Paroles et musiques en images
Je pensais que les crus offerts précédemment en partage, qu’ils aient de la bouteille ou soient dans leur primeur, mériteraient quelque appréciation des goûteurs de Si ça vous chante… Il faut croire que l’œcuménisme l’emporte. Ou bien que chacun se contente de consommer en solitaire (salut, Manset !), bien à l’abri dans sa cave personnelle... alors que c’est tellement mieux, tellement plus convivial, de boire un coup, des coups (de cœur) au grand jour, entre amis. Dommage. Mais quand le vin est tiré, disais-je, il faut le boire : avant de reprendre nos vendanges d’automne là où on les a laissées et histoire de varier un peu l’approche (dé)gustative, on a choisi aujourd’hui de visiter des vignobles spectaculaires…
Autrement dit, des DVD de derrière les fagots plutôt que des CD nés de la dernière pluie. Et des enregistrements en public plutôt qu’en studio. Soit quatre DVD, dont un doublé d’un CD. Mais comme l’avarice et Si ça vous chante sont deux termes antinomiques, on ajoutera aussitôt après (dans un sujet spécifique) quelques compils discographiques des plus « récentes » (dans la forme sinon dans le contenu) indispensables à toute bonne discothèque de chanson française. Enfin, à mon humble avis… Lequel ne serait cependant rien de moins – à l’en croire une lectrice (fort aimable) qui, visiblement inspirée par le thème de ces vendanges, me qualifie ainsi dans un message – que celui de « l’échanson de la chanson » ! C’est-y pas beau ? Trinquons en chœur, donc, et à la bonne vôtre !
• JEAN-LOUIS BERGÈRE : Grand Théâtre d’Angers : Au lit d’herbes rouges ; 17 titres. À son propos, notait Jean Théfaine dans son « Portrait » de Chorus (n° 38, hiver 2001-2002), on évoque souvent Brel ou Ferré, auxquels il consacra des spectacles : « L’Angevin Jean-Louis Bergère aimerait que l’on retienne simplement son nom. Histoire de vivre enfin d’une plume qui doit essentiellement aux poètes. » Entre autres références actuelles, j’ajouterai Jacques Bertin, Rémo Gary ou Philippe Forcioli pour la famille d’esprit. Avec un environnement musical plutôt rock (claviers, batterie, basse et guitare électriques), qui sait se rendre intime au besoin (piano, guitare sèche, violoncelle ou bandonéon). Ça vous situe un homme et l’ambition de cet artiste que je qualifierais volontiers de cantautor (« chantauteur », littéralement), un terme espagnol qui fait bien défaut à la langue et à la chanson françaises et n’a guère d’équivalent que le songwriter anglais.
Le concert proposé dans ce DVD (avec cinq musiciens) reprend le titre et recoupe l’essentiel du contenu de son troisième album, Au lit d’herbes rouges (après Une définition du temps en 2001 et Bouches de silence en 2005), dont Chorus écrivait à sa sortie en 2006 (sous la plume de Michel Kemper) : « C’est le travail d’un auteur aussi exigeant que rare, dans une interprétation qui habite ces textes et leur donne un surcroît d’émotion. Ce disque est important. » Ledit auteur publie par ailleurs un (tout) petit livre de textes plus ou moins brefs (« Tous les chemins mènent à l’homme », « Avec âme et bagage », « C’est bien au contraire tout ce qui aura été écrit qui sera un jour inévitablement perdu »…), intitulé Jusqu’où serions-nous allés si la Terre n’avait pas été ronde ? Bonne question, tant « sur le grand écran de tous les possibles, notre angle de vue est extrêmement réduit »… Coprod. Vertige Productions et Catapulte, en partenariat avec Le Chant des mots ; distr. Catapulte, 3 allée des magnolias, 49800 Trélazé (label et site de l’artiste).
• RICHARD GOTAINER : Comme à la maison ; coffret DVD (environ 125’, bonus inclus) + CD du spectacle éponyme, 27 titres, 76’. Plus de trente ans (son premier album, Le Forgeur de temps, remonte à 1977) que Gotainer promène sa dégaine de personnage de bédé dans le monde de la chanson française. Avec des hauts et des bas dus en partie à son activité de touche-à-tout (comédien, compositeur de B.O., réalisateur de pubs… ou auteur-interprète en 2005-2006 d’un one-man-show, La Goutte au Pépère), mais aussi aux perturbations climatomédiatiques : un jour les médias vous portent aux nues, un autre jour ils vous ignorent (voire pire) parce qu’ils décrètent que vous n’êtes plus dans l’air du temps, enfin au goût, à la mode du jour. Il faut faire avec en attendant la prochaine mode. Et c’est ce qu’a fait Gotainer contre vents et marées. Cette nouvelle (auto) production captée en public (dans l’intimité conviviale du New Morning, le mythique club de jazz parisien) a le mérite de nous le restituer à la fois dans un généreux répertoire de chansons connues (Le Youki, Le Mambo du décalquo, Le Moustique, Le Sampa…), de perles rares, de tubes publicitaires iconoclastes, et dans un environnement musical étonnamment « relouqué ». Au final, du groove, de la drôlerie, de l’émotion, de la poésie, résume à juste titre la 4e de couverture du DVD : une espèce de Boby Lapointe qu’on aurait passé au tamis du rock.
À noter que Gotainer a assuré lui-même le montage des images, alors que le son est l’œuvre de son complice de toujours, Celmar Engel. Et si le CD reproduit fidèlement le spectacle avec lequel il tourne aujourd’hui en formule légère (quatre musiciens – claviers, guitares, basse, batterie – et une choriste), le DVD propose des bonus (PréSHOWffage, Gotainer en Sorbonne et Le Rock’n’roll de l’existence, clip inédit tourné dans le Grand Canyon pour la chanson éponyme de son dernier album studio, Espèce de bonobo, 2008) qui ont été filmés par un jeune étudiant en cinéma nommé Léo… Gotainer. Joint à l’ensemble, le livret où sont couchées noir sur blanc les paroles des chansons permet de mieux comprendre pourquoi l’auteur de La photo qui jaunit est étudié à l’école… Production et distribution Gatkess (label et site de l’artiste).
• GÉRARD MOREL & TOUTE LA CLIQUE QUI L’ACCOMPAGNE : En concert ; 16 titres, 117’. Début 2001, dans son « Portrait » du n° 35 de Chorus, notre collaborateur Yannick Delneste écrivait : « Ce comédien de théâtre s’est mis à la chanson par hasard il y a trois ans et c’est une bénédiction : entre Perret et Brassens, Lapointe et Dutronc, Gérard Morel est une vraie et belle découverte, rien de moins. » Depuis, l’homme a tracé son chemin, sorti trois albums (le suivant est annoncé pour bientôt) et deux DVD (dont celui-ci), en proposant des spectacles à géométrie variable, du groupe au solo en passant par le duo. On l’a connu ainsi (selon les circonstances et les demandes) avec « Les Garçons qui l’accompagnent », « Le Duette qui l’accompagne », « La Guitare qui l’accompagne » (!) et, enfin, aujourd’hui, avec « Toute la Clique qui l’accompagne » – soit six musiciens multi-instrumentistes (accordéon, clavier, batterie, percussions, saxophones, cornemuse, tuba, cor, trompette, clarinette, basse, guitare, ukulélé…) qui font également office de choristes (trois garçons, trois filles).
Bien écrit, bien joué, bien mis en scène, c’est surtout joyeux et contagieux. Au concert proprement dit (filmé par Éric Nadot au Théâtre d’Annonay) s’ajoute une demi-heure d’images additionnelles, notamment des répétitions. Précisons d’autre part que le précédent DVD consacré à Gérard Morel par l’association Tranches de scènes (c’était en 2007, le n° 5 de la collection « Chansons en stock ») est toujours disponible (voir site dans la chronique suivante) : sous le titre Un moment avec Gérard Morel, on y trouve près d’une vingtaine de chansons interprétées en public par l’artiste, par ses invités (Wally, Hervé Lapalud, Romain Didier, Xavier Lacouture…) ou en duo (avec Yves Jamait, Alcaz’, Michèle Bernard…). Prod. et distr. Archipel Chanson, 5 rue Gabriel-Fauré, 07300 Tournon-sur-Roche (label et site de l’artiste).
• TRANCHES DE SCÈNES : Le Centre de la chanson, 20 ans, 20 artistes ; 21 titres, 106’. En 1988 étaient déposés les statuts d’une association qui allait donner naissance l’année suivante, à Paris, au « Centre de la chanson d’expression française ». Devenu lieu de rencontres et de découvertes à travers notamment l’organisation de spectacles événementiels et de tremplins annuels visant aussi (tel « Vive la reprise ! ») à promouvoir le répertoire, il a été successivement présidé par Marc Chevalier, Roger Gicquel, Anne Sylvestre, Gilbert Laffaille, Jacques Yvart et aujourd’hui Gérard Morel (voir ci-dessus).
C’est cette histoire que raconte le huitième DVD de la série « Chansons en stock », de l’association Tranches de scènes, réalisée par Éric Nadot. Pour ce faire, celui-ci a choisi d’interviewer Didier Desmas, directeur du Centre de la chanson depuis l’origine, dont les propos apparaissent en fil rouge entre vingt prestations d’artistes ayant, pour la plupart, participé à « Vive la reprise ! ». Soit, par ordre d’« entrée en scène », pour marquer (avec un an de retard, mais peu importe) les vingt ans du lieu (sis au 24 rue Geoffroy-l’Asnier, à Paris 4e) : Gildas Thomas, Anna Flori, Elsa Gelly, Claire Elzière, Mathieu Rosaz, Julie Rousseau, Nicolas Fraissinet, Katrin’ Wal(d)teufel, Gilles Roucaute, Alcaz’, Ivan Tirtiaux, Hervé Akrich, Béa Tristan, Presque Oui, Cristine, Hervé Lapalud, Lily Luca, Gatshen’s, Davy Kilembé et Bernard Joyet. Le « président » Gérard Morel, lui, expliquant parfaitement les tenants et aboutissants de cet organisme, considéré comme un vivier de chanson artisanale, par opposition (mais sans bellicisme aucun) à une certaine chanson industrielle.
Jehan – Adieu pour un artiste
Puis, le DVD se referme en beauté avec la chanson reprise au final, lors de la soirée anniversaire qui eut lieu au XXe Théâtre, par la plupart des artistes précités, outre Anne Sylvestre, Gilbert Laffaille, Michèle Bernard ou Xavier Lacouture, Adieu pour un artiste. Un texte superbe de Bernard Dimey (mis en musique par Maurice Blanchet) : « Si vous saviez comme ils sont les artistes / Si vous l’saviez, nous n’en serions pas là / Si vous saviez comme ils sont les artistes / On n’aurait pas enterré celui-là… » Tenez, pour le plaisir, on vous offre cette chanson interprétée par Jehan (tout court !) avec Agnès Bihl, Allain Leprest, Loïc Lantoine, Jamait et Romain Didier (disque Jehan chante Dimey, Prod. Tacet, 2006, distr. Mosaic Music). « Chansons en stock » n° 8 ; Coproduction et distr. : Ass. Tranches de scènes et le Centre de la chanson.