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  • : SI ÇA VOUS CHANTE (le blog de Fred Hidalgo)
  • : Parce que c’est un art populaire entre tous, qui touche à la vie de chacun et appartient à la mémoire collective, la chanson constitue le meilleur reflet de l’air du temps : via son histoire (qui « est la même que la nôtre », chantait Charles Trenet) et son actualité, ce blog destiné surtout à illustrer et promouvoir la chanson de l’espace francophone ne se fixera donc aucune limite…
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  • Fred Hidalgo
  • Journaliste depuis 1971, créateur de plusieurs journaux dont le mensuel « Paroles et Musique » (1980-1990) et la revue « Chorus » (1992-2009). Editeur depuis 1984 et créateur en 2003 du « Département chanson » chez Fayard.
  • Journaliste depuis 1971, créateur de plusieurs journaux dont le mensuel « Paroles et Musique » (1980-1990) et la revue « Chorus » (1992-2009). Editeur depuis 1984 et créateur en 2003 du « Département chanson » chez Fayard.

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25 août 2010 3 25 /08 /août /2010 23:16

 Le colporteur de chansons



Il y a des dates impossibles à oublier : le 26 août 2003 est de celles-là qui marquait, avec la disparition de notre ami et collaborateur Marc Robine (à l’âge seulement de 52 ans), une perte irréparable pour la chanson française. Les médias n’en parleront pas davantage cette année que les précédentes, le « métier » restera fort discret à son sujet, mais les uns et les autres – du moins les vrais « pros » – savent combien la collectivité nationale est redevable à Marc Robine de son action sans pareille de préservation de notre patrimoine chansonnier.

  

C’est ainsi : il y a ceux qui occupent le devant de la scène et ceux qui sont cantonnés aux coulisses, malgré un rôle au moins aussi utile, si ce n’est davantage. Bref. J’aurais voulu ici tout rappeler, tout dire, tout expliquer en détail de ce qu’il nous a apportés (parler aussi de sa personnalité exceptionnelle : quel charisme il avait ! Avec lui, nos réunions de rédaction étaient un bonheur…), mais aujourd’hui encore je ne peux écrire sur Marc ni penser à lui sans une vive douleur. Néanmoins, pour ne pas participer au silence sinon à l’oubli généralisé, vous me permettrez de reprendre ici les textes que j’écrivis en ouverture et en conclusion du dossier spécial que nous lui consacrâmes dans le n° 46 de Chorus. S’il faut les lire en les remettant dans le contexte d’il y a (déjà) sept ans, pas un mot n’est à retrancher : le temps passé n’a rien fait à l’affaire, et le vide immense de son absence est toujours aussi présent. Il nous reste heureusement sa voix, comme un prolongement de son âme, dont la seule écoute nous écorche le cœur.

 

Marc Robine – Il pleure dans mon cœur
   

Homme à casquettes (ou plutôt à chapeaux !) d’une étonnante diversité, doué d’une exceptionnelle faculté de partage, d’une égale et rare compétence dans chacun de ses domaines d’activité, Marc Robine n’en redoutait pas moins la confusion des genres. Même si l’ensemble de ses occupations professionnelles convergeait toujours vers la chanson, il tenait à revendiquer d’abord sa vocation de chanteur. Quitte à parler de lui à la troisième personne : « Avant toute chose, avait-il écrit dans un texte autobiographique, dissipons un malentendu : malgré sa collaboration régulière à la revue Chorus et malgré les différents ouvrages qu’il a consacrés à l’histoire de la chanson, Marc Robine n’est pas un écrivain-journaliste qui se serait mis subitement à chanter ; mais un chanteur-musicien qui, après plus de dix ans de pratique professionnelle, s’est soudain découvert l’envie de parler de la chanson, afin de partager un peu ce trop-plein de passion qui l’animait. »  

 

Chapeau

  

En fait, ces deux statuts étaient pour lui absolument complémentaires, et Marc n’a jamais songé à négliger l’un au profit de l’autre. Ainsi fêterait-il aujourd’hui son dixième album, Poétique attitude (le premier remonte à 1976, cinq ans avant qu’il ne commence à collaborer à Paroles et Musique), et s’apprêterait-il à attaquer son septième livre, sans ralentir pour autant sa participation à Chorus... Formé à l’école du folk, au début des années 70, Marc Robine s’est rapidement orienté vers l’écriture de ses propres chansons, tout en ponctuant ses récitals de titres empruntés à des amis comme Michel Bühler, David McNeil, Etienne Roda-Gil, Luc Romann... Toujours par souci de partager cette passion qui faisait de ce nomade dans l’âme un véritable « colporteur de chansons », ainsi qu’il aimait à se définir lui-même.


Marc Robine – Le Temps des chevaux
   

Si chacun de ses spectacles était une invitation au voyage, ses chansons d’errance, d’amour et d’aventures étaient des jalons d’itinéraire griffonnés en hâte sur un coin de bar, une banquette d’aéroport ou le couvercle d’un étui de guitare, comme « des feuillets épars d’un carnet de route jamais tenu à jour, jamais daté, jamais classé, jamais relié ». Un fragment de mémoire, porté par le regard attentif et tranquille d’un spectateur de passage dont les mots aimaient à se frotter à toutes sortes de musiques, et dont la soif s’étanchait à toutes sortes de rencontres. Un spectateur en éternel transit, curieux de la marche du monde et de l’histoire quotidienne de ceux qu’il croisait en chemin – pour quelques heures ou des pans entiers de vie. 

CD Errance

Grand voyageur devant l’Éternel et aventurier textuel, mi-Corto Maltese mi-Hugo Pratt (qui lui dessinera d’ailleurs sa pochette de L’Errance…) ; héritier spirituel de Woody Guthrie et de Gaston Couté ; frère de cœur du Grand Jacques auquel il aura consacré ses plus belles pages ; Marc Robine, historien, collecteur et directeur artistique, nous lègue surtout une œuvre phonographique unique : son Anthologie de la chanson française, des trouvères à nos jours, véritable monument historique en quatre-vingt-dix albums ! Ni assez long ni jamais tranquille, le fleuve de sa vie a brusquement quitté son lit. Mais la source qui l’alimentait n’est pas près de se tarir et longtemps, longtemps, longtemps après que cet ami des chanteurs et des poètes aura disparu, sa chanson continuera de vivre en nous.

« J’aurais voulu lui dire je t’aime »  

Raconter l’histoire de Marc Robine à Paroles et Musique et à Chorus reviendrait à écrire l’histoire de ces deux journaux, et il y faudrait tout un livre... voire plusieurs tomes ! Alors, au moment de refermer ce dossier sur l’un des personnages objectivement les plus importants que la chanson francophone contemporaine ait connu – l’un des plus compétents, actifs et « partageux » qui soient, jamais amer, jamais cynique ni pessimiste (bien que d’une extrême lucidité), toujours positif et enthousiaste, sans cesse tendu vers des lendemains qui chantent (au sens propre) et de nouveaux projets à mener à bien, comme on réalise ses rêves d’enfance –, on se limitera ici à poser quelques bornes pour la mémoire.

 Marc Robine est venu au journalisme en autodidacte pour faire partager sa passion, dévorante mais non exclusive, pour la chanson (il avait bien d’autres centres d’intérêt, de Cendrars à Moitessier en passant notamment par le polar, la BD, la Formule 1 ou les Amérindiens... !). Pas d’études journalistiques spécifiques, mais une culture générale aussi vaste que sa mémoire était phénoménale, une connaissance approfondie des techniques et de l’histoire de la musique, et une force de conviction hors du commun : le tout mis au service de la chanson – qu’il connaissait comme sa poche et vulgarisait (surtout du temps des trouvères à l’avènement des grands ACI) comme personne –, c’était Marc Robine, auteur, biographe, conférencier, journaliste.

 

reunion 98

Très vite, j’ai compris son fonctionnement en la matière, qu’il s’agisse de presse ou d’édition : inutile de lui demander d’écrire sur des artistes qui le laissaient indifférent. Marc Robine était tout le contraire de ces mercenaires de la plume qui sévissent sans complexe et sans scrupules au service du plus offrant. Il ne travaillait que sur (ou avec) des artistes qu’il aimait vraiment, « têtes d’affiche » ou illustres inconnus – la notoriété n’entrait pas en ligne de compte dans ses choix –, ou appréciait pour leurs grandes qualités professionnelles (quand celles-ci étaient indéniables, sauf à être d’une parfaite mauvaise foi ou à refuser par commodité sectaire d’ouvrir les yeux – et les oreilles ! – sur la réalité, toutes choses parfaitement étrangères à Marc).

D’emblée, il me cita un mot d’Aragon qui définissait à la perfection sa conception du métier : « La critique doit être une pédagogie de l’enthousiasme. » Une assertion qui résumait aussi, grosso modo (car ce n’est pas toujours possible de l’appliquer à la lettre), notre ligne éditoriale...

Flagrant délit

Une fois prise la décision de créer Paroles et Musique (et le premier numéro de juin 1980 en route), entre autres journalistes pressentis par nous pour former l’équipe première du « mensuel de la chanson vivante » (comme Marc Legras), je sollicitai en particulier Jacques Vassal (alors chef, au « vrai » Rock & Folk, de la rubrique « Les Fous du Folk » et auteur notamment d’un ouvrage de référence sur la chanson française, Français, si vous chantiez). Prudent, il attendit de voir le n° 1 de P&M pour croire vraiment ce que je lui avais annoncé, mais dès le n° 2 il devint l’un de ses piliers essentiels et ce jusqu’à son ultime numéro d’avril 90 – le n° 100 (avec Renaud à la une, en vendeur de journaux à la criée, P&M en main et dans la sacoche) !

 

UneRobine

 

Un numéro dont Marc Robine réalisa le dossier spécial, « L’interview de la décennie » (à partir des propos recueillis tout au long des 99 numéros précédents), plaçant, en exergue, une citation de Woody Guthrie (tirée de Cette machine tue les fascistes, livre traduit par... Jacques Vassal). À relire aujourd’hui ce texte choisi de Woody, c’est Marc que j’entends : « Je hais une chanson qui vous dit que vous n’êtes bon à rien. Je hais une chanson qui vous fait penser que vous êtes né pour perdre. Bon pour personne. Bon pour rien. [...] Je suis là pour combattre ce genre de chansons jusqu’à mon ultime souffle d’air et ma dernière goutte de sang. Je suis là pour chanter des chansons qui vous prouveront que ce monde est à vous. [...] Je suis là pour chanter des chansons qui vous rendent fier de vous et de votre travail. Et les chansons que je chante sont faites, pour la plupart, par toutes sortes de gens à peu près comme vous. »

Des années plus tard, fidèle à ses idées comme à ses amis, Marc (dans la « Rencontre » que Chorus n° 22 lui consacrerait en qualité d’artiste – la seule en onze ans d’existence, car nous nous étions interdits, par souci déontologique, d’en faire trop sur l’un des membres de notre équipe) compléterait les propos du génial folk-singer américain. « La chanson n’appartient à personne, disait Marc à Serge Dillaz. Elle circule et si les gens la fredonnent, elle traverse les siècles. Quelqu’un comme Woody Guthrie ne mettait jamais de copyright sur ses chansons. Mais sur l’un de ses recueils, on trouve cette phrase fabuleuse, que je fais mienne : “Celui qui sera pris en flagrant délit de chanter l’une de ces chansons sans ma permission a toutes les chances de devenir l’un de mes bons copains”... »  

 

Marc Robine – Le Pieu
   
Woody Guthrie, Bob Dylan, Bruce Springsteen, Herman Van Veen, Atahualpa Yupanqui, Paco Ibañez, Lucio Dalla, Francis Bebey, Angélique Ionatos, Klaus Hoffmann, Lluís Llach (dont il adapta L’Estaca en français, devenue Le Pieu), etc., la liste est longue des chanteurs étrangers que Marc appréciait vivement ; car bien sûr (comme toute l’équipe de Chorus, malgré sa prédilection pour la francophonie), il aimait les chansons d’où qu’elles viennent, pourvu qu’elles soient authentiquement populaires, profondément sincères, qu’elles ne mentent pas... À la réflexion, c’est d’ailleurs cet état naturel de sincérité qui caractérisait Marc (parfois bien dissimulé sous des doses, à assommer un bœuf, d’une mauvaise foi provocatrice à but dialectique !) qui nous mettait, à son endroit, en état permanent de tendresse.

C’est donc Jacques Vassal qui nous présenta Marc, fin 1980 ou début 81, je ne sais plus exactement ; l’essentiel étant que nos routes respectives, professionnelles et affectives, seraient dès lors et jusqu’au bout étroitement mêlées. Sur les six livres que Marc a publiés, j’en ai fait quatre avec lui en tant qu’éditeur et/ou directeur d’ouvrage : Cabrel d’abord, Julien Clerc dans la foulée, Brassens ensuite, Brel enfin... Brel surtout dont le contrat d’édition initial fut signé entre lui et « Hidalgo Éditeur » dès 1988 ! Dix ans de travail acharné et sans concessions pour un livre reconnu aujourd’hui (y compris par les collaborateurs les plus proches de Brel : Corti, Jouannest et Rauber) comme la référence absolue. Que de peaux de banane, pourtant, glissées sous les pieds de l’auteur, que de menaces proférées contre l’éditeur par des malfaisants, envieux... et pas forcément désintéressés.

 

Corti

 

Pour la petite histoire, le premier article de Marc dans Paroles et Musique fut une rencontre avec Luc Romann (l’auteur du Temps des chevaux...) dans le n° 9 d’avril 81. Suivit une autre dans le n° 11 avec Henri Gougaud, et après deux pages consacrés par Jacques Vassal à Robine-le-chanteur dans le n° 20 de mai 82, Robine-le-journaliste fit son entrée en fanfare chez nous en coréalisant, avec Vassal, le dossier... Brel du n° 21 (été 82). La suite se confond intimement, je l’ai dit, avec l’histoire du mensuel puis avec celle de Chorus où Marc, à son tour, fit entrer d’emblée Michel Bridenne (qui lui avait dessiné plusieurs pochettes d’albums, dont Le Temps des cerises) et Jean Théfaine...

 

CD Cerises 

Rendez-vous dans dix ans

À la parution du Cabrel, à l’automne 87, Marc nous fit cette dédicace : « Notre premier livre ensemble. Vivement la suite... » Elle ne tarda guère puisque son Julien Clerc sortit début 88 : « Déjà dix ans de route ensemble. Quelle aventure ! Rendez-vous dans dix autres. » S’il anticipait quelque peu la durée de notre collaboration passée, en revanche le rendez-vous qu’il nous fixait allait être tenu, ô combien ! En septembre 98 paraissait son Grand Jacques (le roman de Jacques Brel), sitôt couronné du Grand Prix de Littérature de l’académie Charles-Cros ; et après des centaines voire des milliers de feuillets publiés dans cette revue qu’il aura voulue au moins autant que nous, et marquée à jamais de son empreinte*, en 2003 il trouvait encore le moyen – en l’espace de seulement six mois ! – d’écrire le dossier consacré à Jacques Bertin (n° 42), de cosigner celui sur Johnny, en effectuant un travail biographique et d’analyse incroyablement minutieux (n° 43), puis de raconter la vie et l’œuvre de Ferré (n° 44), Léo qu’il fut d’ailleurs le dernier à interviewer (lire son témoignage à ce sujet dans Chorus n° 40, p. 35)… pour la toute première « Rencontre » de la revue !

 

reunion 02

Tout cela – qui, une fois de plus, montre le formidable éclectisme du personnage – en poursuivant d’un numéro à l’autre son extraordinaire série sur l’histoire de la chanson française** (via les auteurs), puis en y mettant le point final – comme s’il avait voulu remplir tous ses engagements avant de plier bagage – pour le n° 45 de l’automne...

Entre autres projets d’écriture, il devait maintenant s’attaquer, sous la forme d’un tête-à-tête avec l’un des plus grands artistes actuels (de ses amis), à un nouveau livre, pour le « Département Chanson Fayard/Chorus »... Plein de dossiers aussi en vue pour Chorus... Mais aujourd’hui c’est lui, Marc Robine, que Chorus épingle à son tableau d’honneur ! Une « consécration » certes on ne peut plus méritée, mais qui constitue vraiment la dernière des choses à laquelle nous aurions voulu sacrifier. Si c’est là, vieux frère, le seul stratagème que tu as trouvé pour qu’on te dise enfin je t’aime***, le prix est cher à payer, mais c’est sûr... t’as gagné, mon salaud !

 

  

*Je n’ose penser dans quel état l’aurait laissé l’annonce, par un simple coup de fil et sans la moindre concertation préalable avec les membres de sa rédaction, de la cessation de parution immédiate de Chorus...

**J’y ajouterais finalement un avant-propos et une postface pour l’éditer en livre : Il était une fois la chanson française, 2004. Autre ouvrage posthume de Marc Robine paru en 2006 chez Fayard/Chorus : Charles Aznavour ou le destin apprivoisé, dont son collègue de Chorus, Daniel Pantchenko, accepta de reprendre le manuscrit (le premier tiers environ en était déjà écrit) pour le mener à son terme.

*** « J’aurais voulu lui dire je t’aime / Et c’est à vous que je le dis... » (Lucienne, album L’Errance, 1990), paroles et musique de Marc Robine.

______

NB. Le dossier spécial de Chorus dont sont extraits ces articles comportait trente pages : une longue bio-œuvre (signée Jacques Vassal), une présentation commentée de sa bibliographie (par Serge Dillaz), des témoignages de ses amis et proches (dont ceux de Francis Cabrel et Julien Clerc recueillis par Jean Théfaine), un autre écrit par Didier Daeninckx, un rappel de l’extraordinaire travail mené en commun chez EPM avec son complice François Dacla (par Daniel Pantchenko), un compte rendu de la soirée hommage qui eut lieu le 13 octobre 2003 à la Maroquinerie, la veille de ce qui aurait été son 53anniversaire, des repères biographiques, sa discographie (dix albums personnels, instrumentaux et de chanson, et de nombreuses participations à des disques collectifs)… enfin, une très émouvante « Lettre-océan » d’Hélène Triomphe-Robine, à qui ce sujet de Si ça vous chante est évidemment dédié.

 

Marc Robine – Je parle de la mer
   
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23 août 2010 1 23 /08 /août /2010 20:18

L’écrivain de marine

 

Le 17 juillet dernier disparaissait Bernard Giraudeau, à l’âge de 63 ans. Les médias se sont aussitôt et largement fait l’écho de l’émotion générale, tant ce comédien-metteur en scène, également grand voyageur et ardent défenseur des droits de l’Homme à travers le monde (quitte parfois à se faire expulser), était apprécié. Le professionnel mais aussi l’être humain, surtout depuis qu’il avait choisi de rendre public son cancer – face auquel il a montré un courage extrême, dix ans durant – pour mener avec d’autant plus de force et de crédibilité son combat de sensibilisation de l’opinion et des pouvoirs publics. On me permettra d’ajouter à ces hommages mérités (mais parfois un peu convenus) quelques souvenirs et commentaires personnels (sait-on qu’à ses débuts sur scène, ce natif de La Rochelle se fit chanteur dans une comédie musicale ?) sur cet artiste tout-terrain qui, comme le dit la chanson, était juste… quelqu’un de bien.  

 

 

Ces mots de la chanson de Kent, popularisée par Enzo Enzo, Juste quelqu’un de bien, se sont imposés à moi, spontanément, quand j’ai appris la mort de Bernard Giraudeau. À la peine qu’on fait sienne chaque fois que la Camarde choisit de nous priver, précisément, de quelqu’un de bien, s’est ajouté un vif regret personnel : celui de n’avoir pas pu le rencontrer depuis mon séjour dans la corne de l’Afrique en janvier dernier (voir « Ballade en mer Rouge »). Je m’étais en effet promis de lui donner des nouvelles récentes d’un ami mien (retrouvé sur place après trente ans à voguer sur l’océan sans fin du mot et de la note entrelacés) qui lui servit de guide à Djibouti fin 2005-début 2006, de lui montrer des photos prises ensemble, de converser avec lui de Rimbaud et Monfreid, de parler chanson bien sûr… et surtout de lui dire mon admiration pour l’écrivain magnifique qu’il était devenu. 

 

 

À toutes ses facettes d’homme de scène et de cinéma qu’on connaît bien (souvenez-vous de son rôle en 1984 dans Rue Barbare, de Gilles Béhat (avec cette chanson de Lavilliers qui lui allait si bien : « Je prends la tangente / Y a p’t’être un ailleurs ? / Un accord majeur / Plus loin du malheur / Partir… »), il avait en effet ajouté ces dernières années celle d’écrivain à la plume océane. Le Marin à l’ancre en 2001, Les Hommes à terre en 2004, Les Dames de nage en 2007 – des titres éloquents (tous aux Éditions Métailié) rappelant l’adolescent qu’il fut à La Rochelle, épris d’ailleurs lointains, qui n’hésita pas à s’engager à 16 ans (père absent et air du large aidant) dans la marine nationale – et surtout, surtout, en 2009, Cher amour qui lui valut la reconnaissance unanime de la critique… et le Prix Pierre Mac Orlan.

Un livre où il raconte, enfant émerveillé de London, Conrad, Melville et autres Kessel ou Hugo Pratt (mais avec un réalisme brut et une lucidité sans concession sous une écriture de velours), ses voyages récents en Amérique latine, en Asie et à Djibouti, que d’aucuns, dans les médias, estimèrent imaginaires. Je savais bien, moi, subjugué en juin 2009 par son sublime récit sur Djibouti, qu’il ne faisait que retranscrire la réalité, sous le filtre littéraire du « roman ». Ses lignes sur le lac Assal, le Goubet, Tadjoura, Rimbaud, Obock, Monfreid, le drame de l’infibulation aussi… résonnèrent si profondément en moi qu’elles me donnèrent l’envie de poursuivre le dialogue en direct avec l’auteur, sans savoir encore que mes pas s’inscriraient bientôt à nouveau dans les siens, comme une trentaine d’années plus tôt, dix ans déjà après lui… Mais, chaque chose en son temps, reprenons par le commencement.

 

Attention fragile

Deux tours du monde sur la Jeanne d’Arc, entre 18 et 20 ans (dont une première escale à Djibouti), et quelques petits métiers plus tard, Bernard s’inscrit au Conservatoire national d’art dramatique de Paris. Un premier prix en poche, il joue Arrabal, Kleist et Giraudoux au théâtre, incarne à l’écran le fils de Jean Gabin (Maintenant je sais…) dans Deux hommes dans la ville (1973), de José Giovanni. Cinéma et théâtre, théâtre et cinéma, il n’arrêtera plus. La chanson pourtant, qu’il adore, le taraude, le tente si fort qu’il va jusqu’à y céder via une comédie musicale qu’il adapte et joue avec sa compagne Anny Duperey en 1977 à Paris, au Théâtre Saint-Georges (et en 1978 en tournée en France, en Belgique et en Suisse), Attention fragile.

Un beau spectacle, alliant chant, danse et comédie, dont il ne reste que peu de chose aujourd’hui (le 33 tours éponyme sorti en 1978 est sûrement introuvable), si ce n’est un court reportage réalisé à l’époque par le JT* de la première chaîne de télévision française : on y voit Anny et Bernard en répétitions, travaillant un pas de danse, chantant en solo ou en duo, et parlant de leur complicité, de leur exigence mutuelle et des difficultés rencontrées pour monter ce spectacle. Je vous invite à visionner ici ce document aussi instructif que passionnant. Car qui se souvient (sauf bien sûr les heureux spectateurs d’Attention fragile) que Bernard Giraudeau s’était ainsi essayé à la chanson ?

 

 

Vingt ans après ou presque, en 1996, l’acteur étant devenu metteur en scène de cinéma avec Les Caprices du fleuve, superbe réussite sur tous les plans (notamment pour son message humaniste et sa beauté formelle), j’avais demandé à notre regretté collaborateur François-Régis Barbry de lui consacrer une « Mémoire qui chante » (la rubrique de Chorus qui permettait de montrer que la chanson concerne absolument tout le monde, à tout âge de la vie, quelque fonction sociale qu’on exerce), et voici ce que Bernard Giraudeau avait répondu à la question « vous avez chanté vous-même ? » : « Oui, dans une comédie musicale que j’ai jouée avec Anny Duperey, Attention fragile, qui était une sorte de fresque sur la vie d’un couple, de la rencontre jusqu’aux vieux jours. J’ai pris des cours (de chant) avec Jean Lumière, mais je ne suis pas un bon chanteur. À l’expérience, je me suis aperçu que chanter est un vrai métier auquel il faut accorder tout son temps et toutes ses forces si on veut parvenir à quelque chose. Et puis il faut être doué ! En l’occurrence, je le suis plus comme auditeur que comme praticien. »

Perfectionniste, Giraudeau était sans doute trop dur avec lui-même, ou simplement trop modeste. Ce fut en tout cas la croisée des chemins pour cet artiste-né, amoureux de la musique. Pour celle de son film qui se déroulait au XVIIIe siècle, en « SénéGambie », voici ce qu’il nous confiait alors [cf. Chorus 16, été 1996] : « J’avais imaginé mon clavecin au bord du fleuve, le théorbe marié à la kora, la voix du contre-ténor enveloppée du chant des femmes et des plaintes d’esclaves étouffées par le ressac. René-Marc Bini [le compositeur] a précédé l’aventure, composant ce que je rêvais d’entendre… La musique est ainsi qu’elle nous lie. »

Et à notre collaborateur qui s’étonnait du culot de placer sur un pied d’égalité le clavecin de Couperin et les tambours mandingues, il expliquait : « C’est tout l’intérêt du regard que nous pouvons porter aujourd’hui sur un tel sujet : la tolérance de la différence et, même, de la fusion possible entre des éléments qu’on croyait naguère contradictoires… Écoutez ce que l’on parvient à faire aujourd’hui dans ce que l’on appelle la world music. Loin de moi l’idée d’affirmer que toutes les tentatives sont réussies, mais certains musiciens sont parvenus à de véritables chefs-d’œuvre. L’audace du compositeur René-Marc Bini participe de cette création à l’échelle du monde et du grand répertoire : violon ou balafon ? Violon ET balafon ! Vive le métissage ! »

Que disais-je, déjà, en début d’article ? Juste quelqu’un de bien… 

 

 

Sans avoir bénéficié de la moindre éducation musicale, Bernard fit preuve assez tôt de goûts musicaux aussi larges que pertinents : « J’ai été fasciné par les voix du bout du monde, celles des Philippines, et aussi par la musique des Andes : la kena et le charango ont pour moi la magie du voyage immédiat. » Beatles et Stones, « bien sûr » côté anglo-saxon, Bix Beiderbecke versant jazz… Et la chanson française ? « Je ne vais pas briller par l’originalité, avouait-il, mais je possède en moi un profond attachement pour les supergrands que sont Jacques Brel, Léo Ferré ou Georges Brassens. »

 

Giraudeau_chorus.jpg

 

Peut-être, notait François-Régis Barbry, parce que, déjà attiré par le verbe et la scène, il y trouvait des répertoires bien écrits, proches de la poésie, et parfois du théâtre ? « Pas spécialement, précisait Giraudeau en connaisseur, la chanson est un genre à part, qui se suffit à lui-même… et n’a nul besoin de faire référence à la littérature ou au théâtre. C’est vrai que lorsque Ferré met une musique sur des vers d’Aragon et que cela donne Est-ce ainsi que les hommes vivent, on est à la fois devant un poème magnifique et une chanson remarquable. Mais quand Brassens interprétait Je suis un voyou, c’était du grand art. Et quand Renaud, aujourd’hui, reprend son répertoire, c’est toujours du grand art, ça n’a pas pris une ride.

« Et puis, poursuivait-il, il y a aussi le chanteur en scène. Lorsque Jacques Brel chantait, cela devenait une dramaturgie tout à fait saisissante. De l’homme déchiré de Ne me quitte pas au peintre naturaliste de Ces gens-là, quelle présence ! J’étais à l’Olympia le soir où il a créé Amsterdam : pouvait-on se douter, en pénétrant dans la salle, qu’il allait nous bouleverser autant avec cette chanson de colère, d’invective et de désespoir ? La puissance d’une chanson ! On pourrait en parler pendant des heures… » Les générations suivantes ? « Il y a chez Alain Souchon ou chez Michel Jonasz un véritable témoignage sur l’état d’esprit collectif de cette fin de siècle. Leur désillusion, leur ironie procèdent du regard intelligent qu’ils portent sur la vie actuelle. Ils remettent les choses à leur vraie dimension, avec talent. Et dans ce rap qui occupe tant nos enfants, il y a, chez MC Solaar, de vraies tentatives au niveau des textes, une création originale qui va plus loin, je crois, que les effets d’une simple mode… »

 

L’aventurier du verbe

Les textes, le sens, Bernard Giraudeau allait bientôt s’y adonner lui-même, s’y colleter de près, et plus seulement comme interprète : scénariste déjà, il se lançait totalement dans l’écriture au seuil du nouveau siècle avec les romans déjà cités, mais sans exclusive de genre. Sans frontières toujours : en 2002 il publiait pour la jeunesse Les Contes d’Humahuaca, puis en 2005 une nouvelle, Holl le marin, dans un ouvrage collectif (Nos marins) des « Écrivains de Marine » qu’il venait de rejoindre… juste avant d’embarquer pour une redécouverte – quarante ans après et sur le même navire ! – de Djibouti. « Vous ai-je annoncé que je venais d’être nommé écrivain de marine ? racontait-il à son Cher Amour (Éditions Métailié, mai 2009). C’est une étrange promotion pour un ex-quartier-maître mécanicien, je deviens capitaine de frégate. Assimilé, s’entend. J’ai la possibilité de naviguer, selon disponibilité, sur un navire de la marine nationale. J’ai une petite fierté que vous comprendrez, même si elle peut paraître enfantine. […] Je vais donc embarquer sur un navire avec lequel j’ai déjà fait deux fois le tour du monde. Il y a une place à bord pour moi entre Tunis et Djibouti. […] Douze jours avec des prolongations sur Djibouti qui est un peu le but de ce voyage. […] Cette fois je ne descends pas au poste 8. On m’accompagne là-haut, près du Pacha. Je veux dire le commandant. Quel privilège. Écrivain de marine, officier supérieur, pas si mal, madame. Capitaine de frégate littéraire, mais tout de même… »

 

Assal.jpg   

Dans « Ballade en mer Rouge », je vous parlais de la Porte des larmes, de Tadjoura la blanche, du poète d’Une Saison en enfer, du fabuleux lac Assal… dont je citais la description qu’en faisait un personnage de Fortune carrée. De tout cela, Bernard Giraudeau fit à son tour, après Monfreid, Kessel ou Albert Londres, des pages d’une beauté sublime. Jugez-en par ces quelques extraits : « Nous venons de passer le détroit de Bab El-Mandeb, la porte des larmes, bonjour le golfe d’Aden. Au loin Djibouti, des grues, de grands réservoirs, des montagnes pastel. Quarante ans après, c’est l’inconnu. […] Rimbaud et Monfreid ont écumé ce golfe et les lèvres du désert. J’attends mon tour pour aller voir les laves noires et le sel éblouissant, je vais marcher sur la blancheur des cristaux, retrouver des traces inutiles, voir où tu créchais, Arthur, et contempler ceux que tu as cloués aux poteaux de couleur. La tempête a béni mes éveils maritimes, plus léger qu’un bouchon j’ai dansé sur les flots.

« […] Le lendemain, Emo m’attend devant la résidence, il est de ceux qu’une jeunesse curieuse a conduits ici et qui, tombés amoureux du pays, y sont restés. Racines fragiles qui avaient trouvé dans le sable apparemment stérile des Somalies de quoi faire pousser une autre vie. Emo a beaucoup d’histoires à raconter. Ce Français italo-grec connaît les plis du désert mieux qu’un Afar ceux du chalma des femmes. Il parle d’histoire, de géologie, d’un certain commandant Cousteau qu’il n’a pas trop apprécié, des gens d’ici, de cette terre qu’il aime et de cette beauté âpre qui le fascine toujours. »

Arrêt sur image à propos d’Emo. Notre ami Emo ! Comme Bernard s’adresse à Mme T. dans son ouvrage, je parlerai seulement d’Emo P. L’un des grands personnages de ce bout du monde oublié des dieux, à la beauté infernale (« 45° à l’ombre, m’avertit un jour Haroun Tazieff, crapahutant de concert avec lui vers un volcan nouveau-né, l’Ardoukoba, à deux pas d’Assal, sauf qu’il n’y a pas d’ombre »), dont il aura été toute sa vie un défricheur inlassable : Assal ? Il y a marché au fond, à plus de 150 m sous le niveau de la mer, en scaphandre, les pieds lestés de plomb dans une eau à 30 gr de sel par litre ! Les pistes actuelles du territoire (dont celle, devenue route nationale qui contourne le golfe et vit la caravane de Rimbaud quitter Tadjoura, avec ses fusils de contrebande, pour le royaume de Ménélik), c’est lui qui, la plupart du temps, les a tracées dans la lave, le sable, les oueds et la roche, à force de les sillonner. Les secrets de la mer Rouge ? Qui les connaît mieux que lui désormais ? Il a exploré tous les fonds, admiré toutes les merveilles, se faufilant parmi les requins curieux mais pacifiques ou nageant avec les dauphins et les majestueuses raies mantas, au large de ces îles où Monfreid cachait ses ballots de haschisch… Le livre d’Emo P., qui reste à écrire, serait le plus passionnant des romans d’aventures… vécues.

À la joie de nos retrouvailles s’ajouta chez lui le bonheur d’apprendre que Bernard Giraudeau avait publié un récit où il parlait de lui. Souvenirs complémentaires de ces jours et nuits passés avec le comédien-baroudeur, beaucoup de tendresse aussi et une admiration affichée devant sa volonté d’aller toujours de l’avant malgré la présence de compagnons impossibles à semer (« Chaque jour, il prenait une batterie de comprimés… »). Un message, enfin : « Il faut lui dire qu’on se connaît depuis longtemps, qu’on a souvent vadrouillé ensemble, il faut lui montrer nos photos de l’époque et celles d’aujourd’hui. Lui dire aussi que j’aimerais recevoir son livre… » Pour le livre, pas de problème, notre ami BBR, responsable du centre culturel Rimbaud, allait s’en charger. Pour le reste, j’ignorais évidemment que la Camarde s’empresserait à ce point de remplir son triste office. Bernard G. n’aura pas eu ce dernier signe d’amitié d’Emo P., il n’aura jamais vu ces photos, et je m’en veux, je suis sûr que ça lui aurait fait plaisir, j’aurais dû le joindre dès mon retour.

Emo, lui, a aujourd’hui bien plus que l’âge de la retraite – qu’il ne prendra qu’au jour de son ultime sortie – et accompagne toujours volontiers, comme un éternel gamin (tel Graeme Allwright, un temps « De passage » à Djibouti ainsi qu’Antoine le globe-flotteur, également ami de cette figure locale incontournable), sur terre ou sur mer, les hôtes de marque de ce pays, du moins ceux qui n’ont pas froid aux yeux. Le reste du temps, Emo P., secondé par son fils, le passe dans son atelier de la presqu’île du Héron à rafistoler des 4x4 ou des hors-bord : toujours sur la brèche, toujours les mains dans le cambouis, dans la vraie vie ; toujours prêt à prendre la piste ou à fendre la houle. On ne se refait pas.

 

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« Djibouti, écrit plus loin Giraudeau, ce n’est pas Los Angeles, on en est vite sorti et c’est tout de suite Grand Bara, le désert comme une plage à marée basse. Piste cahoteuse qui se perd dans les dunes, oueds asséchés, antilopes comme la lumière, vives, émouvantes, les digs digs. Il n’y a plus de traces, rien. Emo n’a que de rares hésitations pour prendre le cap. Il rejoint des villages échoués sur des îlots sans rive. […] Embarquement pour Tadjoura sous un ciel de traîne mauve. Sous le sublime, le carnage. Des oiseaux s’affolent sur des bouillonnements, c’est la curée. Une chasse impitoyable. Les dauphins se régalent de sardines et les mouettes s’engueulent pour le partage. Les prédateurs de la mer sont au boulot. Je n’en ai jamais vu autant. Ils sautent dans le rougeoiement des vagues, traversent les arceaux de lumière, un instant suspendus, et retombent dans le blanc de l’écume, c’est presque insupportable de bonheur. Tadjoura la blanche en vue. […] Rimbaud a débarqué là. L’éternité c’est la mer mêlée au soleil, disait-il. Il est venu ici pour cela, peut-être. C’est comme sur la photo, un front de mer bordé de commerces aux façades décrépies et rendu à l’Afrique de l’Est, à l’aridité du désert. […] Pas de traces d’Arthur, rien, une masure sans preuve et pourtant il a vécu ici, le poète, reconverti dans le commerce et la contrebande. Peut-être avait-il médité sur ce que disait Flaubert, que la célébrité la plus complète ne vous assouvit point et que l’on meurt presque toujours dans l’incertitude de son propre nom à moins d’être un sot. Épictète fut sa dernière lecture : Si tu cherches à plaire te voilà déchu. »

Magnifique, non ? « Sous le sublime, le carnage » ! Giraudeau a hissé les voiles au seuil d’une seconde carrière de toute beauté. Écrivain de marine ? Promis au long cours (et au Goncourt ?), il restera à jamais un auteur fulgurant. Dans tous les sens du terme. Je cite à nouveau, tellement c’est beau. Presque plus que la réalité, aussi beau en tout cas et ce n’est pas peu dire. Le voici comme Kessel face au lac Assal, fasciné par ce diamant dans sa gangue : « Bientôt la banquise de sel ourlée de vert. Il y a des bandes de lave noires, un chaos de déchirures, un chantier gigantesque, guerre atomique, cendres, laves effritées, blocs en éboulis sombres, terre âpre, cristaux acérés de sel et de quartz, de mica et de schiste. Le lac est un œil grand ouvert, une immense pupille bleu marine, bordée d’un liseré émeraude et d’une paupière de neige, dans une orbite de cristaux enfoncée à cent cinquante mètres au-dessous du niveau de la mer. Étrangement beau et désolant. Impressions de crainte et d’éternité. […] Piste difficile dans ls croûtes effondrées. La pioche d’un géant fou a défoncé le sol pour un sublime spectacle, un autre monde. Le volcan Ardoukoba domine à la fois le lac Assal et la mer. L’inimaginable est dans cet acacia et l’herbe au creux de la lave, cette gazelle fauve qui se sauve dans le contre-jour avec une poussière de cendre sous les sabots. Il y a des vapeurs au-dessus des failles, une haleine brûlante… »

 

 

Il est aussi question, dans Cher Amour, du Brésil, du Chili, des Philippines, du Cambodge… et de Paris, de répétitions théâtrales entre deux départs. Le tout est de cette même veine. Et de l’auteur à l’orateur, il n’y avait pas loin, comme on le constatera dans cette vidéo du 23 juin 2009, prise à la librairie Dialogues de Brest, où il rencontrait ses lecteurs, à l’occasion de la parution de Cher amour (chez Métailié, je le répète). Écoutez-le lire des extraits, écoutez-le parler du désespoir…

« Bernard René Giraudeau, acteur, réalisateur, producteur, scénariste et écrivain français, né le 18 juin 1947 à La Rochelle, en Charente-Maritime, est mort d’un cancer le 17 juillet 2010 à Paris. » Entre les deux dates de cette notice nécrologique, toute une vie de passions, d’amours et de combats. Et un dernier rappel triomphal : nommé « Écrivain de Marine » le 29 octobre 2005, ce petit-fils de cap-hornier embarquait peu après sur le porte-hélicoptère Jeanne d’Arc avec lequel il avait déjà fait deux fois le tour du monde quarante ans auparavant. En témoigne ce livre, Cher Amour, dont un critique littéraire a dit : « l’ouvrir c’est partir ». La simple histoire de quelqu’un de bien. Juste quelqu’un de bien.

 

*On remarquera que le présentateur de ce JT n’était autre que Dominique Baudis, futur président du Conseil supérieur de l’audiovisuel, mais aussi futur maire de Toulouse : celui-là même qui marierait Hélène et Claude Nougaro en avril 1994 ! Comme le chantait ce dernier, la vie est une Comédie musicale

 

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19 août 2010 4 19 /08 /août /2010 18:06
Parodie 

 

Juste pour rire (comme on dit à Montréal) ou au moins sourire, voici – en présence de l’intéressé, SVP ! – une petite curiosité chansonnière : un hommage en forme de patchwork parodique à l’auteur de Nougayork.

 

 

Cela se passait le 24 mars 1987 sur Antenne 2 dans Le Théâtre de (Philippe) Bouvard. Parmi les interprètes débutants de ce Nougaro patchwork, on reconnaîtra le grand brun moustachu (à la droite de Jean-Jacques Delaunay, Maria Saint-Paul, Jean Martiny et Marcel Philippot) : un certain… Serge Llado, bien connu désormais (notamment des auditeurs de Laurent Ruquier et des lecteurs de Si ça vous chante), à qui l’on doit l’écriture de ces textes parodiques. Exercice peu aisé à oser, on en conviendra, que de détourner ainsi les versions originales de grandes chansons devant leur géniteur, visiblement aussi interloqué que touché par « tellement d’affection »...

   

 

Nouvelle occasion, en tout cas, de retrouver le génial artiste lui-même dans ses œuvres, avec deux vidéos d’archives de 1966 et 1968 : Bidonville, l’une de ses chansons les plus reprises aujourd’hui (« Donne-moi ta main, camarade / J’ai cinq doigts, moi aussi / On peut se croire égaux… ») en forme de clip avant l'heure, et un « live » en couleur (extrait d'une émission de télévision) de son fameux et très personnel Paris Mai, où le chanteur des années 60 anticipe le rappeur des années 2000 (n’est-ce pas, cher Abd Al Malik ?).

 

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