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  • : SI ÇA VOUS CHANTE (le blog de Fred Hidalgo)
  • : Parce que c’est un art populaire entre tous, qui touche à la vie de chacun et appartient à la mémoire collective, la chanson constitue le meilleur reflet de l’air du temps : via son histoire (qui « est la même que la nôtre », chantait Charles Trenet) et son actualité, ce blog destiné surtout à illustrer et promouvoir la chanson de l’espace francophone ne se fixera donc aucune limite…
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  • Fred Hidalgo
  • Journaliste depuis 1971, créateur de plusieurs journaux dont le mensuel « Paroles et Musique » (1980-1990) et la revue « Chorus » (1992-2009). Editeur depuis 1984 et créateur en 2003 du « Département chanson » chez Fayard.
  • Journaliste depuis 1971, créateur de plusieurs journaux dont le mensuel « Paroles et Musique » (1980-1990) et la revue « Chorus » (1992-2009). Editeur depuis 1984 et créateur en 2003 du « Département chanson » chez Fayard.

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30 mars 2012 5 30 /03 /mars /2012 09:00

Jean de Bruges et « Le voilier de Jacques »

 

…« L’Askoy, dont il s’est débarrassé, comme on se délivre d’objets devenus inutiles et trop chargés, surtout, de souvenirs pénibles, à la fin de l’année 1976 » : étonnante histoire, au demeurant, que celle de cette « cathédrale de clinfoc et de grand-voiles », qui vaut bien un épisode en soi. Le temps d’une pause marine – comme un volet supplémentaire de Jean de Bruges (attention, documents !) –, avant de retrouver Jacques Brel œuvrant à ses nouvelles chansons. « Un voilier “dévoilé” / Est à vendre aux îles Marquises / La nuit, le ciel est étoilé / Le jour, tendre est la brise… » (Jean-Roger Caussimon, Le Voilier de Jacques, 1979.)

 

 

 

Automne 1976, retour à Punaauia (Tahiti), chez l’ami toubib qui les héberge, lui et la Doudou : après avoir revalidé sa licence de pilote et s’être mis en quête d’un appareil, Jacques Brel a jeté son dévolu sur un bimoteur qu’il va acheter au nom de Maddly Bamy. L’air après la mer, tout en ayant choisi sa terre… À Paul-Robert Thomas qui l’interroge sur le sort de son bateau, maintenant qu’il s’est tourné vers l’avion, l’ancien navigateur parti pour un virtuel tour du monde de trois ans répond : « Je vais le vendre dès que j’aurai changé un guindeau que j’ai commandé chez Sin Tung Hing, le concessionnaire de Papeete. Ce ne sera pas facile de le vendre aux Marquises, mais je ne me sens pas trop le courage de le rapatrier ici pour le moment. De toute façon, je ne le vendrai qu’à un homme qui aime la mer, à un vrai marin… »

 

Brel-a-la-barre.jpg

 

En fait, tout va aller très vite, beaucoup plus vite que Jacques ne l’imagine. Et c’est non pas à un homme mais à un couple qu’il vendra l’Askoy, une fois de retour dans son île, quelques semaines seulement plus tard. De jeunes mariés américains, Lee Adamson et Cathy Cleveland, arrivés depuis peu à Hiva Oa sur un navire qui les avait embarqués comme coéquipiers à Panama. L’histoire veut qu’il les ait jugés sympathiques au point de leur céder son voilier pour le tiers de son prix d’achat, à peine trois ans auparavant. « Jacques l’a vendu à un prix symbolique, dira Maddly en 2008, parce qu’il voulait donner la possibilité de parcourir le monde à deux jeunes tentés par l’aventure. »

C’est sans doute la réalité mais c’est aussi une façon, pour lui, de solder un pan de son passé. Car le rêve du marin en partance, du capitaine en quête d’île au trésor, ce rêve d’enfance est désormais accompli, et l’Askoy qui patiente depuis un an en baie de Tahauku n’est plus synonyme pour lui que de contraintes, d’entretien obligatoire et de rappels douloureux au plan physique. « En bateau, dira-t-il à Maddly, il faut être heureux pour partir. Autrement il devient un château hanté de mille bruits désagréables et lancinants, et longs. Plus humide que les prisons, on vit alors dans une soupe infecte et collante, navrante. Un bateau n’est pas grand, il devient minuscule. Il n’est pas fatigant, il devient harassant, c’est le bagne. »

AskoyII_1.jpgIl faut se remettre dans le contexte de leur traversée du Pacifique : celui d’un homme opéré d’un cancer il y a moins d’un an, auquel on a ouvert la poitrine, scié les côtes et retiré la majeure partie d’un poumon. Se lancer dans une telle équipée, rien qu’à deux, sur un voilier beaucoup trop lourd à manier (à titre comparatif le Pen-Duick VI avec lequel Éric Tabarly remporta en 1976 sa seconde Transat en solitaire pesait seulement dix-sept tonnes, contre quarante-deux pour l’Askoy pourtant moins long de quatre mètres et demi), relève déjà de l’exploit. Le chanteur semblait l’avoir pressenti dès 1968 : « Il y a deux sortes de temps / Y a le temps qui attend / Et le temps qui espère / Il y a deux sortes de gens / Il y a les vivants / Et ceux qui sont en mer… » (L’Ostendaise). Mais aller jusqu’au bout, cela tient du miracle ! La tâche est trop éprouvante, les souffrances de Jacques trop évidentes. « Ce bateau t’use plus que je ne peux le supporter », lui souffle sa compagne (cf. De l’amour à vivre, Christian Pirot, 2006) en arrivant aux Marquises.

Étonnante histoire, en effet, que celle de ce yawl (1) lancé en mer le 19 mars 1960 par son constructeur, Hugo Van Kuyck, un architecte belge bien connu. Ainsi appelé en référence à une île norvégienne, mais second du nom (d’où le chiffre II que Brel supprimera, au risque d’attirer sur lui et ses passagers les foudres de la malédiction, à en croire la superstition selon laquelle on ne touche pas impunément au nom d’un bateau), l’Askoy II devient la propriété du chanteur en mars 1974. De retour de sa croisière de formation sur le Korrig, il vit alors momentanément chez son épouse, à Bruxelles (tout en entretenant depuis 1970 une liaison avec une certaine Monique qui vit à Menton, et maintenant avec Maddly à Paris…). Le soir même de son achat, il place une photo du bateau (voir « Brel-8 ») dans la chambre de sa fille France : « C’est lui ! » écrit-il dessus, enthousiaste, en signant « Ton vieux ».

Décembre 1976, Atuona : Jacques le cède sans regret à ces jeunes mariés, Lee et Cathy, visiblement fort amoureux. Est-ce le mauvais œil de l’Askoy ? Toujours est-il que leur périple océanien, achevé sur l’île d’Hawaï, se solde par un divorce. Vendu (après la mort de Brel) à un marchand de surfs d’Hawaï, Harlow Jones, le bateau passe ensuite entre les mains d’un Allemand, Helmut Rutten, qui s’avère être un trafiquant de drogue ! Arrêté aux Îles Fidji, celui-ci voit son bateau placé sous séquestre par la justice, puis oublié au port de Suva avant d’être mis en vente publique. Il sera adjugé un an plus tard, dans un triste état, avec un mètre d’eau à l’intérieur, à un journaliste néo-zélandais spécialiste des questions maritimes, Lindsay Wright, qui décide de regagner son pays, seul à son bord…

 

 

Mais à l’approche des côtes de Nouvelle-Zélande, il essuie une terrible tempête qui va sceller le sort de l’Askoy : on se croirait dans L’Ouragan, de Jean de Bruges ! L’une des trois histoires extraordinaires (La Baleine : voir en début d’article, La Sirène et L’Ouragan) écrites par Jacques sur une musique de François Rauber. L’ensemble, qui fait plus de treize minutes, constituait un « poème symphonique » récité d’une façon délibérément emphatique jusqu’au crescendo final. Recherché désespérément par tous les amateurs, c’est un document exceptionnel qui n’a jamais été réédité depuis sa sortie en 1963 sur un 25 cm non commercialisé et à tirage limité : un disque, Jacques Brel chante la Belgique, conçu par la municipalité de Bruxelles pour être offert exclusivement à deux cents maires et bourgmestres du pays réunis en congrès (et dont le premier intéressé demanda cinq cents exemplaires pour les offrir de son côté). « À moi, à moi, Jean de Bruges / Grand quartier-maître sur “la Coquette” / Trente ans de mer et de tempêtes… »

Tudieu, tudieu, c’était un ouragan
D’abord le vent, un vent méchant […]
Et puis la pluie, la pluie
Qui vient, qui va
Qui cogne, qui mord, qui bat
Une vraie pluie de Golgotha

Et plus noire qu’un péché, plus longue qu’un voyage
Une vague bâtie et de roc et d’acier,
La forge qui avance comme l’animal blessé.
Soudain, elle s'est dressée sur ses vagues de derrière
La tête dans le ciel et les pieds dans l’enfer
Et puis en retombant la vague a tout brisé.
(© Éditions Pouchenel, 1965)

 

askoy_maquette_freres.jpg

 

Pris dans la tourmente, Lindsay Wright ne peut éviter le naufrage et l’Askoy s’échoue brutalement sur le sable de Bayly’s Beach. Nous sommes alors en 1994. L’histoire du yawl de Jacques Brel aurait pu et dû s’achever là, définitivement abandonné aux éléments. C’était sans compter sur la volonté de deux Flamands, deux frères, Piet et Gustaf (dit Staf), fils du fabriquant de voiles Johan Wittevrongel auquel Brel s’était adressé en 1974, à Blankenberge, après l’achat de son bateau : « Quand j’ai demandé à ce client son nom et son adresse, afin de pouvoir lui envoyer un devis, se souvenait Johan en l’an 2000 (pour le documentaire de Claude Val, Askoy II, le voilier de Jacques Brel, réalisé pour la Télévision Suisse Romande), il m’a regardé, étonné : “Vous ne me reconnaissez pas ? Je suis celui que tous les Flamands veulent tuer ! Mon nom est Jacques Brel.” » Un regrettable malentendu s’est en effet instauré entre le chanteur et une partie de la communauté flamande depuis qu’il a écrit Les Flamandes, en 1959 Malgré toutes les chansons où il célèbre la Flandre d’une façon ou d’une autre (souvenez-vous par exemple de Marieke : « Le ciel flamand / Couleur des tours / De Bruges et Gand… »), d’aucuns – qui n’ont rien compris aux Flamandes – ont la rancune tenace. Mais c’est là une autre histoire.

 

carte-postale.jpg

 

Au printemps 74, les Wittevrongel, père et fils, sympathisent avec Brel et le revoient régulièrement : « Il s’asseyait sur le plancher pour bavarder avec mon père, précise Piet, pendant que celui-ci travaillait à ses voiles. […] Après plusieurs visites, mon père s’est cru permis de lui donner un avis : “l’Askoy est un beau bateau, mais il n’est pas pour toi. Beaucoup trop grand ! Beaucoup trop lourd ! Ou alors il faudrait que tu fasses des transformations.” Il n’a rien voulu entendre et il est parti ainsi. » En arrivant à Hiva Oa, fin 75, sans doute fier en son for intérieur d’avoir accompli l’impossible, Jacques Brel s’empressa d’envoyer une carte postale à la famille Wittevrongel, ainsi libellée : « Vous voyez, j’avance ! » Le point d’exclamation est éloquent… Et il annonçait qu’il passerait les voir en janvier ou février 76, ayant prévu de revenir à Bruxelles pour une deuxième visite de contrôle (la première avait eu lieu en mai précédent, après sa rencontre avec les Perret aux Grenadines : voir « Brel-8 »).

 

askoy_echoue.jpg

 

Quatorze ans durant, l’Askoy demeura échoué, pourrissant, sur cette plage de Nouvelle-Zélande, jusqu’à ce que Piet et Staf, en mémoire du Grand Jacques, décident d’entamer une incroyable opération de sauvetage. Créant une association (au nom curieusement anglophone : Brel aurait-il apprécié ?), Save Askoy II, les frères partent en quête de financements et c’est ainsi que le 22 janvier 2008, l’épave est sauvée des eaux ! Ou plutôt extraite du sable où elle s’est enlisée. Le beau voilier de Jacques est méconnaissable : aucune partie en bois ne subsiste, il n’en reste plus qu’une coque rouillée. Mais ce n’est que le début d’une renaissance aussi fantastique qu’improbable : le 16 mai 2008, transporté sur un autre navire, l’Askoy retrouve le port d’Anvers d’où il était parti, barré par Brel, trente-quatre ans auparavant… Et le dimanche 29 mai – séquence émotion –, Maddly y revient également… en compagnie de Cathy Cleveland, invitées toutes deux par Piet et Staf ! « Aux Marquises, nous avons dû nous en séparer, rappelait alors Maddly, mais il est toujours resté dans mon cœur. »

 

Maddly-Cathy.jpg

 

Le « Maritime Site d’Ostende » accueille ensuite l’épave où sa restauration commence « dans le cadre d’une insertion sociale par des jeunes qui en profiteront pour apprendre leur métier » ainsi qu’avec des chômeurs de longue durée. Le but, précisait Piet Wittevrongel à la presse belge, « est de refaire l’extérieur du bateau et la cabine principale exactement comme il étaient du temps de Brel. Nous disposons de tous les plans qui se trouvent au Musée maritime d’Anvers. Mais pour le reste, nous voulons y placer plus de cabines, pour permettre à plus de gens de voyager avec le bateau. L’idée est de respecter le souhait de Brel et de permettre, grâce à l’Askoy restauré, à des gens simples, des jeunes en difficulté, des adolescents moins valides, de naviguer et de réaliser un rêve ». Rêver un impossible rêve : nul doute, là, que le Grand Jacques aurait applaudi sans réserve.

 

coque-askoy-camion.jpg

 

Deux ans plus tard, en avril 2010, l’Askoy est transporté à Rupelmonde, sur la rive gauche de l’Escaut, pour une restauration en profondeur. Mais contrairement aux espoirs des sauveteurs (« Maintenant que l’épave est en Belgique, nous pouvons entreprendre des démarches afin de la faire reconnaître comme “héritage flottant”, ce qui nous permettrait d’obtenir quelques subsides… »), la Région flamande refuse de considérer ce bateau, pourtant immatriculé à Anvers, comme appartenant à son patrimoine flottant… Et comme par hasard – le destin a de ces clins d’œil, parfois ! – le ministre flamand à l’origine de cette décision se nomme Geert… Bourgeois ! « Brel n’aimait pas les bourgeois... et vice versa », ne manquera pas de titrer un grand quotidien du Plat Pays.

 

 

Conclusion : le coût des travaux, évalué à huit cent mille euros, reste entièrement à la charge de l’association (voir ICI l’ensemble du dossier), laquelle peut heureusement compter sur le concours de sponsors privés et de recettes propres grâce, par exemple, à l’organisation de soirées autour de l’histoire de l’Askoy et de concerts de soutien. Après une telle histoire – un vrai roman, même –, on a le droit de rêver que l’Askoy (qui a retrouvé son chiffre II, comme pour conjurer le mauvais sort qui semblait l’accompagner) soit prêt à reprendre la mer pour le quarantième anniversaire, en juillet 2014, du jour où Jacques Brel a levé l’ancre au port d’Anvers. Maddly : « Jacques avait le trac, comme avant d’entrer en scène. Moi, j’étais plus confiante... »

« Le droit de rêver », c’était le titre d’une exposition organisée en 2003 à Bruxelles par la « Fondation Jacques-Brel ». C’est là que les frères Wittevrongel ont appris par France Brel que l’épave de l’Askoy gisait sur une plage de Nouvelle-Zélande… Il n’y a pas de hasard, tout se tient, tout s’enchaîne… De là à rêver qu’un jour, filant toutes voiles dehors, l’Askoy mette à nouveau le cap sur les Marquises, il n’y a qu’un pas, qu’une affaire de vents porteurs : « Hissez le petit pavois / Et faites chanter les voiles / Mais ne vous réveillez pas / Ne vous réveillez pas… » J’en connais maintenant, là-bas, à qui cela ferait tout drôle de revoir ce long voilier noir, battant pavillon belge, entrer en baie de Tahauku… Émotion garantie.

Reste à le « sauver » pour de bon, comme on l’a fait avec le Jojo, dont je reparlerai bientôt. Pas fous pour un sou, Piet et Staf ne manquent pas de le rappeler, à juste titre et non sans humour, sur le site de l’association : « À titre d’anecdote révélatrice et encourageante, nous mentionnerons l’intervention bénévole de la firme française de construction aéronautique Dassault, qui a financé la restauration complète de l’avion (“Jojo”) de Jacques Brel, un Beechcraft, aujourd’hui abrité par le Musée Jacques-Brel aux Marquises. Si une entreprise française sauve l’avion américain d’un chanteur belge, qu’attendent donc les entreprises belges pour se manifester ? » La question est posée. En attendant la réponse concrète qu’elle mérite, les amateurs de marine à voile et/ou admirateurs d’un homme que les feux de la rampe n’ont jamais aveuglé parce qu’il « voyait » bien plus loin que l’horizon, peuvent découvrir une très belle et grande maquette du yawl de Jacques Brel au Royal Yacht Club d’Anvers.

 

 

Des voiliers vogueront
Sur les vagues du Pacifique
Des voix, bientôt, rechanteront
Le ciel de la Belgique...
Ce seront d’autres voix
Et d’autres voiles blanches
La vie ne se joue qu’une fois
Les jeux sont faits
Pas de revanche
Seuls, des regrets...

Il ne faut pas aimer « bien » ou « un peu »
Et, à tout prendre
Mieux vaut ne pas aimer du tout…
Il faut aimer de tout son cœur
Et, sans attendre
Dire « Je t’aime » à ceux qu’on aime
Avant qu’ils ne soient loin de nous…
(Jean-Roger Caussimon)

[À SUIVRE]

_______ 

(1) Ni goélette ni ketch, donc, qui sont également des deux-mâts mais placés différemment : le ketch a son grand mât dans le premier tiers avant du bateau et le second, beaucoup plus petit (le « mât d’artimon »), en avant de la barre ; la goélette possède soit deux mâts égaux soit le grand à l’arrière et le petit (le « mât de misaine ») à l’avant. Sur le yawl, le grand mât est à l’avant et le petit (appelé familièrement « tapecul ») est situé en arrière de la barre. (Source : Grand Jacques, le roman de Jacques Brel, Marc Robine, coéd. Anne Carrière-Chorus, 1998.)

__________ 

« SUR LES TRACES DE JACQUES BREL », de Fred et Mauricette Hidalgo ; rappel des chapitres précédents : 1. Le Voyage aux Marquises (18 novembre 2011) ; 2. Sa nouvelle adresse (26 novembre) ; 3. Si t’as été à Tahiti… (3 décembre) ; 4. Touchez pas à la mer ! (8 décembre) ; 5. Aux Marquises, le temps s’immobilise (13 décembre) ; 6. Si tu étais le bon Dieu… (9 janvier 2012) ; 7. De l’aube claire jusqu’à la fin du jour (29 janvier) ; 8. Et nous voilà, ce soir… (20 février) ; 9. Je chante, persiste et signe… (25 mars).

 

 
 
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25 mars 2012 7 25 /03 /mars /2012 12:10

Je chante, persiste et signe…

 

Quand il a quitté l’Europe, après sa période cinéma et le réenregistrement d’anciennes chansons de l’époque Philips (pour donner un coup de main à Eddie Barclay, après la signature de son « contrat à vie » : voir « Brel-8 »), Jacques Brel envisageait de sortir un album tous les dix-huit mois. Si les circonstances ne l’ont pas permis, il n’a pas arrêté pour autant de songer à la chanson et de noter sur ses cahiers d’écolier des idées, des phrases de nature à lui servir un jour. Cette fois, dans cette terre escarpée à l’exact opposé du Play Pays, le processus est engagé : neuf ans après son dernier 33 tours original (J’arrive…), les chansons du prochain sont en chantier. En règle générale (n’oublions pas qu’il se rend une semaine par mois à Tahiti pour faire son marché), notre homme écrit et compose le matin et « vit » l’après-midi.

Avant même d’arrêter la scène, dix ans plus tôt, le Grand Jacques ne nourrissait aucune illusion quant à son métier d’interprète : il savait qu’il pourrait continuer de vivre sans chanter (« Oh oui ! Facilement… ») ; en revanche, il ressentait de façon vitale le besoin d’écrire : « Je ne pourrais pas vivre sans écrire », précisait-il spontanément chaque fois que la question de la scène lui était posée. Alors, aux Marquises comme jadis à Bruxelles, à Paris ou sur la route, il écrit. Mais comme il a d’autres passions, d’autres envies et le temps de vivre, il s’organise. Chez lui, une fois fini le travail du jour, il prépare les repas comme un chef, s’occupe de son jardin, barbote dans la piscine, écoute de la musique, lit (ou relit) beaucoup, offre l’apéro, passe des soirées en smoking (mais No Smoking, SVP !) à refaire le monde avec ses invités… Le dimanche, se mêlant volontiers à la population locale, il participe régulièrement aux pique-niques qui continuent d’être organisés au fond de la baie de Tahauku.

On est loin du temps où il chantait presque chaque jour de la semaine, dix ou onze mois par an (il a longtemps été le recordman du nombre de spectacles, avant que Serge Lama ne s’évertue à marcher sur ses pas), mais il ne reste pas immobile pour autant, au contraire il est toujours en mouvement : « C’est ma nature profonde : j’ai envie de bouger et je crois aux vertus de la mobilité ; quand on est immobile on devient très fragile, j’aime mieux être mobile : c’est fatigant mais c’est passionnant ! » Il sillonne l’archipel aux manettes du Jojo, parcourt Hiva Oa au volant de son 4x4 et arpente les rues d’Atuona, où, deux fois par semaine, il assure les séances de cinéma. Tel va être grosso modo l’emploi du temps de Jacques Brel entre janvier et juillet 1977.

 

cocotiers

 

Sans parler des projets, car il en a, oh oui ! Comme celui de construire sa propre maison, sur les hauteurs d’Atuona où l’air est plus respirable : un an plus tard, il obtiendra enfin du maire un bail (de 99 ans – c’est tout dire des intentions du Grand Jacques) pour un terrain d’une vaste superficie offrant une vue imprenable (sur le village, sa côte découpée en deux baies et son rocher Hanakee, dernier rempart avant l’infini de l’océan) et l’avantage, à la fois, de le rapprocher considérablement du terrain d’aviation. Jacques demandera à deux architectes de Tahiti de lui dessiner les plans (sur le modèle, selon Paul-Robert Thomas, de son faré de Punaauia, avec un bungalow attenant) et on s’attaquera bientôt aux travaux de viabilité, le temps de défricher au bull le chemin d’accès qui donne directement sur la route de l’aérodrome… Et puis, il y a ce projet fabuleux de spectacle(s) nocturne(s) en plein air ! Là même où « passent des cocotiers qui chantent des chants d’amour / Que les sœurs d’alentour ignorent d’ignorer… »

Voici ce que Jean Saucourt, l’homme qui traçait les pistes d’Hiva Oa du temps de Jacques Brel, qui l’a connu et a été invité chez lui (voir « Brel-7 »), a pu nous en dire :

« Il en a parlé à plusieurs personnes. C’était dans la même optique que toutes les actions qu’il menait ici, pour rendre service. Pour améliorer le sort des habitants de l’île. Il intervenait auprès des officiels pour obtenir la venue d’un dentiste, d’un oculiste… Avec son avion il effectuait des évacuations sanitaires, il lui arrivait de ramener dans leur île d’origine des pensionnaires de Ste-Anne lors des vacances scolaires, il se chargeait du transport du courrier, des médicaments, de livres aussi ; et en plus, il prenait gratuitement des passagers à chaque voyage… Il voulait développer la culture, d’où les séances de cinéma et ce projet de spectacle vivant…
– Ça ne pouvait pas être un projet de récital… Lui qui appréciait tant le fait d’être inconnu, ici, comme vedette et qui, déjà, prenait soin de ne projeter aucun de ses films… Et puis, il lui manquait un poumon…
– Non, bien sûr, mais peut-être aurait-il présenté lui-même le spectacle… Il parlait de faire venir spécialement des amis artistes, mais pas forcément des chanteurs ou pas seulement… Il rouspétait sans cesse parce que tout était réservé à Tahiti, la culture, les soins, etc., et que les Marquises étaient oubliées. Alors, il voulait offrir aux habitants d’Hiva Oa un vrai spectacle, leur faire découvrir la scène… Il devait avoir son idée, peut-être même envisageait-il un spectacle périodique... Mais depuis qu’il s’était remis à écrire et qu’on l’entendait chanter dans le village, les gens savaient bien qu’il était chanteur. Quand ils parlaient de Maddly, d’ailleurs, ils l’appelaient “Vehine Himene”, c’est-à-dire “la femme du chanteur”… »

 

portrait barbu

 

À ce sujet, l’intéressée rapporte un souvenir personnel, raconté par Brel, un soir, à des pilotes d’Air Polynésie invités chez lui : quand Maddly donnait des cours de danse au collège Sainte-Anne (encore une initiative de Jacques, qui avait suggéré aux sœurs d’accepter le concours bénévole de sa Doudou, ex-danseuse et chorégraphe de métier), « un garçon en troisième scolaire est venu lui dire : “Je connais ton mari, je l’ai rencontré dans les livres.” Ce qui est une jolie expression. » Très jolie, en effet : le garçon avait dû tomber de façon fort improbable, dans ce village au bout du monde, sur une anthologie de la chanson française, traînant quelque part à l’école, ou ailleurs, à la Mission peut-être…

À Jean Saucourt, nous avons demandé s’il savait à quel point était avancé ce projet de spectacle avec Brel pour organisateur. S’il savait par exemple où et comment, techniquement, il se déroulerait. Et même si, par hasard, le responsable des Travaux publics d’Hiva Oa qu’il était alors n’avait pas été sollicité par Jacques en vue de dégager un terrain, préparer une scène…

« Non. Mais faute de salle sur Atuona, ce spectacle aurait eu lieu en plein air, comme les projections de films. Jacques Brel parlait avec enthousiasme d’illuminer la montagne…
– De quelle façon ? Avec quels moyens ?
– Il disait avoir demandé au directeur de l’Olympia de lui envoyer son matériel réformé…
– C’était à quel moment de son séjour, à peu près ?
– Après la sortie de son disque, une fois revenu ici. »

Pas avant la fin 1977, donc. Après l’enregistrement à Paris, en septembre-octobre (et avant la sortie de l’album, le 17 novembre), Jacques et Maddly sont en effet rentrés aux Marquises en empruntant le chemin des écoliers, via Bangkok, Hong-Kong, Singapour et Nouméa. Un « petit » tour du monde en longs courriers. À commencer par un séjour en Tunisie, pour se reposer des fatigues du travail en studio, d’où Jacques a envoyé la carte postale à Jean et Alice Saucourt (reproduite dans « Brel-7 ») : « On vous dit bonjour de loin avant de revenir au calme d’Hiva Oa… » Vérification faite depuis notre propre retour de Polynésie, cette demande de Jacques au patron de l’Olympia aurait eu lieu lors d’un dîner à Paris, chez Charley et France Marouani, auquel étaient conviés Brel, Maddly Bamy, Bruno et Paulette Coquatrix. Jean-Michel Boris, neveu de Bruno et directeur artistique de l’Olympia : « Charley nous avait également invités, ma femme et moi, mais un contre-temps nous a empêchés d’en être. Je ne me souviens pas de ce détail précisément, j’ignorais même ce projet de spectacle aux Marquises, mais il est fort possible que Jacques ait demandé à Bruno ce soir-là de lui fournir ce qu’il appelait le “matériel réformé” de l’Olympia, car cela coïncide avec l’époque où notre régie son et lumières est devenue obsolète du fait que les artistes se produisaient désormais à l’Olympia avec leur propre matériel… »

 

Fred-et-Jean

 

À Hiva Oa, pendant que Jean Saucourt nous fait découvrir, commentaires pointus à l’appui, le plus beau et le plus reculé de l’île, le plus ancien aussi, du premier cimetière d’Atuona, envahi par la végétation, aux vestiges ancestraux des Marquisiens (à noter que ce sont les tikis d’Hiva Oa qui ont inspiré les sculptures extraterrestres d’Hergé dans Vol 714 pour Sydney – on a retrouvé des photos le démontrant dans ses archives personnelles ; coïncidence : Tintin est né la même année que Brel… – et peut-être aussi, en tout cas ça y ressemble fort, le fameux ET de Spielberg…), je cherche à obtenir des précisions :

 « Que veux-tu dire par “Illuminer la montagne” ?
– Jacques Brel voulait monter une scène devant la montagne d’Atuona, qu’elle soit éclairée en pleine nuit… Il disait que, pour une fois, les gens viendraient de Tahiti pour assister au spectacle… »

 

tiki-tombe

 

On n’en saura guère plus, mais c’est bien la preuve que Jacques Brel ne s’est jamais avoué vaincu face au mal. D’ailleurs, le 8 avril 1978 – six mois seulement avant sa mort, quasiment jour pour jour ! –, il disait à Maddly : « Aujourd’hui, jour anniversaire de Brel, note que nous avons enfin un terrain, note que c’est magnifique, que c’est une île sur une île et que nous avons 360 degrés de vue et que nous sommes les plus heureux. J’ai quarante-neuf ans, alors je te donne quarante-neuf baisers. Nous allons enfin avoir une maison. Ce sera ma première maison. Tu imagines cela ! » (Tu leur diras, op. cit.) De toute évidence, il lui restait des rêves à accomplir (ne serait-ce que d’accueillir enfin son ami Lino Ventura !), des projets fous à concrétiser – mais tout ce qu’il a fait de tangible, pour améliorer le sort des insulaires, ne relevait-il pas au départ d’un impossible rêve, d’une forme de folie propre à l’Homme de la Mancha ? Jamais égoïste, toujours altruiste. Ce que Sœur Maria – la sœur espagnole que Jacques appréciait particulièrement et qu’il ne manquait pas de taquiner à propos de Franco – confirmait à sa manière à une équipe de la RTBF venue réaliser un reportage sur Hiva Oa : « Nous avons de la chance de l’avoir ici aux Marquises, il a son petit avion, c’est une assurance s’il y a un accident grave pour les malades, il peut les emmener là où il y a un docteur… Et puis il essaie aussi de relever le niveau des Marquisiens, il s’intéresse aux Marquisiens… Et puis Monsieur Brel, il est amusant ; voilà, il fait rire ! Les Marquisiens disent même “Jacques Brel” comme si c’était leur cousin… »

Autre projet tout aussi inconnu ou presque, dont Jean Saucourt nous a également parlé : Jacques avait demandé de façon réitérée à différents responsables de l’archipel de déposer le nom d’Air Marquises. « Il avait des idées derrière la tête, pour aider au développement des îles. Cela ne veut pas dire qu’il aurait fondé lui-même une compagnie d’avions-taxis, mais il aurait pu en être le conseiller, et l’un des pilotes bien sûr. Il ne faut pas oublier qu’à l’époque, il n’existait qu’un seul vol régulier par semaine depuis Tahiti… » Et encore, il ne faisait escale, le lundi, qu’à Ua Huka et Hiva Oa (où la propriétaire de la maison de Jacques et Maddly, Hei Teupua, se chargeait de loger les pilotes d’Air Polynésie pour la nuit), nulle part ailleurs aux Marquises. Projet pas si « fou » que ça, puisque aujourd’hui, si Air Marquises n’existe toujours pas, une compagnie d’avions-taxis a été spécialement créée en Polynésie française, sous l’appellation d’Air Archipels, pour assurer les évacuations sanitaires d’urgence.

 

Avion iles

 

En attendant de voir ces différents projets se réaliser avec le temps (et jusqu’à cette lettre adressée à Eddie Barclay, le 15 juillet, confirmant son planning : « Bloque des dates en studio pour septembre ou octobre. Je serai là. »), tous les matins ou presque du premier semestre 77 sont consacrés à l’écriture du nouvel album. Maddly : « Jacques travaillait le matin jusque vers onze heures, puis s’occupait de nous faire à manger. Parfois, tandis qu’il épluchait ses légumes pour le déjeuner, il m’envoyait noter quelques vers qui lui trottaient dans la tête. Son orgue et sa voix portaient dans tout le village. Mais sur le moment il n’y faisait pas attention. Il chantait comme s’il était le seul dans la nature. » (E. et M. Bamy, Deux enfants au soleil pour deux monstres sacrés, Pirot éd., 2003). Un orgue électronique est venu en effet s’ajouter à la guitare qu’il avait emportée sur l’Askoy (et à l’accordéon dont on ne sait ce qu’il est advenu une fois l’ancre jetée à Hiva Oa), en vue de la composition du nouvel album : un orgue Bontempi à double clavier et boîte à rythmes intégrée permettant de reproduire le son de divers instruments, que Jacques s’est fait livrer de Papeete par la « goélette ».

Ce sera son dernier disque mais sur le coup, l’auteur-compositeur pense qu’il s’agit seulement du suivant, car il se sent en verve, depuis tout ce temps passé en mer, et il compte bien ne pas en rester là. On l’ignore en Europe, encore aujourd’hui, d’autant plus qu’on voit dans ce disque-là un album-testament (huit chansons sur douze y parlent de la mort), mais en 1977 une chose est sûre : Jacques Brel a la ferme intention de continuer à écrire de nouvelles chansons et de les enregistrer après cette première fournée d’outre-mer. Plusieurs de ses relations d’Hiva Oa l’ont vu et entendu travailler en 1978 ; c’est-à-dire après le disque des Marquises dont la sortie à grand renfort de marketing, en contradiction totale avec ses souhaits de discrétion, semblait pourtant l’avoir dégoûté à jamais du show-business… Mais visiblement pas de la création.

 

valleePlage

 

Ces témoignages, sur le souvenir de Brel poursuivant son travail d’écriture, sont corroborés (au moins) par une lettre qu’il adressa à son ancien pianiste et compositeur Gérard Jouannest. Quatre mois après la sortie des Marquises, en mars 1978, il lui écrit depuis Atuona, pour lui dire d’abord, et sans détour, son dépit vis-à-vis d’Eddie Barclay suite au lancement de l’album : « Alors, comment vas-tu, jeune crapule ? Tu as vu le bordel que ce con de Barclay a réussi à faire avec la sortie du disque ? C’est honteux. J’ai pris ma plume méchante et je lui ai expliqué ce qu’il ne fallait pas faire. » Puis il en vient, à sa façon caustique, à l’objet principal de sa missive : ses prochaines chansons ! « Je t’écris pour te dire que j’attends toujours de toi quelques musiques, des nerveuses, des huit pieds et autres, de manière à pouvoir répandre mon génie fatigant sur des foules ahuries, car j’écris encore quelques litanies sincères » (cf. Olivier Todd, Jacques Brel, une vie, op. cit.).

L’idée d’un double album ayant été abandonnée durant l’enregistrement, obligeant l’artiste à ne retenir que douze chansons (n’oublions pas que c’est encore l’époque du vinyle) sur dix-sept mises en boîte, outre deux monologues (Histoire française et Le Docteur), ce rappel à Jouannest montre bien l’intention de Brel de sortir un autre disque aussitôt que possible. C’est d’ailleurs en sachant qu’il pourrait les remanier bientôt en studio qu’il écarta trois des cinq chansons non retenues (Avec élégance, Sans exigences et L’amour est mort), jugeant avec Gérard Jouannest et son arrangeur et directeur d’orchestre François Rauber que celles-ci n’étaient pas tout à fait abouties.

En revanche, Mai 40 (incroyable, quand on y pense, d’écrire à Hiva Oa en 1977 une telle chanson au thème aussi éloigné dans l’espace et dans le temps : « Moi de mes onze ans d’altitude / Je découvrais éberlué / Des soldatesques fatiguées / Qui ramenaient ma belgitude… ») et La Cathédrale sont deux titres qu’il aurait parfaitement pu garder tels quels dans cet album… en lieu et place de deux autres. Mais lesquels ? Il faut bien faire un choix et ça n’est jamais évident quand on est le premier intéressé et qu’on ne dispose encore d’aucun recul. Alors, mauvaise pioche ? Sans aucun doute, car la qualité majeure de ces deux chansons-là, deux bijoux dans le fond et dans la forme, n’est pas comparable à celle, tout à fait mineure, des F…, du Lion et des Remparts de Varsovie qui, malgré d’évidentes fulgurances d’écriture (« Nazis durant les guerres et catholiques entre elles / Vous oscillez sans cesse du fusil au missel… », par exemple) sont, restent et resteront de l’ordre de l’anecdote.

On peut comprendre les motifs qui l’ont poussé à écrire ces trois chansons ; peut-être, pour les deux dernières, comme on exorcise un cauchemar récurrent : Le Lion, sur la crainte d’être mis définitivement en cage par une lionne ; Les Remparts de Varsovie, sur une autre lionne dispendieuse, « gonflée » et « pressée »… Réalité ou fiction, invention ou transposition, là est la question. Quant à la première, qui vise seulement les extrémistes flamands (« Je ne parle pas des Flamands, expliquait l’auteur à ses invités nocturnes en leur faisant écouter des bribes enregistrées de son album en cours, je parle des Flamingants, ce qui n’est pas la même chose ; je vais d’ailleurs dire “Les F…” parce qu’on n’écrit pas de grossièretés »), elle relève de blessures bien réelles, celles-ci, aussi répétées qu’insupportables depuis l’enfance pour qui aimait tant le Plat Pays. C’est-à-dire la Flandre : « Vous salissez la Flandre mais la Flandre vous juge / Voyez la mer du Nord elle s’est enfuie de Bruges / […] Et si mes frères se taisent eh bien tant pis pour elle / Je chante, persiste et signe, je m’appelle Jacques Brel. »  

Ce que l’on comprend moins, c’est le manque de lucidité du créateur (ou son entêtement !), lorsqu’on lui proposera, un an plus tard, de publier une anthologie de ses textes de chansons, en édition de luxe illustrée (124 sur plus de 180 enregistrées) : contre toute attente, il conservera en effet ces trois titres. À noter qu’il retiendra aussi Avec élégance, l’une des cinq chansons écartées du dernier album ; ce qui donne à penser que c’était sa musique ou plus vraisemblablement son orchestration qui était jugée inaboutie par le trio Brel-Jouannest-Rauber, et non son écriture. Du Brel de haute volée, il est vrai, sur un thème qui lui est cher, la prudence castratrice : « Se sentir quelque peu romain / Mais au temps de la décadence / Gratter sa mémoire à deux mains / Ne plus parler qu’à son silence / […] Être désespéré / Mais avec élégance / […] N’avoir plus grand-chose à rêver / Mais écouter son cœur qui danse / Être désespéré / Mais avec espérance… »

 

moretti gresivaudan

 

La sélection pour cette anthologie aura lieu chez lui, en 1978, Jacques Brel acceptant de recevoir l’éditeur en personne à Hiva Oa, comme un test. Si ce dernier tient à son idée au point d’effectuer le déplacement, se dit-il à la réception du courrier lui soumettant ce projet, « on verra » ; par contre, s’il se contente de contacts épistolaires, il opposera un refus. L’éditeur n’hésite pas, il fera le voyage aux Marquises. Il faut dire que c’est le fondateur des Éditions du Grésivaudan, où est déjà parue une édition de luxe des chansons de Brassens. Un homme de l’art, donc, qui apprécie au plus haut point la belle chanson. Accueilli dans les meilleures conditions chez Jacques et Maddly, il sera le seul Européen, avec Arthur Gélin, à leur rendre visite et à loger chez eux (ils vivaient encore à bord de l’Askoy quand Charley Marouani est venu, le tout premier, en décembre 1975).  

Ensemble, ils arrêteront le choix des textes, dont les trois cités ci-dessus… mais pas La Cathédrale, curieusement, qui est pourtant d’une tout autre tenue. Avec cette chanson – sorte de journal de bord de son voyage au bout de la vie, d’Anvers à Hiva Oa (voir « Brel-8 ») –, le Grand Jacques s’amuse « à rêver une église “débondieurisée” qu’il pourrait gréer en voilier et traîner à travers prés “jusqu’où vient fleurir la mer”… » (Robine, op. cit.) Et c’est du Brel pur jus, du Brel de la plus belle eau : « Prenez une cathédrale / Et offrez-lui quelques mâts / Un beaupré, de vastes cales / Des haubans et halebas / Prenez une cathédrale / Haute en ciel et large au ventre / Une cathédrale à tendre / De clinfoc et de grand-voiles… » Sa cathédrale ? L’Askoy, bien sûr… dont il s’est débarrassé, comme on se délivre d’objets devenus inutiles et trop chargés, surtout, de souvenirs pénibles, à la fin de l’année 1976.

(À SUIVRE)

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« SUR LES TRACES DE JACQUES BREL », texte et photos (sauf mentions contraires) de Fred et Mauricette Hidalgo ; rappel des chapitres précédents : 1. Le Voyage aux Marquises (18 novembre 2011) ; 2. Sa nouvelle adresse (26 novembre) ; 3. Si t’as été à Tahiti… (3 décembre) ; 4. Touchez pas à la mer ! (8 décembre) ; 5. Aux Marquises, le temps s’immobilise (13 décembre) ; 6. Si tu étais le bon Dieu… (9 janvier 2012) ; 7. De l’aube claire jusqu’à la fin du jour (29 janvier) ; 8. Et nous voilà, ce soir… (20 février).

 
 
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20 février 2012 1 20 /02 /février /2012 17:00

Et nous voilà, ce soir…

 

Huit épisodes déjà à suivre le sillage du Grand Jacques dans le grand bleu, outre une plage de bonheur du côté du Plat Pays en compagnie de l’auteur de La Légende d’Hiva Oa… On y revient encore et toujours, à travers les sillons du temps, les méandres de l’espace ou dans l’imaginaire du regretté Pierre Rapsat. Mais avant d’y retourner pour découvrir un poète s’échinant à la tâche et un homme multipliant les activités et les projets, il n’est pas inutile de jeter un regard en arrière dans ce voyage au bout de la vie. Le temps de voir comment Jacques Brel, laissant derrière lui la scène et les plateaux de cinéma, est arrivé jusqu’à cette terre ultime, battue par l’océan et souvent abritée du soleil par un manteau nuageux ; une île rêvée depuis l'enfance où, jolie métaphore pour dire qu’aux Marquises le temps s’immobilise faute de saisons marquées, « s’il n’y a pas d’hiver cela n’est pas l’été »

 

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Un peu plus d’un an après avoir définitivement largué les amarres, le 24 juillet 1974, au port d’Anvers (voir « Brel-1 »), barrant désormais l’Askoy en la seule compagnie de Maddly Bamy (mais avec un poumon en moins), Jacques Brel quitte le 22 septembre 1975 le port de Balboa, à l’extrémité sud-est du canal de Panama. Il arrive des Antilles (où France a débarqué mais où sont allés le rejoindre ses amis Charley Marouani, l’imprésario, puis Arthur Gélin, le chirurgien belge qui a participé à son opération), après des escales aux Açores, à Madère et aux Canaries. « Et voici le Pacifique / Longue houle qui roule au vent / Et ronronne sa musique / Jusqu’aux îles droit devant. » À bord de ce long et vieux ketch noir baptisé le 19 mars 1960 du nom d’Askoy II (dont Brel se contentera de supprimer le chiffre, atténuant ainsi le risque lié à la superstition selon laquelle changer le nom d’un bateau porte malheur…), de nombreux livres (parmi lesquels L’Île de Robert Merle…), un magnéto à cassettes, une guitare et même un accordéon. En mer, il lui arrivait de prendre sa guitare, se souvient Maddly (Tu leur diras, op. cit.), « mais cela restait épisodique. Le bateau est gourmand en soins et il lui était très difficile de se consacrer à la musique. » Elle assure néanmoins l’avoir entendu chanter une première ébauche de La ville s’endormait, pendant que Jacques cuisinait…

Avant d’entamer cette traversée du Pacifique, le 3 septembre 1975, Jacques écrit à celui qui n’est plus son impresario mais reste un fidèle ami, Charley Marouani : « Déjà un an que Jojo est mort ! Cela va vraiment de plus en plus vite. Et j’espère qu’il ne s’ennuie pas trop en m’attendant. » Il ajoute : « Durant quarante-cinq jours de mer [c’était sans compter sur le pot au noir…], je penserai bien à toi et je sais que tu penseras à moi. À la joie de te revoir… » De fait, Charley sera l’une des rares relations d’avant le départ en mer à lui rendre visite à plusieurs reprises (comme il l’hébergera à chacun de ses retours en Europe). D’abord aux Antilles, quelques mois plus tôt, Charley étant un pêcheur passionné ; plus tard à Tahiti avec Henri Salvador, durant l’automne 1976 (voir « Brel-4 »), et entre-temps à Hiva Oa, quelques jours seulement après l’amarrage en baie de Tahauku.

 

AtlantiqueNord

 

La correspondance entre Jacques Brel et Charley Marouani ne cessera jamais, du jour où le premier s’en ira sur les mers. Ainsi celui-ci – depuis Puerto Rico de Gran Canaria, après ce fameux Noël passé en compagnie d’Antoine (1) qui ferait à tort (surtout pour le globe-flotteur !) couler tant d’encre et de fiel (voir « Brel-1 ») – annonçait-il à son ex-agent, qualifié systématiquement de « Tendre Charley », son départ pour « l’autre côté » de l’Atlantique, les Antilles : « Voilà Charley. Je m’en vais, un peu crevé, mais il faut bien bouger, il faut bien vivre. » Un mois après, le 29 janvier 1975 à Fort-de-France, il dressait l’état des lieux : « Eh bien tu vois, ça y est, on est arrivés et après une traversée qui n’a pas été de tout repos, car cette année, vraiment, le temps est très perturbé. […] Mais on est bien heureux d’y être ! La santé semble convenable, mais ce n’est pas la grande forme et je ne peux que traiter tout cela par le mépris. France a été malade presque tout le temps et elle a débarqué ici. Nous ne sommes donc que deux à bord et cela fait beaucoup de travail. C’est bien. Comme ça, on ne pense à rien. »

La veille, dans son journal de bord, le capitaine avait écrit, le cœur sans doute en déroute, après un accrochage avec France : « Le Capitaine n’a plus d’enfants ! » Mais s’il déclare à Maddly, selon elle : « Je suis heureux d’être orphelin de mes filles » (sachant, comme le rappelle Eddy Przybylski à juste titre que, chez lui, un beau mot « prime souvent sur la sincérité du propos »), Prisca Parrish constatera au contraire que « le manque de ses filles fait souvent surface. […] France adore son père et je suis sûre que Jacques l’adore, mais ils ont un problème d’incommunicabilité ».

    askoy.jpg    

Le père et la fille (peut-être celle des trois qui lui était le plus proche ; celle qui, d’ailleurs, créera et dirigera plus tard la « Fondation » Jacques-Brel) ne se reverront qu’une seule fois, en juin de l’année suivante (1976), dans la clinique de Bruxelles où Jacques reviendra pour des examens de contrôle. Dernière fois aussi pour Miche, invitée au restaurant en tête à tête (et dont Jacques ne divorcera jamais, correspondant même régulièrement avec elle) ; L_P_Brel-copie-1.jpgpuis pour Pierre, le frère aîné pour lequel Jacques a fait spécialement un aller-retour depuis Paris, rien qu’avec Charley qui l’héberge alors chez lui, à Neuilly. Le moral semble être au beau fixe, comme l’indique ce témoignage du directeur du Prince de Liège, un restaurant situé près de la cartonnerie familiale, à Anderlecht, où Jacques et Pierre Brel s’étaient déjà retrouvés à plusieurs reprises : « Il avait apporté un album et il montrait, assez fièrement, les photos de sa maison, dans les îles. » (La Valse à mille rêves, op. cit.) Sans doute Jacques espérait-il convaincre Pierre et sa compagne Béatrice de leur rendre visite. Dans la dernière lettre qu’il lui adressera d’Hiva Oa, il le lui dit encore, implicitement : « J’aimerais bien que l’on puisse se revoir avant dix ans ! Peut-être irons-nous en Europe dans un an. Et peut-être que vous deux… » Mais, on connaît la chanson, « La vie ne fait pas de cadeau… »

La lettre était datée du 10 mai 1978. Cinq mois plus tard, quasiment jour pour jour, Jacky, le frère cadet, aura tiré sa révérence. C’est toute l’histoire des adieux à la ville de Jacques Brel : des adieux manqués, à l’inverse de ses adieux à la scène qui restent un modèle du genre, un exemple inégalé. En montrant ses photos d’Atuona à son aîné, pressentait-il cette sortie manquée, l’interdiction sans appel de nouveaux rendez-vous fixée par le destin ? On peut l’imaginer à l’écoute d’une chanson à naître un an plus tard, l’un de ses quatre ou cinq titres majeurs (sinon son chef-d’œuvre absolu ?) : « Je crois qu’ils sont en train / De ne rien se promettre / Ces deux-là sont trop maigres / Pour être malhonnêtes... » Quoi qu’il en soit, Jacques ne reverra plus aucun membre de sa famille. Jamais non plus, il ne reviendra dans sa ville natale. Là où « Le cœur dans les étoiles / Il y avait mon grand-père / Il y avait ma grand-mère / Il attendait la guerre / Elle attendait mon père / Ils étaient gais comme le canal / Et on voudrait qu'j’aie le moral… »

 

 

  

Ce soir de juin 1976, Jacques et Charley ont quitté Bruxelles pour regagner Paris en voiture. Là, au cours de ce bref séjour dans la capitale française, juste avant de retrouver les Marquises, via Haïti et Papeete (c’est à cette occasion, sur le tarmac de Faaa, rappelons-le, que Brel fait la connaissance de Michel Gauthier, le pilote d’Air Polynésie qui assure la liaison régulière Tahiti-Marquises avec un petit appareil : voir « Brel-3 »), il aura ce « bon mot » (rapporté par Marouani), en contradiction totale avec l’optimisme affiché plus tôt auprès de son frère. À un chauffeur de taxi qui, l’ayant reconnu dans la rue, quitta brusquement sa voiture pour lui avouer son admiration et lui demander : « Quand vous reverra-t-on sur les planches ? », il répondit, l’air de rien, le sourire aux lèvres : « En fait de planches, je crois qu’on m’en prépare d’autres… » On imagine aisément la gêne voire la stupeur de son interlocuteur !

L’interprète-né jouait-il un rôle, capable qu’il était sur l’instant, rien que pour le plaisir d’une belle réplique, d’un mot d’auteur, sinon à travestir la réalité du moins à l’adapter à la situation présente ? Ou l’homme, déjà, ne se berçait-il guère d’illusions quant à son ultime sortie de scène ? Ce jour-là, quoi qu’il en soit, le Grand Jacques a sans doute songé aux célèbres et angoissants octosyllabes de son ami Georges : « Est-il encore debout le chêne / Ou le sapin de mon cercueil ? »  

Mais n’anticipons pas et reprenons le cours de notre récit. Nous étions aux Antilles, à la mi-février 1975. Retrouvons-y Charley Marouani qui vient d’atterrir à Fort-de-France, histoire de s’offrir quelques jours de repos, sur le bateau de Jacques, en s’adonnant tranquillement à sa passion pour la pêche en mer… Brel-Charley-copie-1Question tranquillité, hélas, on repassera car c’est là que les paparazzi entrent en scène ! À bord du Kalais, qui avait navigué de conserve avec l’Askoy depuis les Canaries, Vic et Prisca (voir « Brel-2 et 6 ») étaient également présents. Prisca Parrish (Jacques Brel, l’Homme et la Mer, op. cit.) : « Ça devient insupportable ! On ne peut plus se baigner sans être harcelés par les photographes. Nous hurlons des insultes. On essaie de les éloigner. Rien n’y fait. » Le 27 février, dans une lettre à son frère Pierre, auquel il a lancé quinze jours plus tôt une invitation permanente à bord de l’Askoy (cf. Pierre Brel, le frère de Jacques, par Thierry Denoël, Le Cri, 1993), Jacques confirme les faits : « Ce soir mouillage à Anse Deshaies, petite crique bien abritée de la Guadeloupe où je tente, en vain, de fuir les journalistes. Hier, j’ai entendu à la radio que j’étais en train de mourir à Bruxelles, c’est charmant ! » Il aurait pu ajouter, à l’instar du malicieux et imperturbable Brassens, quelque temps plus tôt, à l’écoute de sa mort annoncée : « C’est très nettement exagéré ! »

Pour tromper les photographes, les amis usent de subterfuges, Marouani tentant même de se faire passer pour le chanteur : « Jacques et Vic, par radio, raconte encore Prisca, montent un scénario. Charley va prendre le dinghy de l’Askoy, le grand chapeau de paille de Jacques ainsi qu’une de ses chemises, et va venir sur le bateau ! » (le Kalais). Mais dans son livre publié en 1993, Prisca déplore que Brel lui-même ait pour le moins péché par manque de discrétion : « Nous avons tout imaginé pour protéger Jacques. Vic s’est quasiment battu avec eux [les paparazzi]. Et soudain, lorsque c’était gagné, que les photographes avaient entièrement disparu, Jacques décidait d’aller manger à la Vieille Tour, le restaurant le plus en vue de Guadeloupe. De quoi se faire repérer immédiatement ! » De fait, le 25 février, la presse locale titre à l’unisson sur la présence de l’artiste en Guadeloupe, non sans préciser qu’il a subi récemment une grave opération.

Bientôt, c’est Arthur Gélin, le chirurgien bruxellois, qui rejoint le couple aux Antilles, prenant, dans le registre de l’amitié, la relève de Charley, rentré à Paris. « Très heureux que tu aies aimé vivre sur l’Askoy, lui écrit Jacques le 7 mars. Maddly et moi on sera toujours heureux de t’y revoir. Arthur est ici, et il a l’air de bien s’y plaire. […] J’espère que ça se calme au niveau de la presse. Cela dit, je dois t’avouer que je m’en fiche de plus en plus et que toute cette petite merde semble bien lointaine. »

En avril 1975, Jacques et Maddly sont aux Grenadines lorsqu’ils rencontrent fortuitement Pierre Perret et sa famille à bord d’un grand voilier de location, l’auteur du Zizi sorti fin 74 ayant décidé de faire un break dans sa carrière (voir « Brel-2 ») : « Nous sommes partis bourlinguer quelques semaines après la sortie de l’album du Zizi ! » écrit-il dans A cappella, le second tome de ses mémoires publié en novembre 2008 (Le Cherche Midi), en ajoutant par erreur que cela fait déjà « un peu plus de deux ans – une overdose de vacances ! », alors qu’il n’y a pas six mois que son album est paru. Peut-être confond-il cette première rencontre en mer (au cours de laquelle il fait la connaissance de « la Doudou ») avec des retrouvailles inattendues à Rangiroa, vers novembre 1976 (voir « Brel-2 »). C’est d’autant plus probable qu’il fait dire à Jacques : « J’écris en ce moment. J’en chie ! », alors que celui-ci ne reprendra vraiment l’écriture qu’en septembre 1976, un an et demi plus tard, une fois installé à Hiva Oa ; et que, toujours selon Perret, Brel lui demande : « Quand pourrez-vous venir nous voir à Hiva Oa ? »… alors qu’ils sont à peine en partance, lui et Maddly, pour Panama et qu’en aucun cas, jusque-là, il ne leur est venu à l’esprit d’interrompre leur tour du monde et encore moins de s’installer aux Marquises. 

 

Askoy couleur

   

Toujours est-il qu’en 1998, dans la préface que je lui avais proposé d’écrire pour le livre de Marc Robine, sachant qu’il a bien connu le Grand Jacques, Pierre Perret témoigne de cette rencontre inattendue : « Quelle éblouissante journée nous avions passée à refaire le monde ensemble ! Après avoir offert, à lui, à la Doudou et aux miens, un mémorable blaff d’oursins au montrachet, qui les avait époustouflés, nous avions repris tous nos souvenirs à zéro, Jacques et moi. » Une journée sur laquelle il reviendra donc, dix ans plus tard : « Jacques semblait plein d’amertume, surtout à cause de ce harcèlement ininterrompu des “rats”, ces paparazzi dont il était la victime depuis l’annonce de sa maladie. “Ils me font chier ! disait-il d’un ton fataliste. Il n’y a qu’en mer qu’on est peinards ! Et encore !” » Et le chapitre intitulé laconiquement « Jacques Brel » s’achève ainsi : « Sur le rafiot qui les ramenait à leur bateau, Jacques, debout, se retourna vers nous et s’adressa à moi avec ses mains en porte-voix : “Pierrot, dit-il, quand tu verras Lama, dis-lui qu’il me reste encore un poumon !” »

Quelques semaines après ces retrouvailles, en mai 1975, Jacques rentre en Europe avec sa compagne pour subir, à la clinique Édith-Cavell de Bruxelles, des examens de contrôle dont se chargera le professeur Charles Nemry, le chirurgien qui l’a opéré en novembre 1974, assisté d’Arthur Gélin. Ils ont mouillé entre-temps à La Guaira, un port du Venezuela, près de Caracas, laissant l’Askoy aux bons soins de Vic et de Prisca. Les résultats sont bons, les craintes de récidive écartées. Le couple en profite pour passer quelques jours à Paris, chez Charley Marouani. France-Soir l’apprend qui consacre un article à Brel, le 24 mai, en citant ses propos : il se plaint encore et toujours d’avoir des journalistes à ses trousses et assure qu’il n’a plus envie de travailler. Il s’empresse donc de regagner Caracas dont il apprécie le caractère (« Les soirs où je suis Caracas / Je Panama, je Partagas / Je suis le plus beau, je pars en chasse / Je glisse de palace en palace », cf. Knokke-le-Zoute tango), puis La Guaira d’où, le 9 juin, Jacques écrit à nouveau à Charley et à son épouse France : « Comment te dire merci ? Nous avons été, les enfants, émerveillés par votre hospitalité ! […] Nous avons retrouvé l’Askoy bien vieilli. Alors on frotte, on lave, on repasse, avant de retrouver la fraîcheur des îles et les poissons de toutes les couleurs. » Comme il l’avait noté, juste avant de quitter le port d’Anvers, en entame de son journal de bord : « Le bateau commence à  frémir et je crois bien qu’il croit bien qu’il a un peu envie de partir. Je lui dis de rester calme mais il me fait tout de même un peu la tête. »

 

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Adieu le Venezuela : l’Askoy met le cap sur Panama, faisant escale dans les îles des Petites Antilles néerlandaises de Bonaire et de Curaçao où l’accueil des autorités, malgré le fait que Brel parle assez bien la langue, est proprement détestable. « Après s’être copieusement enguirlandé, en flamand, avec le fonctionnaire de service, rapporte Marc Robine, Jacques quittera le port en pleine nuit, à la sauvette, de peur de voir son bateau cloué à quai par décision administrative. » L’approche du canal, ensuite, est délicate et dangereuse pour des petits bateaux comme l’Askoy et le Kalais (qui continuent de voguer dans le sillage l’un de l’autre), « de très gros porteurs convergeant jour et nuit vers un goulot d’étranglement, aux abords duquel la densité du trafic vire au cauchemar » (Marc Robine). Nouvelle et longue escale, obligatoire cette fois pour les formalités administratives d’entrée dans le canal, au port de Colon.

Près d’un mois s’écoule à quai, le temps de régler aussi le nécessaire et l’indispensable avant d’entreprendre la grande traversée – « le temps de refaire l’avitaillement du bord, de réviser l’accastillage du bateau, d’étudier les cartes pour arrêter la route à suivre », écrit Robine en marin de cœur et d’expérience. Et le passage de l’isthme, enfin, peut avoir lieu. Il se déroule sans encombres, à cela près « qu’il faut veiller, à chaque écluse, à ne pas être écrasé contre les parois de béton par les lourds cargos que les remous de la manœuvre, parfois, rendent un peu trop câlins ». Voilà notre cathédrale « de clinfoc et de grands-voiles », après avoir transpercé le canal, ancrée au port de Balboa où, comme on l’a dit plus haut, son capitaine écrit le 3 septembre (1975) à Charley : « Je lève l’ancre dans vingt jours et, bien sûr, c’est le bordel à bord, comme toujours avant les longues routes. Le climat est dur ici, il pleut beaucoup et la chaleur est pénible. Mais à bord, toujours le bonheur ! Miche me signale les rumeurs de l’Europe et ma mort annoncée me fait rire. Les journalistes sont de doux poètes ! J’aimerais savoir si tu viens cet hiver. Moi, je crois donc rentrer en janvier pour le test médical… »

Charley répondra présent. Comme toujours. Réputé pour la confiance qui l’unissait à « ses » artistes (Adamo, Barbara, Gréco, Montand, Nougaro, Reggiani, Salvador…), Charley Marouani – le neveu de Félix, le fondateur de la dynastie (« Quand je n’arrive pas à dormir, plaisantait Brel, je compte les Marouani ! ») avait toujours refusé de parler de ses relations avec eux. L MarouaniL’âge aidant et le devoir de mémoire se faisant pressant, il vient de publier ses souvenirs où le personnel et le professionnel se mêlent inévitablement. L’ouvrage passionnant qui en résulte, Une vie en coulisses (Fayard, 2011), dont sont tirés ici des extraits éloquents de sa correspondance avec Jacques (ainsi que la photo à bord de l’Askoy), s’ouvre et se referme sur celui-ci, signe de l’importance de cet artiste entre tous, alors même que, depuis ses adieux à la scène, Charley n’avait plus rien à attendre de lui, professionnellement – donc financièrement – parlant. 

Pour Brel et Maddly, le grand saut dans le grand océan aura lieu non pas le 23 septembre comme on pourrait le déduire du courrier adressé à Charley, mais le 22. Et n’en déplaise au bon Georges, ce 22 septembre-là, équinoxe d’automne, aujourd’hui je ne m’en fous pas ! Il symbolise en effet le début de la seconde vie du Grand Jacques aux antipodes. Trois ans tout juste, mais trois ans si riches, avant l’équinoxe funeste… Cette vie qu’après tant de hasards et d’étranges coïncidences (voir « Brel-1 et 2 » notamment), je me retrouve spontanément en train de retracer ici, comme une évidence. « Ce n’est pas moi qui écris, c’est la vie que j’ai vécue. Ce n’est pas moi qui écris, c’était écrit », note Charley Marouani en exergue de son livre. Ce qu’en d’autres termes, Paul Eluard énonçait ainsi : « Il n’existe pas de hasard. Il n’y a que des rendez-vous. »

Ce 22 septembre, donc, « au diable vous partîtes », toi et ta Doudou, dans le sillage de Melville, Conrad, Stevenson et autres capitaines courageux en quête d’inaccessible étoile : « Prenez une cathédrale / Hissez le petit pavois / Et faites chanter les voiles / Mais ne vous réveillez pas / [...] Prenez une cathédrale / De Picardie ou d’Artois / Partez cueillir les étoiles / Mais ne vous réveillez pas ! » Le 19 novembre, par « une tempête de ciel bleu », vous touchiez le rivage d’une île inconnue, qui sommeillait pourtant en tes yeux, Grand Jacques, depuis les portes de l’enfance. Tu ne le savais pas encore, mais oui, c’était bien ton île au trésor.

À peine arrivés, voici donc Charley Marouani qui retrouve sa cabine à bord de l’Askoy, fin novembre, après un périple aérien de plusieurs jours : Paris-Los Angeles, Los-Angeles-Tahiti et de là, de l’aéroport de Faa, de longues heures encore dans un petit coucou inconfortable et plusieurs escales jusqu’aux Marquises, Nuku Hiva d’abord, Hiva Oa enfin. Le bout du monde, vraiment ! Là où l’on est censé marcher sur la tête… « Il n’avait pas encore acquis de maison, et nous avons séjourné sur l’Askoy qui avait jeté l’ancre face à l’île. […] Nouveaux jours de fraternité et d’amitié partagés. Je ne le trouvais pas en très grande forme, mais il était heureux. Il ne parlait jamais de sa maladie. Peut-être était-il convaincu de l’avoir terrassée. » (Une vie en coulisses, op. cit.) Et Charley de préciser que si Jacques lisait beaucoup (il avait une grande bibliothèque dans son bateau), il écrivait aussi. « Il n’a jamais cessé d’écrire, et commençait même à caresser le projet d’un nouvel album. Après tout, il avait signé un contrat “à vie” avec la maison Barclay et le plaisir de chanter devait toujours sommeiller un peu en lui. »

Le fameux « contrat à vie » ! En fait, un contrat de trente-trois ans, la mention « à vie » n’ayant aucune valeur juridique, mais trente-trois ans renouvelables (!). Signé le 3 mars 1971 par Brel et Barclay, cela menait chacun des deux hommes, à son expiration théorique, à plus de cent dix ans ! L’idée provient évidemment de Jacques qui, fidèle en amitié et conscient de son poids commercial dans la maison, a vu en elle le moyen pour Eddie Barclay de faire face aux difficultés financières que rencontre alors son label, en rassurant les créanciers et en faisant taire les rumeurs de dépôt de bilan. Formidable générosité du Grand Jacques qui, pour un ami dans l’adversité, n’hésite pas à s’engager à ne plus jamais enregistrer ailleurs que chez lui ! Par chance, moralement s’entend, il n’aura pas à connaître la triste issue de cette histoire, qu’il aurait forcément vécue comme une trahison : la vente par Eddie Barclay, en 1979, de sa firme au concurrent Philips… que Jacques avait justement quitté, fâché, en 1962, pour rejoindre « l’écurie » Barclay… Mais c’est là une autre histoire, tout comme la « non-campagne » de marketing habilement orchestrée par Barclay à la sortie de l’album des Marquises qui fera alors de celui-ci – au grand dam de Brel qui souhaitait une sortie discrète, sans la moindre participation de sa part – le disque le plus vendu (et même le plus pré-commandé avec plus d’un million d’exemplaires) de toute l’histoire phonographique.

On n’en est pas encore là. Pour l’heure, nous avons tout juste bouclé la boucle du tour du monde à jamais interrompu du capitaine Brel. Le 19 décembre 1975, à peine son camarade Charley Marouani a-t-il regagné Paris, qu’il lui écrit : « C’est tout vide sans toi ! Askoy souffre de manque. Tu sais, j’aurais tant aimé être en forme durant ton séjour. Mais je porte les fatigues de deux mois de mer. Comment te dire la joie que fut ta présence ? Je crois n’avoir plus grand-chose en dehors de toi. Et je ne sais plus rien que le luxe des relations humaines. »

S’il a sans doute mal aimé les femmes ou pas su comment les aimer vraiment, s’il n’a « pas bien compris les femmes » comme il l’avouait lui-même (du moins avant de partir aux Marquises), Jacques Brel a fait de l’amitié un véritable chef-d’œuvre. Deux ans plus tôt, le premier janvier 1974, écrivant à son « Tendre Charley », il n’avait pas laissé le moindre doute sur son amour de l’amitié ; c’était lors d’une nuit pas comme les autres, dans la baie de Cumberland aux Petites Antilles, sur le pont du Korrig, le navire-école où il s’initiait à la navigation hauturière...

Arrêt sur image : en novembre 1973, quelques semaines après la sortie de L’Emmerdeur (qui restera son dernier film), Jacques s’embarque en Méditerranée sur ce bateau, avec deux autres équipiers et son couple de propriétaires. Après une courte escale à Gibraltar, le Korrig file jusqu’aux Canaries, mouillant à Las Palmas… où vient s’amarrer un autre voilier, battant pavillon belge : le Kalais. « Le skipper s’appelle Vic, écrit Marc Robine dans son “roman de Jacques Brel” ; c’est un industriel fortuné qui, à l’occasion d’un divorce difficile, vient de décider de se retirer des affaires et d’abandonner son ancienne vie pour courir les mers et jouir un peu de sa liberté retrouvée. Jacques et lui, qui se sont vaguement croisés à Bruxelles, il y a longtemps, sympathisent rapidement. » Le monde étant petit, ils se retrouveront l’année suivante (le 16 septembre 1974), Jacques sur l’Askoy avec France et Maddly, Vic avec sa propre fille et sa nouvelle compagne, Prisca Parrish, dans le port de Horta, sur l’île de Faial, aux Açores. Dès lors, ils navigueront plus ou moins de conserve jusqu’à Hiva Oa.

Entre-temps, sur le Korrig, Jacques Brel aura tout appris de la navigation en haute mer grâce à sa première traversée de l’Atlantique sans escale, de Las Palmas à La Barbade, puis à la Grenade d’où il écrira (voir ci-dessous) à Marouani, avant de reprendre un long courrier pour l’Europe. Il n’a plus alors qu’un seul désir : se mettre en quête d’un bateau, l’acheter et passer son brevet de capitaine. Comme il avait obtenu sa licence de pilote dès 1964, s’achetant aussitôt un premier avion monomoteur, puis, en avril 1970, celle de pilote professionnel lui permettant de voler aux instruments, de piloter des avions à réaction (voire un Boeing !), Jacques obtiendra son brevet de « capitaine au grand cabotage » le premier juillet 1974.

 Car l’homme ne fait pas semblant, en aucun cas : « Et dis-toi donc grand Jacques, écrivait-il dès 1953, Dis-le-toi souvent / C’est trop facile / De faire semblant ! » (à écouter ci-dessus en direct, en 1954, dans un document enregistré a priori aux Trois Baudets) ; au contraire, il fait le nécessaire, quoi qu’il en coûte, pour aller au bout de ses rêves. En l’occurrence pour repartir dès que possible. Et cette fois pour de bon. Définitivement. N’y pense-t-il pas depuis toujours, en fait ; depuis l’enfance en manque de partance ? « Moi qui toutes les nuits / Agenouillé pour rien / Arpégeais mon chagrin / Au pied du trop grand lit / Je voulais prendre un train / Que je n’ai jamais pris… » Ne l’a-t-il pas écrit noir sur blanc en 1970 ? « Allons il faut partir / N’emporter que son cœur / Et n’emporter que lui / Mais aller voir ailleurs… »

Ce soir-là où « La lune s’est allumée », cette nuit du jour de l’an 1974 passée à Saint-Vincent sur le Korrig, sa pensée court sur le papier et c’est comme un nouveau chapitre qui s’ouvre devant lui. « Allons il faut partir / Trouver un paradis / Bâtir et replanter / Parfums, fleurs et chimères / Allons il faut partir / Sans haine et sans reproche / Des rêves plein les poches / Des éclairs plein la tête… » Un chapitre déjà rêvé qui reste à traduire dans la vraie vie, le chapitre de l’aventurier… qui n’oublie pas pour autant le poète, lâchant au passage, à l’égard de son « Tendre Charly » (cf. Une vie en coulisses, op. cit.), quelques mots dont il se souviendra à l’heure d’écrire – comme par hasard – Voir un ami pleurer…

« Je t’écris sur le pont à la lueur d’une lampe à pétrole. Il fait doux. La terre bruisse et respire. Un moment rare et merveilleux, trop formidable pour un homme seul.
« Envie de t’écrire. Acte rare et important pour moi. J’ai tant d’amitié et de respect pour toi que les mots me semblent insolents et que, de toujours, j’ai préféré le silence.
« N’ayant ni l’élégance d’être nègre ni la chance d’être juif ni la sagesse d’être femme, presque tout me semble impudique et vulgaire. Mais me reste l’envie de dire aux hommes que j’aime, que je les aime. Et je t’aime.
« Tu vois, je ne fais plus partie de ce métier, et c’est bien. Je crois y avoir donné le meilleur de moi-même, de toutes mes forces, mais je ne suis plus assez naïf que pour croire en mes forces, et pas assez adulte que pour me convaincre de mon importance. Alors ? Alors je crois plus digne de reprendre ma vie d’aventures, plutôt que de raconter aux gens des rêves prudents ou des remèdes incertains. »

À Marc Robine, pour son livre majuscule, Alice Pasquier, la veuve de Jojo, parlera de cette amitié indéfectible : « Charley, c’était presque comme Jojo. Ça n’était pas exactement la même tendresse, mais Jacques l’aimait énormément, lui aussi. Parce que c’était quelqu’un de très fidèle… » L’amitié, la fidélité, des valeurs indissociables du Grand Jacques. Avec l’imprudence pour seul cap. « Je veux quitter le port / J’ai l’âge des conquêtes / Partir est une fête / Rester serait la mort… » Mais cette fois, il l’ignore encore, il est parvenu à son ultime port d’attache. Dans un an, il aura revendu l’Askoy et acheté le Jojo. Dans moins de trois ans, Jojo et lui referont leurs guerres : Jojo reprendra Saint-Nazaire et Jacky refera l’Olympia… au fond du cimetière ; nous laissant orphelins jusqu’aux lèvres. « Et nous voilà, ce soir… »

(À SUIVRE)

NB. Merci à Charley Marouani, notamment pour son sens de l’amitié et de la fidélité ; merci aux Éditions Jacques-Brel qui possèdent l’entier copyright des chansons dont je cite des extraits dans cette saga brélienne des mers du Sud ; merci, enfin et bien sûr, aux membres de la famille Brel qui ont aimablement réagi à sa publication.

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1. Pour mémoire, séjournant aux Antilles en provenance des Canaries, Jacques Brel fut poursuivi en février-mars 1975 par une meute de paparazzi, prétendument alertés de sa maladie par un article d’Antoine paru dans un périodique français. En réalité, non seulement ledit article était parfaitement anodin et même plus que chaleureux et sympathique envers Brel (il a été reproduit in extenso dans Grand Jacques de Marc Robine et on peut l’apercevoir en cliquant ICI), mais surtout il est paru après celui d’un quotidien flamand à grand tirage, Het Laatste Nieuws, qui, lui, ne s’était pas privé de faire état de l’hospitalisation et de l’opération de l’artiste dans une clinique bruxelloise, atteint « d’une grave maladie des poumons ». En outre, ce papier, en date du 10 février, fut relayé aussitôt par une dépêche de l’Agence France Presse pouvant laisser penser que Brel était toujours hospitalisé, dans un état désespéré… La nouvelle était à ce point alarmiste que Charley Marouani lui opposa aussitôt un démenti laconique mais éloquent, publié dans Le Soir, le quotidien belge de référence, du 11 février : « Jacques, disait-il, est quelque part en mer, sur un voilier, et il se porte bien. »

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« SUR LES TRACES DE JACQUES BREL » (texte et photos de Fred et Mauricette Hidalgo, sauf mentions contraires), rappel des chapitres précédents : 1. Le Voyage aux Marquises (18 novembre 2011) ; 2. Sa nouvelle adresse (26 novembre) ; 3. Si t’as été à Tahiti… (3 décembre) ; 4. Touchez pas à la mer ! (8 décembre) ; 5. Aux Marquises, le temps s’immobilise (13 décembre) ; 6. Si tu étais le bon Dieu… (9 janvier 2012) ; 7. De l'aube claire jusqu'à la fin du jour (29 janvier).    

 
 
Texte et photos : tous droits réservés
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