La chanson à domicile
Dans notre série des festivals « pas comme les autres », cette fois pas de compte rendu mais un « avant-papier » comme on dit dans notre jargon du métier. Pour informer les milliers de lecteurs de Si ça vous chante (les milliers, oui, car vous êtes déjà plus de dix mille à fréquenter ce blog, grâce au seul bouche à oreille : merci !) de la tenue, en février-mars dans les Pays de la Loire, de la quinzième édition d’un festival qui s’est affranchi de toutes les règles de consommation massive et passive en se donnant une dimension de convivialité d’autant plus authentique qu’elle s’inscrit naturellement dans sa formule : de la chanson à domicile.
Au programme (vous avez jusqu’au 29 mars pour aller y faire un tour, physique ou virtuel : quatre-vingts spectacles donnés, dans trois ou quatre lieux différents par jour, par une trentaine d’artistes et de groupes de toutes générations, de tous genres musicaux… et de tous pays de l’espace francophone. De France, de Belgique, de Suisse ou du Québec, ce sont les affranchis de Chant’Appart : une fois qu’on a goûté au plaisir (et à la difficulté) de chanter dans ces conditions, impossible en effet de ne pas reconsidérer – pour le meilleur – la façon de pratiquer votre art.
La preuve ? La plupart des nouveaux talents de la scène francophone sont passés par cette école d’humilité et d’apprentissage à la fois (Aldebert, Thomas Pitiot, Agnès Bihl, Benoît Dorémus, Jeanne Cherhal, Damien Robitaille, Saule, Fabiola Toupin, Dikès, Les Blaireaux, Thierry Romanens, Thérèse, Bertrand Belin, Pierre Lapointe…) : difficile de se retrancher derrière des prétextes professionnels pour excuser une prestation bancale ou de parvenir à masquer ses faiblesses quand vous chantez quasiment les yeux dans les yeux de votre public. Mais se produire à hauteur d’homme, cela peut également devenir un besoin ; raison pour laquelle des Leprest, Jehan, Laffaille, Romain Didier, Bïa, Favreau, Pierron, Joyet, Sarcloret, Francesca Solleville, Gérard Morel, Rémo Gary, Chloé Sainte-Marie, Jofroi, Cujious, Baguian, Bühler, Paule-Andrée Cassidy, Lacouture, Pascal Rinaldi et bien d’autres du même acabit acceptent de venir et même de revenir à Chant’Appart.
« Chanter autrement » : j’ai utilisé à dessein cette expression à propos du Festival de la chanson française de Risoul (cf. « Etoiles des neiges »), car le métier de la chanson se diversifie de plus en plus, face à la faillite des modèles imposés du star-système et du show-business, à la crise du disque ou en réaction aux émissions miroir aux alouettes d’une prétendue télé-réalité dont les promesses… surréalistes n’engagent que ceux et celles qui veulent bien les croire. Le métier se diversifie… ou revient à ses fondamentaux en trouvant des débouchés de proximité.
C’est, en l’occurrence, ce qui constitue la spécificité de Chant’Appart dont les initiateurs, en 1995 (Bernard et Dany Kéryhuel en tête, fondateurs historiques de l’association Chants Sons, qui ont passé la main cette année à Christian Gervais et à son équipe de bénévoles passionnés), ont eu le souci et l’intelligence « d’amener la chanson là où se trouve le spectateur et non l’inverse ». Autrement dit « en appart’ », chez des particuliers pour la plupart mais aussi dans des petits lieux, en milieu rural ou quartiers périphériques. Au fil des années et des éditions, les « accueillants », comme on nomme ceux qui ouvrent leur maison – qui leur salon, qui leur salle à manger, qui leur grange – aux artistes et au public (amis, parents et voisins pour l’essentiel), ont été de plus en plus nombreux à manifester leur désir de participer à la fête.
Les demandes d’artistes (sélectionnés par un comité d’écoute) se multipliant également, le festival qui au départ rayonnait seulement en Vendée, autour de La Roche-sur-Yon, s’est progressivement implanté dans l’ensemble de la région des Pays de la Loire. En 2010, du 6 février au 29 mars, ce sont ainsi quatre, six voire huit concerts qui ont lieu chaque jour dans cinq départements de la région (17, 44, 49, 53 et 85), dessinant une véritable toile d’araignée musicale (Vairé, Saint-Nazaire, Clisson, Saligny, La Rochelle, Pornichet, Haute Goulaine, Nantes, Carquefou, Saint-Michel en l’Herm, La Guérinière, Aubigny, La Roche-sur-Yon, Les Sables d’Olonne, Loiré, Saint-Jean de Mauvrais, Luçon, Cosse-le-Vivien, etc.). Un co-plateau est systématiquement à l’affiche chez l’habitant qui, non content d’accueillir tout le monde chez lui (et d’y héberger les artistes), se charge également de proposer un buffet autour duquel spectateurs, chanteurs et musiciens font connaissance et discutent chanson de la plus agréable des manières – la régie technique, elle, étant assurée par les responsables du festival.
Pour cette quinzième édition, les affranchis de Chant’Appart se nomment Hervé Akrich, Samuel B., Balmino, Christophe Belloeil, Alain Brisemontier, Cabadzi, Céline Caussimon, Eric et les Berniques, Evelyne Gallet, Manu Galure, Gurval, Karpatt, Sophie Kay, Le Magot de Mémé, Les Hommes Beiges, Les Mauvaises Langues, Les Pieds d’dents, Liz (la sœur cadette de Jeanne Cherhal), Paul Meslet, Benoît Paradis, Jean-Michel Piton, Presque Oui, Fred Radix, Pascal Rinaldi, Sylvain Sanglier, Caroline Thomas, Béa Tristan, YMH… ainsi qu’Alcaz’ et Barcella (vus en janvier à Risoul). Pour le plaisir de la découverte et plus si ça vous chante, vous trouverez ici chansons et vidéos de certains d’entre eux… Sachant que rien remplace et ne remplacera jamais le contact direct entre l’artiste et son public, entre la scène et la salle… surtout si ça se passe à la maison ! Faites-en l’expérience (tous les contacts figurent sur le site du festival car il est indispensable de réserver), vous serez conquis… à l’instar des organisateurs belges, suisses et québécois qui adoptent à leur tour (et en partenariat avec lui) la formule de Chant’Appart.
C'est « un pari qui repose sur ce qu’il y a de meilleur dans l’humain, écrivait Michel Trihoreau dans Chorus n° 60 : la convivialité, la citoyenneté, le dynamisme, la solidarité, la curiosité et la sensibilité. Autant de qualités que d’aucuns croient en voie de disparition et qui ne demandent qu’à s’épanouir lorsque les circonstances le permettent. Tout ce qui fait le lien social, de plus en plus ténu aujourd’hui, ce que les politiques ne savent plus maintenir et que la communication d’entreprise détruit peu à peu ». Quinze ans après la création de Chant’Appart, on peut dire que le pari a été tenu.
NB. Merci à Alexis HK pour son clip des Affranchis… où l’on retrouve non seulement de grands représentants de la chanson francophone (y compris le « parrain » Charles Aznavourian !) mais aussi, au passage, pas mal de jeunes talents qui ont fait leurs premières armes à Chant’Appart…