserve à proposer à d’autres interprètes, mais évidemment pas à destination d’écoute en l’état ».

Malgré cela, malgré le travail de restauration conservant délibérément quelques imperfections pour éviter d’éliminer certains titres par souci d’exigence technique (« manière de ne pas sacrifier l’humain à la technologie »), l’essentiel y est : la tendresse désespérée du créateur, à vous faire chialer (« C’est le regard des femmes / Qu’on s’accroche aux souv’nirs / C’est un peu de désir / Qui devient multigamme / C’est un chien écrasé / Qui gît sur le bitume / C’est le feu sans fumée / De la vie qui s’consume… / C’est l’espoir / Qui soupire / Dans le noir… »), la véhémence humaniste du créateur (souvent dissimulée sous une apparence nihiliste, anarchiste pour le moins), chantée sur fond de dérision ou de confidences poétiques, qui n’est pas sans faire écho à certains thèmes d’actualité. Telle cette Bavure qui donne son titre au CD : « Bavure… / Je suis né… Je suis mort Bavure / Faut croire que c’était dans ma nature / Comme d’autres sont flics ou sont curés / Membres de la magistrature / Ma vocation c’est d’être bavure / C’est une question d’ponctualité… »

  

Jehan Jonas – Bavure

À ceux qui possèdent la collection complète de Chorus, je ne saurais trop recommander la (re)lecture de l’excellent dossier signé par Michel Trihoreau (« Rappels », n° 32, été 2000). « Comme un démenti cinglant infligé à ceux qui continuent aveuglément de prétendre qu’il n’existe pas de “grands talents” voire de “génies” méconnus de leur vivant, écrivait-il en introduction, Jehan Jonas a laissé dans la chanson une trace indélébile pour ceux qui ont eu la chance de l’entendre. Auteur prolifique, poète pamphlétaire, “Pierrot noir” (selon sa propre définition), démon angélique, Jonas jongle avec les idées, provoque, joue et charme à la fois. Ses chansons ne demandent qu’à courir encore dans les rues. En dépit de son absence scandaleuse des principaux “dictionnaires” et autres “encyclopédies” de la chanson, de sa courte carrière restent aujourd’hui quelques enregistrements, le souvenir fraternel indéfectible de ses nombreux amis… mais surtout une œuvre exceptionnelle et colossale de plusieurs centaines de chansons inédites. »  

Des chansons que, grâce à l’obstination de Laure Cousin et de son association, on découvre peu à peu, soit comme ici – ô miracle ! – soit dans la bouche de ses interprètes d’aujourd’hui, car, à l’exemple d’un Jamait, ils commencent à se multiplier. En réalité, cela a démarré après le vingtième anniversaire de sa disparition, comme le notait Pierre Favre dans un autre article important de Chorus consacré à Jehan, « Le Pierrot noir est de retour » (n° 42, hiver 2002-2003). « Il serait certainement le premier à s’étonner de ce regain d’intérêt, supposait notre ami et collaborateur : “Comment !... On me chante encore ? À nouveau ?” Oui, plus de vingt ans ont passé et l’eau coule toujours sous le pont Mirabeau. L’esprit d’Apo, un cri de vieux Rimb’, une plainte à la Dimey ou à la Ferré, s’il y eut de cela en elle – par esprit de fraternité et non pour les copier –, cette œuvre que l’on entend rechanter est bien celle de Jehan Jonas. […] Un destin – enfin – heureux le remet en scène et sa justification est criante, comme évidente son actualité. Oui, Jehan Jonas n’est pas de retour par hasard. Sa chanson nous parle d’aujourd’hui. Elle s’enflamme comme un feu éteint en apparence qui, couvant en fait sous les cendres, reprend subitement, attisé de façon inattendue par les événements. Chanson-phare qui éclaire plus loin que son époque… »

 

 

Et Pierre Favre (qui l’avait vu chanter en scène), de conclure : « Occulté voire censuré par les médias, Jehan Jonas qui refusait toute concession et prenait tout en dérision, n’a guère compté d’appuis de son vivant. Comment se fait-il donc qu’aujourd’hui, près d’un quart de siècle après s’en être allé (dans une totale indifférence médiatique), il puisse revenir et vibrer avec autant d’allant, d’actualité et de vérité ? Si l’auteur-compositeur emporte ausitôt l’adhésion de tous ceux qui, maintenant, font sa connaissance, ou enfin le découvrent, n’est-ce pas parce qu’il nous chante intensément, singulièrement et avec noblesse ce qui donne un sens à la vie ? »

Rien à retrancher à cet article, huit ans exactement après sa publication. Tout au plus faut-il relativiser l’enthousiasme de son auteur, quant à la redécouverte du chanteur, emporté qu’il était alors par la sortie de son intégrale CD et la tenue de spectacles autour de son œuvre. Alors, juste pour ne pas donner l’impression de vouloir transformer en vérités absolues ce qui ne serait que jugements subjectifs de notre part, voici ce qu’en disaient à Michel Trihoreau (pour le dossier de Chorus précité) deux témoins de l’époque. Bernard Lavilliers d’abord : « Je l’ai connu à la Contrescarpe. On chantait quatre ou cinq chansons maximum. Je me souviens qu’il chantait Comme dirait Zazie. Mince, fragile, il était toujours en velours noir, avec une grande écharpe. J’étais pote avec lui, mais les cabarets ce n’était pas mon truc ; on vivait une époque charnière, on allait vers autre chose. Mais Jehan, lui, nous donnait l’impression d’avoir réussi : il avait une 404 cabriolet et il avait fait des disques, alors qu’on était nombreux à galérer… C’était un anar romantique. »

 

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Puis Marc Jolivet : « Cette année-là, en 1966, j’avais seize ans, ceux de ma génération célébraient les Stones, les Beatles, Jean Ferrat, Léo Ferré, que nous appréciions aussi… Mais, avec mon frère Pierre, notre idole s’appelait Jehan Jonas et ce sont ses chansons que nous apprenions à la guitare. Pour nous, il incarnait le chanteur-poète révolté, insoumis, intègre, et nous allions l’écouter à la Mutualité, aux côtés de Brel ou de Ferré, nous insuffler l’esprit de résistance. Quelques années plus tard, lorsqu’on a eu du succès, on a souhaité le rencontrer. On l’a peu connu, mais ce peu-là nous a alors confortés dans notre première impression. C’était un grand artiste, original et contestataire. L’homme que je suis aujourd’hui ne l’oublie pas. »

Révolté, insoumis, intègre, c’est sûr. Mais toujours (à quelques chansons près de tendresse pure) la plume trempée dans l’encre noire d’un humour ravageur ; qu’il apostrophe un Flic de Paris, un an avant Mai 68 (« Dans le panier de la connerie / Tu vas taper sur les gars qui / N’ont pas voulu marcher tout droit / Et qu’ton odeur n’impressionne pas / Tu m’diras qu’tu fais ton boulot / Qu’t’es pas payé pour le cerveau / Heureusement qu’on t’paye pas pour ça / Parce que sinon tu boufferais quoi ? »), ou nous adresse une carte postale d’outre-tombe : « Après on dira / Comme on l’dit toujours / Que les morts n’ont pas / Le sens de l’humour / Gardez donc vos r’mords / Vos larmes, vos chandelles / C’est quand on est mort / Qu’la vie est belle… »

  

Jehan Jonas – Prenez pas les morts pour des cons

Deux vidéos accompagnent ce sujet : la première (une belle réalisation de l’association Jehan Jonas Second Souffle) donne une idée globale du parcours du chanteur (il faudrait encore parler de l’auteur de pièces de théâtre, de nouvelles radiophoniques et de sketches, du dialoguiste de cinéma… et même de l'auteur d’ouvrages érotiques) ; quant à la seconde, c’est un document : son passage dans la mythique émission de Denise Glaser, Discorama, le 19 mars 1967, la seule apparition qu’il ait faite à la télévision (du moins à notre connaissance), excepté le Bienvenue de Guy Béart qui l’avait rencontré dès 1964, l’année de ses débuts dans les cabarets parisiens et à la Mutualité, en novembre, en compagnie de Léo Ferré. Il y chante Le Manège, chanson extraite de son premier album sorti en juin 1966. À noter qu’en 1967, l’année de Discorama, il participa à un grand spectacle organisé au Théâtre du Vieux-Colombier, avec Les Enfants Terribles, Bernard Haillant, Jacques Serizier et une certaine Hélène Martin (qui nous fait l’honneur de suivre ce blog de près). Il n’y a pas de hasard.

Dernière chose, c’est Jehan Jonas qui a écrit ce texte que je considère fondateur, au point de l’avoir publié en intégralité dans le n° 5 de Paroles et Musique :
« Artiste. La noblesse d’un mot. Les privilèges et les abnégations qu’il représente. Au service d’un art… De l’Art. Que ce soit l’art de tailler la pierre, de se balancer sur un trapèze en costume pailleté à quinze mètres du sol, de se dessaper au rythme d’un blues devant une poignée d’excités (dont je suis, parfois), d’écrire Anna Karenine, ou d’annoncer tous les soirs depuis trente ans que “Madame est servie” sur la scène des Capucines. Un monde à part. Sans hiérarchie. C’est Toulouse-Lautrec qui hantait les coulisses du Moulin Rouge. C’est Verlaine, le nez dans le ruisseau à deux heures du matin, rue Descartes. Tous, les mêmes souffrances, les mêmes joies, le même but : amuser, distraire, faire rire ou pleurer, faire penser, frissonner, bander. Bref procurer une émotion par la route des sensations.


 

« L’émotion… Mot-clef de l’artiste. Qu’elle vienne du cœur, de l’esprit ou du sexe (n’en déplaise aux gens qui pensent qu’on ne doit pas toucher à “ces choses-là” parce que c’est sale ! Ces gens qui font des enfants, on se demande comment et surtout pourquoi). Nous sommes des marginaux. Qu’importe si nos émotions à nous, sur la piste ou sur la scène, soient des émotions factices, du moment que celles ressenties par le public sont vraies. Sans émotion, pas de pensées ; pas d’idées ; rien. Pas même de sentiment car il n’y a pas de sentiment sans émotion. La Révolution est née d’un sentiment d’injustice que des artistes ont contribué à développer, qu’on le veuille ou non. La faim a fait le reste. »

Un texte étonnant de lucidité et d’authenticité. De vécu. Une véritable profession de foi, venue du fond des tripes mais adoubée par la raison. Vous pourrez le lire en totalité dans le coffret de « l’intégrale » si toutefois vous décidez de poursuivre la (re)découverte. C’est tout le malheur que je vous souhaite. En attendant, écoutez ici (en tenant compte du côté brut de ce qui n’était même pas encore des maquettes) si l’émotion – ce maître-mot de la chanson, celui en tout cas qui a guidé toute ma vie « professionnelle » – est au rendez-vous. Si oui, plus de quarante ans après ces enregistrements artisanaux, c’est que Jehan Jonas est bel et bien vivant.

   

• Bavure, 21 titres (Les Années douces – On l’appelait la gitane – Bonne impression – J’écrirai des violons – Bavure – L’Arbre – La Vie au singulier – La Femme de Sydney – C’est l’espoir – Une singesse qui m’attend… – Square Dance Peace – Pour vivre nos vingt ans… – Oh ! Non ! Madame – De Villeneuve à Montauban – Le Récalcitrant – Wanda – Sur un air de Chopin – Tu ressembles à tes caresses – Demain peut-être – Le Mort de théâtre – Prenez pas les morts pour des cons), 60’29. Prod. et distr. Association Jehan Jonas Second Souffle (site de l’association), Le Pradal, 7 allée du Stade, 31570 Bourg Saint-Bernard. 

________

*Suite à leur rencontre en 1969, qui marqua le début d’une réelle amitié, Jehan Jonas confia dès lors nombre de ses chansons à Jean-Marie Vivier, interprète à la guitare fort couru et respecté dans le milieu de la chanson d’auteur, qui les créa souvent sur scène et les enregistra régulièrement (tous renseignements sur son site), avant de se constituer son propre répertoire (en collaboration étroite avec Yannick Mathias).

 

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15 octobre 2010 5 15 /10 /octobre /2010 09:38

Vendanges d'automne (6)


Sixième sillon de nos vendanges d’automne, rangées F à L. Avec Philippe Forcioli à la proue et Gilbert Laffaille à la poupe, excusez du peu ! Entre ces deux grands crus (hélas trop modestes, sans esbroufe, goûtés qu’ils sont seulement par un public d’initiés), c’est à une java sans modération que nous vous convions ; à une dégustation de ces vins canailles, comme le chante justement Laffaille, ceux qu’ont jamais d’médaille au concours agricole, qui sont nés sur la paille. Ceux qu’ont pas d’étiquette, qui s’prennent pas au sérieux, qu’en mettent pas plein les yeux, qui sont tout nus sans liquette… Tel « ce rouge pas farouche / Qui roule bien dans la bouche / Ni trop mou ni trop vert / Çui des Bois et Charbons / Qu’a pas l’nez Bourbon / Mais fait chanter les verres ! » Buvons en chœur, chers frères, chères sœurs du taste-vin chansonnier.

 

Gilbert Laffaille – La Java sans modération


quichote_3.jpg• PHILIPPE FORCIOLI : Le mystère demeure ; 16 titres, 64’45. Que dire de lui que nous n’avons déjà écrit cent fois depuis notre rencontre au début des années 80 à la Sainte-Baume (haut lieu chansonnier de l’époque qui accueillait formateurs, artistes et stagiaires de la plus belle eau) ? Qu’il fait partie du haut du panier de la chanson poétique d’expression française, simple et humaine, sans rien d’hermétique. « Enfant de Brassens et de Félix Leclerc », précisait Valérie Lehoux dans son « Portrait » du n° 27 de Chorus : « C’est un homme de parole, de passion, de colère et de silence. Un insoumis, qui échappe au désespérant conformisme de rigueur, et se soustrait aux règles d’un jeu convenu. C’est un homme de richesses, qui pourtant ne possède que trois fois rien. Difficile à cerner. Impossible à cadrer. Philippe Forcioli est de cette race d’hommes intègres et exigeants en voie de disparition. Un poète. Libre comme l’air. » Son nouvel album (le premier, Le Temps des bleuets, remonte à 1990) est une merveille. Un Quichotte, bien sûr, de Si ça vous chante. L’album d’un homme de Parole, au chant profond et proche à la fois, porté par de jolies mélodies. Enfant de Tonton Georges et de Félix, certes, mais aussi camarade de Léo et frangin de Bertin… Il y a pire comme parenté. Autoproduit et autodistribué : P. Forcioli, La Teille, 04290 Salignac (site de l’artiste). 

 • SOPHIE FORTE : Chou-fleur ; 12 titres et leurs versions instrumentales, 75’24. Après Maman dit qu’il ne faut pas et J’suis vert, c’est son troisième album pour enfants, où elle aborde sans tabou tous les thèmes qui la touchent, de la sexualité aux interdits, du temps qui passe aux grands questionnements. Les sans-abri aussi dans un magnifique duo, dénué de sensiblerie mais tout d’émotion, avec Henri Dès (à la manière de La Matinée de Ferrat et Christine Sèvres) : « – Les gens qui vivent dans la rue / D’où ils viennent papa ? / Y en a qui marchent les pieds nus / Ils doivent avoir froid / Est-ce qu’ils avaient une maison / Là où ils sont nés ? / – Je n’sais pas mon chéri / Où était leur maison / On peut changer de vie / Pour un tas de raisons / On peut fuir un pays / Parce qu’il est en guerre / Être né à Paris / Et trouver la misère… » Prod. Victorie Music/Music Box, distr. Universal (site de l’artiste).

• FOUX : La Valse des hommes ; 13 titres, 56’21. Une curiosité. Premier album d’un auteur-compositeur à la voix grave… plus habituée à se faire entendre dans les prétoires que dans les salles de concerts. Fx. Gombert à la ville et au Palais de Justice devient Foux à la scène… et dans cet opus réalisé par un confrère du barreau (Matthieu Maillet), embrigadé dans cette histoire d’hommes (Comme Montaigne à La Boétie), de femmes (Le Vers féminisant) ou d’humains (« Alors mamie ? Qu’est-ce qui se passe ? / Qui dans ta tête a pris ta place ? », Alzheimer). Des plaidoiries parlées-chantées sur fond de guitares acoustique et électrique. Foux Prod., autodistribué : 67 rue St-Martin, 95300 Pontoise (site de l’artiste).

• GAËLE : Diamant de papier, 12 titres, 44’48. Ainsi Albert Weber présentait-il Gaële (avec un l) en chapeau de son « Portrait » de Chorus n° 64 : « Originaire de Haute-Savoie, cette auteur(e)-compositrice-interprète a embarqué pour le Québec il y a huit ans [en 2000]. C’est là qu’elle a réussi son décollage grâce à un tendre et décoiffant Cockpit, premier envol discographique entre imaginaire et réalisme. » Après avoir couru les scènes européennes (elle a été remarquée tout récemment à l’Estival de St-Germain-en-Laye) et québécoises et prêté sa plume à nombre de collègues, Gaële vient de graver un Diamant de papier qui vaut son pesant musical et textuel de carats. À noter la participation de Richard Desjardins sur une chanson : « J’aurai jamais l’accent d’icitte… » Gaële, ma belle, c’est quand tu veux au septième ciel… Productions de l’Onde & Productions du Cockpit, distr. Québec : Sélect (site de l’artiste).

• FRANÇOIS GAILLARD : On s’en fout ; 12 titres, 41’20. « Un mélange de mélancolie allégée et d’humour de situation sans violence apparente, d’où l’émotion surgit insidieusement ». De ce jeune ACI lyonnais, Michel Trihoreau écrivait (dans son « Portrait » de Chorus n° 55) : « Sa façon de “décravater” le vocabulaire à la Vian et son élégance décomplexée dans la syntaxe sur des mélodies aigres-douces, dévoilent un Gaillard méticuleux dans le présent et constamment en éveil devant les probabilités du futur. » Ce troisième album (après Salut l’ami ! en 2002 et Chanson au poing en 2006) comporte deux vidéos en bonus dont celle de la chanson qui donne son titre au CD… sans y figurer en audio : on s’en fout ? Ça serait une erreur de le croire, car le bougre a du talent, « la parole percutante, l’humour incisif et la critique insolente », et tout l’avenir devant lui. Prod. Édito Musiques, distr. Rue Stendhal (site de l’artiste).

• MANU GALURE : Vacarme ; 11 titres, 42’28. « Boulimique et surdoué, notait Yannick Delneste dans son « Portrait » du n° 66 de Chorus, le jeune artiste toulousain séduit par son aisance, dans une ambiance cabaret où les influences de Guidoni et de Juliette sont pleinement assumées. » Bien vu : ce nouvel album bénéficie justement d’une certaine Juliette à la direction atistique, une première pour elle. C’est dire si elle croit en ce talent, jeune prodige plutôt, dont le premier album en piano-voix (Le Meilleur des 20 ans de Manu Galure, 2008) était une simple photo sonore de son spectacle en piano-voix, le charisme et la présence en moins ; car, poursuivait Yannick, « le Gavroche de la ville rose, qui emmène aussi le groupe des Ptits T’hommes (deux albums en 2007 et 2008), est une bête de scène autant qu’un amoureux des mots ». Cet album lui fait vraiment passer un cap. Ambiances puissantes à la Kurt Weill, « entre rock catastrophé et musique bruitiste ». Cela évoque le théâtre burlesque, les débuts du cinéma fantastique, nous conduisant à la rencontre de super-héros aviateurs, de loups-garous dans les ruelles de Berlin… et même, révérence oblige, d’un certain Méliès. Si vous décidez de visiter Le Cabaret de Galure, vous aurez toutes les chances de m’y trouver en train de sabler le Champagne avec Higelin… Kiui Prod., L’Autre Distribution (site de l’artiste).

• OLIVIER GANN : Les Éoliennes ; 12 titres, 48’. Un ancien « astagiaire » d’Astaffort, originaire des Pays de la Loire, dont Francis Cabrel a produit le premier opus, On m’a dit, en 2001. Suivront Instantané en 2004 et À l’ouest en 2007. Compositeur-interprète, son nouvel album a été écrit pour l’essentiel par Nérac, chanteur lui-même (avec Nicolas Peyrac pour un titre, Rendez-vous manqués) et enregistré en électro-acoustique par six musiciens. De la « pop française légère et concernée » d’un artiste en développement durable… Prod. et distr. Musikalouest (site).

Tonneau.jpg

• PASCAL GASQUET : Taillé dans rock ; 10 titres, 43’50. Cinquième album taillé dans le rauque pour la voix, le rock et le blues pour le genre, d’un ACI nîmois attachant qui taille sa route depuis une vingtaine d’années. Pascal Gasquet & Co, c’est Bernard Giquet aux guitares électriques et claviers, Olivier Arnardi également aux claviers, à la basse et à la guitare slide, Steve Belmonte aux drums et le chanteur lui-même à la guitare acoustique et à l’harmonica. Famille Paul Personne, pour vous donner une idée. Ça sonne du feu de Dieu, sans exclure la ballade en tendresse (clin d’œil amusé, mine de rien, à un certain Aragon) : « Je suis ton homme à rien faire / J’ne suis pas sur cette terre / Pour être une bête de somme / La flemme est l’avenir de l’homme / […] Mais un jour il y aura la guerre / C’est ainsi que vivent les hommes / Et tous ces insectes éphémères / Effacés d’un coup de gomme… » Les textes, on le voit, sont signifiants (oui, le contraire d’insignifiants) : dommage seulement, autoproduction oblige, que ceux-ci fassent défaut au livret. Aimerez-vous un peu, beaucoup, énormément… pas du tout ? Moi, comme dit l’autre, j’adore ! Prod. et distr. Anatole Music, 516 rue de Bouillargues, 30000 Nîmes (site de l’artiste).

• LAURENCE HÉLIE : éponyme, 11 titres, 44’41. Une voix aérienne, des musiques qui prennent leur temps, douces mélodies planantes en rapport avec l’intimité des textes (écrits, à deux près, par cinq auteurs différents dont le Français Brice Homs), Laurence Hélie avoue un faible pour le folksong et son admiration pour Hank Williams. Native de la Beauce québécoise, cette jeune et blonde compositrice-interprète est, avec ce premier album tout acoustique où dominent les cordes, la nouvelle révélation de la Nouvelle-France. Prod. Gordon Musique, distr. Canada : Sélect (site de l’artiste). 

• HENRI LÉON ET LES AUTRES : 56 min 12 CHansons ; 12 titres, 56’25. Henri Léon et les autres, c’est Antoine, Denis, Maxime et Nicolas, un quatuor masculin des Pays de la Loire qui joue dans la cour de la chanson fantaisiste, ce qui n’empêche pas – mais toujours de façon légère et ironique – de traiter de sujets sérieux (Tout le monde a le droit… « à son cancer »). Ces quatre garçons dans le vent (ils collectionnent les distinctions dans les concours : Vive la Reprise ! 2010 à Paris, Prix L’Esprit Frappeur en Suisse, Prix Le Mans Cité Chanson…) chantent (Aux quatre vents, à voile et à vapeur : « …je crie mon désespoir / Tonnerre de Brest que mon foyer est loin / Ah mon Roger il me tarde de te voir / Foutre Dieu c’est dur d’être marin ! ») à tour de rôle ou en chœur, dans un environnement tout acoustique. À noter (outre la reprise de À la pêche des cœurs, de Vian et Goraguer) que cet album a été enregistré à l’Autrement Café d’Angers (dont on a parlé dans ces « Vendanges d’automne » à propos de Marielle Dechaume). Prod. Les Saligauds, autodistribution (site du groupe).

• VICTOR HUBLOT : Brassens selon Vitor Hublot ; 9 titres, 30’05. Encore un « Brassens » revisité ! Mais pour le coup, c’est plus qu’une visite, c’est un déménagement de fond en comble. Avec du bon, du moins bon, du pire et du meilleur… selon une hiérarchie différente, c’est sûr, en fonction de l’auditeur, de ses goûts et attentes. En tout ça décape sérieusement le « canon », et dans le chant et dans le traitement musical disons, plutôt, « underground ». La pipe de Tonton Georges s’en retourne-t-elle dans sa tabatière ou s’en bidonne-t-elle devant pareilles blagues… belges ? Car, oui, fume, c’est du belge ! « Vitor Hublot », en effet, c’est une joyeuse bande où l’on trouve (ou trouvera, car ce CD est annoncé comme le premier d’une trilogie) un savant mélange de chanteurs, d’auteurs, de journalistes, de comédiens, de dessinateurs de BD : Jacques Duvall, Renaud Janson, Gilles Verlant, Jean-Louis Sbille, les chœurs des Talbot Sisters, ceux de Sttellla, la voix enfuie (et si regrettée) de Jeff Bodart, celle de Lou Deprijck (détournée jadis, sauf erreur, par un certain Plastic Bertrand quand ça planait pour lui…), sans oublier celle, fort reposante dans ce contexte, de Jil Caplan interprétant Brave Margot. Textes et musiques de Brassens, donc, mais adaptations libres de Guy Clerbois, qui annonce clairement la couleur : « Quoiqu’il en soit, ces différentes approches ne nuisent en rien à l’œuvre initiale, c’est juste une manière d’affirmer notre amour et notre respect à l’artiste pour sa liberté de penser, n’en déplaise aux puristes et à leur récupération… Brassens est toujours vivant et n’appartient pas aux esprits fermés et grâce à Dieu… il bande encore !!! » CQFD ? Prod. Guy Clerbois, Team 4 Action, distr. Cod&s (site du groupe).

• ANAÏS KAËL : Tête de mule ; 11 titres, 40’25. Nous l’avions remarquée en 2005, dès son premier album autoproduit, Chansons coquelicot-trash. Depuis, cette Montpelliéraine installée à Ménilmontant, qui s’accompagne à la guitare mais surtout au piano, a trusté les prix et les concours (lauréate du Grand Zébrock, Prix Paris Jeunes Talents, Médaille d’or de la chanson en suisse, etc.), et chanté sur toutes les scènes de France et de Navarre, du piano-bar local au Zénith (nombreuses premières parties, notamment d’Émily Loizeau, ça situe !). Certains y seront indifférents, d’autres – et j’en suis – applaudiront à sa capacité de briser les carcans de la chanson pour s’y promener en toute liberté. Écriture singulière, musiques et arrangements destructurés en apparence (mais en apparence seulement), chant qui gambade sans limite, rien n’est formaté chez elle. Sensuelle mais non consensuelle, et sans tabou, jusqu’à se glisser dans la peau, si j’ose dire, d’un objet bien identifié (La Confession du vibromasseur) ! Bref, en studio comme à la scène, la jeune femme a décidé de s’« en foutre à cœur joie ». Retenez bien ce nom, Anaïs Kaël, avec deux trémas et une rare personnalité. Prod. Le Chaudron et Ignatub, distr. Musicast (site de l’artiste).

• KARPATT : À droite, à gauche ; CD double, 10 titres, 40’13 + 9 titres, 44’42. « Fred, auteur-compositeur, chante et s’accompagne à la guitare. Hervé y met une pincée de contrebasse et Gets/Gaëtan une pointe de guitare à la Django. C’est la recette de Karpatt, cocktail de swing et de chanson “roots” » : ainsi Stéphanie Thonnet présentait-elle ce joyeux trio, dans leur « Portrait » de Chorus n° 49, à l’occasion de leur deuxième album, Dans le caillou. Le premier, À l’ombre du  ficus, était sorti deux ans plus tôt, en 2002. Suivront Dans d’beaux draps en 2006, Montreuil en 2009 et aujourd’hui, pour fêter les dix ans du groupe, un premier opus en public, et en deux CD, SVP ! Musicalement ça swingue, c’est festif certes, mais ça sait aussi se faire tendre et intime, et gouailleur et intelligent au plan des textes. Parfois même, Brassens et Boby Lapointe affleurent… Et puis l’album est dédié à Mano Solo. Que demander de plus ? Autoproduit, L’Autre Distribution (site du groupe).

• OLIVIER L’HÔTE : Fantastique et monotone ; 7 titres, 26’34. Mini-album mais chansons qui promettent et artiste (originaire de l’Hérault) à suivre : après cinq ans à la tête du groupe Les Hôtes, 150 concerts et un disque (Ô plaisir), en 2007 Olivier décide de poursuivre l’aventure sous son propre nom avec sa guitare, ses paroles, ses musiques, un violoniste, un violoncelliste, voire un contrebassiste quand c’est possible. Un univers de cordes épousant des textes pas banals sur de bien jolies mélodies. Références avouées ? Brassens, « pour son humanité », Brel, « pour l’intensité de l’interprétation », La Tordue et les Têtes Raides « pour leurs inventions », et puis « la musique classique pour les chevauchées lyriques et les musiques traditionnelles du monde pour le côté originel et dansant ». Ça donne envie, non ? Autoproduit et autodistribué (site de l’artiste).

quichote_3.jpg• GILBERT LAFFAILLE (& Nathalie Fortin) : En public ; 18 titres, 67’39. Laffaille en public et en duo, avec notre Franco-Québécoise préférée au piano, c’est rien qu’du bonheur ! Comme quoi, primo, un piano seul suffit quand vous êtes armé de mélodies imparables (et en la matière, Laffaille est un maître) ; secundo, quand vos textes sont jouissifs, et dans l’écriture (et de ce côté-là, Laffaille n’a guère, dans sa génération, que Souchon et Leprest pour « rivaux ») et dans leur signifiance, vous êtes partout chez vous, que vous chantiez à l’Olympia ou, comme ici, à l’Esprit Frappeur de Lutry, en Suisse. Toujours élégant, sans sophistication, toujours très fin, sans jamais le moindre hermétisme, Laffaille est aujourd’hui à la tête d’une œuvre qui lui mérite le panthéon de la chanson. « Dès qu’il chante, disait Nougaro à son propos, en moi un oiseau fraternel s’éveille. » Enfant de Trenet (et de Boby Lapointe) quant à la forme, Laffaille, qu’il joue du registre tendre ou humoristique, de la ballade ou de la musique de genre, se révèle un témoin impitoyable (parce que lucide) de notre temps. À vrai dire, je me demande s’il existe aujourd’hui un artiste dans la  chanson francophone qui manie aussi bien l’art de la satire. L’air de rien, sans jamais élever la voix (encore moins le poing) ni chausser ses grands sabots. Et pourtant, il touche juste, là où ça fait mal. Et quand il vous balance une petite chanson poétique, « à plat », sans arrière-pensée, c’est tout simplement magnifique. Écoutez donc ces Raisins dorés qui parlent des ours, de l’eau dans les sources, des cerfs et des biches, des chemins buissonniers, des vieux châtaigniers, des piverts, de la neige d’hiver, des hiboux solitaires, des merles moqueurs et de quelques vieux hérissons, pour écrire une chanson qui chante au fond du cœur… Si vous ne rendez pas les armes, il n’y a plus d’autre remède pour vous que la Légion étrangère, un abonnement à Minute ou un gavage à toutes les Star Academy et Nouvelles Star du PAF.

 

Gilbert Laffaille – Les Raisins dorés

 

Laffaille ? Un Quichotte, c’est sûr, défenseur de la veuve et de l’orphelin, des petites filles de Chiang Maï, des éléphants (mais pas des présidents), de l’Homme avec un grand H… et du fruit de ses vendanges, quand il « fait chanter les verres » : un chevalier des notes et lettres, amateur épicurien – l’un n’empêche pas l’autre – de java sans modération. Ce nouvel album est le quatorzième ou quinzième depuis son premier 33 tours : c’était il y a… trente-trois ans, en 1977. Quatre sketches irrésistibles complètent ici son tour de chant, outre une Ballade des pendules (un sommet de la versification en allitérations) qu’il dit désormais, avec un vrai talent de comédien. Ne manquez pas son numéro, car ce genre de funambule, Ça ne tient (souvent) qu’à un fil… Prod. et distr. Traficom Musik (site de l’artiste).

(À SUIVRE) 

 

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13 octobre 2010 3 13 /10 /octobre /2010 10:40

Vendanges d'automne (5)

 

Des vendanges au bistrot, un certain temps s’écoule, nécessaire à laisser se bonifier le jus de la treille. Le raisin de la dernière récolte devra patienter encore un peu avant de prétendre un jour, peut-être, après fermentation et maturation suivies de près, figurer auprès des grands crus du bistrot préféré de Renaud. Mais les personnages incarnant ceux-ci ont eu aussi à faire leurs premières armes – parfois hésitantes et brouillonnes, parfois péchant d’influences plus ou moins visibles, comme c’est naturel – quitte à être brocardés par des critiques péremptoires et manquant cruellement de « vista », dont tout le monde aujourd’hui a oublié le nom. Alors, laissons le temps au temps et apprécions à leur juste valeur nos fruits de saison, les saveurs (et même les délices) du moment présent (étiquetés de C à E pour cette livraison). En attendant demain (qui sera sans cesse un autre jour), pourquoi se priver ? À la bonne vôtre, avec la chanson nouvelle !

 

 

• CHANTEURS LATINS : Tres, Cuatro ; 12 titres, 64’08. Contrairement à ce que laisse penser son titre, il s’agit là d’un album revisitant le répertoire de Brassens. Un de plus ! En français dans le texte mais en mode salsa, et ça fonctionne aussi bien que l’avait fait Yuri Buenaventura avec Brel. Fruit de la rencontre à Montpellier (à travers Philippe Carmona et Sylvain Gilles) d’un tres cubain et d’un cuatro vénézuélien, ce premier album s’aventure aussi sur les terres de Gainsbourg et propose quatre inédits du groupe. Prod. Association De Bouche à Oreille / Label de Mai, 27 rue du faubourg Figuerolles, 34070 Montpellier (site du groupe).

quichote_3.jpg• ALAN CÔTÉ : Chercher son ours ; 12 titres, 52’15, digipack 3 volets. J’ai dit ici l’extraordinaire autant qu’émouvante impression que m’avait procurée la découverte, en Gaspésie, du Village en chanson de Petite-Vallée (« expérience » absolument unique, à ma connaissance, dans l’espace francophone : faire vivre presque tout un village par et pour la chanson). À sa tête, un tendre colosse, Alan Côté, lui-même artisan (fin et habile) en chanson. Après Chanter plus fort que la mer, voici son premier véritable album, paroles et musiques, en solo. Enfin, façon de parler car les Chanteurs du Village (Jérôme Béland, Fanny et Gilles LeBreux, Marie-Josée Roy et Danielle Vaillancourt) sont évidemment du voyage ainsi que Bïa, Pierre Flynn et Michel Rivard. Cette chanson-là, authentique dans tous les sens du terme, est la définition même de la chanson vivante. Nul n’est obligé de partager mon avis (mon ressenti, plutôt), mais je fonds littéralement en écoutant Noël 46, une histoire vécue de rescapés du Saint-Laurent (« Ce jour-là, les gars revenaient des chantiers / Pour le long congé de Noël / Quand l’avion plongea dans le fleuve glacé / Leurs prières montèrent vers le ciel / […] Rassemblez les gars, défiez l’hiver / Grand-père les a vus du coteau / Branle-bas de combat, pour prendre la mer / Il faut déglacer les bateaux… »), ou Bonbons sucrés : « …Dans chaque maison / Y a une histoire / Couteaux tirés… / Dans notre maison / Y a des chansons / Qui aiment entrer. » Dans ma maison aussi, pas vrai Félix ; et dans notre maison d’amour, donc : pas vrai les amis qui la fréquentez ?  

Alan Côté – Noël 46

Chercher son ours ? Un Quichotte évident de Si ça vous chante. Et mon disque de chevet, qui me dresse le poil sur la peau (« C’est pour la paix que je travaille / Loin des canons je vis en liberté / Je façonne l’acier qui sert à la semaille / Et ne forge le fer que pour l’humanité », Le Forgeron de la paix) et me fait monter les larmes aux yeux (J’ai pris le même vol que toi, dédié à Sylvain Lelièvre). Production Alain Côté et le Village en chanson de Petite-Vallée, C.P. 1016, Petite-Vallée, Québec, Canada, G0E 1Y0 (site de l’artiste).

• STÉPHANE CÔTÉ : Des nouvelles ; 14 titres, 42’59. Second album d’un ACI québécois de 39 ans (sans rapport de parenté avec le précédent), repéré par Chorus à son premier essai (transformé !), Rue des balivernes, en 2005. Tout un univers, dans le fond, l’écriture, l’imaginaire, comme dans la forme, les mélodies, l’orchestration. Pas étonnant : il sort sur le label de Bori (voir précédemment dans ces « Vendanges d’automne »). À signaler un livret très original en forme de journal… et son passage à Paris, les 18, 19, 25 et 26 octobre, au Sentier des Halles. Productions de l’Onde-Productions Bleu de Plume, Montréal, distr. Europe : Space – 1-fos@space-enligne.com  (site de l’artiste et site de l’album).

• LA COTERIE : Les Gens ; 13 titres, 35’07. Quand les Têtes Raides, une bonne part du groupe du moins (Christian Olivier, Serge Bégout et Grégoire Simon) se mêlent de chanson « jeune public », ça gratte, ça tape, ça souffle, ça chante et ça joue, avec intelligence, pour tenter de répondre à ces questions : c’est quoi les gens ? C’est qui les gens ? C’est fait comment ? Et comme dirait Renaud, c’est quand qu’on va où. D’autres artistes venus d’horizons divers s’associent au grand bazar joyeux (fréquenté aussi bien par des extraterrestres, des éléphants et des fantômes que des SDF) de cette Coterie. Et musicalement, ça déménage ! Production Mon Slip, distr. Fnac (site du groupe).

• GAËLLE COTTE : Vole, vole ; 9 titres, 32’10. Interprète qui chante comme elle respire, enfant de Nougaro et Piaf, « la trentaine épanouie, sensuelle et généreuse », elle choisit très tôt la chanson, le jazz et la scène pour s’exprimer. Fruit de sa rencontre avec un guitariste finlandais, co-compositeur de l’album, coécrit avec Dodie Gréau, Matthias Vincenot, Arbon, Céline Caussimon et Frédéric Pagès, ce premier opus est celui d’une femme libre « qui assume son grain de folie et sa révolte contre tous les égoïsmes ». Production Plas & Partners, distr. : rleclerc@plasetpartners.com  (site du label où écouter et voir des chansons de Gaëlle Cotte, ainsi que d’Arbon).

quichote_3.jpg• GÉRARD DELAHAYE : 1000 chansons de voyage, d’amour, d’eau, de pluie, de soleil, de pirates, de rêve, d’animaux, de rire, d’amitié, de fraternité, de San Francisco, de Bretagne, de la Terre ; 12 titres, 42’18, digipack 3 volets. Que dire après un tel titre, qui est tout un programme (enchanteur) à lui seul ? Qu’on ne présente plus Gérard Delahaye, à moins d’être obstinément sourd et aveugle au meilleur de la création chantée, qu’il s’adresse aux adultes, aux enfants comme ici… et/ou aux adultes ayant conservé leur âme d’enfant. « Oui, j’ai écrit et composé 1000 chansons… assure Gérard. Mais si certaines peuvent survivre des années, la plupart ont une existence très brève ! En tout cas, la 1000e est dans cet album, à vous de la trouver… » Serait-ce La Petite Marseillaise, que l’on a pu écouter et voir en primeur sur ce blog (cf. « À chacun sa Marseillaise ») ? Toujours est-il que ces chansons racontent toutes une histoire, c’est intelligent et passionnant, autant que les musiques et arrangements sont entraînants, pleins d’influences bienvenues en situation, et le chant particulièrement complice. 1000 chansons… et maintenant, même si c’est pas cher payé, un Quichotte pour Gérard Delahaye ! Dylie Productions, distr. Coop Breizh (site de l’artiste).

• HENRI DÈS : Contes d’enfance n° 1 ; 6 plages, 68’02. Autre album « jeune public » d’un autre grand de la chanson pour enfants ; en l’occurrence de l’artiste qui a réussi l’exploit d’ouvrir à celle-ci une voie alternative aux goyâneries aussi étouffantes que dominantes des années 70-80. Mais, fort de son œuvre en la matière (qui n’a d’égale que celle d’Anne Sylvestre, avec ses Fabulettes), Henri Dès semble vouloir constituer à présent une collection de contes dits, comme l’annonce la mention « N° 1 ». Ce premier numéro, donc, propose Le Petit Poucet et Le Chat botté de Perrault, Le Vilain Petit Canard d’Andersen, Le Petit Chaperon Rouge d’après Perrault et les Frères Grimm et deux contes de la tradition orale, Les Trois Petits Cochons et Boucle d’or. L’interprétation savoureuse du narrateur est soutenue par les musiques d’Olivier Delevingne jouées en acoustique par cinq musiciens. À noter qu’Henri Dès se produira à Paris dans son tour de chant « Tout simplement », en trio (clavier, batterie et lui-même à la guitare), à l’Espace Cardin du 26 au 28 novembre et du 3 au 5 décembre (séances à 14 h 30, 16 h 30 et 19 h 30, reservation@victorie-music.com). Productions Mary-Josée, distr. Universal (site de l’artiste).

• BENOÎT DORÉMUS : 2020 ; 12 titres, 38’03. Malgré son jeune âge, une vieille connaissance de Chorus et de Si ça vous chante (voir « Alors… Chante ! 2 »). Un enfant de la génération Renaud (lequel a produit son premier véritable album, Jeunesse se passe, fin 2007, reprenant sept titres de son opus autoproduit de 2005, Pas en parler) qui peu à peu a su se dégager de l’influence prégnante de celui-ci. Aujourd’hui, Benoît Dorémus est non seulement quelqu’un de très attachant (ce qui ne gâte rien) mais un des ACI actuels les plus intéressants aux plans musical (famille Renan Luce pour les mélodies) et textuel. Quelqu’un qui ose dire les choses, avec une écriture moderne (que Frédéric Dard, j’en suis sûr, aurait appréciée) sans crainte de s’exposer lui-même : « Deux s’condes pour vous parler d’ma pomme / C’est peut-être mon dernier album / Pas au sens où j’veux plus en faire / Mais dans l’sens où dans c’genre d’affaire / Y a une énorme prise de risques / Y a une énorme crise du disque / Moi qui dis tout depuis l’début / J’vais pas vous la faire en rébus / Ah ! moi les gars je suis un soucieux / Super veinard superstitieux / Ceux qui n’étaient pas là je leur dis / De l’autre côté de l’ordi / Je cramponne un permis d’chanter / À coups d’concerts à coup de trac / À coups d’grass’ mat’ entre chaque / Intermittent comme le destin / J’ai ce métier dans les intestins / […] Ah ! moi je suis pas visionnaire / Ni Hugo ni Apollinaire / Mais je glisse en subliminal / L’idée qu’un disque au final / C’est une âme… dans un objet. » Qu’écrivais-je donc dans « C’est déjà ça »… ? Prod. Capitol, distr. Emi (site de l’artiste).

• JOSEPH EDGAR : Y a un train qui s’en vient ; 11 titres, 43’42. Il y a les disques que l’on reçoit, et puis il y a les rencontres en direct, y compris les plus inattendues, comme celle de Joseph Edgar, jeune ACI (feutre noir et bouc idem) qui s’en venait du Nouveau-Brunswick au théâtre des Trois Baudets, le 29 septembre dernier, le soir où nous y organisions une soirée privée… Échange rapide d’impressions, poignée de mains franche… et album en cadeau. Un vrai de vrai, car si j’ignorais tout de cet artiste à ce jour (membre fondateur du groupe acadien 0° Celsius, premier album solo en 2004, La Lune comprendra, deuxième en 2006, Oh ma ma), son troisième opus est une jolie ballade acoustique (cordes, claviers, cuivres, acordéon, percussions…) qui invite au voyage et nous évoque un certain Zachary Richard (voix et accent inclus). Zachary ? Tiens, son nom est cité dans les remerciements… Autoproduit, distr. Plages, Caraquet, N.-B. (site de l’artiste).

• EDWARD (pour les intimes) : Ma guitare est dérisoire ; 13 titres, 47’38. Sa guitare ? Sur la pochette (où l’homme, barbe noire à la Delerm, est assis, instrument en mains, dans un fauteuil, une femme derrière lui), son manche pend mollement vers le sol… Un premier album en solo pour un ACI qui a déjà de la bouteille (groupes d’électro-pop, musique de film…). Flegme, fantaisie, autodérision (Le Mâle alpha, Carla, Psychopathe, La Ballade de l’homme préhistorique, Le Playboy de Paris…), univers électro-groovy et pop, Edward (pour les intimes) avoue raffoler des Michel (Berger et Polnareff en particulier) ; on pourrait ajouter sans grand risque de se tromper un certain Gainsbourg voire un probable Dutronc. Mais le traitement musical (à l’instar d’une Jeanne Cherhal récemment, il a presque tout fait dans l’album, jouant lui-même de chaque instrument), la rythmique omniprésente, la voix parfois mixée en retrait risquent de décourager plus d’un amateur de chanson pour qui le fond, l’émotion, prime sur l’emballage – aussi sophistiqué soit-il. Quand même, artiste à suivre… Prod. Blue Bear, distr. Wagram (site de l’artiste).

• NATACHA EZDRA : Chante Jean Ferrat – Un jour futur ; 18 titres, 62’43. De l’émotion ? En veux-tu en voilà ! À ses qualités, connues et reconnues, d’interprète sensible, dans le sillage de ses grandes aînées, Natacha ajoute en l’occurrence la particularité d’avoir vécu son enfance à Antraigues, le village de Jean Ferrat, qui plus est au café « La Montagne » ouvert par ses parents Jacques Boyer et Odile Ezdra, grands amis de l’auteur de la chanson éponyme. Alors, quand elle lui a demandé « l’autorisation » de créer un spectacle qui lui soit entièrement consacré (lire à ce sujet le témoignage de Natacha dans le Jean Ferrat de Daniel Pantchenko), il n’est guère étonnant que celui-ci se soit montré enthousiaste. Seul regret de part et d’autre : qu’il n’ait pu assister à sa création (« Chère Natacha, lui écrit-il, J’aurais aussi aimé être là, mais je sais que tu es très bien entourée ! Et que le plaisir sera partagé avec, sans nul doute, beaucoup d’émotion. » L’entourage ? Trois musiciens (accordéon, accordina, guitares, flûtes, psaltérion…) avec Patrick Reboud à la direction musicale et aux arrangements (sauf pour Nuit et brouillard, signés Léo Nissim). Enregistré en public, cet album (son troisième en dix ans) reprend l’intégralité du spectacle créé à l’automne 2009 : dix-huit chansons qui composent un panorama judicieux du répertoire de l’Ardéchois d’adoption, inclus La Matinée que Natacha chante en duo avec Serge Utgé-Royo. Prod. Édito Musiques, distr. Rue Stendhal (site de l’artiste).

(À SUIVRE)

 

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