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  • : SI ÇA VOUS CHANTE (le blog de Fred Hidalgo)
  • : Parce que c’est un art populaire entre tous, qui touche à la vie de chacun et appartient à la mémoire collective, la chanson constitue le meilleur reflet de l’air du temps : via son histoire (qui « est la même que la nôtre », chantait Charles Trenet) et son actualité, ce blog destiné surtout à illustrer et promouvoir la chanson de l’espace francophone ne se fixera donc aucune limite…
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  • Fred Hidalgo
  • Journaliste depuis 1971, créateur de plusieurs journaux dont le mensuel « Paroles et Musique » (1980-1990) et la revue « Chorus » (1992-2009). Editeur depuis 1984 et créateur en 2003 du « Département chanson » chez Fayard.
  • Journaliste depuis 1971, créateur de plusieurs journaux dont le mensuel « Paroles et Musique » (1980-1990) et la revue « Chorus » (1992-2009). Editeur depuis 1984 et créateur en 2003 du « Département chanson » chez Fayard.

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5 juin 2010 6 05 /06 /juin /2010 09:43

Cette mort dont tu parlais…

 

Triste anniversaire : ce 6 juin 2010, il y a dix ans que Frédéric Dard, alias San-Antonio, nous a quittés. Je sens déjà les réticences : « San-Antonio ? C’est pas un chanteur ! Que vient-il faire dans Si ça vous chante ? » D’abord, Frédéric Dard était aussi grand connaisseur qu’amateur de chanson (bien plus d’ailleurs que la plupart des chanteurs qui, souvent, méconnaissent dramatiquement l’histoire de leur métier – comme si un aspirant metteur en scène, par exemple, pouvait se permettre d’ignorer les noms de Bergman, Carné, Griffith, Tati, Eisenstein, Truffaut, Hitchcock, Fellini, Buñuel, Tarkovski et autres maîtres du Septième Art) ; la chanson n’a jamais cessé de l’accompagner, y compris dans sa vie professionnelle. Ensuite, parce qu’il a été et restera (après la période de « purgatoire » habituelle après la mort d’un écrivain – avant lui, on a connu ça, notamment, avec Simenon) l’un des plus grands auteurs de l’histoire de la littérature française (via Rabelais et Céline), et que cela vaut bien un hommage. Enfin et surtout, ne vous en déplaise, parce que c’est l’être humain, en dehors de mon cercle familial, que j’ai le plus aimé… et qui, chose à peine croyable dans ce monde où l’ingratitude est la mieux partagée, me l’a bien rendu.

 

Quelques pensées de circonstance, signées San-Antonio, en guise de prologue :
« Je suis un vieux fœtus blasé. Ma vie m’aura servi de leçon. Je ne recommencerai jamais plus. »
« Je me demande si la mort vaut vraiment le coup d’être vécue. »
« Les écrits s’en vont, les morts restent. »
« Le vrai tombeau des morts, c’est le cœur des vivants. »
« On devrait passer sa vie à dire adieu à ceux qu’on aime. »
« Il faut être intelligent pour pleurer : la peine est une émanation de l’esprit. »
« Si tous les cons volaient, il ferait nuit. »
« Déconner, c’est se vider de la connerie acquise par osmose. »
« Souvenez-vous : ne jamais perdre de vue le côté drôle des choses tristes ! »

 

Et quelques précisions de ma pomme en forme d’avertissement : les cons qui nous cernent, les concernés bordés (bornés) de certitudes définitives (« Le con et le bœuf ont en commun l’instinct de certitude : étant sûrs de tout, ils le sont également d’eux-mêmes, ce qui leur donne un énorme avantage sur les créatures encombrées d’intelligence... »), les minus du bulbe et surtout les méchants de naissance, les amputés du cœur, escrocs et faux-culs qui n’existent qu’en trompant leur monde, tous ceux-là peuvent passer leur chemin et tourner la page, comme dirait un autre de mes amis qui, lui, s’est fait la malle en 2004. Cette séquence confidence n’a d’autre but que d’honorer le génie de Frédéric Dard, en lui redisant cette fois publiquement combien je l’ai aimé, combien j’ai aimé l’aimer. Alors, « que les cons “connent” en chœur – si ça leur chante – (mais) qu’ils aillent s’enfrileuser le cervelet plus loin ». Et puis, pour citer encore l’intéressé, « je n’ai plus le temps de ne pas dire ce que je pense ».

 

frederic_fred_06_1965_3.jpg

 

En juin 2000, notre grand homme se défilait. En juin 1965 – trente-cinq ans plus tôt ! – il se déplaçait spécialement, à une heure de route des Mureaux (département de la « Seine-et-Oise ») où il vivait alors, pour faire ma connaissance ! Le gamin que j’étais encore avait prévenu ses parents que Frédéric Dard lui avait annoncé sa venue pour le dimanche suivant (après m’avoir envoyé un petit mot me demandant de lui téléphoner entre 19 h 30 et 20 h : je me souviens de m’être déplacé, impatient, heureux et angoissé à la fois, dans le seul bar-café du centre-ville où l’on pouvait utiliser une cabine téléphonique à cette heure-là). Ils savaient bien sûr que j’avais eu le coup de foudre pour la série des San-Antonio, que j’avais écrit à son auteur pour le lui dire, qu’il m’avait répondu, qu’un échange de correspondance s’était engagé… et que c’était Frédéric Dard qui se cachait derrière ce pseudo (ce que la plupart des gens ignoraient à l’époque), mais de là penser qu’il viendrait « à la maison », ça non, ils ne le croyaient pas vraiment. Et même vraiment pas. Imaginez leur surprise de voir débarquer le grand écrivain au jour et à l’heure dits… Par chance, ma Félicie à moi immortalisa ce moment avec un Polaroïd : Frédéric n’avait pas encore 44 ans et moi je venais d’en avoir 16 (bonjour le look de la coiffure !).

 

Je vous parle d'un temps...

Plus tard, beaucoup plus tard, questionnant Frédéric sur les motifs de cette initiative incroyable, sachant bien sûr (il me l’avait dit très vite) que la première lettre que je lui avais adressée (aux bons soins du Fleuve Noir, au nom de « Monsieur San-Antonio » !) l’avait profondément touché, il me confia texto ce qui suit : « Tu as été le plus jeune de mes lecteurs à reconnaître un écrivain en San-Antonio. » C’est vrai qu’on n’était pas nombreux en ce temps-là à vouer (et surtout à montrer le culot d’avouer) à ce génial et impénitent trousseur de mots l’admiration qu’il méritait. Ce printemps-là, le professeur Robert Escarpit l’avait osé aussi en organisant à Bordeaux, en toute discrétion médiatique, le premier colloque universitaire jamais consacré à San-Antonio ; et un an plus tôt, c’est Jean Cocteau qui lui avait fait part de son enthousiasme...

Trente-cinq ans à se voir, s’écrire, s’appeler, puis à ne plus se voir (distances géographiques obligeant, lui parti en Suisse, moi en Afrique avec ma chère et tendre), ne plus s’appeler mais à s’écrire toujours ; puis à se revoir à nouveau et à se parler ou s’écrire souvent, presque jusqu’au bout. Avec des clins d’œil réciproques, lui dans ses livres, moi dans mes journaux… Trente-cinq ans de fidélité et de souvenirs partagés. À commencer par son invitation à l’une des premières de Monsieur Carnaval, la comédie musicale qu’il écrivit, dont Charles Aznavour composa la musique sur des lyrics de Jacques Plante, mise en scène de Maurice Lehmann, directeur du Châtelet où, le dimanche après-midi de sa création, en décembre 1965, je me retrouvai en compagnie de ma mère (l’invitation était pour deux personnes). Avant de faire la connaissance, juste dans la foulée, de Georges Guétary et Jean Richard qui jouaient les personnages principaux, comme une incarnation du duo formé par San-Antonio et son adjoint Bérurier… ainsi que le précise leur géniteur dans cette extraordinaire vidéo-document de l’époque, à savourer comme elle le mérite.

 

 

Cette opérette fut surtout l’occasion de découvrir une chanson qui deviendrait célébrissime, interprétée ensuite par son compositeur Charles Aznavour : La Bohème... Déjà un grand moment vécu en direct. Mais, anecdote plus personnelle celle-là, ce même après-midi, qui donc se trouvait aussi au Châtelet, invitée par sa tante (…domiciliée aux Mureaux) ? Je vous le donne en mille : ma future chère et tendre… que je ne rencontrerais pas avant cinq ans. Incroyable, non ? Attendez, ce n’est pas fini, car si Frédéric voulut m’inviter chez lui dès septembre 1965 (le jour même de sa première « mort » ! Autre coïncidence tragiquement incroyable, et pourtant vraie…), Mauricette, elle, avait déjà eu droit à une visite guidée de sa maison, « Les Gros Murs », durant l’été 64 au moment où naissait un monument de la littérature d’humour, L’Histoire de France vue par San-Antonio.

 

frederic_fred_2.jpg

 

Je passe les détails, à partir de nos retrouvailles sur l’île Saint-Louis, alors qu’il s’apprêtait à Refaire sa vie (voir cet autre Polaroïd, où je suis sérieux comme un pape face à la photographe…), pour noter cependant qu’au printemps 68, invité chez lui par Jean Richard, j’eus la chance d’assister (dans son parc de loisirs de la Mer de sable d’Ermenonville) à un récital de Guy Béart, en plein air avec ses musiciens dans une sorte de kiosque à musique. Qui suis-je ?, Les Grands Principes, Les Souliers, Le Grand Chambardement… quel bonheur c’était, et quel souvenir ébloui j’en conserve ! Quelle coïncidence, aussi, quand on sait que Béart fut l’un des tout premiers à faire passer Frédéric Dard à la télévision, en l’invitant dans son émission Bienvenue à… (« Auparavant, se rappelait l’auteur d’Il n’y a plus d’après, lors de l’entretien réalisé pour son dossier de Chorus n° 63, je lui avais fait découvrir Pierre Perret en lui disant : “Il y a un nouveau, Frédo, que tu devrais écouter parce qu’il écrit des chansons à la manière de Bérurier” »).

 

San-Antonio connaît la chanson

  45t_bourvil.jpgEn 1967, « Frédo » ou plutôt San-Antonio s’était lui-même essayé à la chanson en écrivant La Marche des matelassiers, en quelque sorte l’hymne récurrent de Bérurier dans la saga, que Bourvil – qui en était un grand fan – enregistra le 6 juin de cette année-là sur une musique de Jo Moutet (avec Hubert Rostaing à la direction d’orchestre ; super 45 tours Pathé Marconi réf. EG 1047). En voici le son et l’image (de la pochette), à simple titre documentaire, car Frédéric Dard – auteur prolifique s’il en est (plus de deux cents romans), expert en longues et géniales digressions – s’avouait totalement incompétent en la matière : combien de fois, pressé par mon envie de le voir écrire des chansons, m’a-t-il dit répondu qu’écrivain et auteur de chansons étaient deux métiers tout à fait distincts… Il le regrettait, adorant la chanson et les chanteurs depuis toujours (un jour il me raconta que tout jeune journaliste à Lyon, il avait fait demi-tour au dernier instant devant la porte de la loge de Charles Trenet, qu’il devait interviewer : il en était tellement admiratif qu’il s’était senti incapable de lui poser la moindre question !), mais le constatait à juste titre – tout comme un Souchon à l’inverse, as du style elliptique, m’a toujours assuré qu’il serait incapable d’écrire en prose, et encore moins un livre.

 

Bourvil – Les Matelassiers 

 

45t_marten-copie-1.jpgNéanmoins, Frédéric récidiva à la demande de Félix Marten, grand interprète (et comédien) populaire à la gouaille de titi parisien et au physique qu’il pensait idéal pour incarner le chéri de ces dames. J’eus la chance de le rencontrer et de l’interviewer au moment de l’enregistrement de ce 45 tours et il me déclara sans détour (c’était son avis – pas le mien ! – et ne se privait pas de le partager) combien il aurait été « meilleur » que Gérard Barray à l’écran (celui-ci, aussi élégant, physiquement et moralement, à la scène qu'à la ville, décrocha deux fois le rôle au cinéma, aux côtés de Paul Préboist qui jouait Pinaud, et de… Jean Richard dans le personnage de Bérurier). Toujours est-il qu’après avoir écrit la chanson de Béru, Frédéric pondit cette fois la chanson de San-Antonio, sur une musique du grand compositeur Philippe-Gérard, arrangements et direction d’orchestre de Claude Bolling. La pochette de ce 45 tours simple (Polydor, réf. 66 659) représente le commissaire et son adjoint dessinés par Henry Blanc. Totalement introuvable aujourd’hui, en voici néanmoins la reproduction… et surtout la chanson elle-même, avec la voix caractéristique de Félix Marten (qui a disparu en 1992 dans sa 73e année).

 

Félix Marten – San-Antonio 

 

Dans ce même registre, en 1967, un feuilleton radiophonique adapté des aventures de San-Antonio maintint longtemps en haleine, le midi, les auditeurs de France Inter, avec Philippe Nicaud et Pierre Doris jouant les duettistes. De là naquit l’idée d’un 33 tours 30 cm (Polydor Privilège, réf. 658 107) constitué de textes divers (mis en musique par Guy Skornik, arrangements et direction d’orchestre : Guy Boyer) extraits des romans et interprétés par ces deux mêmes comédiens ainsi que par Robert Manuel (le Sancho Pança de Brel dans L’Homme de la Mancha) et… Frédéric Dard himself dans une grande profession de foi (San-Antonio parle). Un album intitulé San-Antonio déconorama, tout aussi introuvable depuis belle lurette… mais dont Si ça vous chante vous offre néanmoins la contribution exceptionnelle de Frédéric.

 

Frédéric Dard – San-Antonio parle 

 

Il faut dire – non, je ne vous l’ai pas caché, simplement je ne vous l’avais pas encore dit – que votre ex-rédac’chef unique et préféré de Paroles et Musique puis de Chorus est spécialement bien placé pour ce faire, ayant à son actif un autre titre de gloire que seuls connaissent les « san-antoniens », les amateurs de San-Antonio (ce qui en fait pas mal quand même, puisqu’on estime à 250 ou 300 millions le nombre d’exemplaires de ses livres vendus de son vivant). Trente-cinq ans de fidélité réciproque et de clins d’œil respectifs, disais-je plus haut, comme (par exemple) cette dédicace, en 1986, « À mon cher Fred Hidalgo, en souvenir des temps anciens. San-A. », de Baisse la pression, tu me les gonfles ! à laquelle il ajouta à la main « Persiste – et signe – de tout cœur. Frédéric » ; ou de mon côté cette longue chronique de Paroles et Musique, en janvier 1989, sous le titre San-Antonio, priez pour nous !, récapitulant sa vie et son œuvre, histoire de lui tirer publiquement un coup de chapeau pour le quarantième anniversaire de son héros : « Moi, mes amis le savent, je suis fort en j’t’aime et j’adore San-A. »

 

« Le plus féal de mes féaux »

Et puis, en 1999, un an et deux romans seulement avant sa mort, dont il nous parlait depuis toujours, parut un « super San-Antonio », frappé du sceau « 1949-1999, 50e anniversaire ». Amusant quand on sait – comme l’intéressé me le fit remarquer lui-même – que le tout premier volume de la saga, Réglez-lui son compte, parut à Lyon le 1er avril 1949. Soit le jour même de ma naissance. Ce super S.-A. de 99, Ceci est bien une pipe (Frédo admirait Magritte) marquait donc mon 50e anniversaire – beau poisson d’avril, n’est-il pas ? – tout en célébrant officiellement celui du commissaire. Bon, OK et ce titre de gloire alors ? J’y viens. Arrivé en haut de la page 56, je fus frappé d’un sentiment difficile à exprimer, sinon en fortissimo sur une partition, en lisant ceci : « Je connaissais la chanson, paroles et musique, comme dirait mon cher Fred Hidalgo, le plus féal de mes féaux. Je le proclame ici Grand Connétable de la San-Antoniaiserie, titre dont il pourra se parer sa vie durant et orner ses pièces d’identité. »

 

frederic_fred_1997.jpg

 

Moi, qui n’avais jamais reçu jusque-là que des médailles en chocolat à la petite école (et, déjà plus « sérieux », la carte n° 1 des « Amis de la Maison de la Chanson » de Québec !), j’étais distingué au vu, au su et au lu de tout le monde par le Grand Maître de l’ordre entre tous ses féaux ! Damned, j’étais fait… et surtout, sans le savoir je le pressentais, la fin de l’histoire approchait. « Brassens, écrivit un jour Frédéric, a posé une des plus belles questions de la littérature : “Est-il encore debout le chêne ou le sapin de mon cercueil ?” C’est l’image choc qui remet l’homme sur les rails de la réalité d’où son orgueil le fait sortir. »

  Le 11 mars 1999, Frédéric accepta de se confier une dernière fois à la caméra, lors d’un entretien informel avec son ami Francis Gillery. Tourné à Saint-Chef en Dauphiné, le village de son enfance où il repose aujourd’hui, ce film (de 50 minutes !) est le seul documentaire qui dresse un véritable portrait du créateur de San-Antonio : « Un type entra dans le cimetière et vint s’asseoir sur sa tombe… » Il nous livre et vous livre ici (grâce à Dailymotion et aux « Amis de San-Antonio ») le regard d’un homme « qui a tout à nous dire sur la vie, la mort, le rapport entre les êtres dans sa langue truculente et imagée. Une sorte de “vie mode d’emploi”, sans emphase, tout en finesse. L’acuité et l’humour avec lesquels Frédéric Dard/San-Antonio scrute et raconte le monde font de ce film un miroir tendu à notre propre vie. » Son titre, Cette mort dont je parlais, reprend (conjugué à la première personne) celui du roman « noir » qu’il publia en 1957.

Pour finir plutôt sur des lendemains qui chantent, rappelons que Patrice Dard, le fils de Frédéric, dont le patrimoine génétique a hérité d’une même tendresse pour le genre humain (excepté pour les cons et les nuisibles, à l’impossible nul n’est tenu), a repris le flambeau san-antonien en publiant « Les Nouvelles Aventures de San-Antonio » : vingt titres sont déjà parus (chez Fayard), dont celui qui rend hommage ce trimestre à son géniteur, Ça sent le sapin !… et, pour la petite histoire, celui où San-Antonio, en 2003, effectuait son enquête corse à lui (Ça se Corse !) en faisant chorus, pardon : en se glissant sous une « couverture » d’envoyé spécial de Chorus… En juin 1965, il y a quarante-cinq ans aujourd’hui – c’est l’anniversaire dont je veux me souvenir avant tout –, Frédéric Dard, l’homme que j’ai aimé le plus au monde (voir plus haut), s’apprêtait à rendre visite à un ado du nom de Fred Hidalgo... Dans sa voiture, il y aurait un certain Patrice, alors âgé de 21 ans. La boucle est bouclée, non ?

 Eh bien non, pas tout à fait. Avant de se quitter (pour cette fois), j’adresse un stock de pensées affectueuses à la famille Dard au grand complet, et un mot à l’intention de l’ami ou de l’amie (de la chanson) qui est en train de lire ces lignes, un dernier conseil que j’emprunte évidemment à San-Antonio (et que j’adopte illico !), pour la suite de la route : « Prends bien garde en traversant la vie : un con peut en cacher un autre. »

____________

NB. Créée du vivant de Frédéric (qui en était le membre n° 1, le n° 2 étant qui vous savez), l’association « Les Amis de San-Antonio » a pour but de promouvoir l’œuvre de Frédéric Dard et celle de Patrice Dard, notamment à travers une revue trimestrielle, Le Monde de San-Antonio, qui sort ces jours-ci son 53e numéro (été 2010). Forte de plusieurs centaines de membres, il n’est pas indispensable d’être incollable en san-antoniaiserie pour y adhérer, mais « la bonne humeur est requise » ! (Contacts Internet – site ; mail : amisdesana@voila.fr forum).

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1 juin 2010 2 01 /06 /juin /2010 16:15

Supplément d’âme (fin)

   

On aura donc eu droit, ce vendredi soir à Eurythmie, à la création du spectacle d’Aldebert (que l’on retrouvera cet automne au Zénith de Paris, taille de scène oblige – ne le manquez pas, c’est du tout bon) ; puis, jusqu’à tard, très tard, dans la nuit, à une définitive réconciliation générationnelle. Marier le présent, l’avenir et le patrimoine, disais-je : on en a eu la démonstration avec un titre de chacun des artistes de la relève venus spécialement, doublé d’une reprise (librement choisie, bien sûr) d’une chanson des principaux invités d’honneur des premières années du festival, ceux auxquels on faisait la fête en clôture, en leur présence.

   

Pour accompagner les quatorze ex-Découvertes, les musiciens d’Aldebert, talentueux, solidaires et stoïques durant près de cinq heures (sans parler des répétitions et des balances)… Pour ouvrir et conclure la soirée, Jo Masure et Jean-Pierre Crouzat – le directeur du festival et le président de l’association organisatrice – rappelant que le titre Alors… Chante ! était inspiré directement d’une chanson écrite par Maurice Fanon (musique de Gérard Jouannest), Mon fils chante, qui fut aussi un ami proche et un fidèle de la manifestation. Sa reprise s’imposait d’autant plus que Juliette Gréco l’inscrivit aussitôt à son répertoire et la chanta ici dès 1986. C’est Jamait et Amélie-les-crayons qui s’y collèrent joliment en ouverture, tandis qu’à la coda, tout le monde la reprit en chœur.

   


 

Et moi, excusez-moi de parler de moi mais l’occasion le justifie, en écoutant cette superbe chanson (« Pour que la liberté / Vive dans le monde entier / Mon fils, il faut chanter »), je me disais que j’étais sûrement dans cette salle le seul des trois mille spectateurs présents à avoir assisté en 1984, invité par son auteur, à son enregistrement en studio. (J’avais fait la connaissance de Maurice à l’École buissonnière, en 1966 ou 1967, le cabaret parisien de René-Louis Lafforgue : nous étions « pays » ainsi qu’avec son pianiste accompagnateur et arrangeur Pierre Louvet). L’ironie du sort voulut que cette chanson soit la dernière de son ultime album. Il n’y a pas de hasard. 
 

L’âme des poètes  

Se présentant l’un l’autre, accompagnés par la formation d’Aldebert et jouant aussi parfois du piano ou de la guitare, les quatorze « nouveaux talents » revinrent donc à deux reprises chacun, la seconde pour célébrer les « monstres sacrés » qui ont défilé en ces lieux (Aldebert optant lui-même pour Mon p’tit loup de Pierre Perret). Parfois avec quelque appréhension de n’être pas à la hauteur des interprétations originales dont l’écho résonnait encore dans la mémoire de nombreux festivaliers montalbanais, mais en cherchant plutôt (avec plus ou moins de réussite) à les revisiter.

  

final

 

On vit ainsi se succéder la tendre Amélie-les-crayons reprenant au piano Votre fille a 20 ans, de Moustaki, en hommage particulier à Serge Reggiani ; Travis Bürki adressant à la guitare électrique un clin d’œil à Dylan, via Hugues Aufray, avec La Fille du Nord ; le Belge déjanté Daniel Hélin osant le fameux Hexagone de Renaud, doublement même parce qu’un Belge déclarant sans sourciller : « Être né sous l’signe de l’Hexagone / C’est vraiment pas une sinécure / Et le roi des cons sur son trône / Il est français, ça j’en suis sûr », c’est gonflé, et parce qu’il prit le risque de l’interpréter (et de se planter au passage, c’était couru) a cappella ; Imbert Imbert convoquant derechef Renaud avec Salut manouche ! Murielle Magellan, la toute première « découverte » en 1985 sous le pseudonyme de Dbjay (pour la petite histoire, la lauréate 1987, Sabrina O, se fit connaître, elle, sous le nom de Pauline Ester), bissant Moustaki avec Il est trop tard ; Nicolas Jules s’inclinant devant Pierre Perret avec Qu’elle était jolie ; le classieux K helvétique rappelant une troisième fois Moustaki avec Ma solitude ; Presque Oui (alias Thibaud Defever) endossant un Trenet comme taillé sur mesure, La vie qui va ; Thierry Romanens s’offrant l’intemporel et sans frontières Avec le temps de Ferré ; Carmen Maria Vega et Stéphane Balmino, enfin, cassant la baraque, à l’aide de leurs voix remarquables, avec Bidonville de Nougaro, après avoir salué de façon émouvante Mano Solo (dont le passage, dans cette même salle lors de la vingtième édition, reste à jamais inoubliable), avec Les Gitans

   


 

Dans ce registre relativement inattendu, Jamait avait choisi Le Vieux Jonathan de Leny Escudero, et c’était du vécu ! Grand monsieur, déjà, le père Yves, quelle présence, quelle voix, quelle puissance d’expression ! Il opère la jonction entre les grands auteurs et les grands interprètes. L’occasion – ne disposant pas de vidéo de cette soirée – de s’offrir quelques minutes de bonheur en invitant pour la première fois l’auteur, certes de Pour une amourette, Ballade à Sylvie ou À Malypense, mais surtout du Cancre, du Fils d’assassin, de La Grande Farce ou de Vivre pour des idées, dans Si ça vous chante

    

  

Manu Galure, ensuite, servait la surprise du chef, avec l’histoire édifiante d’une course à la vie à la mort de 300 000 millions… de spermatozoïdes : tous sur la ligne de départ pour un seul à l’arrivée. Dans l’intervalle, comme dans la vraie vie, c’est à qui piétinera le mieux les autres (et le plus possible d’entre eux). Hilarante mais ô combien réaliste déclinaison, signée Ricet Barrier (qui fut reprise et admirablement mise en scène par les Frères Jacques), du fameux « S’il n’en reste qu’un je serai celui-là » ! Allez, là aussi, comme il n’y a pas de mal à se faire plaisir, voici la version originale (paroles de Ricet, musique de Bernard Lelou) de ce monument par définition immortel, même s’il ne dure « que » sept minutes et des poussières… d’éternité.

   

Ricet Barrier – Les Spermatozoïdes

 

Du fond et du son

Un peu plus tôt, au Théâtre, après le spectacle bon enfant, à l’humour potache, d’un Éric Toulis (ex-Les Escrocs) s’essayant à jouer les Coluche de la chanson, Carmen Maria Vega, lauréate 2009, était plébiscitée par un public qui la découvrait (comme le montrait le « sondage » effectué sur le vif par la chanteuse). Une surprise : son nouveau look, avec la boule à zéro ou presque. Une confirmation : cette petite bonne femme, toute d’énergie et de charisme, pourrait comme on le disait de Piaf chanter le Bottin. Une inquiétude : ses chansons ont beau être l’œuvre du guitariste qui l’accompagne et qu’elle affectionne visiblement (et c’est bien normal : ils ont démarré leur projet de groupe ensemble), elles ne sont décidément pas à la hauteur de son talent. Une fois ça va, on est pris par le tempérament hors du commun de la jeune femme et subjugué par sa voix hors normes, mais au bout de trois ou quatre fois, bonjour les dégâts ! On est en manque de fond. Il est urgent (si toutefois elle souhaite aller de l’avant) que Carmen se penche sérieusement sur la question de son répertoire. Une idée, tiens : contacter les Éditions Raoul-Breton dont le président, Gérard Davoust, était à Montauban pour y voir (et grandement apprécier) Dorémus et Clarika, ou encore Claude Lemesle qui sait de quoi il parle quand il dit (dans Chorus n° 67) que, la plupart du temps, « Tout seul [pour écrire des chansons], on n’est pas assez »

Restait après cela la dernière véritable journée, celle du samedi 15. Au Théâtre, quelqu’un de bien : la délicieuse et délicate Enzo Enzo, en femme libérée qui n’a pas sa langue dans sa poche et met sa voix au service de superbes chansons (dont celles d’Allain Leprest, ou de Kent bien sûr) ; suivie de Belle du Berry (ex-Paris Combo) dans une nouvelle aventure scénique, belle voix et formation à variables rock pour la musique et chanson pour le texte.

guitaristeÀ Eurythmie, on l’a dit, Bazbaz assurait efficacement la promotion des boules Quiès, juste après la jolie présentation au public par Jo Masure et Carmen Maria Vega, lauréate 2009, des Vendeurs d’Enclumes, doubles vainqueurs des Bravos 2010. Et juste avant Renan Luce, lauréat 2006, lui, et invité d’honneur dès 2008 ! Qu’en dire ? Qu’on se faisait un plaisir, que dis-je, une joie majeure, de le revoir… et que la déception fut à la hauteur de l’attente, à cause, là encore, d’une sonorisation par trop agressive. Et absurde s’agissant d’un artiste qui s’est fait connaître et apprécier, à juste titre, pour la qualité de ses paroles et de ses mélodies – car s’il y a un mélodiste-scénariste dans la jeune chanson, c’est bien Renan Luce.

Absent la veille lors de la soirée anniversaire (il chantait en Suisse), on ne l’attendait que plus ce samedi… où la « technique », faisant des siennes, gâchait la prestation du chanteur en rendant deux paroles sur trois incompréhensibles. Mais pour être tout à fait juste, j’émettrai un son discordant à mon discours de cordes (et d’oreilles) sensibles, en précisant que certains spectateurs ne semblaient pas (trop) gênés par la violence abusive du volume. Tant mieux pour eux et grand bien leur fasse. En attendant le bilan de leur appareil auditif dans quelques années…
 

Charles-Cros et « Alors… Campe ! »

Heureusement, Alors… Chante !, on l’a dit et redit, c’est tout un ensemble convivial, avec bœuf au banquet du Magic Mirrors jusqu’au bout de la nuit, et des petits plus par-ci par-là. Des rencontres, au hasard des allées ou des repas à la « cantine » publique, avec des professionnels venus de tout l’espace francophone (du plus loin de l’Acadie par exemple avec Carol Doucet, représentante et productrice de nombreux artistes, ou Daniel Thériault, directeur du plus ancien festival du Nouveau-Brunswick, celui de Caraquet) ; d’amoureux de la chanson comme Laure Cousin, la veuve de Jehan Jonas qui m’a annoncé pour bientôt un disque d’enregistrements inédits remasterisés (on en reparlera) ; d’attachées de presse toujours à l’affût du nouveau talent, comme Marie-Françoise Balavoine ; d’artistes comme Laurent Madiot qui m’a fait saliver à la description de son nouveau spectacle – tous publics – autour du répertoire de Nino Ferrer ; de la délicieuse Liz Cherhal qui marche, dans son style à elle, sur les traces de Jeanne, ou de l’étonnante Katrin’ Wal(d)teufel, la « Cello Woman Show »… 

Et puis, qui ajoute encore au supplément d’âme du festival, la remise traditionnelle, au Magic Mirrors (entrée libre), des Coups de cœur annuels de l’académie Charles-Cros, représentée par son président Alain Fantapié et son coordinateur Thierry Créteur. Quatorze Coups de cœur, cette fois (dont quatre à des artistes de la francophonie), ont été attribués le 14 mai à midi sous le Magic Mirrors en présence de certains des chanteurs et groupes en question (les Suisses d’Aliose, les Belges de BaliMurphy, l’Acadien Pascal Lejeune, le groupe Coup d’marron – voir « Florilège de printemps » –, Carmen Maria Vega et Zaz, également distinguée par les Bravos du festival) – qui ont chanté chacun une chanson avant de répondre à une brève interview – et de nombreux professionnels, dont les membres de la FFCF. (Les autres lauréats sont Arnaud Fleurent-Didier, Camélia Jordana, Casey, Gaëtan Roussel, JP Nataf, Karimouche et Smod ; Philippe Albaret recevant pour sa part un « Coup de cœur spécial pro » pour Le Coach, structure de formation et de perfectionnement des artistes émergents, dont il est le fondateur.)

 

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Enfin, grande innovation, en accord total avec Jo Masure, l’organisation d’un festival off dans l’enceinte même d’Alors… Chante ! Son nom ? « Alors Campe ! » Pourquoi ? Parce que la plupart des artistes programmés, une vingtaine tout au long de la semaine, l’ont été dans une petite mais accueillante caravane (Raphael a dû apprécier), où nous avons notamment applaudi Zedrus, chanteur pince-sans-rire, famille Tonton Georges et frangin Renaud pour le côté iconoclaste, tendance Desproges pour l’humour cynique et aussi noir que le bon chocolat suisse.

  

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Suisse comme cézigue ou comme l’association organisatrice, Catalyse (créée par Bettina Vernet), qui se veut un « accélérateur de talents » et réalise un formidable travail de fond, à longueur d’année, rejointe symboliquement dans cette initiative par Wallonie Bruxelles Musiques, dont le directeur, Patrick Printz, était également présent. À côté des représentants helvétiques (Aliose, Béatrice Graf & Sophie Solo, Derf und Germano, K, Noga, Sarah Olivier et Zedrus), on retrouvait en effet le chanteur belge Samir Barris (à suivre de près) et, comme Catalyse a le sens de la chimie chansonnière, les portes de la caravane et la scène du petit chapiteau installé derrière (le Magic Mirr’Off !) étaient grandes ouvertes à toutes sortes d’éléments complémentaires, de la région Midi-Pyrénées, de Paris, de Rhône-Alpes, de Bretagne, des Antilles ou d’Afrique (Ainamaty, Alee, Coup d’marron, Dimoné, François Gaillard, JereM, Jhos & the PCA Family Band, Kebous, Kyssi Wète, Lartigo, Paul Sidibé, Soul Magic Tribe et Yuz)… Un vrai « supplément d’âme », non ? Et c’est dans l’éprouvette de Montauban que cette chimie s’opère.

On aura l’occasion, si ça vous chante, de reparler dans ces « pages » de l’action au long cours de l’académie Charles-Cros et de celle de Catalyse, deux acteurs importants, chacun dans son genre, dans la vie de la chanson francophone. Mais aujourd’hui le roi est mort, alors… que vive Alors… Chante ! vingt-sixième du nom n

 

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1 juin 2010 2 01 /06 /juin /2010 10:44

Supplément d’âme (suite)

   

On allait retrouver avec plaisir le samedi à Eurythmie les Vendeurs d’Enclumes, pour deux ou trois chansons devant trois mille spectateurs. Mais les jours précédents allaient d’abord nous offrir un bouquet éclatant d’émotions. À commencer, le mercredi au Théâtre, à 18 h, par le « co-plateau » (une heure chacun) faisant se succéder Bruno Ruiz et Joyet & Miravette.

   

Régional de l’étape et habitué du festival (puisqu’il est de Toulouse, seulement distant de 40 km), Bruno Ruiz délivrait un tour de chant de haute tenue poétique (famille Bertin-Vasca), porté par une voix aussi chaleureuse et précise qu’assurée, accompagné au piano par son « vieux » complice aveugle, orfèvre en arpèges, Alain Bréhéret. Toute la salle – dont certains directeurs de festivals qui se confièrent ensuite à moi – fut bluffée par son écriture, absolument magnifique, et l’émotion qui affleurait quand, sur de jolies mélodies, il évoquait par exemple l’histoire de son père antifranquiste réfugié en France (« Je sais que sa vie a été fracassée par une guerre qu’il a perdue alors qu’il était du côté de ceux qui avaient raison. Je n’oublierai jamais d’où je viens. J’écris cela pour qu’on se souvienne de lui »). Mais sa manière actuelle d’être sur scène, planté de bout en bout devant le micro, sans jamais bouger d’un poil ni exercer la moindre gestuelle, lui confère un air académique qui, le privant de diversité d’expression, semble égaliser, standardiser l’ensemble de sa prestation, comme si l’on se contentait d’écouter un (beau) disque. Dommage, car ce soir-là (où je me souvins du premier article que j’écrivis sur lui, après l’avoir vu il y a plus d’un quart de siècle à la Tanière, un petit lieu parisien, lorsqu’il chantait « ses chansons avec le corps, et pas seulement avec la voix » et s’inscrivait plutôt, dans la mise en scène et le maquillage, dans les pas prometteurs d’un Guidoni), l’esprit de Ferré planait dans la salle, avec un zeste de Nougaro.

 

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En « seconde partie », Joyet & Miravette dans leur nouveau spectacle, très enlevé, bourré d’humour et d’émotion. « Joyet & Miravette », oui, car si Bernard Joyet signe tous les textes (et quels textes ! son écriture étant l’une des plus belles d’aujourd’hui dans le genre classique : écoutez – ou lisez – par exemple La Petite Mort dans son dernier album, sa Mémoire et la Mer à lui…) et la plupart des musiques, Nathalie Miravette est plus qu’une pianiste accompagnatrice, même hors normes (« Mon Mozart à moi », dit-il…) : peu à peu elle a pris une place croissante dans cet univers auquel elle apporte fantaisie et légèreté. Au milieu des années 80, nous avions découvert Joyet et Roll Mops, duo hilarant, avant que l’auteur Bernard Joyet ne s’émancipe en solo ; aujourd’hui « Joyet & Miravette » réalise la synthèse avec des chansons où la variété de ton (du rire aux larmes, pour faire court) épouse à merveille leur qualité d’écriture et la liberté d’action de l’interprète (micro HF aidant), pardon des interprètes, car Miravette ne se prive pas de quitter son piano... Bref, les deux comparses font la démonstration que la poésie n’est pas de la « prise de tête », qu’elle peut être une expression de jubilation, surtout quand elle se conjugue comme ici avec la musique et le chant.

 

 

Il fallait choisir ensuite – ou naviguer – entre Eurythmie et le Magic Mirrors, avec simultanément Karimouche et Olivia Ruiz d’une part (« Jo Masure, ironisait plus tôt Joyet, a décidé d’inviter aujourd’hui toute la famille Ruiz… »), Berty et Arthur H d’autre part. Deux univers différents, mais complémentaires – c’est tout l’intérêt de la chanson. J’ai déjà dit le plaisir que dispensent Olivia et ses musiciens en spectacle, plaisir partagé et confirmé ce soir-là par une salle à guichets fermés… dont profitait Karimouche (3000 spectateurs !) avec l’assurance et la variété musicale et textuelle qui la caractérisent (voir « Plus vite que la musique »). « Berty », c’est la nouvelle aventure scénique de la chanteuse suisse romande Monique Froidevaux en rupture de ban de l’ex-Soldat Inconnu. Petit gabarit, silhouette fine, cheveux courts, mais voix exceptionnelle aussi rauque’n’roll que ses musiques. Parfait pour introduire Arthur H retrouvant le piano solo de ses débuts (voir « Florilège de printemps »), la voix plus éraillée et chaude que jamais. Qu’il est loin, le temps, Arthur, où l’on te découvrait ainsi seul au piano dans une petite salle du Printemps de Bourges : le temps de se bâtir une carrière et de se construire un vrai répertoire, certes pas « grand public » mais aussi captivant et hypnotique qu’atypique, qu’on pourrait seulement rapprocher de celui d’un Tom Waits.

Le jeudi, toujours au beau Théâtre Olympe de Gouges, Benoît Dorémus et Clarika, se suivaient et se complétaient aussi à la perfection dans ce que la chanson peut apporter de meilleur quand le talent est de la partie : le miracle de l’émotion dans l’apparente simplicité du mot et de la note amoureusement entrelacés. Seul à la guitare, Benoît séduisait l’auditoire (entassé sur trois niveaux du sol au plafond !) : par sa sympathie naturelle et la qualité lumineuse de ses nouvelles chansons, totalement délivrées de l’emprise empathique que Renaud, producteur de son premier album, exerçait auparavant sur lui. On peut donc penser sans grand risque de se tromper que Benoît Dorémus, émancipé de ses influences-références propres à chaque débutant, jouera bientôt dans la cour des grands, se hissant probablement d’ici à 2020 – pour reprendre le titre de son troisième album paru le 10 mai (on en reparlera) – au sommet de la gamme (en clé d’ut, évidemment !) des chanteurs francophones. Quant à Clarika, dont on a dit monts et merveilles précédemment (voir « Étoiles des neiges ») de son spectacle actuel, elle est déjà au sommet de son art. Répétons-le : mis en lumière de façon splendide et en musique par de grands musiciens qui n’en restent pas moins terriblement complices de l’artiste, ce concert est à voir et à revoir pour en goûter toutes les saveurs.

 

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Qualité rare des textes, dans le signifiant et le signifié, musiques actuelles aux rythmes variés mais toujours mélodiques, jeu de scène aussi naturel (mais quel travail, sûrement !) et virevoltant que charmant, le tout porté par une voix comme une main de fer dans un gant de velours ! Oui, croyez-moi sur parole : Clarika, dont les débuts remontent déjà à la création de Chorus, ne l’oublions pas, n’a cessé de se bonifier avec le temps pour devenir aujourd’hui une pépite précieuse de la chanson (c’est elle « en mieux », comme l’annonce le titre de son dernier album), une perle rare qu’il faut cultiver avec amour pour qu’elle fasse toujours partie de notre paysage. Sa tournée actuelle qui passe par certains festivals de l’été (les Francos de Montréal notamment) s’achèvera dans une salle parisienne à l’automne. 

Les Français sont (parfois) déprimants

Dur après ça, de retomber dans la fosse aux lions pour un Raphael programmé à Eurythmie. Mais contre toute attente, le jeune homme en solo devant trois mille personnes, à la guitare acoustique le plus souvent, au piano parfois, dans un décor sobre de parois blanches sur lesquelles ondoient des projections stylisées et des ombres chinoises (dont celles de l’artiste en direct), allait également nous captiver. En nous surprenant d’emblée. Revisitant de fond en comble son répertoire, s’essayant pour la première fois à plusieurs chansons de son prochain album, cassant de façon stupéfiante son image originelle de chanteur pour midinettes, il nous est apparu comme le véritable artiste qu’il est (on ne triche pas, seul avec ses chansons, dans une grande salle… où ça passe ou ça casse). Mais surtout comme un auteur socio-politiquement très engagé, sans le « gimmick » toutefois des lendemains qui chantent, du « grand soir » annoncé des années 70, au profit (?) d’un nihilisme des plus noirs. No Future…

 

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Deux nouvelles chansons en particulier, interprétées à la suite, plombent définitivement son image gentillette et nous plongent à la fois dans un gouffre de désespoir lucide et paradoxalement bénéfique pour contrer l’esprit grégaire de nos semblables. En écoutant la première (« Les Français sont déprimants… »), je me disais qu’il était en train de nous refaire Hexagone, façon 2010… et le voilà justement, dans les derniers mots de la chanson, qui apostrophe Renaud. En substance : « Tu nous manques, mon pote, depuis qu’t’es parti en vacances… » Quant à la suivante, chanson apocalyptique s’il en est, c’est probablement la plus forte, la plus dense, la plus pessimiste qu’on puisse entendre aujourd’hui dans le genre. Raphael en solo ? Du sacré beau boulot. Même si le refrain de son Vent de l’hiver (« C’était le temps des bords de mer / Le temps des Gainsbourg, des Prévert… ») continue de m’évoquer irrésistiblement la musique du Temps des chevaux du trop méconnu Luc Romann : « C’était le temps des chemins / C’était le temps des chansons… » Il est vrai qu’il reprend aussi Barbara ou Manset (« Être Rimbaud… »). Raphael a de bonnes références, et c’est bien ! 

Lobotomie  

Mickey 3d assurait la deuxième partie de soirée, à moins que ce ne soit Mickey tout seul à présent, on a du mal à suivre. D’autant plus qu’avec sa formation de rock lourd, la sonorisation du concert s’avérait proprement insupportable. Comme quoi, la Fédération des festivals a encore du pain sur la planche à ce niveau (sonore)-là, les décibels atteignant avec Mickey des records qu’une élémentaire pensée envers son public devrait interdire. Idem le samedi avec Bazbaz, totalement inaudible, une véritable bouillie. Comme si le premier, pour lequel on a pourtant de la sympathie, voulait imposer son discours critique sur le pouvoir et la société à grand renfort de marteaux piqueurs (mais n’est pas Béranger qui veut !). Comme si le second, intéressant en disque, pensait pouvoir masquer ainsi ses insuffisances criantes en scène. On a connu un vrai terrorisme sonore au milieu des années 80 au Printemps de Bourges : halte à une redite, messieurs et mesdames les artistes (et messieurs les directeurs de festivals qui les accueillez) ! 

Cette façon de faire de la musique (ou plutôt de la défaire) n’a d’autre résultat que de lobotomiser les spectateurs, comme prisonniers à leur corps défendant d’une rave party. Comment disait Julos, déjà ? Les hommes et les femmes sont des chefs-d’œuvre en péril… La dictature du son – surtout lorsqu’on professe des idées généreuses, solidaires, « de gôche » – conduit à proscrire le partage, la communion, le dialogue… et donc tout plaisir. Mickey, Bazbaz, recalés à Montauban, on espère vous revoir ailleurs dans de meilleures dispositions. Et qu’on ne dise pas que c’est la faute à la salle, car Raphael, avant Mickey, c’était parfait compte tenu de la jauge.

 

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Ce jeudi, à la même heure que Raphael et Mickey 3d, Imbert Imbert emballait le public du Magic Mirrors avec « Madame Imbert » (sa contrebasse) et ses chansons qui ne courent pas les rues, si particulières, sombres mais non dénuées d’humour et encore moins de sexe (voir « Génération Chorus » n° 2). Quant à Loïc Lantoine – famille Nougaro, Leprest, Jehan – c’était ensuite du génie verbal sur scène (porté par un trio musical de premier ordre, dont le complice compositeur de toujours, François Pierron à la contrebasse) et du délire dans la salle. Un triomphe… régulièrement répété avec le Nordiste aux « chansons pas chantées ». Loic Lantoine ? À découvrir d’urgence, depuis le temps qu’on ne le voit pas à la télé et qu’on ne l’entend pas à la radio, si vous ne le connaissez pas encore.

 

 

Un pari et un défi  

Vendredi 14. Pour cause de grand soir – comment manquer cet anniversaire ? –, on fut nombreux à devoir faire l’impasse à la fois sur Mélissmell, l’une des Découvertes de l’an passé avec Karimouche et Carmen Maria Vega, et l’excellent François Hadji-Lazaro, revenu sous le nom et avec le répertoire de Pigalle (voir « Florilège de printemps »). Un passeur transversal qui, par ses reprises, sa connaissance profonde de l’histoire de la chanson et l’action de producteur qu’il mena longtemps avec Boucherie Productions (où Clarika sortit son premier album), incarne idéalement le souci d’Alors… Chante ! de marier le présent, l’avenir et le patrimoine.  

C’est justement ce qu’on allait vivre à Eurythmie. En « première partie » des vingt-cinq ans du festival – signe de l’esprit et de la prise de risques permanente de celui-ci (chapeau, Jo !) –, non pas une « grosse pointure » actuellement en tournée, ce qui semblait logique pour attirer du monde en vue d’un « plat de résistance » pas médiatique ni commercial pour un sou, mais une ex-découverte : le Bisontin Aldebert. Un pari pour le festival, un défi pour l’artiste qui en a profité pour créer un spectacle unique en son genre, totalement original, conjuguant ses chansons enlevées (où l’on percevait au départ la patte d’un Souchon) et les prestations dynamiques des membres du Cirque Plume (quatre ou cinq garçons et une jeune femme).

 

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De la BD ligne claire en chair et en noces : le mariage du tour de chant et des tours de piste (de l’acrobatie, du jonglage, du trampoline, de l’expression corporelle, etc.), le tout mis en scène dans un climat d’humour permanent, le « chef » des saltimbanques n’hésitant pas à perturber régulièrement le concert. Un spectacle sur le fil, mais du haut vol (Aldebert s’offrira lui-même un saut périlleux !) et une réussite indéniable, comme le montrait l’auditoire, débordant d’enthousiasme, faisant la preuve qu’il existe des publics de qualité, ouverts à la découverte (le fruit sans aucun doute de la confiance, jamais trahie, accordée aux programmateurs).  

 

 

Mine de rien, Aldebert renouvelle le genre, sans rien retirer au spectateur en quête d’émotion. Il lui offre au contraire un plus teinté de poésie et d’euphorie visuelles (la performance physique du Cirque Plume étant de toute beauté), un supplément d’âme là encore à mettre au crédit d’Alors… Chante ! (et au talent, bien sûr, des artistes, chanteur, musiciens et enfants de la balle confondus). Au final, Aldebert reprendra J’ai dix ans… de Souchon, en l’adaptant à son répertoire, pour fêter dans la joie partagée son dixième anniversaire de scène (c’est le titre de ce nouveau spectacle) et introduire habilement les vingt-cinq ans de la manifestation.

(À SUIVRE)

 

NB. Les photos sont de Francis Vernhet, « envoyé spécial » à Montauban…

 

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