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  • : SI ÇA VOUS CHANTE (le blog de Fred Hidalgo)
  • : Parce que c’est un art populaire entre tous, qui touche à la vie de chacun et appartient à la mémoire collective, la chanson constitue le meilleur reflet de l’air du temps : via son histoire (qui « est la même que la nôtre », chantait Charles Trenet) et son actualité, ce blog destiné surtout à illustrer et promouvoir la chanson de l’espace francophone ne se fixera donc aucune limite…
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  • Fred Hidalgo
  • Journaliste depuis 1971, créateur de plusieurs journaux dont le mensuel « Paroles et Musique » (1980-1990) et la revue « Chorus » (1992-2009). Editeur depuis 1984 et créateur en 2003 du « Département chanson » chez Fayard.
  • Journaliste depuis 1971, créateur de plusieurs journaux dont le mensuel « Paroles et Musique » (1980-1990) et la revue « Chorus » (1992-2009). Editeur depuis 1984 et créateur en 2003 du « Département chanson » chez Fayard.

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7 mars 2010 7 07 /03 /mars /2010 17:41

Vagabondages


Apprenant la disparition de Roger Gicquel, ce samedi 6 mars (le 22 février il avait célébré ses 77 ans), je ressens l’impérieuse nécessité de lui rendre hommage : voilà en effet quelqu’un qui a bien mérité de la chanson. Tout le monde sait et va saluer aujourd’hui l’excellent journaliste qu’il fut (grand reporter, présentateur vedette du JT, etc.), mais je crains fort qu’on oublie l’amateur passionné de chanson. C’est pourtant pour elle qu’il abandonna le journal télévisé, créant, produisant (avec Monica Soro) et animant dans la seconde partie des années 80 une formidable et mémorable émission de chanson, Vagabondages

Celui qui regardait la France « au fond des yeux », du milieu des années 70 au début des années 80, lors de la grand-messe télévisée du 20 heures, avait en effet d’autres cordes à son arc et une passion avant tout : la chanson francophone. C’est ce qui le conduisit à créer cette émission qui faisait défaut à la télévision française depuis la disparition de l’incomparable Discorama de Denise Glaser, puis du Bienvenue de Guy Béart. Vagabondages sera réalisée dans les conditions du direct et diffusée sur la première chaîne, jusqu’à sa privatisation, de 1983 à 1986. Roger Gicquel y reçut le meilleur de la scène francophone, autrement dit des artistes de terrain, des vrais, délaissant les sempiternelles vedettes de variétés qui passaient et repassaient alors, jusqu’à satiété, dans nos étranges lucarnes. Bref, c’était un Apostrophes ou un Bouillon de culture de la chanson française.

J’en témoigne personnellement, ayant eu le bonheur d’être invité à plusieurs reprises à son enregistrement (Roger était un lecteur assidu de Paroles et Musique…), et même invité tout court, une fois, en compagnie notamment du Québécois Claude Léveillée (« Je me fous du monde entier / Quand Frédéric me rappelle / Les amours de nos vingt ans… »), du comédien Daniel Gélin (qui adorait la chanson) et de Gilles Servat qui, pour la première et la dernière fois de sa carrière, put librement chanter sur une antenne nationale son texte fleuve (et ô combien dérangeant !) de seize minutes, Je ne hurlerai pas avec les loups… Roger Gicquel adorait les artistes, et le prouvait, quitte à mettre sa propre carrière en péril.

   

 

Une autre fois, en 1985, et Paroles et Musique y était aussi, il monta un Vagabondages spécial autour de Félix Leclerc. Pour ce faire, il se déplaça avec toute son équipe jusqu’au Théâtre de l’Île d’Orléans (dont s’occupait encore Pierre Jobin, le « gérant » québécois de Félix), tout proche de la maison du chansonnier aux fleurs de lys. Lequel avait définitivement abandonné le tour de chant depuis plusieurs années (sa dernière tournée en France datait de 1977). Au-delà de sa qualité intrinsèque, cette émission réalisée en public constitue donc l’ultime témoignage filmé de Félix chantant en direct, seul avec sa guitare, ou accompagné au piano par François Rauber, l’immortel compositeur et orchestrateur de Jacques Brel.

C’est la vidéo que nous vous offrons ici. Extraite de cette émission spéciale, on y voit Félix chanter, en compagnie de ses collègues Claude Léveillée, Sylvain Lelièvre, Marie-Claire Séguin, Yves Duteil et Jean-Pierre Ferland… autour du journaliste amoureux de la chanson. Beau souvenir, plein de tendresse… et d’humour aussi, quand Roger se « plante » !

Le Paradis des musiciens

Un dernier mot (mais il en faudrait bien d’autres pour rendre justice à l’action de Roger Gicquel à une époque où la variété télévisée écrasait la chanson vivante – y compris des Aznavour, Bécaud ou Trenet, considérés comme « ringards », qui avaient le plus grand mal à exister à la télévision –, tant et si bien que les « nouveaux talents » d’alors, comme Jean Guidoni par exemple, n’auraient jamais existé aux yeux du grand public sans Vagabondages, véritable émission de résistance qualitative dans le P.A.F. des années 80) ; un dernier mot, disais-je, pour rappeler que Roger avait fait tout son possible, justement, pour contribuer à la découverte d’une chanteuse qu’il estimait particulièrement : une artiste, Danielle Messia, au talent réellement exceptionnel mais à la carrière et à la vie hélas fulgurantes... Vagabondages sera sa dernière apparition télévisée, juste avant sa mort, le 13 juin 1985, de « ce mal mystérieux dont on cache le nom » : elle n’avait que 29 ans (voir « L’Étoile filante de la chanson » dans Chorus n° 4).

À propos de Félix, quelques années après cette émission à l’île d’Orléans où les artistes mentionnés ci-dessus et d’autres comme Michèle Bernard interprétaient ses chansons, Roger nous avait rappelé son humanité, son étonnement de voir ses chansons reprises par plus jeunes que lui : « C’était un hommage d’artistes français et québécois à son talent… Mais il était déjà malade, l’asthme le faisait souffrir : il n’a chanté que deux ou trois chansons. Mais c’était émouvant et cela faisait chaud au cœur. C’était un vrai poète doté d’une imagination incroyable, il sautait d’un sujet à l’autre en improvisant des images merveilleuses… C’était un personnage hors du commun, d’une invention poétique étonnante et d’une véritable générosité vis-à-vis du public. »

  


La générosité, l’humanité… Des mots qui s’appliquaient aussi à Roger Gicquel. C’est pourquoi je me permets de rendre hommage au créateur de Vagabondages, via L’Héritage de Félix… Une histoire d’âge ?! Un devoir, en fait : à défaut de pouvoir leur dire notre gratitude de leur vivant, comme Roger Gicquel l’a fait avec Félix Leclerc – l’époque actuelle étant plutôt à la destruction systématique voire planifiée de l’humain –, il nous incombe, quand ils en sont dignes, de perpétuer l’héritage spirituel de ceux qui nous ont quittés. Je ne serais d’ailleurs pas surpris, s’il est un ailleurs meilleur qu’ici-bas, que l’homme de Vagabondages occupe une place à part dans ce Paradis des musiciens si joliment chanté et popularisé par Danielle Messia : « Quand j’vas mourir / Moi j’veux aller dans le paradis des musiciens / Là où tout le monde ça s’met ensemble / Et où ça chante de belles chansons... » Merci pour tout, Roger.

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2 mars 2010 2 02 /03 /mars /2010 14:12

Tout le monde l’aime !

Nous avons déjà eu le plaisir de vous offrir des disques (et nous continuerons de le faire), nous avons aujourd’hui celui de vous proposer des places de spectacle. Trente au total, pour le concert d’Yvan Cujious à Paris, samedi 6 mars, au théâtre des Trois-Baudets. Yvan Cujious ? Comme le dit le titre de son second album, tout le monde l’aime…


…Ou comme l’écrit Michel Trihoreau : « C’est vrai que “Tout le monde l’aime” tout de suite. C’est magique. Le charisme tient à la fois à l’impression du bon copain, tendre et déconneur et au professionnalisme qui sous-tend toutes ses improvisations et ses facéties. » Dans le « Portrait » qui lui était consacré dans le n° 68 de Chorus, Jacques Vassal rappelait les débuts de chanteur de ce Toulousain bon teint : « Arrive la sélection aux Rencontres Georges-Brassens, au Théâtre Molière de Sète, en 1999. Chaque finaliste interprète trois chansons de son cru. Yvan n’en a alors que six ou huit à son actif. Mais sa personnalité, son style s’imposent avec une telle évidence qu’il remporte le prix du jury ET celui du public. […] En 2000 il enregistre un premier album avec le pianiste Thierry Ollé, influencé par Claude Nougaro, qu’il a connu en d’autres circonstances. » Lauréat des révélations « France 3 / Radio Nostalgie » à l’Olympia, il est en effet remarqué par le chantre de Toulouse qui, dans la ville rose, le présente à ses côtés : « Si le talent est une faim, alors Claude m’a donné envie d’avoir de l’appétit… »

Neuf ans s’écouleront entre Chansons des deux mains et Tout le monde m’aime ! paru en mai 2009. Sa chanson éponyme donne le ton, écrit encore Michel Trihoreau : « De l’amour, de la dérision, du second degré narcissique et drôle… Il transforme les peines en joie, rit de ses malheurs… J’aimerais que tu me laisses est le contre-pied d’une chanson d’abandon dans un registre aigre-doux qui piétine les clichés. Le Bal des bambins s’attendrit sur l’enfance, la sienne, la nôtre, avec quelque chose d’universel et d’humble à la fois… »  Dans l’intervalle, Yvan Cujious va se partager entre son activité d’auteur-compositeur-interprète et celle d’animateur de l’émission Les Maîtres-Chanteurs, diffusée le samedi et le dimanche sur Sud-Radio : « J’ai écouté et reçu tout le monde, d’Olivia Ruiz à Cali, de Zebda à Lavilliers ; cela m’a passionné et, sans doute aussi, ça m’a nourri comme chanteur. Mais c’était trop prenant et, en 2008, j’ai dû arrêter. » Il n’en travaillera pas moins, un temps, pour l’antenne de France 3 Sud.

   


En 2009, côté scène, ce joueur de mots multi-instrumentiste (il a commencé par la trompette) chante en première partie de Jamait (dont la tournée passe par le Casino de Paris), se produit au festival Alors… Chante ! de Montauban, au FestiVal de Marne ou participe aux représentations de « Planète Nougaro » aux côtés notamment de Mouss et Hakim et d’Olivia Ruiz… avec laquelle, quelques mois plus tôt, il a enregistré un duo, Le Pont et la Passerelle, sur son nouvel album, arrangé cette fois par l’excellent Lionel Suarez. En 2010, sa tournée se poursuit presque sans relâche qui le voit par exemple en Belgique, au festival Mars en Chansons, ce vendredi 5 (jour d’ouverture de sa 11e édition qui, jusqu’à sa clôture le 21, se déroule presque exclusivement à Marcinelle), puis samedi 6 à Paris aux Trois-Baudets. Ce fameux théâtre, créé en 1947 et animé deux décennies durant par Jacques Canetti, qui a repris du service en 2009 après une longue parenthèse où, entre ses murs, l’érotisme s’était substitué à la chanson : une drôle d’histoire évoquée par Thierry Chazelle (voir Étoiles des neiges sur ce blog) dans sa chanson L’Érotika.

Trente places à gagner
Trente places sont d’ores et déjà réservées à l’accueil aux lecteurs et lectrices de Si ça vous chante, sur simple présentation d’un document d’identité. Si vous voulez en être (le spectacle commence à 20 h 30, avec Sam en première partie), une seule condition : être inscrit(e) à notre « newsletter » (ce que vous pouvez faire maintenant – si ce n’est déjà fait – sans que cette inscription ne vous cause d’autre « désagrément » que d’être averti(e) en priorité, et brièvement, de la mise en ligne de chaque nouvel article).

Mais attention : vu la proximité du concert, vous avez seulement jusqu’à jeudi soir 4 mars (minuit, dernier délai) pour vous signaler par un courriel (à cette adresse spécifique : sicavouschante.info@orange.fr), en indiquant vos nom et prénom et le nombre de places souhaitées (deux maximum). Par souci d’équité, nous procéderons ensuite à un tirage au sort et avertirons aussitôt en direct les gagnants. Ne tardez donc pas à réagir… et, si ça vous chante, de laisser en outre un « commentaire » en bas de cet article (par exemple sur cette initiative précise, à propos d’Yvan Cujious voire du blog en général, des rubriques que vous préférez et, le cas échéant, de ce que vous aimeriez y trouver ou voir développer).




Dernière précision : les trente « élus » seront placés côte à côte dans la salle (64 bd de Clichy, Paris 18e), de façon à leur permettre, si ça leur chante, de faire chorus entre eux ! Voilà une idée, qu’elle est bonne, aurait dit le cher Coluche ! Non ?

Et pour aller d’ores et déjà plus loin avec notre maître-chanteur, rendez-vous sur son site myspace. Ou sur scène, pour notre lectorat suisse, au festival Voix de Fête (dont la 12e édition s’achève le 14 mars), en show case à l’espace pro, le 12 à Genève. Au fait, si Tout le monde m’aime est sorti en licence chez Wagram, le label de production d’Yvan Cujious porte le joli nom de Passerelle... D’une passerelle (de l’hiver) l’autre.

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27 février 2010 6 27 /02 /février /2010 18:09

Les Passerelles de l’hiver – 2

Étrange exercice solitaire que le blog lorsque vous avez dirigé une rédaction trente ans durant (sans parler de vos vies antérieures à la chanson). On pourrait parler de grande solitude, confiné dans votre bureau, relié seulement au monde extérieur par le fil, la toile… si ce n’était le fait que le blog, celui-ci en tout cas, vous oblige à rester en contact avec le « terrain » (concerts, festivals, reportages…) et, surtout, surtout, que les « retours » sont impressionnants (cf. le nota bene ci-dessous). « Non, comme l’a écrit Georges Moustaki, je ne suis jamais seul avec ma solitude… » Ni avec ma solitude ni – encore moins ! – avec la production actuelle de chanson francophone, toujours aussi florissante.

 


En préalable à plusieurs sélections de nouveautés, voici donc, comme annoncé précédemment (voir État critique), de « gros morceaux » pour lancer cette série de passerelles de l’hiver : des coffrets indispensables dans « la discothèque de l’honnête homme » ou tout simplement de l’amateur averti de chanson. Trois coffrets « hors saison » comme dirait Francis Cabrel, à parcourir, à picorer ci et là au gré de ses envies et de ses humeurs, les chansons des artistes concernés échappant à toutes les modes, bien que profondément ancrées (ce sont des artistes au long cours…) dans l’air du temps.

 



FRANCESCA SOLLEVILLE
SollevilleHonneur aux dames. Surtout quand elles s’inscrivent, comme Francesca Solleville, dans la lignée des « grandes dames de la chanson française ». Fréhel, Damia, Piaf, Catherine Sauvage, Pia Colombo, Christine Sèvres, Cora Vaucaire… Une lignée immortelle et magnifique à laquelle Francesca ajoute son empreinte personnelle, aussi fraternelle et solidaire que son caractère est bien trempé, qui nous la rend d’autant plus attachante et nécessaire. Interprète certes, mais à mille lieux des interprétations fadasses, asexuées qui fleurissent aujourd’hui dans les « académies » télévisées. Et pourtant, Francesca elle aussi est passée par là, si elle n’y est pas née (elle fréquentait déjà les cabarets de longue date, ayant célébré en 2009 son jubilé : cinquante ans de métier), au temps où la « Fine Fleur de la chanson française » s’incarnait dans l’émission-concours éponyme du poète Luc Bérimont, auteur par exemple du fameux Madame à minuit, mis en musique et chanté par Léo Ferré.

 


C’était au temps des Baisers volés de François Truffaut, grand amateur de chanson s’il en fût, qui l’estimait spécialement : « Des interprètes honnêtes, il en existe, mais parmi les femmes très peu, et pourtant, quand une femme chante honnêtement, cela est plus beau que n’importe quoi, d’où mon admiration pour Francesca Solleville… On a déjà parlé de sa sincérité, je préfère louer sa franchise : pas de double sens, pas un sous-entendu, pas une rouerie dans sa voix, elle chante juste, fort, clair, naturel et direct. » Plus près de nous, Anne Sylvestre la définit ainsi :

 « Francesca, c’est la voix fraternelle qui m’accompagne depuis toujours – mon toujours de chanteuse ! –, celle qui faisait vibrer les murs des petits cabarets où nous nous croisions. Francesca, c’est la blondeur qui cache son jeu, avec sa voix brune qui va chercher le soleil, têtue, courageuse, pour nous l’offrir en se brûlant les doigts. Francesca, c’est chanter comme si c’était notre dernière chance. Et peut-être bien que c’est vrai ! »

 Ce « coffret » de cinq disques en forme de digipack cinq volets rassemble 99 chansons de 1959 à 1983 qui n’avaient jamais été rééditées ou étaient devenues introuvables en CD. Anthologie thématique, Venge la vie retrace parfaitement l’essentiel de son parcours, tel que le décrivait son biographe Marc Legras (dans A piena voce, cosigné par la chanteuse et préfacé par Jean Ferrat) : « Diagonale des heures grises d’une enfance sous l’Occupation à nos jours, le récit de Francesca Solleville est celui d’un voyage aux allures de combat : sa traversée du métier depuis ses débuts dans les cabarets de la légendaire “rive gauche”. Du vinyle des “super 45-tours” au numérique, Francesca Solleville a mis sa voix vibrante de passion et de soleil au service des poètes et d’auteurs eux-mêmes parfois chanteurs : Mac Orlan, Aragon, Max Jacob, Antonin Artaud, Ferré, Brel, Brassens, Ferrat, Fanon… ou Allain Leprest aujourd’hui. Son répertoire – plus d’une vingtaine d’albums – constitue un arbre à chansons si fourni qu’il faudrait un généalogiste pour en démêler les filiations alors que fleurissent régulièrement de nouvelles branches avec leurs brassées de refrains. »

   


On ne saurait mieux dire. Je me contenterai donc de préciser, n’étant pas généalogiste, qu’aux noms ci-dessus (Leprest excepté) se greffent encore dans ce florilège ceux de Seghers, Bruant, Pottier, Neruda, Louki, Genet, Nazim Hikmet (Le Chant des hommes !), Serizier, Hélène Martin, Bernard Dimey, Pierre Sélos, Tachan, Gougaud, Grosz, Thomas, Coulonges, Brua, Caillat, Lemarque, Rezvani… Et Bérimont, bien sûr. Devant un tel générique, on comprend parfaitement l’admiration que lui vouait Truffaut. « Je ne regarde pas passer l’histoire, explique Francesca. Je l’accompagne et ne suis pas un simple témoin. Mes auteurs m’ont bien comprise. Je suis un passeur d’émotion et d’espoir. » Tout est dit, enfin, par Guillevic : « Émouvante, entraînante. C’est du feu, cette femme. »

 Francesca Solleville : Venge la vie, 1959-1983 ; coffret 5 CD (1 : Les Belles Années cabaret ! ; 2 : Mexico 68 ; 3 : Live 1973, La Violence et l’Espoir, arrangements et direction musicale de Jean Musy ; 4 : Ensemble ! ; 5 : Les Années Chant du Monde) ; EPM, distr. Universal (ou site de l’artiste).


SARCLORET
sarcloVoilà quelqu’un qui ne plaira pas (qui ne plaît pas !) à la majorité des gens et, plus grave encore, n’a nulle intention de faire le moindre effort pour tenter de leur plaire. Rédhibitoire pour un chanteur dont le succès dépend souvent de sa capacité de séduction : Sarcloret n’en a cure, il a déclaré la guerre depuis longtemps au conformisme et à la bien-pensance dans tous leurs états. Dès son premier album en fait qu’il intitulait sans rire, en 1981, Les Plus Grands Succès de Sarcloret. Comme ça, la messe était dite : le temps d’exécuter tous ses « tubes » (près de trente titres en 2x30 cm !) et de (faire semblant de) vivre de leurs rentes, il pouvait s’attaquer à la suite de son répertoire. Onze nouveaux albums entre 1985 (Les Pulls de ma poule) et 2006 (À tombeau ouvert), auxquels on peut ajouter deux autres disques collectifs : Quinzaine du blanc chez les trois Suisses, en 2006, avec Simon Gerber et le Bel Hubert, et Les Trois Cloches (consacré aux chansons de Jean-Villard Gilles, le « père » de la chanson suisse romande), en 2008, avec Michel Bühler et Gaspard Claus. Car Sarcloret, bien sûr, est citoyen de la Confédération helvétique ; il est même, à en croire Renaud, « la plus belle invention suisse depuis le trou dans le gruyère »

De deux choses l’une : ou vous connaissez bien Sarcloret et inutile qu’on vous en fasse un fromage, ou vous n’avez jamais entendu parler de lui et vous ne perdez rien pour attendre. Né Michel de Senarclens, Sarcloret – qui se fera appeler Sarclo dès 1987 (Les Mots c’est beau) mais reviendra à son pseudo initial après l’élection d’un certain homme politique pour cause de quasi homophonie – est un homme de paroles. Il n’a pas la voix de Caruso, c’est le moins qu’on puisse dire (mais son pote Renaud non plus !), il ne cherche pas la mélodie à tout prix (mais ne crache pas après pour autant), pour la bête de scène on repassera (c’est guitare-voix le plus souvent, rivé à sa chaise), mais quel jongleur de mots ! Sarcloret est un bateleur de la chanson, un « chantiste », comme il se définit lui-même. Pourfendeur de l’ordre établi, de la connerie et des injustices en tout genre.

 


C’est souvent drôle, même si ça fait rire jaune, même quand ça parle de la mort. C’est percutant, caustique et grinçant. Et parfois terriblement réaliste : « Tuer pour Dieu ou pour Allah / Il y a longtemps que tout le monde fait ça / Zigouiller les instituteurs / D’Algérie, ça c’est novateur / Pour entraîner des kamikazes / Faut un certain sens de l’extase / Faire passer les enfants d’abord / Sur les mines, ça c’est très très fort / Et c’est même pas des baffes qui se perdent / C’est l’homme qu’est comme ça, qu’est de la merde / C’est pas des trucs à mettre au point / C’est l’homme qu’est comme ça, qu’est du brun… » La Suisse ne s’en sort pas mieux : « Comment faire un pays heureux / En étant si peu chaleureux / C’est bien joli un pays vert / Mais pas tant qu’un pays ouvert / Comment faire un pays honnête / En étant juste à moitié net / À toujours tout faire pour les riches / On est juste un pays qui triche. »

On multiplierait à l’envi ce genre d’exemples. Pensez : douze albums en vingt-cinq ans : « 134 chansons plus des brouillons, des raccommodages, du live et des baratins, ça fait 258 titres, 12 heures de route », écrit-il au verso de cette intégralissime intégrale où les commentaires qui accompagnent un florilège de textes (« une quarantaine, que je trouve pointus ») ne sont pas plus tendres. Notamment à propos des Suisses allemands : « [Ils] sont comme les charentaises : on est drôlement bien dedans même si on n’ose pas sortir avec. » Pourtant, Sarcloret est un vrai tendre, un faux méchant : tendre envers la fille qui passe (« Et c’est mon cœur qui casse »), le père qui trépasse (« Je pensais pas que j’aimais mon papa / Au point d’écrire une chanson tendre / Pour lui dire que ça peut attendre »)… Sa révolte elle-même découle directement de cette tendresse à fleur de mots et de peau, qu’il dissimule (mal) sous des dehors bourrus et son constat plutôt désabusé voire désespéré d’inhumanité.

Vous l’avez compris, Sarcloret ça n’est pas du tout-venant radiophonique, de la variété bien lisse et calibrée. Comme il a retenu la leçon de Caussimon (« Ne chantez pas la mort / Les gens du show-business vous prédiront le bide… ») mais qu’il ne court pas de son vivant après le succès (s’étant débarrassé de cette obsession, rappelez-vous, dès 1981), il a choisi une fois pour toutes d’écrire des chansons posthumes. D’ailleurs le sarco de Sarclo est avancé : c’est cette boîte noire où reposent tous ses disques, « de Jésus-Christ à nos jours », outre « quelques chansons inédites et tous les enregistrements qu’on avait regretté de ne pas avoir la place de vous offrir ». Textes et albums commentés par le chantiste suissidaire. « Et la boîte est assez épaisse, conclut-il, pour que mes prochains disques puissent s’y glisser aussi. Quand ce recueil sera plein à ras bord, vous pourrez appeler ça un cercueil. » Sarcloret ? L’essayer, c’est l’adopter !

• Sarcloret : Un enterrement de 1re classe. Intégralement vôtre et plus si affinité ; coffret de 12 CD + livret de 64 pages ; Côtes du Rhône Productions ; distr. France : L’Autre Distribution.


SERGE REGGIANI
Reggiani
Le « monsieur qui passe », « l’Italien » de la chanson française nous a quittés dans la nuit du 22 au 23 juillet 2004. Il avait arrêté la scène il y a exactement six ans, lors d’un dernier Olympia, lundi 23 février, avant un ultime concert, le 12 mars, à Toulouse. Quarante ans plus tôt, jusque-là comédien courtisé par les plus grands metteurs en scène, côtoyant les plus grands acteurs, il s’était lancé dans la chanson à l’instigation de Jacques Canetti, sans doute le plus grand « découvreur » de talents de l’histoire de la chanson francophone, avec un album consacré à Boris Vian. Bonne pioche, celui-ci lui vaut aussitôt le Grand Prix de l’Académie Charles-Cros. Après quelques premières incursions discrètes sur scène, c’est Barbara ensuite qui va le faire découvrir du public en le prenant en première partie de sa tournée et de son Bobino 1966. Son répertoire s’étoffe pour l’occasion de nouvelles chansons qui, regroupées dans son Album n° 2 (1967), vont obtenir un vrai succès populaire. Des titres signés Moustaki (Ma liberté, Ma solitude, Sarah…), Gougaud (Paris ma rose), Dabadie/Datin (Le Petit Garçon), Vidalin/Bessières (Les loups sont entrés dans Paris)...
 


Interprète vraiment exceptionnel, dans la voix et la gestuelle (formation d’acteur aidant), jouant de tous les registres de l’émotion comme personne depuis la préretraite scénique de son ami Montand, Serge Reggiani continuera d’enregistrer des albums jusqu’à la fin 2000 (Enfants, soyez meilleurs que nous), travaillant surtout avec Claude Lemesle, déjà auteur du fameux Souffleur (1975) ou du Barbier de Belleville et de Venise n’est pas en Italie (1977). Mais cette carrière de chanteur aura connu un avant et un après. Avant et après le suicide en juillet 1980 de son fils Stéphan, chanteur (ACI) lui-même, avec lequel Serge donnera à la charnière des années 74-75 un corécital d’un mois à Bobino. Un spectacle merveilleux (j’en témoigne personnellement), qui touchait en plein cœur le spectateur, malgré ce qu’en écrivit alors, de façon extrêmement dure et parfaitement injuste, une certaine critique parisienne prenant un plaisir malsain à « se payer » le rejeton. Les temps n’étaient pas encore mûrs pour les « fils de » : aujourd’hui les Chedid, Dutronc, Higelin, Souchon, etc., de la seconde génération, n’auront pas eu à souffrir du même dédain.

Indépendamment de la qualité des chansons (car il y en aura de fort belles encore par la suite, comme il y aura un nouveau Bobino avec Stéphan et une tournée commune durant l’automne et l’hiver 77-78), cette carrière d’interprète hors pair se ressentira cruellement de la disparition de son fils, âgé seulement de 34 ans. Heureux sont ceux qui ont connu sur scène le « vrai » Reggiani, avant cet Olympia fatidique de mai 1981 où le public, quasiment debout du début à la fin, applaudissait autant l’homme à la dérive, sinon plus, que l’artiste à la prestation rendue pathétique par l’alcool et le chagrin. Il faut dire que Reggiani avait atteint auparavant des sommets rarement égalés sur scène. Génial dans Les loups sont entrés dans Paris ; irrésistible dans Arthur où t’as mis le corps ou La Java des bombes atomiques ; bouleversant dans Madame Nostalgie, La Vieille, Votre fille a vingt ans, Et puis, La Putain, Hôtel des voyageurs, Le Petit Garçon, la toute première chanson de Dabadie (« Un matin, dira celui-ci, le téléphone sonne : “Bonjour, c'est Serge Reggiani. J’ai lu une de vos pièces... Barbara me pousse à faire un tour de chant, je commence dans dix jours et j’ai besoin de titres… Vous ne voulez pas essayer ?” »)…


C’est ce répertoire que l’on retrouve ici, exclusivement en public, dans le disque ouvrant ce coffret à la mesure du personnage : un CD de 28 titres enregistrés en public de 1969 à 1976 (plus trois bonus en hommage à Romy Schneider, grande amie de Serge), et 3 DVD proposant plus de sept heures d’images inédites. C’est la cerise sur le gâteau : non seulement tous ces documents audio et vidéo sont formidables, mais ils sont totalement inédits ! Tant les versions du CD (dont La Java des bombes atomiques et Le Déjeuner de soleil chantés en duo avec Stéphan) que celles des 49 chansons du premier DVD où, entre autres prestations à la télévision (L’Homme fossile, Ballade pour un traître, L’Italien, La Maumariée, Gabrielle, Ma fille, Le Déserteur, La Chanson de Paul…), figure le récital intégral de Bobino 1969 (un « must » !), précédé et conclu par l’artiste, en interview, dans sa loge.

Le DVD 2 rassemble 13 reportages de 1957 à 1969 (théâtre, poésie, cinéma – dont un superbe clip de Serge avec Romy Schneider réalisé à partir des rushes restés inédits du film L’Enfer d’Henri-Georges Clouzot), en passant par le tournant de sa carrière en 1964 (où l’on  découvre le chanteur en répétitions, avec Denise Glaser, Anne Sylvestre…). Le DVD 3, enfin, retrace son parcours, « de l’acteur maudit à son apogée dans la chanson » : Serge y parle de son enfance, de Barbara, de Canetti, raconte l’histoire des Loups sont entrés dans Paris, évoque les thèmes de ses chansons, la notion d’engagement (avec un coup de gueule bien senti contre les politiciens), le temps qui passe… L’ensemble s’achève par un court métrage-fiction réalisé en 1998, Plus fort que tout, autour de lui et de sa dernière épouse, Noëlle Adam. Plus fort que tout, c’est d’ailleurs le qualificatif qui s’impose pour ce coffret, dans le fond et dans le forme (digipack 5 volets format DVD), avec une qualité de son et d’images quasi parfaite : le complément indispensable de l’intégrale CD. Définitivement.

• Serge Reggiani : Ses chansons, côté scène, côté cœur, 1 CD live, 77’03, 3 DVD + 1 livret photos de 14 pages, 1957 à 1985 ; 49 chansons dont Bobino 1969, 7 heures ; Productions Jacques Canetti  ; distr. Because-Warner.



NB. Un mot de cuisine interne : dans mon article précédent, je soulignais la formidable et inoxydable complicité qui nous unit depuis longtemps (voire, pour nombre d’entre nous, depuis trente ans… comme l’écrit par exemple l’expéditeur du premier commentaire reçu à la suite d’État critique). Je ne croyais pas si bien dire, car le jour même de sa mise en ligne – trois mois après la création effective de ce blog (le 17 novembre 2009) –, vous avez explosé tous les chiffres de fréquentation : « journée record » (le 24 février donc), de « visiteurs » et de « pages vues » à la fois… et « mois record » alors même que celui-ci n’était pas encore achevé. Merci à tous et toutes, car cela vient justifier nos efforts. Mais ce n’est qu’un début, j’en suis sûr, continuons-le-combat… et, n’oubliez pas : Si ça vous chante est ouvert aussi aux contributions extérieures (des artistes en priorité, mais sans exclusive) d’intérêt général pour la chanson de l’espace francophone (voir rubrique « Chant libre »).

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