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  • : SI ÇA VOUS CHANTE (le blog de Fred Hidalgo)
  • : Parce que c’est un art populaire entre tous, qui touche à la vie de chacun et appartient à la mémoire collective, la chanson constitue le meilleur reflet de l’air du temps : via son histoire (qui « est la même que la nôtre », chantait Charles Trenet) et son actualité, ce blog destiné surtout à illustrer et promouvoir la chanson de l’espace francophone ne se fixera donc aucune limite…
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  • Fred Hidalgo
  • Journaliste depuis 1971, créateur de plusieurs journaux dont le mensuel « Paroles et Musique » (1980-1990) et la revue « Chorus » (1992-2009). Editeur depuis 1984 et créateur en 2003 du « Département chanson » chez Fayard.
  • Journaliste depuis 1971, créateur de plusieurs journaux dont le mensuel « Paroles et Musique » (1980-1990) et la revue « Chorus » (1992-2009). Editeur depuis 1984 et créateur en 2003 du « Département chanson » chez Fayard.

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15 mai 2013 3 15 /05 /mai /2013 16:48

« Ma vie n’a pas commencé »

 

Un peu, beaucoup, passionnément, à la folie… Lisez et rayez les mentions inutiles en fonction de votre ressenti et de vos propres souvenirs. Pour ma part, j’attendais tellement ce livre, et depuis si longtemps (il n’existait à ce jour sur Leny Escudero qu’un Poésie et Chansons de Seghers remontant à 1973), que j’ai pris un plaisir fou à le lire – que dis-je, à le lire, à le dévorer ! Et je ne prendrais pas grand risque à parier que ce sentiment sera largement partagé, tant l’artiste a laissé une marque indélébile dans l’esprit de ceux, et ils sont innombrables, qui ont eu la chance insigne de le voir en scène à sa grande époque – une performance à chaque fois de l’ordre des prestations de Jacques Brel… Quant à l’homme, j’en porte témoignage comme un de plus entre les gens qui l’ont connu et côtoyé de près : il s’est toujours montré en totale adéquation avec l’humanisme de son œuvre, de tendresse et de révolte mêlées. Quitte à le priver, mais c’était bien le dernier de ses soucis, d’une réussite professionnelle et d’une aisance financière pour lesquelles d’autres que lui – pauvres diables… – se seraient damnés.

 

scene-Temple.jpg

 

Il n’a pas connu le succès comme Brel, Brassens ou Ferré dans les années 50. Il est arrivé en pleine vague yéyé et a eu le mérite de s’imposer à contre-courant. C’était en 1962 avec Pour une amourette et Ballade à Sylvie. Un million d’exemplaires vendus. Quelques albums et belles créations plus loin (À Malypense, L’Arbre de vie, Tant pis pour Verdun, Je t’attends à Charonne…), il rompt avec le showbiz et se lance dans un tour du monde (à partir du Dahomey où il laisse une école qu’il a bâtie de ses propres mains) pour réaliser ses rêves d’enfant. À son retour, le Métier l’a « oublié ». Et les médias avec, surtout les médias qui, en règle générale, ne lui pardonneront jamais sa « désertion » et jamais plus ne le mettront en avant. Leny n’en a cure : à son retour, il entame une seconde carrière avec des chansons à l’inspiration renouvelée. Escudero 71, son sixième album, lui vaut le grand prix de l’académie Charles-Cros et la reconnaissance d’un nouveau public (Théâtre de la Gaîté-Montparnasse pour marquer sa sortie) qui ne le lâchera plus. Ce sont Le Temps de la communale, Pauvre Diogène, Dieu réponds-moi, Le Vieux Jonathan, Van Gogh

 

 

Suivra au fil des ans une litanie de grandes chansons (Vivre pour des idées, Pauvre Diable, L’An 3000, Si j’en ai vu, Mon voisin est mort, Le Voyage, Le Bohémien, Les Bons Apôtres, La Moitié de ton âme, Sacco et l’autre, Grand-père, Le Manège ébloui, Le Siècle des réfugiés, Je veux toujours rester petite…), dont certaines totalement hors normes (Le Cancre, La Planète des fous, Fils d’assassin, La Grande Farce…), qu’un public averti, extrêmement nombreux et fidèle, ivre d’authenticité, apprécie sans partage (mais sans que radios et télés, à quelques exceptions près, s’en fassent l’écho). C’est la grande période scénique du chanteur : il tourne sans cesse, remplit toutes les salles (y compris Bobino et l’Olympia à leur grande époque et à plusieurs reprises), déplace des foules immenses en plein air, triomphe (comme partout) au premier Printemps de Bourges, à la Fête de l’Huma… En 1985, il reste douze semaines, à guichets fermés, à l’affiche du Théâtre de Paris. En 1990, il est l’invité d’honneur du festival Alors… Chante ! de Montauban, deux ans avant son ami Léo Ferré. En 1996, il passe aux Francofolies de La Rochelle et revient deux mois à Bobino… 

  

 

Ce ne sont là que des repères ponctuels. Il y aurait tellement à dire et à écrire sur Leny… D’ailleurs, ce livre de souvenirs qui débute à l’âge adulte (« J’ai dix-neuf ans et quelques mois et débarque à Paris… »), au moment de sa « première embauche » (titre du premier chapitre), et s’achève en 2011, après cinq semaines à Paris, au Théâtre du Temple, en 2006, un passage mémorable au Festival d’Avignon 2008 et la fameuse tournée Âge tendre et tête de bois (du nom de l’émission télé des années 60 d’Albert Raisner, consacrée principalement aux yéyés, où Leny fut d’ailleurs invité), ne représente même pas la partie émergée de l’iceberg de sa vie professionnelle. Rien qu’un pan de celle-ci. Mais c’est par choix assumé : « Je dirai ce que je veux. Pas tout. Jamais tout. Mais ce que je dirai, ce sera ce que j’ai vu là où j’avais posé mon cul », prévient-il en préambule. Leny n’engage que lui-même, jamais il ne fait de procès d’intention à autrui. Il ne parle que de ce qu’il a vécu et le concerne personnellement. Ce qui ne l’empêche pas, sinon de « balancer » de façon gratuite (mais qui peut rapporter gros) comme l’a fait récemment un Johnny Hallyday, du moins de déplorer certains comportements de collègues à son égard. De Charles Aznavour et de Jacques Brel en particulier…

Pas d’amertume pour autant chez lui, en aucune façon (« C’est vrai que j’ai perdu tout ressentiment depuis très longtemps, assure-t-il. Il n’y a jamais de “relents souvenirs” » dans ces mémoires), aucun désir de revanche non plus. Simplement le souci de la vérité quand l’autre est quelqu’un qu’il estime et admire. À propos du Grand Jacques (« génial et hostile »), qui se montra pour le moins léger vis-à-vis de lui, Leny s’interrogeait encore à l’heure d’écrire son livre : « Jacques Brel m’a haï tout de suite. Longtemps. Je n’ai jamais su pourquoi. »  

 scene-olympia 

Quelques lignes plus haut, il rappelle pourtant l’admiration qu’il lui vouait, en narrant sa découverte de l’homme de scène lors d’une tournée Canetti où, un mois durant, tous deux furent à la même affiche ; Brel en vedette, Escudero, alors débutant, en première partie : « Après l’entracte, je vais écouter Jacques Brel. J’en prends plein la gueule. […] Jacques Brel est parmi les plus grands comédiens que je connaisse, dans le sens noble du terme. Je le vois durant ce mois, jour après jour, répéter avec ses musiciens, répéter, répéter… les connivences, les gestes, les attitudes, les tics, les grimaces. Soir après soir, tapi au fond de la salle, je vois naître devant moi La Divine Comédie ! […] Autant pour Yves Montand le travail sent la sueur et la besogne, autant pour Brel il relève du génie. Toutes ses répétitions sont une première fois. Je suis admiratif au-delà de la raison. » Sentiment qui n’empêche pas le jeune Escudero d’avancer à son pas : « …Mais je reste convaincu que chez les grands comédiens doivent survivre quelques relents de bohémien… Et ces relents, je les porte en moi. »

La haine ? Comme le titre d’une chanson de Brel, justement. Oui, elle était là. Non, Leny n’a jamais su pourquoi. Mais curieusement, suite à mon reportage sur Jacques Brel aux Marquises, je crois bien en avoir trouvé l’explication. Je m’en suis ouvert au dernier des deux qui reste… et Leny, surpris ô combien et d’abord incrédule, a reconnu la parfaite crédibilité de celle-ci. Seulement, le livre était déjà chez l’imprimeur. Y aura-t-il des réimpressions avec, dans le chapitre concerné (« Ma grève chez Philips »), une version remaniée ? Pour ma part, c’est sûr, j’en reparlerai lors de prochains écrits sur le Grand Jacques...

 

 

 

Brel donc et Aznavour pour une triste histoire de droits d’auteur… Mais Leny se souvient aussi des autres grands du « music-hall » ou du cinéma (où il aurait pu faire carrière) qu’il a fréquentés et parfois connus de près. Édith Piaf, Georges Brassens, Félix Leclerc qui devint son parrain dans le métier (le soir même de son premier passage aux Trois Baudets – accompagné par Jean Yanne au piano – et juste après, en fin de programme, à Bobino !), Juliette Gréco, Boris Vian, Léo Ferré, Raymond Devos, Arletty, Maurice Fanon, Pia Colombo, Fernand Raynaud, Jean Gabin, Michel Simon, Jean-Pierre Melville, Yves Boisset… Tiens, dommage que Leny n’ait pas parlé de ses projets avec Frédéric Dard ; sachez que les deux hommes (je le tiens, séparément, des deux) avaient commencé à travailler ensemble à une comédie musicale…

 

avec-leo.jpg

 

Formellement, cet ouvrage – dont j’ai vu, manuscrits, de la fine écriture de Leny, en pattes de mouche, certains chapitres deux ans et demi avant la sortie du livre le 28 mars dernier – se compose de trois parties : Né pour ça ? sur l’avant-chanteur, le temps des boulots manuels (terrassier, « poseur, mateur et fondeur » de tuyaux, ouvrier du bâtiment, carreleur…) ; Quelqu’un qui chante ? puis Inventer le ciel bleu ? Notez les points d’interrogation, Leny – qui écrivait pourtant depuis son enfance et a impressionné les pros les plus expérimentés, Canetti, Barclay, Coquatrix, etc., par son charisme à la ville comme à la scène – ayant toujours manqué de confiance en lui ; c’est d’ailleurs l’une des surprises révélées par cet ouvrage. Trois parties donc et… cent vingt-six chapitres !

Plutôt que de se lancer dans l’habituelle narration autobiographique (en fait et dans bon nombre de cas un travail de « nègre » qui a « accouché » la vedette au magnétophone), Escudero a privilégié la diversité, l’intensité et donc la brièveté des sujets. Comme on construit des chansons. Et ça marche ! Et même du feu de Dieu, car l’auteur s’exprime ici comme l’homme l’a toujours fait, avec son argot de Belleville, proche de la langue d’Alphonse Boudard ou d’Auguste Le Breton qu’il a bien connus. couvAucune prétention là-dedans, rien que la vérité du bonhomme, le reflet de la réalité vécue.

Au final, à l’intérêt intrinsèque du témoignage s’ajoute le plaisir de la lecture grâce à plein de petits bonheurs d’écriture, à tel point que l’éditeur a jugé bon d’ajouter en appendice « Les Mots de Leny Escudero – mots d’argot ou autres » à l’usage sans doute des jeunes générations. Plus le temps passe et plus la langue de Molière (et de Rabelais, et de Céline, et de Brassens… et d’Etiemble, le pourfendeur du franglais) semble devoir s’effacer au profit d’un mode de communication réduit à sa plus simple expression (140 signes au max !), sans saveur ni nuances. Quand elle n’est pas phagocytée insidieusement mais sûrement par l’anglais. Entendu ce matin sur une radio du service public à propos d’une émission télé d’antiréalité une candidate visiblement aux anges : « Super, ce show, en prime time et en live ! » No comment. Leny, lui, parle d’affranchis et de condés, de retapissage et de michtons, de tricards et de branques, de chtarbés et d’effeuilleuses, d’ardoises et de casseroles, il se rappelle ses coups de torchon et le temps où il allait au chagrin… Choisis ton camp, camarade ! Comment voulez-vous, ma pauv’ dame, comment voulez-vous, mon bon monsieur, après tout ce que l’on entend « au jour d’aujourd’hui », ne pas l’avoir à la caille ?!

Avec les mots de Leny, ce livre, baignant dans la pudeur et la tendresse (« Depuis plus de vingt ans, je vis avec Céleste, ma compagne, précise-t-il à la coda, en guise de point final. Elle n’aimerait pas que je dévoile nos secrets, nos mystères. J’ai le mal de l’Afrique et j’entends les oiseaux. »), ne fait cependant jamais l’impasse sur les faiblesses et les malheurs, les erreurs et les horreurs. Il évoque la guerre d’Espagne (né le 5 novembre 1932, Leny a fui le franquisme avec ses parents lors de la Retirada vers la France où, en mars 1939, son « p’tit père » fut aussitôt interné au camp de concentration d’Argelès… comme le mien au même moment) et la Seconde Guerre mondiale, il parle du massacre des Algériens jetés à la Seine en octobre 1961 (« Une nouvelle Saint-Barthélemy »), du drame du métro de Charonne orchestré le 8 février 1962 par le préfet Maurice Papon, « l’organisateur de la rafle du Vel’ d’Hiv’ », de l’OAS et des truands, de Mai 68 et de la parole retrouvée… Tout cela écrit à la première personne bien sûr, mais surtout au présent de l’indicatif ! Superbe parti pris. Si bien qu’on s’y croit, à tout moment : on est là, auprès de lui, on l’accompagne dans ses galères et ses amours, en studio d’enregistrement, en tournée, comme au Dahomey… ou à Djibouti. Oui, on s’y croit… ou l’on s’y revoit !  

 

 

On est alors en mars 1979, dans l’ex-Territoire des Afars et des Issas, indépendant depuis moins de deux ans. Brel est mort le 9 octobre précédent ; à l’Olympia, ce jour-là, la vedette s’appelait Escudero... Avec ma chère et tendre, nous avons joué les intermédiaires entre Leny et le directeur du centre culturel français Arthur Rimbaud. avec-Fred.jpgJ’ai persuadé le premier, dont j’ai fait la connaissance en 1977 à l’occasion d’un passage au TBB, le Théâtre de Boulogne-Billancourt, et qui m’a invité chez lui, histoire d’approfondir notre mémoire commune, de venir chanter à Djibouti où je travaille à la refonte de la presse nationale ; et j’ai convaincu le second, grand amateur de chanson, d’organiser sa venue. Leny consacre le dernier chapitre de la deuxième partie de son livre, « “L’honorable correspondant” et le vice-amiral », à ce séjour dans la Corne de l’Afrique. Un séjour suffisamment marquant pour en conserver – trente-quatre ans plus tard – un souvenir assez fidèle, dans l’esprit, mais pas trop précis dans le détail. Pourtant, l’histoire vaudrait d’être contée dans le détail, justement, tellement elle fleure bon l’humanité face à la bestialité.

Il y faudrait quelques dizaines de pages, tant elle fut riche en événements. Il est vrai que les protagonistes principaux en furent le vice-amiral commandant de la flotte française dans l’océan Indien et le chef local du SDECE, avec-Halile Service de renseignement français, qui (par vengeance mesquine, suite, disons, à une fin tonitruante « de non-recevoir » de ma part – c’était la grande époque de la Françafrique…) fit en sorte de nous interdire l’entrée à un spectacle de Leny. Un concert supplémentaire (conclu par le centre culturel pour aider au financement de sa venue) présenté par le Rotary-Club devant le Tout-Djibouti. L’artiste, que nous ne voulions évidemment pas perturber avant sa prestation, n’en fut informé qu’à l’issue de celle-ci. S’étonnant de notre absence, il nous fit appeler par le président du Rotary, puis, devant le barbouze du SDECE, il demanda qu’on nous fasse des excuses publiques et qu’on ajoute deux couverts au grand dîner prévu en son honneur, sous peine que… « Ce sont mes amis qui décideront. S’ils décident de rester à dîner, à mes côtés, je reste. S’ils décident de partir, je pars. »

 

Djibouti-Goubet.jpg

 

Que croyez-vous que l’on fît ? Face à notre refus, Leny – incroyable et fraternel Leny ! – tourna les talons sans hésiter devant toute la salle médusée ! Vivre pour des idées... Nous regagnâmes ensemble notre logement où le dîner fut sans doute moins gastronomique et protocolaire mais tellement plus intime et authentique. Quels fous rires aussi en évoquant la tête de ces notables, grands patrons français et officiels djiboutiens, ainsi plantés par la vedette pour laquelle ils avaient mis les petits plats dans les grands ! Comme dans Le Vieux Jonathan, on en rigole encore.

 

  

 

Quant au concert de Leny, le vrai, celui qu’il donna au Théâtre des Salines, un beau et grand lieu de plein air, en gradins, géré par le Centre culturel (avec entrée libre aux Djiboutiens), il fut exceptionnel. On le sait, jamais Leny ne s’est ménagé sur scène, suscitant toujours une rare intensité émotionnelle (aucune vidéo, hélas, n’est vraiment capable d’en témoigner), mais ce soir-là, sous la lune et dans une chaleur volcanique (et fusionnelle), il s’évertua à donner encore plus. Et lorsque intervint sa tirade sur l’Afrique en prison, dans Sacco et l’autre, le public en noir et blanc, qui découvrait la chanson, lui fit une ovation aussi longue que spontanée. Le lendemain, pour Le Réveil de Djibouti, l’hebdo national, j’écrivis que ce concert rappelait les meilleurs de Brel… PM2.jpgLeny en fut touché qui commença alors à me confier son admiration sans bornes pour le Grand Jacques… et l’hostilité incompréhensible que celui-ci avait montrée à son égard.

Un an et demi après, il était en couverture du n° 2 de Paroles et Musique (mensuel « de la chanson vivante » dont il fut le tout premier artiste à être informé du projet, comme il s’en souvient dans son livre), pour lequel j’avais eu la chance d’assister à l’enregistrement de son album Grand-père arrangé par l’excellent Jean Musy. Mais il est temps de conclure ce sujet ! Je vous avais prévenu. Il y aurait tant à dire et à écrire encore sur ce grand monsieur de la chanson française qui, hélas, à l’instar d’un Georges Moustaki, handicapé par des difficultés respiratoires, ne remontera plus sur scène. Il nous reste ses albums (sa discographie CD disponible figure en annexes du livre) et un DVD (un seul !) de sa tournée 1991 (dont cinq semaines au TLP-Dejazet). Leny Escudero a fêté ses quatre-vingts ans l’automne dernier, mais comme à l’entendre et à le lire, sa vie « n’a pas commencé », on attend maintenant le récit de sa petite enfance au pays Basque espagnol jusqu’à la fin de son adolescence à Mayenne, pardon… à Malypense. « À Malypense, un jour / Si revient mon amour / Je lui dirai tout bas / Rappelle-toi / Rappelle-toi, le temps / Le temps de nos quinze ans… » Salut et merci pour tout, Leny !  

 

 

• LENY ESCUDERO : Ma vie n’a pas commencé, Le Cherche Midi, collection Documents, 432 pages (site de l’éditeur ; page facebook de l’artiste : Leny Escudero l’officiel).

 

 

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1 avril 2013 1 01 /04 /avril /2013 10:15
Éphémère éternité
  
C’est un florilège de l’œuvre de Georges Moustaki, la fine fleur de son répertoire : un bouquet de chansons, des plus évidentes aux plus discrètes (96 textes exactement sur quelque trois cents), choisies et présentées par Marc Legras, expert connu et reconnu en « moustakiologie ». Des chansons qui jalonnent nos souvenirs, nos intimes cheminements, précise-t-il avant d’inviter à l’embarquement pour Cythère : « Pour peu que l’on soit disposé livre-copie-1.jpgà se laisser surprendre une nouvelle fois en les lisant, elles apparaissent comme si les années avaient glissé autour d’elles sans toucher à leur fraîcheur, à leur éclat. »
 
     
Proche de Moustaki, qu’il aura fréquenté tant amicalement que professionnellement depuis les années 1970, Marc Legras a vécu deux existences journalistiques en parallèle : l’une de « responsable d’édition » des journaux télévisés de France Télévisions et l’autre de spécialiste de la chanson ; à la radio d’abord, avec ses propres émissions sur France Musique et France Culture (seul ou en duo avec Jacques Erwan) dans les années 70 à 90, puis dans la presse à travers Paroles et Musique et Chorus, dont il fut un membre éminent (et fidèle de bout en bout, trois décennies durant) des comités de rédaction.

Avec-marc.jpg 
C’est lui qui écrivit, par exemple, le dossier spécial Moustaki, extrêmement pointu et complet, de Chorus (n° 15, printemps 1996). Plusieurs dizaines de pages de biographie et d’entretien où l’on croisait ce « citoyen de la langue française » aux côtés de Barbara, Georges Brassens (c’est par admiration pour lui que Joseph Moustaki – Yussef Mustacchi à l’état civil – se fera appeler Georges en empruntant les pistes chansonnières…), Léo Ferré, Paco Ibañez, Maxime Le Forestier, Serge Reggiani, Mikis Theodorakis… Édith Piaf, bien sûr, à qui l’auteur-compositeur offrit le fringant Milord, en 1958, avant que l’interprète ne connaisse lui-même la gloire avec Le Métèque (1969).
 

Après ce dossier de référence et deux livres écrits en collaboration avec l’artiste (Un chat d’Alexandrie en 2002, Chaque instant est toute une vie en 2005), Marc Legras propose donc ce recueil de textes, comme un arrêt sur image : un « moment de grâce et de beauté / Une rencontre où chaque instant / Dure jusqu’à la fin des temps / Une éphémère éternité » (2003). Une anthologie présentée non pas dans l’ordre chronologique mais sous forme de trois grandes thématiques : « Le Temps d’aimer » (et de vivre), « Le Temps d’un regard » (sur l’autre et le monde), « Le Temps de la mémoire ».
 

Une géographie du cœur, de la musique et du souvenir, en somme : l’Égypte des premiers jours (« Dans ma mémoire encore émue / Les parfums, les odeurs, les cris / De la cité d’Alexandrie / Le soleil qui brûlait les rues / Où mon enfance a disparu… »), le Brésil adopté (« C’est la saison des pluies, c’est la fonte des glaces / Ce sont les eaux de mars, la promesse de vie… »), la Méditerranée revendiquée (« Dans ce bassin où jouent / Des enfants aux yeux noirs / Il y a trois continents / Et des siècles d’histoire… ») ; enfin, son Île-de-France, l’île Saint-Louis (« Adieu Tahiti, Fort-de-France / Adieu Doudou et Vahiné / Qu’elle est douce, ma douce France / Depuis que je l’ai rencontrée / Mon Île-de-France… ») et sa Dame brune (« Pour une longue dame brune / J’ai inventé / Une chanson au clair de la lune / Quelques couplets / Si jamais elle l’entend un jour / Elle saura / Que c’est une chanson d’amour / Pour elle et moi… »). « Mes chansons, confirme l’auteur à son accoucheur (dans un long entretien de dix pages réalisé en janvier 2010 et publié ici en introduction des textes), ont le poids de ce que je vis. »
 
   

Ce que Legras traduit ainsi en avant-propos : « Chacun de ses disques est le chapitre d’un journal intime mis en musique, porté par les mélodies, célébrant un lieu, un moment, une rencontre, ou stigmatisant les blessures et les travers de l’époque. Ce “nonchalant qui passe” (bien vu, Marc !) à l’esprit vif témoigne à sa façon, sans hausser le ton, engagé dans le seul parti qui vaille sous toutes les latitudes, celui de l’Humain. » Une intro, un avant-propos… et un prologue spécialement réservé à Brassens, à qui le jeune Moustaki avait remis ses premiers écrits. Un texte incroyablement visionnaire que le bon Georges lui offrit en mai 1954, pour encourager le poète qu’il voyait déjà en lui : « Il a eu vingt ans tout à l’heure (NDLA : Moustaki est né le 3 mai 1934) et c’est plus difficile qu’on ne le suppose (le petit cheval de Paul Fort dans le mauvais temps, qu’il avait donc du courage !). Il écrit des chansons entre les lignes. Il aurait pu bâcler des insanités et se faire chanter par la canaille lyrique. Il a choisi les chemins escarpés, les chemins coupés. Il fait confiance au public. Il aura sa récompense. […] Chante Moustaki ! Ta chanson s’envolera vers des oreilles. Le temps s’en charge. Tu n’es pas seul. Écoute Guy-Charles Cros :

Avec des mots chantés à voix profonde et douce
Avant qu’un peu de terre n’emplisse notre bouche,
Confier la vie à notre lucide amour.
C’est là notre travail sans trêve et notre fête,
Notre raison de vivre et de mourir poète,
Notre unique et divin recours. »
    
scene.jpg
 
Vingt ans après, en 1974, une fois les prédictions de Brassens réalisées, Moustaki paiera sa dette – et de bien belle façon – en écrivant Les Amis de Georges. « La plupart d’entre eux n’ont pas bougé d’un poil / Ils se baladent encore la tête dans les étoiles… » À Marc Legras qui lui rappelle aujourd’hui l’œuvre « de philosophe, d’écrivain, de moraliste, de poète » qu’il a vue dans les chansons de Brassens, « Jo » assure qu’il persiste et signe : « Je suis heureux d’avoir parlé de lui en de tels termes. » Mais sans se déclarer en reste, sans fausse modestie : « J’ai, moi aussi, la prétention, à moindre échelle, d’être un peu tout ça. »
 

Il fallut attendre presque une décennie entière entre ses deux premiers albums. Huit titres (dont Éden blues, interprété aussi par Piaf) rassemblés en 1960 sur un 33 tours 25 cm, puis douze en 1969, constituant une incroyable litanie de succès : Le Métèque, Gaspard, Le Facteur, Ma solitude, Il est trop tard, La Carte du tendre, Le Temps de vivre, Joseph… ! L’homme se souvient, partagé entre tendresse et lucidité : « Le Métèque a changé ma vie. Encore aujourd’hui, des gens m’affirment gentiment qu’ils connaissent toutes mes chansons. Ils citent Le Métèque… et rien derrière ! Entre-temps, j’ai rencontré Barbara – lien d’amitié et de travail – qui m’a présenté à Serge Reggiani. Je n’imaginais pas qu’il existait encore des gens de sa stature. Après Piaf, on devient difficile ! Nos chansons m’ont sorti de la retraite où, à trente et quelques années, je me confinais avec volupté. »  Et quelles chansons ! Ma liberté, Ma solitude, Madame Nostalgie, Sarah, Votre fille a vingt ans
 
 
Les deux derniers albums en studio de Georges Moustaki portent des titres qui ressemblent à sa vie de chanteur errant : Vagabond (2005) et Solitaire (2008). Ce livre aussi lui ressemble intimement qui s’ouvre sur Le Temps de vivre (1968) et se referme en compagnie de L’Ambassadeur (1984) :
 
Je suis l’ambassadeur du temps et de l’espace
Mon pays c’est un peu toute la galaxie
Je ne suis pas d’ailleurs je ne suis pas d’ici
Je suis contemporain de chaque instant qui passe […]

Demain lorsque l’hiver étouffera ma voix
Demain lorsque la mort aura raison de moi
Lorsque viendra le temps de rejoindre l’espace
Le ciel d’Alexandrie sera mon dernier toit.
 
Demain, ce recueil de textes constituera l’une de ces petites traces qui font que jamais tout à fait la mémoire ne s’efface. Une trace sensible, une borne affective, un instant… d’éphémère éternité. Celui, peut-être, au train où vont les choses, qui précédera les retrouvailles d’une bien-aimée, d’une infidèle, d’une fille bien vivante, qui se réveille à des lendemains qui chantent… et « qui nous donne envie de vivre / Qui donne envie de la suivre / Jusqu’au bout, jusqu’au bout ».   
 
   
• Georges Moustaki : Éphémère éternité – Chansons choisies, Prologue de Georges Brassens ; édition établie par Marc Legras. 210 pages, dont quelques annexes (repères biographiques, discographie, bibliographie). Éditions Le Cherche Midi, Paris (site officiel de Georges Moustaki).
_______
NB. Quelques précisions sur certaines vidéos (merci à l’Ina !) illustrant ce sujet. Le document d’archive où Édith Piaf est filmée chez elle, interprétant Milord avec Marguerite Monnot au piano et Moustaki debout date de 1958 ; l’émission des « Dossiers de l’écran » qui le reprend, où Moustaki rappelle la genèse de cette chanson, a été diffusée le 24 janvier 1978. La première vidéo en compagnie de Barbara (Fleurs de méninges, que reprendra Reggiani) date de 1962 (avril) et les deux versions de La Dame brune, l’une en couleur, de 1967 (octobre), et l’autre en noir et blanc, de 1968. La version du Métèque, en duo avec Zazie, a été captée le 28 novembre 2000 à l’Olympia dans un concert « autour de la guitare ». Enfin, la toute dernière vidéo (Sans la nommer) est tirée d’une émission du premier août 1981 présentée par le regretté Michel Lancelot.
 
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27 mars 2013 3 27 /03 /mars /2013 14:11
… Que l’on devrait tous connaître par cœur

Quelles sont vos dix chansons préférées ? C’est en posant cette question à 276 auteurs, compositeurs et/ou interprètes, ainsi qu’à 69 « spécialistes » que Baptiste Vignol a pu établir ce qu’il appelle « l’anthologie des cent plus belles chansons de la variété francophone ». Où l’on découvre que les dix chanteurs dont le plus grand nombre de titres a été cité (par les premiers) sont TOP100-copie-2.jpgFerré, Gainsbourg, Brassens, Brel, Souchon, Bashung, Nougaro, Barbara, Édith Piaf et Charles Aznavour (devant Renaud et Trenet), tandis que les seconds plébiscitent Mistral gagnant (Renaud), Avec le temps (Ferré), La nuit je mens (Bashung), La Javanaise (Gainsbourg) et Ne me quitte pas (Brel). 
 
Baptiste Vignol fait partie de ces journalistes et auteurs de la nouvelle génération (du moins par rapport aux anciennes, auxquelles j’ai le triste privilège d’appartenir désormais !) dont le discours sur la chanson est attendu, par sa pertinence bien sûr mais d’abord et surtout parce qu’il est la résultante d’une excellente connaissance de son histoire. « Élémentaire, mon cher Watson » ? Ne croyez surtout pas cela, les « tenants » de la chanson française dans les médias, ceux qui ont le plus voix au chapitre, n’étant pas toujours les mieux informés. Passons... Diplômé d’un DEA de Science-Politique, Baptiste Vignol a déjà consacré plusieurs ouvrages à l’art qui nous occupe ici : Cette chanson que la télé assassine (2001), Des chansons pour le dire (2005), Tatatssin, parole de Renaud (2006), Cette chanson qui emmerde le Front National (2007), tout en tenant un blog de qualité, intitulé Mais qu’est-ce qu’on nous chante ?
 

L’idée de ce nouveau livre (paru le 14 janvier dernier), explique son auteur en avant-propos, lui est venue en apprenant qu’André Gide, au lendemain de la fondation de la NRF, soumettait tous ses amis ou connaissances « à la plus excitante des questions intellectuelles : “Quels sont, selon vous, les dix plus grands romans de tous les temps ?” » En extrapolant à ce qu’il appelle (curieusement) « la musique de variété », il a choisi de poser la même question « à quelque 250 paroliers et/ou compositeurs, le plus souvent chanteurs, tous rompus au travail d’écriture, qu’il soit textuel ou musical ». Au bout du compte, Vignol a reçu les réponses de 345 participants : 276 émanant d’artistes et 69 de journalistes (dont une quinzaine d’anciens collaborateurs de Paroles et Musique et de Chorus...) et de professionnels divers (programmateurs, responsables de salles, etc.).
 
 
Le résultat est livré au lecteur sous forme d’un texte de deux à trois pages maximum relatif à la chanson concernée. Cent chansons, donc, présentées par ordre décroissant, de celle classée à la centième place (On The Road Again, de Bernard Lavilliers) à la toute première (Avec le temps, de Léo Ferré), chacune accompagnée d’une note précisant quels artistes l’ont citée (la chanson de Lavilliers, par exemple, a recueilli quatre suffrages et celle de Ferré, quarante-cinq), voire de la reproduction manuscrite du Top 10 de l’expéditeur. Pas de vérité gravée dans le marbre, cependant, ni même dans la cire : par définition, un tel classement – aussi intéressant et instructif soit-il – ne possède qu’une valeur indicative. D’abord, parce que la question concernait « dix chansons préférées », sans hiérarchie entre elles, et surtout parce que ce genre de palmarès, comme le soulignait d’emblée l’auteur, est « mission quasi impossible, trop de chansons étant liées à d’innombrables souvenirs ». D’où ce conseil donné en amont aux personnes sollicitées : dresser votre liste « dans l’urgence, en prenant un quart d’heure… En sachant très bien qu’une liste rédigée aujourd’hui serait sûrement légèrement différente demain » – voire que chacun d’entre nous, comme je l’ai moi-même vérifié, serait probablement capable d’établir dix listes différentes et d’affilée de ses « chansons préférées », sans le moindre doublon entre elles… et sans qu’une seule liste s’impose d’évidence aux autres.
 

Je ne donnerai donc pas ici celle que j’ai fini par adresser à Baptiste Vignol, ni plus définitive ni moins valable que les autres jetées sur le papier dans la même journée ; en revanche, c’est avec plaisir que je me permets de communiquer celle de notre regretté Jean Théfaine, dont ce fut l’une des ultimes contributions au « métier » : Le Temps des cerises (Jean-Baptiste Clément), Comme ils disent (Charles Aznavour), Sarah (chantée par Serge Reggiani), La Mémoire et la Mer (Léo Ferré), La Non-Demande en mariage (Georges Brassens), La Manic (chantée par Pauline Julien), La Chanson des vieux amants (Jacques Brel), Je reviens chez nous (Jean-Pierre Ferland), Fuir le bonheur de peur qu’il ne se sauve (chantée par Jane Birkin), Trois petites notes de musique (chantée par Cora Vaucaire).
 
Ce livre reprend en effet, en seconde partie, « le Top 10 » des 345 participants, par ordre alphabétique, les artistes d’abord, les « spécialistes » ensuite. Un générique d’un bel éclectisme, tant générationnel qu’artistique, allant par exemple de Dominique A, Akhénaton, Aldebert, Amélie-les-Crayons ou Marcel Amont à Danyèl Waro, Weepers Circus, Gabriel Yacoub ou Yoanna (tiens, dommage d’avoir « loupé » Zazie !)… en passant par Michel Bühler, Yves Duteil et Anne Sylvestre ; ou Ricet Barrier, Gérard Berliner, Allain Leprest et Claude Vinci,  disparus depuis. Mais aussi Antoine, Guy Béart, Morice Benin, Michèle Bernard, Jacques Bertin, Mathieu Boogaerts, Jeanne Cherhal, Christophe, Clarika, CharlÉlie Couture, Daran, Luc De Larochellière, Richard Desjardins, Jacques Duvall, Leny Escudero, Fatals Picards, Jean-Jacques Goldman, Françoise Hardy, Yves Jamait, Bernard Joyet, Jofroi, Kent, Gilbert Laffaille, Pierre Lapointe, Éric Lareine, Lynda Lemay, Émily Loizeau, David McNeil, Catherine Major, Florent Marchet, Christophe Miossec, Georges Moustaki, Jean-Louis Murat, Néry, Ours, Véronique Pestel, Thomas Pitiot, Michel Polnareff, Oxmo Puccino, Renaud, Olivia Ruiz, Sarcloret, Peio Serbielle, Yves Simon, Alain Souchon, Henri Tachan, Marie-Jo Thério, Jean Vasca, Louis Ville, etc.
 

En réalité, ce Top 100 propose treize chansons supplémentaires, repêchées en raison du fait qu’elles ont obtenu le même nombre de voix (quatre) que chacune des chansons classées 87 à 100. « Un score remarquable, note Vignol à raison, quand on songe aux dizaines de milliers de titres qui composent le répertoire de la variété francophone ». Au final, « pour affiner le classement et départager les morceaux ayant obtenu le même nombre de suffrages », les voix des 69 spécialistes se sont avérées déterminantes.
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Souvenirs, souvenirs : sans le vouloir, Baptiste Vignol nous renvoie au n° 60 de Chorus (été 2007) qui, pour célébrer de façon originale les quinze ans des « Cahiers de la chanson », proposait un « Top 60 » des meilleurs albums de chanson francophone parus depuis sa création. « Et si l’on tentait d’établir un classement ? » Lancée comme une boutade en réunion de rédaction, l’idée fit son chemin. De boutade elle devint gageure. Jamais cela ne s’était fait, nulle part en « francophonie ». Cela permettrait en outre d’obtenir un superbe panorama de la chanson francophone et de juger de son évolution à la charnière de deux millénaires. On se prit au jeu, on recensa les milliers d’albums (jeune public et « soleil noir » inclus) sortis entre le n° 1 et le n° 60… et la gageure devint réalité. Vingt journalistes de Chorus répartis dans l’espace francophone planchèrent trois mois durant sur le sujet… et un « Top 60 » de la plus belle eau émergea, avec un beau trio sur le plongeoir (pardon, sur le podium !) : C’est déjà ça, d’Alain Souchon, Samedi soir sur la Terre de Francis Cabrel, Fantaisie militaire d’Alain Bashung.
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Rien à voir évidemment entre un classement d’albums (qui plus est, limité à une période donnée) et un classement de chansons, toutes époques confondues. Néanmoins, si l’on fait abstraction des classiques du patrimoine parus avant la naissance de Chorus, on relève bien des similitudes entre les résultats respectifs obtenus par l’équipe de la revue et les contributeurs du livre. D’ailleurs, sans trop déflorer celui-ci, voici (simplement pour vous mettre l’eau à la bouche, comme aurait dit le Beau Serge) les dix premiers titres de ce Top 100 des chansons que l’on devrait tous connaître par cœur : Avec le temps (Léo Ferré), La nuit je mens (Alain Bashung-Jean Fauque/Bashung-Les Valentins), Mistral gagnant (Renaud Séchan), La Javanaise (Serge Gainsbourg), Ne me quitte pas (Jacques Brel), La Chanson des vieux amants (Jacques Brel), La Mémoire et la Mer (Léo Ferré), Je suis venu te dire que je m’en vais (Serge Gainsbourg), Foule sentimentale (Alain Souchon), Que reste-t-il de nos amours ? (Charles Trenet).
 

Soit quatre auteurs-compositeurs de « l’âge d’or » de la chanson française, dont trois (Brel, Ferré et Gainsbourg) sont cités pour deux chansons différentes, et trois de la génération suivante : Renaud dont la chanson concernée (magnifique Mistral gagnant !) date de 1985, Bashung et Souchon dont les titres plébiscités (La nuit je mens et Foule sentimentale) font partie des albums (Fantaisie militaire et C’est déjà ça) arrivés sur le podium du « Top 60 » des « Cahiers de la chanson » (La Corrida, premier titre de l’album Samedi soir sur la Terre de Cabrel, n° 2 dudit podium, apparaissant en vingt-quatrième position du « Top 100 »).
 

Qu’est-ce qu’on nous chante ? Rien qu’une chanson qui s’envole et s’en va dans le vent… Avec le temps, va, tout s’en va ? Peut-être… hormis la chanson, rien qu’une musique, des paroles qu’on fredonne en rêvant… car son histoire est la même que la nôtre. Air connu : longtemps, longtemps, longtemps après que les poètes ont disparu, leurs chansons courent encore dans les rues… Alors, si ça vous chante d’en savoir plus sur cette « anthologie » de la chanson francophone à « connaître par cœur », ne manquez pas de faire chorus. « J’vous ai apporté des bonbons », chantait le Grand Jacques ; Baptiste Vignol, lui, nous offre ici une véritable bonbonnière, un paquet de mistrals gagnants ! 
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• Le Top 100 des chansons que l’on devrait tous connaître par cœur (choisies par 276 artistes de la variété francophone), 320 pages, Éditions Didier Carpentier, Paris (site de l’auteur, Mais qu’est-ce qu’on nous chante ?).
 
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