Les Passerelles de l'hiver – 3
Alors, « tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil ? » aurait dit le regretté Jean Yanne. Ben non, ce serait… trop beau, justement, si rien n’était moche ; et trop moche à la fois si tout se valait. Mais le talent n’a pas d’âge qui ne fait jamais relâche – malgré ce qu’un manque croissant de débouchés médiatiques (non exclusivement commerciaux) peut laisser penser aux esprits chagrins ou dénués de curiosité –, comme le montre l’histoire de la chanson francophone… ou comme le démontre sa production phonographique actuelle.
La preuve : pendant trente ans nous nous sommes échinés, acharnés, à présenter des disques qui le valaient bien, en particulier à travers Chorus où l’on chroniquait près d’une centaine d’albums par numéro (dont les tout premiers d’artistes alors méconnus et aujourd’hui en haut de l’affiche). Mais dans le même temps, nous faisions l’impasse sur six ou sept fois plus de nouveautés que nous ne jugions pas à la hauteur. Une sélection draconienne que la vocation de cette revue – l’exposition du meilleur de la chanson francophone – et sa spécificité encyclopédique (qui la faisaient considérer comme un organe de service public, comme si Chorus avait été officiellement missionnée par les autorités pour traiter de tous les styles musicaux et sans frapper d’exclusive aucune génération) occultaient cependant aux yeux des lecteurs.
Effectué en amont, cet important travail d’écrémage critique, comme des auditions réalisées en privé, restait en effet invisible. Si bien que d’aucuns, méconnaissant l’importance réelle de la production, ont pu penser, sans nous lire régulièrement, que nous présentions tout sans discernement. Bien au contraire, ce qui était publié dans nos « Cahiers de la chanson » était la résultante d’un tamisage extrêmement fin, d’une écoute préalable on ne peut plus critique. Peut-être pas en apparence, vu le nombre de disques chroniqués à chaque parution (qui était et reste sans équivalent dans la presse francophone), mais au fond, préférant réserver la place dont nous disposions (toujours trop limitée à notre goût, malgré les 196 pages que nous avions estimé nécessaires au moment de concevoir cette revue) à mettre l’accent sur le plus intéressant, original ou novateur plutôt qu’à relever les faiblesses d’une production moyenne.
Le masochisme et la débandade
On comprendra donc que, si cette sélection dont j’avais le « cut » final était déjà très rigoureuse, elle ne peut que l’être encore plus ici. Malgré, il faut le dire, la réception quotidienne de nombreuses nouveautés (merci !) et de sollicitations répétées, chaleureuses ou empressées, injonctives ou touchantes : l’expression, dans tous les cas, d’une attente très forte du monde artistique consécutive au vide laissé par la disparition brutale de cette vitrine unique de la création francophone que constituait Chorus.
N’étant pas masochiste, je ne retiendrai dans cette rubrique « Actu disques et DVD » que ce que j’aime et me paraît d’une qualité suffisante pour être recommandé et si possible partagé. Tant pis pour les grincheux qui, du coup, ne trouveront pas dans mes lignes l’expression « critique » qui seule les fait bander. Que l’on m’excuse cette trivialité, mais moi, ma vie durant, seule la beauté de corps ou d’âme m’aura jamais fait bander. J’aime et j’en parle ; je n’aime pas et je n’en parle pas. C’est aussi simple que cela et je n’ai nulle intention de déroger aujourd’hui à cette règle de conduite et de me résigner finalement à cette Débandade d’esprit que stigmatisait en 1978 le trop méconnu Pierre Haralambon (voir discographie).
Et puis, les nouveautés de qualité s’accumulant cet hiver, et le blog offrant des fonctionnalités (chansons à écouter, clips à visionner, sites biographiques…) que n’apporte pas la presse, je m’astreindrai dès la prochaine « livraison » à faire court (quand c’est possible). Pour apporter un choix plus large au « visiteur » (lecteur ?) et lui permettre à la fois de poursuivre lui-même la découverte (si la technique et la légalité le permettent). Après les coffrets Hors saison, et en attendant Les Années Paroles et Musique puis Les lendemains qui chantent, voici donc la suite de ces « Passerelles de l’hiver » avec les nouveautés de la Génération Chorus – celle des artistes apparus dans les décennies 90 et 2000, dont certains ont eu leur premier « papier » national dans cette revue. Tous genres confondus, avec l’ordre alphabétique pour seul mot d’ordre... et l’attribution d’un « Quichotte » (voir Chanson d’automne) à chacun de nos coups de cœur, de nos albums préférés. Le tout mis en ligne en plusieurs « salves », à suivre, pour plus de lisibilité.
Patrick Bebey
Francis Bebey était un homme et un créateur hors du commun : compositeur, écrivain, ethnomusicologue, conteur, ambassadeur de l’Unesco… Camerounais (ou faudrait-il plutôt dire Franco-Camerounais tant il avait cette faculté à assimiler les cultures des autres sans rien perdre, bien au contraire, de celle de ses ancêtres), il a sillonné sans relâche le monde entier avec sa guitare magique (concertiste classique virtuose, il en tirait aussi et en même temps des percussions !) et l’Afrique francophone où ses chansons pleines d’humour tendre (Agatha, La Condition masculine, Le Troisième Bureau…) faisaient la joie de dizaines de millions de personnes. Son fils Patrick, musicien menant sa propre carrière depuis 1983, pianiste prisé de nombreux artistes africains et français, multi-instrumentiste, souhaitait lui rendre hommage de son vivant, mais sa mort, le 28 mai 2001 (voir Chorus 37, p. 161) lui a fait repousser son projet jusqu’à ce jour. « De 1998 à 2001, rappelle-t-il, nous avons fait beaucoup de concerts en duo. Et il m’a dit plusieurs fois : “Je te donne tout ce que je fais, parce qu’il est important que quelqu’un continue après mon départ.” »
Certains morceaux de cet album (le troisième après Eyid en 1987 et La Plus Jolie Fille de Bahia en 1992) sont donc de son père, paroles (en langue douala) et musiques, et c’est un bonheur que de retrouver ainsi la sanza et la flûte pygmée aux sonorités si caractéristiques, instruments de prédilection de Francis. La touche perso de Patrick, ce sont ses arrangements et les musiciens africains, français et sud-américains qui l’accompagnent, entre tradition africaine et jazz. Bon sang ne sachant mentir, au paradis des musiciens, Francis (que j’aimais tellement, fraternellement, depuis notre première rencontre en Afrique, et qui m’honorait de son amitié) doit être sacrément fier de son rejeton !
- Da Namba, 12 titres, 52’58 ; Prod. Sina Performance, distr. Rue Stendhal (site de l’artiste où l’on peut écouter plusieurs chansons de cet album).
Agnès Bihl
Un artiste, qu’il s’appelle Brel ou Bihl, même s’il se montre d’emblée prometteur, a toujours besoin d’un certain temps pour trouver ses marques. Pour Agnès Bihl, qui a déjà sorti trois albums (La Terre est blonde, 2001 ; Merci maman, merci papa, 2005 ; Demandez le programme, 2007), Rêve général(e) est indéniablement le disque de la maturité. Sans renier les thèmes sociaux, contestataires, « engagés » qui caractérisaient son répertoire, la chanteuse élargit celui-ci dans la forme, plus posée, plus mélodique mais tout aussi rythmique et variée, et dans le fond avec des sujets plus positifs, « moins féministes et plus féminins », qu’ils soient tendres ou drôles, voire délibérément légers.
Mais on ne se refait pas, Agnès Bihl est une chanteuse de son temps qui ne chante pas les yeux fermés ou les oreilles bouchées : simplement, elle réussit l’accord parfait entre elle-même et son art qui, au-delà de la formidable interprète de scène que l’on connaissait, la voit se muer aujourd’hui en génitrice majeure de chansons. Raisons de cette évolution, mis à part le talent de la jeune femme ? Ses rencontres avec son alter ego Dorothée Daniel, qui l’a aidée à accoucher de ses musiques, et avec Didier Grebot, réalisateur et « compagnon tout terrain » de Jamait, dont le travail de « mise en scène » musicale épouse idéalement son sujet. Mais pas seulement, car Agnès chante ici mieux que jamais (ayant travaillé le chant avec la grande Christiane Legrand) et surtout, son écriture atteint des sommets, faite d’images, d’allitérations, de rimes riches ou de jeux de mots d’autant plus brillants qu’ils ne sont pas gratuits (ce qui me rappelle l’avoir rencontrée pour la première fois, avant son premier disque, à Pézenas, pays de Boby Lapointe). « Liberté, égalité, fraternité / La France est un pays riche en pauvres / C’est vrai qu’on viole la planète et qu’on vide les hommes / Alors sommes-nous bêtes ou des bêtes de somme ?... »
Mais cette « résistance positive » n’empêche pas la simple chamaillerie amoureuse (Elle et lui) ou le chagrin d’amour célébré au champagne tzigane (« Quand le bon Dieu sur son nuage / Regarde faire tous les salauds / Qu’il a créés à ton image / Ça me donne soif, soif de champagne… ») ; ni deux dialogues homme-femme aux styles contrastés : l’amusant Habitez-vous chez vos amants ? avec Alexis HK, et le dramatique Je t’aime que moi, superbe texte dit avec Grand Corps Malade. Citons encore un émouvant SDF Tango mis en musique par Didier Lockwood et son violon magique, et l’on obtient une réussite totale, qui transcende les générations. L’album d’une artiste qui préfère « les connivences et les complicités avec Anne Sylvestre ou Yves Jamait plutôt que le fait d’être codebarrisée trentenaire ». Qu’on se le dise : la p’tite Bihl est devenue grande.
• Rêve général(e), 13 titres, 43’52 ; Prod. Banco Music, L’Autre Distribution (site de l’artiste).
Jeanne Cherhal
Jeanne persiste et signe. Quand nous l’avons découverte en public, en 2001, elle décoiffait par son culot et sa liberté de ton. Lorsque nous avons organisé une rencontre exclusive entre elle et Alain Souchon, en 2002 (cf. Chorus 42), nous nous interrogions de concert sur l’album qu’elle pourrait bien tirer en studio de son répertoire conçu pour la scène. Quand celui-ci a été porté avec succès sur les fonts baptismaux de tôt Ou tard (Douze fois par an, 2004), tout le monde a commencé à se demander comment Jeanne pourrait bien se renouveler, devant l’impossibilité de continuer indéfiniment à jouer les Zazie (celle de Queneau !) aux longues nattes et à la langue bien pendue. Et puis, la Nantaise a changé de registre en se coulant dans des chansons et un univers aquatique qui lui allaient bien au teint et lui collaient à la peau (L’Eau, 2006). D’aucuns croyaient qu’elle se contenterait alors de suivre leur sillage, de marcher au moins un temps dans les sillons de L’Eau. Mais c’était mal connaître la jeune femme…
Pour son troisième opus studio et le premier chez Barclay (le cinquième album au total en comptant son live de 2002 et celui enregistré en 2003 avec Matthieu Bouchet, En même temps), Jeanne a décidé en effet de faire « son » Manset, en maîtrisant sa création de bout en bout, paroles, musiques et arrangements. Plus que Manset, même, car si celui-ci s’autorisait des notes de piano çà et là, Jeanne a voulu jouer elle-même de tous les instruments ! Claviers, guitares, basse, batterie, synthétiseurs « et trouvailles de toutes sortes », elle est aux manettes de A à Z, chœurs inclus, avec l’aide seulement du réalisateur et ingénieur du son Yann Arnaud. C’est fort, très fort, un peu fou aussi. Rarement artiste se sera mis(e) ainsi en danger, de son propre chef. « J’ai passé toute l’année 2009 volontairement isolée en studio. Pourquoi ai-je eu besoin d’enregistrer ce disque toute seule ? Je ne sais pas encore très bien ! Cette autarcie, excitante, vertigineuse, ludique et parfois désespérante, m’a chamboulée, beaucoup plu… et m’a finalement donné une folle envie d’exploser l’aquarium pour que ces nouvelles chansons existent et se métamorphosent sur scène. »
Gageons que le spectacle sera à la hauteur de cette création qui constitue un ovni dans la production francophone actuelle, dans le fond (des chansons pop, avec des bidouillages électroniques ou au contraire des instruments acoustiques, du piano… et un chant extrêmement travaillé) comme dans la forme, l’album proposant onze chansons et une charade chantée en quatre parties… Bien sûr, si l’on ne considère que l’album lui-même, qui peut dérouter, la question est : le public suivra-t-il l’artiste dans sa démarche ? Ou ’exercice lui semblera-t-il vain, les chansons trop intellectuelles, cliniques, désincarnées ?
La singularité même de la création interdit toute réponse hâtive. On n’a guère de précédent en la matière. Même une Camille dont certains ont cité le nom à propos de Charade est loin d’un tel travail de recherche et d’expérimentation, et avec de vraies paroles en sus, pas de simples onomatopées. C’est certain, on ne trouvera rien d’évident dans ce disque, au sens de la chanson traditionnelle couplets-refrain, mais la chanson se prête à tout, elle n’a d’autres limites que celles qu’on s’impose, et tel qu’il a été conçu, un objet chantant non identifié, ce disque ne présente aucune faiblesse en soi. Il est à prendre tel quel, tout entier, ou pas du tout. Pour ma part, je prends deux fois plutôt qu’une. Sacrée Jeanne, quand même ! Sûr qu’elle n’a pas fini de nous surprendre.
• Charade, 15 titres, 41’45 ; Barclay (site de l’artiste).
Régis Cunin
C’est un rattrapage (mais qui a décrété qu’un album, dont la réalisation demande souvent plusieurs années, était périmé quelques mois seulement après sa sortie ?) en ce sens que ce disque aurait dû être présenté l’automne dernier dans le n° 69 de Chorus, numéro mort-né comme on le sait dont l’euthanasie brutale a laissé un temps son « team » sans voix et son « coach » éberlué (oubliés en France, aujourd’hui, les mots « équipe » et « entraîneur »…). Éberlué, oui, comme l’intitulé de cet album qui, question mots, est du Cousu main... à l’image du précédent opus de Régis Cunin, Cœur Chorus n° 44 (été 2003). « Comme son titre l’indique, écrivait alors Albert Weber, Cousu main est du travail d’orfèvre qui ravira les plus exigeants : textes signifiants, qui ne se prennent pas la tête, écriture à tiroirs multiples, jeu brillant sur les mots, mélodies entraînantes… Le tout porté par une voix souriante. »
On l’a compris, Régis Cunin, sympathique ACI lorrain, est un homme à paroles, le plus souvent sur des musiques de genre (superbe Tango rural : « Bien sûr c’est du ciné / Quand elles jouent les Dulcinées / Ces dondons qui chochottent / Et leurs vieux Don Quichottes / Sont pansus comme Sancho Pança / Oui mais quelle élégance / Quand elles s’abandonnent à la danse… »). Dans la grande tradition française. « Il y a du Perret, du Lapointe, du Brassens et du Trenet, chez ce garçon-là, soulignait Albert Weber. Une même finesse d’esprit et de traitement. L’air de rien, dirait Laffaille – un autre ami de la famille… –, Régis Cunin pose un regard aiguisé, amusé ou tendre, émouvant ou décapant, mais jamais bien méchant, sur ses contemporains. Entouré de ses complices habituels (cordes, claviers, cuivres, percus…), il enfile les perles. »
Régis Cunin – Tout est vrai
Rien à retrancher dans ces lignes, auxquelles il faut au contraire ajouter ces onze nouvelles perles qui voient le Lorrain s’inscrire (à sa façon) dans le sillage des artistes susnommés… et de quelques autres qui, déférence gardée envers eux (voir son site aussi éloquent que réussi), ont pour noms Gainsbourg, Le Forestier, Anne Sylvestre, Lavilliers, Vian… ou Souchon (« Ça ne tient qu’à un fil… »). De la belle ouvrage, comme on en jugera avec le premier titre de ce disque, Tout est vrai. Mais on pourrait en citer bien d’autres, à commencer par le deuxième, Perdre pied, qui symbolise à la perfection l’épique époque actuelle : « Perdre les mots, perdre les gestes / Les repères les codes et les clés / Perdre le temps, perdre le reste / Perdre la tête et perdre pied… »
Réalisé en autoproduction, mais riche d’orchestrations collectives (une douzaine de musiciens tous terrains), Éberlué est déjà le cinquième album de Régis Cunin, un enfant de la « Génération Chorus » s’il en est, puisque né discographiquement la même année que la revue avec un CD éponyme (1992), suivi de Fromage et dessert (1995), Chansons bancroches (1999) et donc Cousu main (2003). Pour aller plus loin dans la découverte, si nécessaire, lire son « Portrait » dans le n° 26 de Chorus.
• Éberlué, 11 titres, 37’53 ; Autoproduction, distr. via le site de l’artiste).
Vincent Delerm
Y en a qui détestent, c’est leur droit. Moi j’aime. Sans être inconditionnel pour autant (d’ailleurs suis-je inconditionnel d’un seul artiste ? Même avec Brassens en « pole position », je ne le pense pas). Mais c’est justement les faiblesses que d’aucuns lui reprochent qui font ses atouts, voire son charme, en l’obligeant à « compenser » sur scène. Par la mise en scène, l’humour, l’intelligence… Si bien que le bonhomme ne se prend jamais au sérieux (sans l’empêcher, au contraire, de concocter le plus sérieusement possible chacun de ses nouveaux spectacles). Et ça tombe d’autant mieux qu’un artiste ne peut en aucun cas être pleinement jugé sur un disque, seulement sur scène, là où justement, d’un spectacle l’autre, Vincent excelle à sa façon. Comme le démontre ce DVD de son dernier concert enregistré au Bataclan (lire ce que j’en disais dans mon compte rendu, Emballage d’origine, des Musicales de Bastia 2009).
En cadeau vidéo : la reprise par Vincent (avec Jeanne Cherhal et Albin de la Simone) d’une des plus belles chansons d’Anne Sylvestre, Les gens qui doutent, tirée de son précédent spectacle à la Cigale ; juste histoire de montrer le bon goût dudit Vincent dont l’érudition chansonnière (voir la table ronde que nous avions réalisée pour Chorus n° 50 avec Bénabar, Jeanne Cherhal et lui) devrait servir d’exemple à beaucoup de ses collègues, par trop ignorants du formidable patrimoine de leur propre métier.
• 23 janvier-18 juillet 2009, livre cartonné, format à l’italienne, 144 pages + DVD Concert au Bataclan, juillet 2009, 100’ environ ; tôt Ou tard/VF Musiques, distr. Warner (site de l’artiste chez tôt Ou tard).
Voilà pour cette fois. Ça ira plus vite avec la prochaine « salve ». Quant au débat concernant le critique et le passeur (voir État critique et certains de ses commentaires), mettons-y un point (provisoirement ?) final en considérant que pour être un passeur de talent (comme Jacques Canetti, Jacques Bedos, Claude Dejacques… et autre Jean-Michel Boris qui a voué sa vie, hors les murs de « son » Olympia, à traîner dans les petits lieux et les festivals en quête du talent en herbe dans le seul but de l’encourager), il faut bien sûr être doté d’un « flair » peu ordinaire, mais d’abord et avant tout posséder un sens critique extrêmement aiguisé, l’un n’allant pas sans l’autre. La différence entre le passeur et le critique « pur » étant sans doute dans la finalité, toujours constructive chez l’un, parfois inutilement destructrice chez l’autre. Il y a longtemps que j’ai choisi mon « camp ». Une fois pour toutes.
Pas de CD en public, donc, mais un DVD. Un choix fort judicieux car si l’album n’aurait rien apporté de plus aux précédents parus en studio (quatre entre 2002 et 2008), le DVD permet à ceux et celles qui n’auraient jamais vu Delerm « en vrai » de juger (enfin) de la qualité et de l’inventivité de ses prestations. En l’occurrence, on navigue dans un décor de cinéma, où l’on croise notamment Jacques Tati, Woody Allen, François Truffaut, Alain Souchon, Trintignant ou Fanny Ardant… Qui dit mieux ? Au programme vingt chansons et plages. Et en « supplément » un beau livre cartonné de 144 pages de textes et photos signés Delerm en forme de carnet de bord de sa dernière tournée (progressivement, l’objet qui devait être un DVD-livre s’est transformé en livre-DVD…). Et que croyez-vous que l’artiste écrivit et photographia entre le 23 janvier et le 18 juillet 2009 ? Rien de bien sensationnel : « Vie de tournée, écrit-il en avant-propos, temps morts, trajets, théâtres l’après-midi, silence des loges, repas d’avant-concerts, petits-déjeuners… » Les choses de la vie, en somme. Logique, Claude Sautet étant sans aucun doute le metteur en scène le plus proche de son univers d’auteur-compositeur.