…avec Marcel Azzola, Brel, Nougaro, Maurane
Michel Legrand, 24 février 1932-26 janvier 2019 ; Marcel Azzola, 10 juillet 1927-21 janvier 2019 : 86 et 91 ans, certes, mais ils étaient entrés depuis si longtemps au panthéon de la musique, qu’on les croyait physiquement immortels… Ils n’en resteront pas moins vivants au moulin de mon cœur, où ils occupent une place à part. Surtout le compositeur plusieurs fois oscarisé, mille fois récompensé, à la générosité et à la simplicité duquel, pourtant, je dois ma première exclusivité journalistique : une interview au long cours, en 1971, alors que je débutais à peine dans le métier…
Loin de moi l’idée, ici, de chercher à retracer les carrières exceptionnelles de ces deux immenses musiciens, d’autres l’ont fait ou le feront. Mais le souci, ça oui, de me mettre en règle avec eux… On connaît mon attachement tout spécial envers Jacques Brel et Claude Nougaro. Celui-ci, dont Brel disait en 1976 en Polynésie : « Nougaro ? C’est le meilleur d’entre nous… », ajoutant avec une prescience étonnante (onze ans avant Nougayork !) : « Nougaro, c’est la Cinquième Avenue… »), m’avait fait le bonheur de m’offrir très tôt son amitié. Avec son lot de confidences, notamment sur sa rencontre déterminante à la fin des années cinquante avec Michel Legrand, alors jeune pianiste-compositeur-arrangeur passionné de jazz.
Car c’est lui qui allait convaincre l’auteur-diseur Nougaro de chanter lui-même ses propres textes au lieu de les proposer à des interprètes (Marcel Amont, Philippe Clay, Jean Constantin, Lucienne Delyle, Colette Renard…). « À mes yeux d’incertain parolier, se souviendra le Petit Taureau, ce jeune type incarnait surtout un rendez-vous inespéré entre l’esprit du jazz et l’âme de la chanson française, celle-ci résidant dans les mots, dans l’émotion due aux mots. Michel appartenait à cette race, rare, de musiciens sensibles à cette langue émotive, sensorielle. […] Il me chantait son cinénote que je m’empressais de traduire dans mon cinémot. »
Et c’est ainsi qu’« une séduisante floraison de chansons vit le jour » (Où ?, Schplaouch !, La Chanson, Alcatraz, Le Paradis, Le Rouge et le Noir, Ma fleur, etc.), à commencer par Serge et Nathalie, Vachement décontracté et Tiens-toi bien à mon cœur sur un album 33 tours 25 cm passé inaperçu en 1959, avant Le Cinéma et Les Don Juan du premier fameux 45 tours Philips de 1962 (où figuraient également Une petite fille et Le Jazz et la Java sur des musiques de Jacques Datin). Un an avant le triomphe populaire des Parapluies de Cherbourg...
Dès lors, chacun traça son chemin avec la bonne fortune que l’on sait, pour laisser des empreintes à jamais indélébiles dans le cœur et la mémoire de leurs contemporains. Et puis, la vie, l’amour, la mort et les destins qui se croisent comme ici, Legrand avec la grande Maurane…
Maurane. Sans doute la voix la plus sensible, chaude et touchante de la chanson française des années 80 à aujourd’hui, que Nougaro, sous le charme, avait contribué à faire connaître en première partie de ses concerts (Olympia, New-Morning, etc.), alors que Pierre Barouh, chabadabada, produisait ses premiers 45 tours chez Saravah… Brusquement décédée le 7 mai dernier (un an et demi après Barouh) à l’âge de 57 ans, elle venait d’achever l’enregistrement d’un album consacré à Jacques Brel, qui lui tenait particulièrement à cœur : il est sorti de façon posthume le 12 octobre dernier. « Quand on n’a que l’amour / À s’offrir en partage / Au jour du grand voyage… »
En 1971, Maurane n’avait que dix ans et Jacques Brel réalisait son premier film, Franz, avec Barbara, avant de rencontrer lors de L’aventure c’est l’aventure celle qui l’accompagnerait dans son voyage au bout de la vie, Maddly Bamy. En 1971, Claude Nougaro enregistrait Armé d’amour, Sœur Âme, La Neige, etc., et passait trois semaines en mai à Bobino. En juin, Michel Legrand célébrait la Palme d’Or du festival de Cannes décernée au film de Joseph Losey, The Go Between (Le Messager), sur un scénario d’Harold Pinter, dont il avait composé la musique, après avoir été oscarisé lui-même en 1969 avec The Windmills of Your Mind (Les Moulins de mon cœur), chanson composée pour L’Affaire Thomas Crown…. mais n’en continuait pas moins de faire ses emplettes à Dreux, où je travaillais alors. Un jour de septembre, le croisant par hasard, je m’étais permis de l’aborder en douceur. « Je viens de terminer mes études de journalisme, je travaille au journal local… Accepteriez-vous de m’accorder un entretien rapide, à votre convenance ? »
D’autres auraient renvoyé le journaliste-stagiaire dans ses foyers. Pas Michel Legrand, 39 ans et une liste de chansons et de films (quinze à son actif à ce moment-là) longue comme un jour sans pain, me tendant sa carte en disant simplement : « Bien sûr, voici mon numéro, appelez-moi pour fixer rendez-vous… » J’en informai aussitôt le directeur de L’Action Républicaine, un bi-hebdomadaire, qui s'écria : « Si vous réussissez ce coup-là, je vous donne la dernière page du journal. » Oh ? La dernière page ! La page d’honneur, celle des grands événements, des grands reportages, des scoops (plutôt rares dans la presse locale de l’époque)…
À la mi-septembre je débarquais chez Michel Legrand en début d’après-midi, entre Anet et Houdan, au bord de la Vesgre, la rivière qui arrosait sa jolie propriété campagnarde et faisait tourner un moulin, un vrai ! Tiens, tiens… Pour l’occasion, je m’étais permis d’emmener ma jeune fiancée qui, comme moi, de son côté, avait adoré Les Demoiselles de Rochefort. Du reste, journaliste ou pas, j’avais emporté mon double 33 tours de la BOF pour le faire dédicacer au maître… Aussi incroyable que cela puisse paraître aujourd’hui, Michel Legrand nous reçut en grand seigneur, avec beaucoup de chaleur, et même de générosité, et de simplicité à la fois. Il prit tout son temps, jusqu’en fin d’après-midi, pour répondre à mes questions sur sa vie et sa carrière comme si j’étais un journaliste chevronné de la grande presse parisienne.
Des questions sur son enfance, ses antécédents familiaux célèbres dans le monde de la musique, son père Raymond Legrand (qu’il avait perdu de vue entre l’âge de 3 ans, après un divorce, et 18 ans…), son oncle Jacques Hélian, sa formation musicale au Conservatoire, ses professeurs « formidables, Nadia Boulanger, Henri Challan, notamment : c’était très dur mais passionnant », ses prix d’harmonie, de fugue et de contrepoint (« mais, vous savez, ce ne sont pas les prix qui font les musiciens, les prix font seulement la technique… »).
Sur ses débuts professionnels : « À 20 ans j’ai dû gagner ma vie. Ça n’était pas rose tous les jours, mais la chance a fini par me sourire. J’étais un très bon pianiste à l’époque, puisque je sortais du conservatoire et cela m’a valu d’accompagner des chanteurs, tels qu’Henri Salvador, pendant deux ans, Jacqueline François, Catherine Sauvage, Maurice Chevalier, Juliette Gréco… » Et puis Nougaro, bien sûr, notamment à l’Olympia 1963, avec Eddy Louiss à l’orgue Hammond, alors que le chanteur, victime peu auparavant d’une fracture de la jambe, se produisait appuyé sur des béquilles… « De l’accompagnement à l’orchestration il n’y avait qu’un pas, et l’orchestration est devenue pendant de longues années ma principale occupation. J’ai écrit des tonnes de musique pour de nombreux chanteurs… »
Sur l’aventure américaine ensuite, la première du moins : « On m’a demandé en effet de continuer mon travail, mais pour orchestres seuls, aux États-Unis, ce qui m’a valu le plaisir d’y aller très souvent. […] Mais un jour, malgré le succès que j’obtenais dans la profession, j’en ai eu assez de ce travail monotone, et je me suis lancé dans le cinéma. – Quel a été votre première musique de film ? – C’était L’Amérique insolite de François Reichenbach, en 1957*, une fresque satirique sur les États-Unis. […] Un tremplin extraordinaire, parce que c’est grâce à lui, par exemple, que j’ai rencontré Jacques Demy… » On connaît la suite : Lola, d’abord, avec Anouk Aimée, en 1961, puis la même année, la Nouvelle Vague, Truffaut, Godard qui lui demande de composer la musique de son premier film, Une femme est une femme… Enfin, Les Parapluies de Cherbourg, Palme d’or 1964 à Cannes, Les Demoiselles de Rochefort (1967), « et puis comme j’aime bien varier les plaisirs, je suis parti m’installer à Hollywood pour trois ans. »
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*La même année, nous rappellera plus tard le compositeur, il avait fait la musique du Triporteur, de Jack Pinoteau : « Je connaissais Darry Cowl, musicien et pianiste comme moi, avec lequel je m’étais lié d’amitié et avec qui j’avais monté un numéro soi-disant comique pour une tournée où j’accompagnais quelques artistes. C’est Robert Lamoureux qui nous avait dit : “Vous avez des gueules marrantes, faites un numéro marrant !” Ça a quand même été un bide. Mais quand Darry a débuté au cinéma avec son célèbre Triporteur, eh bien c’est à moi qu’on a demandé de faire la musique ! »
Au retour, Michel Legrand retrouve Demy pour Peau d’âne (1970)… Et nous voici chez lui, en septembre 1971, après la sortie d’Un été 42 à écouter la musique du Messager, Palme d’Or trois mois plus tôt, que le compositeur a fait spontanément tourner sur son magnétophone : « Je viens de recevoir cette bande, car il est question d’en tirer un 33 tours. […] Voilà où j’en suis. De temps en temps je m’amuse à chanter pour me défouler, pour le plaisir physique. Je compose pour les autres aussi. Et je joue toujours du piano, car j’adore ça… »
Parlons-en, alors ! De la musique classique : « En août, j’ai participé au festival d’Avignon en y jouant des concertos de Bach pour piano et orchestre » ; du jazz : « Il fait partie intégrante de ma personne depuis ma plus tendre enfance. Pas plus tard qu’au début de l’été j’ai enregistré un disque avec Miles Davis à New York, et en Californie en trio avec Shelly Manne à la batterie et Ray Brown à la basse. Ça, c’est uniquement pour le plaisir personnel, car ce sont des disques qui passent inaperçus et que les gens n’achètent pas dans le commerce. » Puisqu’il me tend la perche, face à tant d’éclectisme assumé, je lui pose la question qui s’impose : « Parmi tous ces genres de musique que vous abordez avec un égal bonheur, y en a-t-il un que vous préférez ? » La réponse fuse, nette et catégorique : « Non, absolument pas. C’est comme un repas, il faut que ce soit varié. L’estomac se lasse si on lui présente toujours le même plat. Eh bien pour l’esprit créatif, c’est un peu semblable. »
Avant l’interview proprement dite, enregistrée sur mon mini-K7 dans le salon rustique truffé de poutres apparentes, où il posera sans se faire prier devant son orgue électrique (le diplôme pour la chanson de L’Affaire Thomas Crown accroché au mur près d’une gouache originale de Picasso et d’une toile de Dufy…), le compositeur nous a fait faire le tour du propriétaire. De son superbe parc où coule une rivière, de sa maison et surtout de sa grande salle de projection où, avec un piano à queue, il travaille à sa prochaine partition… L’occasion de parler en détail de sa méthode de travail : soit « composer la musique sur le scénario avant le tournage, ce qui me permet non pas d’influencer le film mais de m’en imprégner », soit « projeter une copie en 35 mm et me mettre ensuite à la table de montage ; j’ai appris ce système à Hollywood et c’est tout à fait indispensable pour être très-très près du film. » J’ose alors, en béotien en la matière, la question qui me taraude : « Si vous composez une fois le film terminé, votre musique doit coller à l’image ; ce n’est donc plus une question de création pure mais d’abord un travail de commande… » Réponse : « Non, je ne suis pas de votre avis ; c’est avant tout une question de sensibilité spéciale qu’il faut acquérir absolument sans pour cela nuire à l’inspiration. L’image n’est qu’un aiguillage, pas un carcan. »
Il aurait pu s’agacer. Voire s’emporter contre ce jeune journaliste, anonyme parmi les anonymes, qui avait encore tout à prouver. On a déjà vu ça… Mais pas un instant Michel Legrand ne laissa paraître la moindre impatience, qu’il fût pressé de retourner à son travail ou simplement fatigué. Il se livra sans réserve, totalement disponible, jusqu’à nous faire part de ses envies et projets professionnels car il se projetait avant tout dans l’avenir. Après Le Messager de Losey et Un été 42 de Mulligan qui allait lui valoir quelques mois après cet entretien un nouvel Oscar, celui de la meilleure musique de film (« Les distinctions ? C’est le morceau de sucre qu’on donne au chien pour qu’il fasse le beau… »), après La Poudre d’escampette de Philippe de Broca avec Michel Piccoli et Marlène Jobert, il venait d’achever la musique d’Un peu de soleil dans l’eau froide de Jacques Deray et préparait celle de La Vieille Fille, de Jean-Pierre Blanc, avec Annie Girardot et Philippe Noiret.
Les heures s’enchaînèrent dans la plus grande décontraction, comme si nous étions des familiers, ce qui eut pour avantage de faire tomber aussitôt la petite appréhension que je pouvais avoir à l’idée de soumettre ainsi à la question, chez lui, un personnage aussi important du monde artistique.
Comme s’il s’efforçait, mais... sans effort, naturellement, de me mettre en confiance. C’est d'ailleurs là l’objet et le sens de ce témoignage : peu importe au fond l’entretien, mes questions ou ses réponses, c’est la dimension humaine que je retiens aujourd’hui de notre rencontre, le climat de sympathie qui l’enveloppait. Moment rare de partage sans fard, d’individu à individu, dans ce milieu par définition égocentrique. La simplicité confondante de l’homme, qui est la marque des plus grands – je le savais déjà, par expérience, depuis que j’avais eu la chance de connaître Frédéric Dard (alias San-Antonio) en 1965…
J’aurais pu abréger, arrêter là, le remercier et le saluer, j’avais bien plus de matière qu’il ne m’en fallait pour obtenir cette fameuse dernière page, mais il se montrait visiblement content de notre échange. Il évoqua de lui-même « un nouveau projet de film avec Jacques Demy : un opéra*, cette fois… – Vous abordez encore un genre nouveau ? – Oui, je veux que ce soit de la musique beaucoup plus profonde. À part ça, je ne peux rien vous dire d’autre, car je dois voir Demy dans trois ou quatre jours justement pour en discuter. »
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*Ce sera finalement Une chambre en ville, en 1982, mais avec Michel Colombier à la place de Michel Legrand qui, peu convaincu par le scénario, s’était retiré du projet entre-temps.
L’occasion, là aussi, de lui demander son avis sur l’insuccès chronique des comédies musicales en France : « Que pensez-vous de l’affirmation selon laquelle les Français n’aimeraient pas ce genre ? – Je réponds que c’est faux. Si les Français ne vont pas voir les comédies musicales qu’on leur présente, c’est qu’elles sont toutes moches, et ils ont raison de ne pas y aller. Par contre, une bonne comédie musicale obtiendra un succès formidable, c’est aussi simple que cela. Prenez par exemple Irma la Douce, West Side Story, L’Homme de la Mancha ou même Les Parapluies de Cherbourg… »
Il avait d’ailleurs deux projets de comédies musicales à Broadway : la première, sur un livret de Dale Wasserman (l’auteur de Man of La Mancha, adapté en français par Jacques Brel), se situait en France et s’intitulait Montparnasse ; la seconde devait être mise en scène par Joseph Losey sur un texte de Jacques Prévert et des dialogues d’Harold Pinter, excusez du peu !
Il nous annonçait enfin qu’il venait de faire la musique de « cinq chansons pour le nouveau disque de Serge Reggiani, que j’aime infiniment » et qu’il mettait la dernière main à son propre « microsillon qui paraîtra dans deux ou trois mois ».
Cette fois, il était temps de lever l’ancre. Nous repartîmes avec une dédicace commune sur l’album original des Demoiselles de Rochefort, pour « Mauricette et Freddy »… plutôt que Fred (comme je m’étais évidemment présenté à lui) car Michel Legrand avait tout compris en nous observant et en nous écoutant pendant cet après-midi de partage : cela nous valut, signe manifeste de son affectueuse empathie envers ses jeunes invités, ses « vœux de bonheur »… aux futurs mariés ! Au fait, lui demandai-je encore, « pourquoi êtes-vous venu vous installer ici, à la campagne ? Pour fuir les journalistes ? – Non, pas du tout, car je ne suis pas un homme public. Je ne me produis pas sur scène et ne passe que rarement à la télévision, une fois par an en moyenne. J’ai choisi cette région car on y est proche de Paris, tout en savourant le calme et la tranquillité indispensables au bon travail. »
Il nous fallut attendre vingt-trois ans et la création de Chorus – après une décennie vécue en Afrique et une autre avec Paroles et Musique – pour retrouver l’artiste à l’occasion d’un entretien qui parut, sous la rubrique « La mémoire en chantant », dans le numéro de l’hiver 1994-1995 (avec Gainsbourg en couverture). Un peu plus tard, Michel Legrand nous reçut à nouveau pour parler d’un album flamboyant, Vertigo, véritable film (musical et textuel) des dernières années du vingtième siècle, composé pour Jean Guidoni, puis du spectacle qu’ils allaient créer ensemble en février 1996 au Casino de Paris, Comment faire partie de l’orchestre.
Plus tard encore, le 4 mars 2004, Claude Nougaro prit définitivement la clé des chants. Mais après le temps du deuil, une envie naquit, irrésistible, dans le cœur de Michel Legrand : celle de partager fraternellement, à sa manière, certaines des chansons dont il avait posé amoureusement les notes au fil du temps sur les mots sensuels de son grand ami. Un disque sobrement intitulé Legrand Nougaro, sortit en décembre 2005 chez Blue Note, le label mythique de jazz où était paru de façon posthume, un an plus tôt, l’ultime album du Toulousain, La Note bleue.
Quinze titres composés et chantés par le maître, accompagné par une dizaine de musiciens émérites, dont un totalement inédit, offert par Hélène Nougaro (« la femme de ma mort », m’avait confié Claude une vingtaine d’années auparavant dans la nuit congolaise). Un texte somptueux qui bouclait définitivement la boucle vitale de l’auteur-interprète et boucle ici, mis en musique par Michel Legrand, le parcours d’un géant mondial de la musique : Mon dernier concert.
« Chauffe Marcel, chauffe ! »
Dernier concert aussi pour Marcel Azzola, qui avait redonné ses lettres de noblesse à l’accordéon et à qui Jacques Brel, improvisant dans le feu de l’enregistrement en direct et avec ses musiciens comme toujours, avait apporté une notoriété soudaine auprès du grand public avec son fameux « Chauffe Marcel, chauffe ! » de sa chanson Vesoul (1968). Pour l’Histoire, désormais, cette vidéo de l’enregistrement en studio, où l’on retrouve tous ces merveilleux personnages eux aussi disparus qui formaient la garde rapprochée du Grand Jacques et que l’on a eu pour la plupart grand bonheur à côtoyer, croiser ou fréquenter amicalement au fil des décennies (Georges Pasquier, alias Jojo, l’ingénieur du son Gerhard Lehner, Charley Marouani, François Rauber… jusqu’à l'excellent, et alors futur collaborateur de Paroles et Musique puis de Chorus, Jean-Pierre Leloir assurant en exclusivité le reportage photo – seul Gérard Jouannest, parmi les incontournables, n'apparaît pas à l'image).
Successeur de Jean Corti en studio après que celui-ci avait choisi d’arrêter le métier, Marcel Azzola fut également de l’enregistrement du dernier album, celui des Marquises, neuf ans après Vesoul.
Le chanteur et le musicien ainsi que ceux de l’orchestre ne s’étaient pas revus depuis des années, en tout cas pas depuis l’amputation d’un poumon subie par Brel, et tout le monde dans le studio, nous avait raconté Marcel*, se sentait mal à l’aise quand l'artiste, le premier matin de l'enregistrement, avait été pris d’une terrible quinte de toux : « Personne ne savait que dire à Jacques. On voulait lui manifester notre amitié, notre sympathie, mais on ne trouvait pas les mots... » Alors Jacques Brel prit les devants. Il se dirigea vers le piano, fit mine de chercher quelque chose dessous, puis dedans… et lança cette question à la cantonade : « Vous n’auriez pas vu un poumon ? » Tout le monde se figea d'un coup. « Bon, on l’a dit, reprit Brel, alors on n’en parle plus. » De fait, nous confirma l’accordéoniste, « on n’en a plus jamais parlé. Il nous avait évidemment choqués, mais il savait que cela nous libérerait*… »
Salut Marcel, salut Michel, ça doit chauffer dur, aujourd’hui, là-haut !
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*Extrait de Jacques Brel, le voyage au bout de la vie, 2018 (Editions de l’Archipel). La vidéo ci-dessous, « De Vesoul à Vierzon », a été captée en juin 2017 pour célébrer les 90 ans de Marcel Azzola…
NB. Dans les années suivant cet entretien exclusif paru le 24 septembre 1971 (droits réservés pour ses photos), alors que ma chère et tendre et moi nous étions envolés pour des cieux africains, Michel Legrand fréquenta l’aéroclub de Dreux-Vernouillet pour y apprendre le pilotage. Pilote breveté, il acquit un monomoteur Cessna 210 Centurion, avec lequel il se déplaça régulièrement, comme son ami Jacques Brel (rencontré aux Trois Baudets au milieu des années 50), d’un bout à l’autre du pays…