Écrire pour ne pas mourir
Écrire pour tout raconter,
Écrire au lieu de regretter,
Écrire et ne rien oublier,
Et même inventer quelques rêves
De ceux qui empêchent qu'on crève
Lorsque l'écriture, un jour, s'achève...
(Anne Sylvestre, Écrire pour ne pas mourir, 1985)
On célébrait cette semaine la Journée de la Francophonie. L’occasion pour l’amoureux de la langue française que je suis de vous annoncer (information qui m’a été officiellement communiquée il y a quelques jours) que ce blog est désormais in the Top of the Blogs ! Autrement dit, Si ça vous chante fait à présent partie des blogs les plus fréquentés de France et de Navarre (par des « usagers » non seulement français ou francophones mais d’un peu partout à travers le monde). Il ne nous aura donc fallu que quatre petits mois (Si ça vous chante a commencé d’« émettre » seulement à la mi-novembre) pour se retrouver au sommet de la blogosphère !
Quand je dis nous, ce n’est évidemment pas un nous de majesté, mais un nous qui nous rassemble, car c’est d’abord et avant tout grâce à vous, lecteurs de Si ça vous chante, à votre intérêt initial et aujourd’hui à votre fidélité et à votre prosélytisme – le bouche à oreille semblant fonctionner à fond, puisque je n’ai lancé aucune opération spéciale de promotion –, si ce résultat a été obtenu. Avec mention spéciale, qui plus est, de mon serveur (qui m’adresse de « vives félicitations pour votre travail »), raison pour laquelle je me fais un devoir de les partager – l’information comme les félicitations – avec vous...
On peut s’en amuser, et c’est volontiers mon cas, n’ayant jamais été « accroc » aux hiérarchies, si ce n’était que ce classement révèle deux choses essentielles. Primo, que la façon pour le moins expéditive dont « on » a mis fin à la revue Chorus n’a pas été « digérée » (à en juger notamment par les témoignages, par courrier ou courriel, de centaines d’anciens lecteurs inscrits à ce blog…). Secundo, que Si ça vous chante a bel et bien pris la relève des « Cahiers de la chanson » – du moins autant que possible (on ne remplace pas comme ça, au débotté, une revue de 200 pages et de près de 20 ans d’âge) –, mais avec ce petit plus du son et de la vidéo ainsi que de l’interactivité immédiate traduite notamment par vos commentaires sur les articles, le dialogue entre lecteurs ou la possibilité d’envoyer des informations d’intérêt général. Avec ce parallèle aussi que chacun peut avoir accès à l’ensemble des sujets publiés depuis la création de Si ça vous chante, comme on pouvait consulter la collection complète de Chorus dans sa bibliothèque.
Des avantages et des inconvénients du format « papier » et du format « virtuel » : si Chorus n’a jamais, de toute son histoire, failli à sa règle de parution dans les kiosques le premier jour de chaque saison, Si ça vous chante a été privé de nouvelles contributions la semaine passée du fait d’une « tour » informatique défaillante… et de l’impossibilité de remédier rapidement à ce problème. La Tour prends garde : les lecteurs de Si ça vous chante, privés de leur pâture, vont monter à l’assaut ! De fait, une fois le contact rétabli, des dizaines de courriels personnels sont « montés » sur mon ordi pour s’inquiéter de mon silence. Comme si un blog devait avoir une périodicité bien précise, comme si celui-ci s’était effectivement substitué à Chorus, comme si l’on était en manque…
Bref, des joies de l’informatique ! Ce qui me permet de vous proposer ce clip de Chanson Plus Bifluorée – de vieux compagnons de la chanson, qui nous offrirent une nuit d’été, en « after » réunion de rédaction, un « concert » mémorable sous les étoiles, où l’on refit en chœur avec d’autres artistes encore (dont Jehan, Jofroi ou Allain Leprest cette fois-là) l’histoire de la chanson francophone (oui, je sais, on me le réclame suffisamment : je dois écrire un livre sur l’histoire de Chorus…). Leur détournement de la chanson popularisée par Ouvrard, J’ne suis pas bien portant (« J’ai la rate qui se dilate », etc.), comme un rap avant l’heure (d’avant la Seconde Guerre mondiale !), écrite par Géo Koger et composée par Vincent Scotto, est un régal. Un morceau de choix irrésistible. Que ceux et celles qui n’ont jamais connu le moindre des désagréments évoqués dans cette parodie leur jettent la première icône… ou le premier spam, le premier virus ou ce qui leur passera par l’écran.
Plus sérieusement, cette panne momentanée de texte, de son et d’images – venant après celle, brutale et définitive de Chorus, qui m’a fait connaître quatre mois durant (jusqu’à la naissance de ce blog) la « petite mort » si joliment décrite par Souchon, avec l’impossibilité soudaine de continuer à écrire, donc à exister (ou presque), après quarante ans non-stop de partage éditorial – a mis en évidence certaines responsabilités de ma part, à défaut de responsabilités certaines. Des responsabilités sinon pratiques, vu les circonstances, en tout cas morales sachant l’attente immense causée dans l’espace francophone par la disparition de Chorus. Attente non pas virtuelle mais bien réelle, et concrétisée aujourd’hui par l’entrée de Si ça vous chante au « Top des Blogs » !
L’entrée et non l’arrivée, si tant est qu’il y ait jamais dans la vraie vie une ligne d’arrivée, l’important étant le chemin que l’on trace et non de parvenir au but. « Ce n’est pas le but, c’est le chemin qui compte », m’a dit un jour Jean-Jacques Goldman (un expert en Traces !) ; ce qu’en d’autres termes le grand poète andalou Antonio Machado, mort en exil à Collioure, quelques jours après avoir franchi les Pyrénées, fuyant le franquisme, avait anticipé ainsi : « Caminante no hay camino, se hace camino al andar » (Chemineau – au sens où l’entendait Gaston Couté – il n’existe pas de chemin tout tracé, chacun trace le sien en cheminant).
Chanter, c’est lancer des balles
Le « Top des Blogs » ! Ce n’est pas rien, et j’insiste là-dessus uniquement pour vous en remercier, car si j’apporte ma petite pierre à l’édifice de la chanson française et de l’espace francophone (non, ça n’est pas un pléonasme, comme on a cru bon me le dire, l’espace francophone regroupant quantité de chansons en langues vernaculaires, à commencer par le créole), c’est bien de votre faute (pardon, grâce à vous !) si nous en sommes là. Non loin des cimes de cette pyramide hexagonale (si j’ose dire !) formée de blogs par milliers (dizaines de milliers ?), tous serveurs confondus – de journalistes, d’écrivains, d’éditorialistes, d’économistes, de scientifiques, de politiques, de sportifs, d’artistes, d’institutions, d’organismes, d’événements, de manifestations diverses… et bien sûr de la sphère purement privée. Là, au top de la blogosphère !
Et maintenant… que vais-je faire ?
Écrire des livres, notamment celui sur Chorus réclamé à cor et à cri ? Continuer à en éditer (puisque Fayard me fait l’honneur, Chorus ou pas, de me considérer comme son « Monsieur Chanson ») ? Alimenter régulièrement Si ça vous chante en reportages, en critiques de disques, en comptes rendus de concerts et de festivals, en infos diverses ? Tout cela à la fois, sûrement, et d’autres choses encore qui me trottent par la tête. Mais en ce qui concerne spécifiquement Si ça vous chante, tout dépendra de l’écho reçu – c’est la règle du jeu énoncée dès le « Prologue » de ce blog – et en l’occurrence, on le voit et on l’entend, il résonne fortissimo (bien qu’il faudrait faire en sorte qu’il se répercute encore et encore, pour renouer en particulier avec la plupart des lecteurs de Chorus qui doivent toujours ignorer l’existence de cette façon différente de... faire chorus). Il doit pouvoir compter aussi sur la collaboration de tous les contributeurs qui le souhaitent, artistes, professionnels ou simples « amateurs » de chanson (la rubrique « Chant libre », je le rappelle, a été conçue à cet effet… et ne s’use que si l’on ne s’en sert pas !), pourvu bien sûr que leur apport au débat chansonnier intéresse l’ensemble de nos lecteurs. Comme nous continuerons de compter sur la participation spéciale de Serge Llado (bientôt de retour avec son « Amusicoscope ») et d’anciens membres de notre équipe.
Voilà.
Cette entrée de Si ça vous chante au top des blogs valait bien un édito. Et deux chansons pour l’incarner. Écrire pour ne pas mourir d’Anne Sylvestre, citée en exergue. Si authentique, si juste pour peu que l’urgence d’exprimer – que l’on soit auteur de chansons ou éditorialiste – fasse intrinsèquement partie de vous. Et Chanter, c’est lancer des balles d’Alain Souchon, en point d’orgue. Car si je souscris évidemment à la teneur sensible des propos d’Anne Sylvestre, il est un point fondamental où je diverge de ceux-ci : je n’écris pas en pensant d’abord à moi (« Et que vous soyez critiques ou pleins de bienveillance / Quand je soigne mes mots, c’est à moi que je pense… ») – et je ne suis pas sûr que je mourrais (même à petit feu, en m’étiolant) du seul fait de ne plus pouvoir écrire. En revanche, il m’est physiquement et spirituellement impossible de ne pas partager le fruit de mes écrits, lequel est aussi le fruit de nos découvertes et de nos engouements. Écrire, pour moi, c’est comme chanter pour la Souche, c’est lancer des balles afin que les autres les reprennent au bond.
Alors, à vous de jouer… si ça vous chante !
PS. Juste pour le plaisir : cet édito (avant la création d’une nouvelle rubrique, dont le premier article sera beaucoup plus court) est publié le 31 mars. Histoire de ponctuer en beauté (?) un mois marqué par des records de fréquentation successifs, couplet après couplet, de « cette chanson qui nous ressemble ». Mais aussi parce que demain sera pour moi jour de fête et de retrouvailles amicales : c’est mon anniversaire... Le premier sans un numéro de Chorus à préparer. L’an passé, nous venions de sortir le n° 67 avec Tryo, Serge Lama et Juliette Gréco en sujets principaux et nous commencions à travailler sur le n° 68 avec trois grands dossiers consacrés à Olivia Ruiz, Alain Bashung et Claude Nougaro... Demain ? Le 1er avril ?! Eh oui, et si ce n’est pas un poisson d’avril, en revanche je revendique la ténacité bien connue des béliers.