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  • : SI ÇA VOUS CHANTE (le blog de Fred Hidalgo)
  • : Parce que c’est un art populaire entre tous, qui touche à la vie de chacun et appartient à la mémoire collective, la chanson constitue le meilleur reflet de l’air du temps : via son histoire (qui « est la même que la nôtre », chantait Charles Trenet) et son actualité, ce blog destiné surtout à illustrer et promouvoir la chanson de l’espace francophone ne se fixera donc aucune limite…
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  • Fred Hidalgo
  • Journaliste depuis 1971, créateur de plusieurs journaux dont le mensuel « Paroles et Musique » (1980-1990) et la revue « Chorus » (1992-2009). Editeur depuis 1984 et créateur en 2003 du « Département chanson » chez Fayard.
  • Journaliste depuis 1971, créateur de plusieurs journaux dont le mensuel « Paroles et Musique » (1980-1990) et la revue « Chorus » (1992-2009). Editeur depuis 1984 et créateur en 2003 du « Département chanson » chez Fayard.

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3 octobre 2010 7 03 /10 /octobre /2010 15:22

Il ne chantait pas pour passer le temps


Juste en amont de sa parution en librairie, le 1er octobre, l’ouvrage sur Jean Ferrat qui restait à écrire a vu ses « bonnes feuilles » publiées dans l’hebdomadaire Marianne. Et l’introduction à celles-ci, carrément signée du P.-D.G. et directeur de la publication, Maurice Szafran, s’achève ainsi : « …Voilà tout ce que nous rappelle, et tant d’autres choses, le journaliste Daniel Pantchenko dans cette biographie somme de Jean Ferrat, Je ne chante pas pour passer le temps, que nous étions nombreux à guetter. Ferrat ne nous manque pas. Nous écoutons souvent ses chansons. Et nous disposons désormais de ce livre. »


couvFerrat.jpg


Comme le dit la chanson, Nul ne guérit de son enfance. La mienne fut d’abord bercée, dans la langue de Cervantès, de chants d’exil et de résistance à l’oppression sous toutes ses formes, plus souvent poétiques (Atahualpa Yupanqui, Violeta Parra…) que purement « à message », mais aussi de chansons dites légères, imprégnées surtout d’une nostalgie qui – miracle de la chanson – m’inventait une seconde patrie, magnifiée comme le songe d’une nuit d’été, et réchauffait à la fois le cœur de l’écolier qu’on traitait « d’espingouin » et qui, par réaction, collectionnait les prix de français… Une enfance immergée ensuite, très vite, dans un bain de chansons diffusées par la « TSF », dont l’éclectisme d’inspiration m’éblouissait naturellement, à fleur de peau, sans bien sûr que ce soit réfléchi, mais me touchant au point d’en être marqué d’un sceau à jamais indélébile.


 

Alors, pensez, quand j’ai entendu Ferrat pour la première fois (c’était en 1960) avec Ma môme et surtout Federico Garcia Lorca… Tout d’un coup, cette chanson – son sujet, sa musique, ses orchestrations, la voix de l’artiste parlant du poète massacré par les franquistes (« Voilà plus de vingt ans, Camarades / Que la nuit règne sur Grenade… ») – réalisait de la plus belle et sensible des façons la jonction entre mes deux univers, jusqu’alors* bien distincts et apparemment imperméables l’un à l’autre. Contrairement à L’Idole à papa ou aux yéyés adolescents qui trustaient les ondes, cet artiste-là ne chantait pas pour passer le temps…  


 

Pourquoi cette digression ? Pour une meilleure compréhension de la genèse de ce livre. Longtemps, en effet, j’ai pensé moi-même à en écrire un sur Jean Ferrat. Avec l’ambition qu’il soit le plus beau et complet possible, le plus proche de lui. Souvent, dès que j’ai eu le bonheur de le connaître, dès notre première rencontre ( pour le dossier du n° 7 de Paroles et Musique), je lui en ai parlé. Tellement souvent même (ayant été, comme l’écrit Daniel Pantchenko, FerratPM.jpg« l’un des rares journalistes à l’avoir régulièrement rencontré depuis 1980 »), que cela en était devenu une plaisanterie récurrente entre nous.

Le jour (près de vingt ans plus tard !), où il a fini par m’expliquer entre quatre yeux, me parlant de Brel (alors que je venais d’évoquer une nouvelle fois avec lui La ville s’endormait : « Et je ne suis pas bien sûr / Comme chante un certain / Qu’elles soient l’avenir de l’homme… »), pourquoi il se refusait à participer à un livre à son sujet (tout en me laissant entièrement libre de l’écrire), j’ai compris définitivement l’extrême pudeur, et la grande humilité, d’un homme qui ne se sentait jamais aussi bien qu’auprès des « simples gens », ses semblables, et ne voulait pas être sacralisé de son vivant, bien qu’étant objectivement l’un des géants de la chanson contemporaine. On me permettra de garder pour moi le détail, fort émouvant et intime, de cette conversation à cœur ouvert.

J’ai donc cessé de l’« embêter » avec cela, me réservant la possibilité de publier un jour « mon » livre sur lui. Et puis la vie, certaines contingences dérisoires et surtout les difficultés à faire vivre en France une revue de chanson de deux cents pages (à laquelle Jean se réabonnait chaque année depuis sa création, comme il l’avait fait auparavant à Paroles et Musique, nous faisant même l’honneur, pour mon 40e anniversaire, de saluer cette « belle aventure » – voir ci-dessous), en y passant le plus clair de notre temps (mais quand on aime, hein, on ne compte pas !), m’ont contraint à admettre que je ne trouverais pas celui de concrétiser mon envie.

LettreFerrat.jpg

J’ai alors proposé à Daniel Pantchenko, membre du comité de rédaction de Chorus, qui avait croisé le chanteur dès les années 70 (où il écrivait sur la chanson à L’Humanité) et surtout appréciait vivement l’homme et connaissait son œuvre par cœur (« Par ses mots, sa musique et sa voix d’humanité profonde, Jean Ferrat a toujours été le chanteur qui me touche le plus, avec lequel je me trouve en accord maximal, tant sur la forme que sur le fond », note-t-il aujourd’hui dans l’avant-propos), de s’attaquer à ce projet. C’était juste après la sortie de Charles Aznavour ou le destin apprivoisé, en 2006, dont Marc Robine avait déjà rédigé près d’un tiers au moment de son décès en 2003 et que Daniel avait accepté avec enthousiasme de mener à son terme.

Le temps de mûrir l’idée dans sa tête, un contrat de coédition Fayard/Chorus fut établi pour une sortie envisagée en décembre 2010, afin de rendre hommage à l’artiste à l’occasion de ses 80 ans (Jean Tenenbaum, de son vrai patronyme, était né le 26 décembre 1930 à Vaucresson, près de Nanterre). Entre-temps, on le sait, Chorus s’est retiré, contraint et forcé, de la coédition (où près de vingt ouvrages sont parus depuis 2003), mais surtout l’auteur d’On ne voit pas le temps passer s’en est allé discrètement, sans prévenir, là où il était étranger… On se souviendra longtemps, toujours, de l’immense émotion populaire suscitée par l’annonce de sa mort, le 13 mars dernier.


 

Que fallait-il faire de cette Montagne de feuillets déjà écrits après trois ans de réflexion, d’enquête, d’analyse et de confidences recueillies en grand nombre et sans réserve, grâce à la confiance liant l’artiste et le biographe (sans parler de la « caution », si besoin avait été, apportée par la marque « Chorus ») ? Tout arrêter pour d’obscures raisons ? Daniel Pantchenko a choisi au contraire de pousser son hommage (sans que cette « biographie somme », comme l’écrit Marianne, ne soit pour autant une hagiographie, loin de là, c’est une reconstitution extrêmement minutieuse de la vie et de la carrière de Jean Ferrat, avec un travail complémentaire et absolument unique d’analyse des chansons) jusqu’au plus loin possible. C’est-à-dire en recueillant d’autres témoignages, depuis la mort de l’artiste, d’amis et de proches qui se sont confiés, pour certains, comme jamais ils ne l’avaient fait auprès de quiconque.


 

On lit ainsi avec émotion les souvenirs de Véronique Estel (à qui ce livre est dédié), la fille de Christine Sèvres qui n’avait que quatre ou cinq ans lorsque Jean et Christine se sont rencontrés ; des nièces et du neveu du chanteur ; des amis proches d’Antraigues, comme bien sûr Francesca Solleville, mais aussi Jacques Boyer et Odile Ezdra, qui arrêtèrent la chanson pour ouvrir le café « La Montagne » sur la place du village, ainsi que de leur fille Natacha (qui sort d’ailleurs cette semaine un album de son spectacle, Ezdra chante Ferrat – on en reparlera). Les maires des deux villes où Ferrat a vécu pendant un demi-siècle, Ivry et Antraigues, parlent également des relations étroites qu’ils entretenaient avec lui, tout comme les musiciens qui l’accompagnèrent en tournée, Allain Leprest et Jack Ralite signant chacun un texte émouvant. « Il y avait quelque chose qui vibrait intensément entre Jean Ferrat et la population, conclut ce dernier. Quand on pense qu’il avait cessé la scène depuis 1973, il y avait comme un mystère solidaire et affectueux entre cet homme inoubliable et ceux qu’une minorité ne veut même plus appeler peuple. Jean Ferrat était une conscience. »

Enfin, un « chapitre » de ces annexes, intitulé « Paroles de chanteurs », nous fait découvrir l’admiration a priori inattendue portée à Jean Ferrat par Dominique A et par Akhenaton (du groupe IAM). « Quand on écoute Nuit et brouillard, on voit les images, assure Akhenaton. J’ai d’ailleurs une petite anecdote à propos de cette chanson : je devais avoir huit ans, je partais souvent en vacances en colonie à cette époque-là, et pour le premier radio-crochet auquel j’ai participé avec les moniteurs, j’ai chanté Nuit et brouillard. »


 

Témoignage éloquent du fait que Jean Ferrat avait vu juste en écrivant : « Pour qu’un jour les enfants sachent qui vous étiez. » Et Akhenaton de poursuivre : « Dans notre société, on formate les gens. On dit : “Ces gamins-là, ces gens-là, ils ne peuvent pas écouter ça !” Et tout le monde est rangé gentiment dans des boîtes. J’étais très jeune, mais je comprenais très bien ce qui était dit dans les paroles. Comme quoi, les arguments qu’on a fait valoir à l’encontre de grands chanteurs comme Jean Ferrat, ces arguments commerciaux selon lesquels on donne aux gens ce qu’ils ont envie d’entendre, c’est parfaitement faux. Les gens, ils écoutent ce qu’on leur donne… »

Pour le « reste » (570 pages !), quatre parties divisées en vingt-neuf chapitres : du « Crépuscule de l’aube » (qui ouvre le livre de façon fort originale sur le second Palais des Sports de Ferrat, en octobre 1972, « lieu où seul s’est alors risqué Johnny Hallyday », qui sera son ultime apparition scénique à Paris), jusqu’à « L’émotion populaire » de 2010. Dans l’intervalle, rien ne manque, tout y est : l’enfance heureuse, la mauvaise « étoile », la scène, les chansons, les démêlés avec la censure, Cuba, Mai 68 (car ce livre, ce qui ajoute énormément à son intérêt, raconte aussi la grande histoire en parallèle à celle d’un artiste qui a su saisir à la perfection ses soubresauts, jusqu’à prendre sèchement ses distances en 1980 avec « le Parti » à propos du Bilan), Aragon bien sûr… « et tant d’autres choses » (comme dit l’hebdo déjà cité) dont cette mémorable rencontre avec Brassens, dans L’Invité du dimanche, le 16 mars 1969 sur la deuxième chaîne, autour de Jean-Pierre Chabrol et de l’engagement dans la chanson.


 

Une discographie exhaustive, un index et un cahier hors texte de seize pages (une trentaine d’illustrations et deux courriers de 1973 adressés à l’auteur par Ferrat et… Aragon !) complètent ce qui restera, à n’en pas douter, la biographie de référence de ce monstre sacré de la chanson. Si je me permets de l’affirmer ici, bien que j’en aie été le « directeur d’ouvrage », c’est non seulement parce que j’en suis convaincu, mais aussi – pour en revenir à ma « digression » de départ – parce que ce livre ressemble vraiment à celui que j’imaginais, à la hauteur de son sujet, en osmose avec lui, ce qui n’est pas peu dire en l’occurrence.

 

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Toujours en avant-propos, Daniel Pantchenko rappelle qu’il s’est lancé dans l’aventure en sachant « que Jean Ferrat aurait refusé d’y participer », avant de préciser : « Je me préparais à lui écrire pour l’en informer le premier, voire en parler avec lui, lorsque j’ai appris la nouvelle de sa mort. La conception de ce livre était déjà un parcours d’émotion ; affecté par ce même deuil qui a touché des milliers et des milliers de personnes, j’ai éprouvé d’autant plus le désir d’aller jusqu’au bout en donnant le meilleur de moi-même. » Dernière chose : la très belle photo de couverture, prise en octobre 1994 pour le dossier du n° 10 de Chorus (réalisé par Daniel Pantchenko, votre serviteur et son épouse**), est signée Francis Vernhet. Quand même, Jean, tu aurais pu vivre encore un peu…


 

• Jean Ferrat – « Je ne chante pas pour passer le temps », par Daniel Pantchenko, biographie, Fayard, 570 pages, 20 € 90 (plus d’infos sur le site des éditions Fayard).
___________

*J’en compte aujourd’hui plein d’autres, étant « Citoyen du Monde » dans l’esprit et dans les faits (carte d’identité n° 174 640), depuis que j’ai eu la chance, adolescent, d’assister à une conférence de Jean Rostand et de discuter un peu avec lui à bâtons rompus. Je conserve d’ailleurs précieusement le 25 cm, dédicacé, du discours formidable qu’il avait prononcé au Congrès du MCAA (Mouvement contre l’Armement Atomique pour le désarmement général et la paix par le désengagement), « Un cri d’indignation et d’espoir »… dont je m’étais souvenu (il n’y a pas de hasard) à la création de Paroles et Musique, au moment de trouver un titre à l’édito du premier numéro : « Un cri dans le silence ».
**Laquelle mena un jour, à titre personnel, une joute oratoire extrêmement pointue et malicieuse avec Jean, à propos du rôle de la femme dans La Matinée (magnifique chanson enregistrée en duo avec Christine Sèvres), qui poussa son auteur dans ses derniers retranchements, au grand étonnement d’abord puis au grand plaisir de celui-ci (et du nôtre, donc !). 

 

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30 septembre 2010 4 30 /09 /septembre /2010 12:51

Caveaux, cabarets...

et autres petits lieux

 

Avant que le star system ne vienne provoquer les ravages que l’on sait, creusant un fossé aussi énorme qu’injustifié de part et d’autre de la scène, avec des « idoles » d’un côté et des simples consommateurs de l’autre, la chanson était un art partagé de façon égale, mais surtout un art de proximité comme vient nous le rappeler aujourd’hui à bon escient Michel Trihoreau dans un livre intitulé La Chanson de proximité. Lequel annonce d’ailleurs, du fait de la crise majeure du disque, un certain retour (voire un retour certain) de la chanson à ses fondamentaux humains et citoyens.

 

Dans cet ouvrage extrêmement fouillé et parfaitement documenté (on reconnaît là le responsable des rubriques historique et thématique de Paroles et Musique et de Chorus…), Michel Trihoreau nous livre le fruit d’une expérience de quelque quarante ans de fréquentation de la chanson, de toutes sortes de lieux où elle s’expose, puis de réflexion autour de ce phénomène artistique populaire sans égal.

CouvProximite.jpgIl en rappelle d’abord les « Traces historiques » en remontant à ses origines populaires (« Du pain, du vin et des chansons ») avant qu’elle n’investisse les tavernes, cabarets, caveaux et autres goguettes, dressant dès lors un tableau extrêmement érudit – mais toujours dans un style limpide et accessible à tous (pas de jargon universitaire pour initiés !) – de l’histoire de la chanson dans les petits lieux. On effectue une plongée au temps du Chat Noir, on remonte les années jusqu’au Lapin Agile ou Le Bœuf sur le Toit, croisant au passage Aristide Bruant, Jules Jouy, Frédé… C’est la grande époque de Montmartre, puis celle de Saint-Germain-des-Prés que l’on redécouvre sur les pas notamment de Jacques Prévert (à qui Michel avait consacré un ouvrage original, La Chanson de Prévert, en 2006). D’une rive à l’autre de la capitale (« Rive droite, rive gauche, la querelle sourde »), la chanson est là, toute proche des gens…

 

 

On continue ainsi de remonter le fil du temps jusqu’à nos jours, en passant par « L’Âge d’or », ce que l’auteur appelle d’abord « le terreau » (les fruits de l’Éducation populaire, le TPC et la Fine Fleur de la chanson française, la Révolution culturelle, l’avènement des auteurs-compositeurs-interprètes) et par « La floraison magique » (Ferré, Brassens et Brel, les voies de l’Olympia, les Trois Baudets, les princes des cabarets, les chevaliers errants ou maudits). Arrive ensuite « Le schisme » autour de Mai 68 et toutes les confusions qui en découlèrent et que Michel Trihoreau analyse avec pertinence : amalgames, « bonne » chanson, art mineur… avec toutes les conséquences de l’industrialisation d’un art par définition artisanal, qu’il décline en sous-chapitres : « la proximité ou la pop », « le mur du son », « l’envers du décor ».

  

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                                                                                              Michel Trihoreau chez lui (Ph. F. Hidalgo)

Après une analyse passionnante du pouvoir des mots (« culture populaire ou culture de masse », « la langue et son usage », « les transactions verbales »), on en arrive à l’époque actuelle où l’auteur montre (sous le titre « L’Éternel Retour ») comment la chanson de proximité réinvestit progressivement les petits lieux en même temps que les mentalités. Il énumère et décrit alors nombre de lieux de Paris et de province, ou de festivals (« Les nouveaux pionniers »), en particulier celui de Chant’Appart créé par Bernard Kéryhuel en Vendée, dont la formule conviviale à souhait (faire venir des artistes chez l’habitant, et attirer ainsi un nouveau public d’amis et de voisins à la chanson) obtient un succès à ce point exponentiel qu’elle s’exporte désormais en Belgique, en Suisse et même outre-Atlantique au Québec, où elle commence également à essaimer.

Mais l’ouvrage de Michel Trihoreau ne s’arrête pas à une espèce de condensé de l’histoire de la chanson française, des lieux et des festivals qui la font vivre (avec, de-ci de-là des portraits d’artistes atypiques), puisqu’il s’intéresse également au disque, à l’autoproduction et aux labels indépendants qui se développent chaque jour davantage, aux médias, à Internet, à la formation, aux concours et j’en oublie… avant de faire une pause sur la vocation de Paroles et Musique puis de Chorus et les traces que laisseront auprès des futurs historiens et autres sociologues ces deux journaux nés bien sûr d’une passion mais surtout d’une conviction que la chanson – trop souvent considérée avec condescendance – est bien plus qu’un loisir, bien plus qu’une simple expression artisque, un art et pas n’importe lequel : l’art populaire par excellence.

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Ce livre (composé d’une dizaine de parties) est à mettre entre toutes les mains des aspirants chanteurs qui – combien de fois l’avons-nous constaté pour le déplorer – ignorent trop souvent tout ou partie de ce qui a construit la profession dans laquelle ils espèrent exceller un jour (comme si un aspirant metteur en scène pouvait se permettre d’ignorer l’histoire des grands films et grands réalisateurs du 7e Art). Des jeunes talents mais aussi, beaucoup plus largement, de tous les gens, amateurs ou professionnels, qui s’intéressent de près à la chanson. Un conseil partagé par Allain Leprest qui en signe la préface : « Pour y avoir rencontré des publics curieux, attentifs, interrogatifs et des artistes aguerris ou débutants, gens généreux ou sévères qui m’ont tant appris de ce métier, je suis  heureux de voir un livre qui chante ces petites scènes et leurs acteurs. Vous verrez comme il tiendra bien dans le creux de vos mains… »

• La Chanson de proximité – Caveaux, cabarets et autres petits lieux, de Michel Trihoreau, préface d’Allain Leprest, 188 p., 18 € ou 21 par correspondance : L’Harmattan, 5-7 rue de l’École-Polytechnique, 75009 Paris.

 

Rencontres autour de Brassens

couvRencontres.jpgJ’en profite pour signaler un autre ouvrage de Michel Trihoreau, en collaboration avec l’illustratrice Cathy Beauvallet, qui paraît simultanément aux Éditions du Petit Véhicule. Il propose vingt-cinq récits imaginaires, vingt-cinq nouvelles où des personnages semblent sortir tout droit de l’imagination de l’auteur. À première vue seulement, puisque, comme l’explique Paul-René Di Nitto dans sa préface, au détour d’une phrase, au terme d’une confidence chuchotée, nous avons la surprise – et l’émotion – de découvrir que ces gens, hommes ou femmes, qui se racontent, évoquent un moment de leur passé, « croyants ou impies, bourgeois ou bohèmes, sont sans le savoir sortis du même moule, d’un grand livre de poésie, en fait, un cahier d’écolier tenu par un homme seul, souvent désespéré… un certain Brassens ». Tonton Georges que l’on retrouve d’ailleurs en couverture, via une photo de son ami sétois Jimmy Rague.

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À noter que Michel Trihoreau a ajouté en regard des titres de ses récits ceux des chansons de Brassens qui les lui ont inspirés : Bonhomme, Le Bistrot, Brave Margot, Je suis un voyou et une vingtaine d’autres, y compris pour une seule et même nouvelle (Un grand soleil) trois chansons différentes (Chanson pour l’Auvergnat, Le Pluriel et Mourir pour des idées). Quant aux illustrations de Cathy Beauvallet, dont la passion est de croquer sur le vif des chanteurs pendant leur spectacle (on a pu voir certains de ses dessins illustrant des comptes rendus de festivals dans Chorus), au style très personnel (cf. Pénélope ci-dessus), elles sont toutes réalisées en noir et blanc. Au final, une aventure aussi originale que joliment réussie, dans le fond comme dans la forme.

• Rencontres, de Michel Trihoreau et Cathy Beauvallet, 90 pages, format 21 x 21 cm, 20 € port compris pour la France, à l’ordre des Éditions du Petit Véhicule, 20 rue du Coudray, 44000 Nantes (epv2@wanadoo.fr)

 

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27 septembre 2010 1 27 /09 /septembre /2010 17:39

Le meilleur des choses

 

Il nous l’avait annoncé dans une interview fleuve, la seule et unique depuis des années, pour son dossier du n° 63 de Chorus (printemps 2008) : il finissait de peaufiner ses nouvelles chansons et surtout d’en opérer la sélection en vue d’un prochain album. C’est chose faite aujourd’hui puisque sort ce 27 septembre le nouveau disque de Guy Béart, Le Meilleur des choses. Et c’est un événement !

 

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Sans provoquer le même engouement markético-médiatique que pour l’ultime album de Brel, Les Marquises (dont le lancement commercial avait d’ailleurs provoqué l’ire de l’exilé insulaire), il n’en constitue pas moins un événement considérable dans le monde de la chanson française. Pensez : le dernier des trois B, comme disait Jacques Canetti (Brel, Brassens*, Béart), nous revient avec douze chansons inédites (douze + une en version courte, notez bien : à l’ancienne, comme dans les 33 tours, alors qu’il en avait bien d’autres en réserve)… quinze ans après son précédent opus ! Toujours aussi jeune dans la tête, toujours aussi souriant et savoureux dans l’expression, bien que mordant dans le fond, avec une voix incroyablement intacte et des mélodies dont il a le secret et qui font qu’une chanson reste dans les mémoires. En l’occurrence, s’agissant de Guy Béart (80 ans cet été), dans la mémoire collective où ses œuvres coulent comme de l’eau vive…

 

Guy Béart– Le Meilleur des Choses

 
C’était au siècle dernier ! Dernier album studio, Il est temps, en 1995 ; dernière « rentrée parisienne » à Bobino (un mois) en février-mars 1999 (suivi d’un double album en public) : entre la date de ce spectacle où il nous avait reçus dans sa loge de Bobino (interview réalisée par Marc Robine) et 2008 où il avait accepté de faire une exception pour Chorus en nous accueillant toute une journée (Marc Legras, ma « Blonde » et votre serviteur), dans son antre aussi extravagant qu’inexpugnable de Garches, il n’avait accordé qu’un seul et unique entretien (c’était pour Le Monde en 2003). C’est dire si l’interview dont nous n’avions publié qu’une partie (onze pages bien denses, quand même, dans un dossier de trente pages comprenant plus de cinquante illustrations !) faisait alors figure de « scoop ».

 Il y annonçait donc son intention d’enregistrer un nouveau disque (« à la maison »), en mettant l’accent sur la difficulté principale à laquelle il était confronté alors : en effectuer le tri final parmi une quarantaine de cahiers remplis à ras bords ! « Depuis huit ans, nous confiait-il, je me suis mis volontairement à l’écart de tous les métiers de la chanson en refusant toutes les propositions de concerts, de disques “best of”, les invitations à la télé où l’on a toujours besoin d’anciens pour raconter, témoigner. Mais je n’ai cessé d’étudier les êtres et les choses, et d’écrire et de composer. Une quarantaine de cahiers de cent pages chacun. En attendant que les choses s’arrangent un peu dans cet univers en grand chambardement. J’ai réécouté toutes mes chansons avec l’impression d’avoir déjà tout dit, tout exprimé des interrogations sur moi-même (Qui suis-je ?), sur les enfants, les adolescents, les adultes, les amours heureuses ou malheureuses, le monde en général… Quoi rajouter ? Je me suis heureusement souvenu, s’il n’y a rien de nouveau sous le soleil, que selon André Gide “tout a été dit, mais comme personne n’écoute, il faut recommencer”. » 

 

BeartFredMarc

 

Avant de faire un bilan global de sa carrière, de son répertoire et de sa vision du monde, nous étions entrés aussitôt dans le vif du sujet pour en savoir plus sur ce « prochain album » encore hypothétique, vu que parfois l’embarras du choix paralyse l’action. « Autrefois, expliquait-il, quand j’avais une émotion, une idée, je m’y mettais immédiatement puis j’usais la chanson dans mes concerts en la présentant au public en inédit. Dans mes quarante cahiers, il y a des débuts de chansons reprises plus loin, des mélodies précisément datées… Je suis actuellement en train de découper, classer, regrouper… Je m’arrête sur ce qui me paraît pratiquement terminé ou à revoir. L’approche n’est donc plus la même. Je n’ai pas la pression d’une maison de disques qui aurait prévu une date de sortie. Lorsque j’ai commencé à faire une sélection d’une centaine de textes, je me suis dit qu’il me faudrait six mois pour faire le tri. Au bout de deux ans, j’en suis à vingt-cinq chansons terminées. »

Il aura donc fallu à Guy Béart deux ans de plus pour arrêter définitivement son choix et tout enregistrer (at home !), avec des arrangements marqués du sceau de la guitare (Hervé Brault aux guitares et basses électriques, Michel Haumont à la guitare acoustique, Manu Galvin à la guitare slide, outre Nicolas Montazaud aux percussions et Roland Romanelli à l’accordéon et à l’accordina : excusez du peu, seulement des pointures !), que symbolise une émouvante et amusante chanson en mémoire au maître du picking, Marcel Dadi : Pique sur tes ficelles. Et que vous dire, sinon que c’est du bonheur, rien que du bonheur ! Avec, toujours (ou presque), l’espérance folle en point de mire.

Beaucoup d’humour et une écriture jubilatoire qui aurait fait les délices d’un Boby Lapointe : « La planète / Pas très nette / Internette / Intervient / Des loufoques / S’y déloquent / M’y provoquent / Ça qu’est bien / […] Ça fricote / Ça vivote / Mais je vote / Ça qu’est bien / […] Des cohortes / De cloportes / Me colportent / Des potins… » (Ça qu’est bien) ; « Y en a qui nag’nt aux Maldives / D’autres qui ont mal au dos / Certains se jett’nt en eau vive / J’vais au Burkina Faso » (Je vais au Burkina Faso…). De la légèreté dans la forme qui n’empêche pas la satire, loin de là, et même la charge : « La télé toute en lamelles / D’éclairs et d’éclats / Qui te tranchent la cervelle / Comme un coutelas / C’est pourquoi elle s’appelle / Télé Attila », avec au refrain : « Là où elle passe et trop passe / L’esprit ne repousse pas / Le cœur dans ce passe-passe / Passe de vie à trépas » (Télé Attila). Ailleurs (Paix à la guerre), l’ironie fait rire jaune quand elle décline génialement le fameux dicton latin Si vis pacem, para bellum (Si tu veux la paix, prépare la guerre), en version (encore plus) pessimiste : « Mais ça n’est qu’un mauvais rêve / La paix n’est jamais que trève / La poudre est là, au milieu / La paix, c’est la poudre aux yeux ! / Paix à la guerre, guerre à la paix ! » Il est vrai que l’auteur se met dans la peau d’un soldat de fortune : « Hélas nos valeurs se rouillent / Quand personne n’a la trouille / Regardez tous ces civils / Rassasiés dans leurs chenils / Dans la paix, ils la ramènent / Qu’ils attendent la prochaine / Ils nous suivront, tous ces veaux / En chantant cet air nouveau : / Paix à la guerre, guerre à la paix ! »

Un album de jeune homme révolté de 80 berges, qui parle aussi, beaucoup, de l’amour ; comme Brel parlait des Vieux Amants (Ça pourra s’arranger : « Au diable nos chamailles / Nos étés naufragés / Aux prochaines semailles / Ça pourra s’arranger ») ou tirant des leçons à la Brassens (Il faut avoir été « …catin pour être une femme honnête / Il faut avoir été coquin pour devenir ascète »), le tout avec sa patte qui ne ressemble à aucune autre. Quand il chante par exemple Les Amours tranquilles, c’est pour dire exactement le contraire, interprétation orientalisante à la clé (comme pour mieux se moquer de ses rêves pas avouables : « Je rêve d’amours bien chaudes / Je n’ai pas dit torrides / Avec de franches ribaudes / Qui n’ont lu ni Freud ni Ovide », ou à ne pas mettre entre toutes les oreilles : « Je rêve d’amours chatouilles / Pas de salamaleks / Avec des filles qui mouillent / La chemise et le reste avec… ») – une première chez lui qui vient ainsi nous rappeler que sa ville natale n’est autre que Le Caire.

 

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 Et puis des mélodies, en veux-tu en voilà ! Tout ce qui manque (parfois) à la « nouvelle scène » est ici réuni : écriture précise et simple au service d’histoires à caractère universel, sens de la mélodie, interprétation savoureuse... Et, bons dieux de la chanson, quel plaisir ! Ça nous fait du bien comme lorsqu’on est dans les bras d’une personne du sexe…

 Ma préférée ? La chanson éponyme : Le Meilleur des choses, d’une tendresse inouïe et dont le thème – ô miracle ! – n’a jamais été traité, à ma connaissance, dans la chanson. En tout cas pas comme ça. Un titre qui vient resituer à leur juste place, dans ce monde assujetti à l’argent-roi, les vraies valeurs, les seules valeurs qui vaillent, pour l’homme (et la femme) de bonne volonté : « Le meilleur des choses ne coûte rien / Tout ce qui vraiment nous fait du bien / Un rire d’enfant / Un rêve insouciant / Sans rien demander il nous soutient / Le meilleur des choses ne coûte rien / […] Sans les intérêts / À payer après / Avoir partagé l’eau et le pain / […] Un air qui revient / Et chante avec nous dans le pétrin / Le meilleur des choses ne coûte rien… »

Vous savez quoi ? Cet album me redonne une pêche d’enfer pour continuer encore et encore à faire chorus. D’autant plus, « ce sont des choses qui arrivent », disait Prévert, que ce sujet de Si ça vous chante est (pure coïncidence !) le 63e du nom… comme le numéro de Chorus qui comprenait notre dossier spécial en hommage à ce géant de la chanson. Un numéro avec Cali en second dossier (il y avait toujours dans nos « Cahiers de la chanson » un représentant de la « relève » et un artiste des générations précédentes en dossiers), qui – sans savoir que Béart se retrouverait en Une avec lui – nous confiait ceci (en réponse à la question de Jacques Vassal : « Par qui as-tu découvert la musique ? Et la chanson ») : « Tout petit, c’était Guy Béart. Lorsque ma grand-mère me promenait dans ma poussette, elle chantait “Ma petite est comme l’eau…” et il paraît qu’un jour j’ai continué en chantant “Elle est comme l’eau vive” ! Vrai ou légende, c’est parti de là. Et le premier disque qu’on m’a offert, très jeune, a été un disque de Guy Béart. J’aimais beaucoup son tempérament, quand je le voyais à la télévision. Je le trouvais très franc… J’ai bouclé la boucle, d’ailleurs, puisque, pour un disque contre l’illettrisme, j’ai fait une reprise de L’Eau vive… »

CQFD, non ? Notre vie durant, passée au service de la chanson, nous n’avons cessé de montrer que la chanson était une chaîne sans fin dont chaque maillon – plus ou moins brillant – est aussi indispensable à ladite chaîne que celui qui précède ou celui qui suit. Gilles Vigneault nous a dit un jour : « Si l’on veut traverser la rivière du présent, il faut  poser un pied sur la pierre du passé et tenir l’autre prêt à sauter sur la pierre du futur. Sinon, on se retrouve le cul dans l’eau ! » Voilà pourquoi cet album de Béart devrait ne pas passer inaperçu des nouvelles générations d’artistes. Plutôt que de les voir se retrouver un jour « le cul dans l’eau », on leur souhaite en effet de parvenir à toucher aux cimes de l’intemporel comme a su le faire l’interprète de Bal à Temporel.

beart_bestoff.jpgDernière chose, à saluer comme il se doit : alors que RIEN, absolument rien de la discographie de Guy Béart n’était disponible dans le commerce (l’un des grands scandales de ce métier : imaginez ne plus rien pouvoir trouver de Brel, Brassens, Ferré, Trenet, Leclerc, Barbara, Ferrat, Gainsbourg ou Nougaro dans les bacs…), alors que nombre de ses chansons, on le sait, font d’ores et déjà partie de notre patrimoine (Qu’on est bien, Chandernagor, Suez, La Vérité, Le Grand Chambardement, Il n’y a plus d’après, Les Grands Principes, Les Souliers…), un Best of de trois CD est commercialisé en même temps que ce nouveau disque. Vous connaissez maintenant la meilleure des choses qu’il vous reste à faire !

*Brassens qui, malicieux, disait ceci (cf. Chorus n° 63) : « Il y a deux grands auteurs-compositeurs-interprètes au XXe siècle : moi et Georges Brassens ! À part ça, ll y a Guy Béart… »

 

• Le Meilleur des choses, 13 titres (Le Meilleur des choses – Téléphonez-moi quand même – Télé Attila, version longue – Amour passant – Ça qu’est bien – Je vais au Burkina Faso – Les Amours tranquilles – Paix à la guerre – Ça pourra s’arranger – Il faut avoir été – Pique sur tes ficelles – Si je t’ai jetée – Télé Attila, version courte), 44’01 ; Production Bienvenue, distr. Sony Music.

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NB. Les bilieux diront sans doute que « Béart fait toujours du Béart ». À l’instar de ce qu’on a dit, avec condescendance, à propos du dernier album de Brel. Comme si on demandait à une chienne d’accoucher de chats, ou à un pommier de donner des poires ! On sait depuis ce qu’il est advenu du disque du Grand Jacques, entré pour toujours au panthéon de la chanson française.

 

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