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  • : SI ÇA VOUS CHANTE (le blog de Fred Hidalgo)
  • : Parce que c’est un art populaire entre tous, qui touche à la vie de chacun et appartient à la mémoire collective, la chanson constitue le meilleur reflet de l’air du temps : via son histoire (qui « est la même que la nôtre », chantait Charles Trenet) et son actualité, ce blog destiné surtout à illustrer et promouvoir la chanson de l’espace francophone ne se fixera donc aucune limite…
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  • Fred Hidalgo
  • Journaliste depuis 1971, créateur de plusieurs journaux dont le mensuel « Paroles et Musique » (1980-1990) et la revue « Chorus » (1992-2009). Editeur depuis 1984 et créateur en 2003 du « Département chanson » chez Fayard.
  • Journaliste depuis 1971, créateur de plusieurs journaux dont le mensuel « Paroles et Musique » (1980-1990) et la revue « Chorus » (1992-2009). Editeur depuis 1984 et créateur en 2003 du « Département chanson » chez Fayard.

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29 janvier 2012 7 29 /01 /janvier /2012 12:40

De l’aube claire jusqu’à la fin du jour

 

Désormais chez lui à Hiva Oa, sans autre intention que d’y demeurer durablement (voire à titre définitif, mais qui pourrait le dire aujourd’hui, alors qu’il était seulement dans sa cinquantième année lorsque la Camarde a frappé à sa porte ?), Jacques Brel va bientôt être repris par le besoin d’écrire, formant même le projet d’un nouvel album.

 

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On l’a dit précédemment, c’est deux ans pile après la mort de son grand ami « Jojo », le premier jour de septembre 1976 qu’il commence à renouer avec la chanson. Mais avant cela, entre janvier et fin août – avec une seule parenthèse franco-belge, en mars, pour un contrôle médical (cf. « Brel-3 ») –, Jacques et Maddly vont prendre le temps de vivre… Entre deux sauts « en ville », à Tahiti, via Air Polynésie et son vol du lundi, pour faire leur marché – c’est-à-dire pour s’approvisionner en denrées alimentaires et passer commande des objets lourds ou volumineux que la « goélette » acheminera ensuite aux Marquises : du mobilier, de l’électroménager ou du matériel divers, comme la chaîne stéréo qui servira d’abord à la kermesse du collège Sainte-Anne (voir « Brel-6 ») –, les amants d’Atuona aménagent peu à peu, modestement, leur petite « villa » qui surplombe le village.

Ils la font repeindre tout en blanc, lui ajoutent une petite terrasse protégée du soleil par un pan de la toiture, ils la meublent et la décorent à leur goût (entre autres souvenirs personnels, une photo des filles de Jacques…), de façon certes sommaire mais suffisamment accueillante pour y héberger un hôte ou un couple de passage. Pas de télévision à Hiva Oa, bien sûr, ni même de téléphone ; d’ailleurs, l’électricité elle-même, qui fonctionne dans la journée avec un groupe électrogène municipal (offrant la possibilité de climatiser), est coupée à 22 heures : « On n’a pas l’électricité la nuit, expliquait Jacques un soir qu’il avait des pilotes à sa table (cf. Tu leur diras, op. cit.), mais on vit admirablement au pétrole [éclairage, réfrigérateur, etc.]. Il y a des tas de choses qu’il n’y a pas, mais on s’aperçoit que ces choses ne servent jamais à rien. Il n’y a pas la télévision, on s’en porte très bien. On lit beaucoup plus, on parle beaucoup plus, on rit beaucoup plus, puisqu’on est obligé de faire soi-même ce qu’éventuellement quelqu’un, un jour, peut faire à la télévision pour vous. Et Dieu sait que c’est rare. Alors on se le fait soi-même. On fait le couillon ! »

À domicile, côté loisirs, information (Jacques est abonné au Canard Enchaîné) et culture, le couple n’a guère d’exigences. Sans parler de la guitare puis de l’orgue électrique qui serviront à composer l’album, ils se satisferont de la chaîne déjà citée (avec une discothèque contenant essentiellement de la musique classique), d’un récepteur radio à ondes courtes (« J’ai mon gros poste de radio qui capte le monde entier. Je reçois épisodiquement l’émetteur de Papeete qui croit être un gros émetteur. Cela me donne un journal de six à sept minutes, j’ai chronométré, on sait s’il y a la guerre ou pas »), d’un magnétophone et d’une bibliothèque extrêmement bien fournie, car Jacques lit ou relit beaucoup (sa dernière commande à Tahiti sera les œuvres complètes de Shakespeare).  

 

 

 

Après son décès, Maddly en dressera l’inventaire. Elle recense des dizaines d’ouvrages d’auteurs classiques (Dickens, Diderot, Hugo, La Bruyère, La Fontaine, Maupassant, Montaigne, Montesquieu…) ou contemporains (Aymé, Blondin, Buzzati, Camus, Céline, Colette, Gary, Gide, Giono, Pascal Jardin, Lowry, Malraux, Merle, Miller, Modiano, Vian…), de penseurs divers (Simone de Beauvoir, Descartes, Freud, Hegel, Kierkegaard, Leprince-Ringuet, Lévi-Strauss, Nietzsche, Nizan, Jean Rostand, Sartre, Simone Weil…), de poètes (Aragon, Breton, Desnos, Prévert, Saint-John Perse…) et de dramaturges (Giraudoux, Molière, Montherlant, Pouchkine…) ; mais aussi des récits de voyage ou d’aventures (Bodard, Cendrars, Conrad, Homère, Kessel, Kipling, Saint-Exupéry, Stevenson…), les Mémoires de De Gaulle, la bio de Léon Blum par Jean Lacouture, La Paille et le Grain de Mitterrand, La Chanson française de Jacques Charpentreau… et bien sûr le Don Quichotte de Cervantès. Beaucoup d’autres encore (la liste complète est publiée dans Jacques Brel, une vie, d’Olivier Todd, Robert Laffont, 1984), dont certains ouvrages pratiques (sur l’aviation, le yachting, le jardinage, l’électricité, la médecine…) ou historiques comme l’Histoire du Far West.

Pour embellir encore les abords de la maison, où noix de coco, bananes, mangues et fruits de l’arbre à pain se ramassent à la pelle, Jacques et Maddly vont la noyer sous un panache multicolore d’hibiscus, bougainvillées et autres fleurs de tiaré (la photo de Brel avec les sœurs, dans l’épisode précédent, a été prise – avec l’appareil apporté par sœur Rose, un jour qu’il les avait invitées à déjeuner – dans son jardin), s’essayant même à cultiver des plantes aromatiques. L’« auteur, compositeur, chanteur acteur, comédien de comédie musicale, metteur en scène, pilote professionnel première classe, capitaine au grand cabotage, rêveur… et cancéreux », ainsi qu’il se qualifie un jour auprès de Maddly, s’est en effet découvert une nouvelle passion pour l’art culinaire. Malgré tout cela, malgré leurs efforts pour rendre les lieux plus attrayants, rien n’y fera : au fil des mois et même des deux années et demie à suivre, les visites de parents, d’amis voire de relations professionnelles d’avant les Marquises seront fort rares, pour ne pas dire inexistantes.

 

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Bientôt germera donc dans l’esprit de Jacques l’idée de bâtir une maison plus confortable et spacieuse, offrant toutes les commodités nécessaires à l’accueil de visiteurs venant des Antipodes, où l’air circulerait mieux, grâce à une meilleure exposition et une situation plus élevée dans le village, avec « vue imprenable » sur Atuona et l’océan. « Sais-tu pourquoi Lino n’est pas encore venu ? », demande-t-il fin 76 à son copain toubib de Tahiti, Paul-Robert Thomas (voir « Brel-3 & 4 »). Pas à cause de la distance, lui explique-t-il avec sérieux, mais « par peur des cafards ! » Une fois construite cette future maison, avec un bungalow climatisé réservé aux invités, Lino Ventura n’aura plus d’excuses ! Quant à Georges Brassens, grand ami commun (avec lequel il continue de correspondre régulièrement), Brel ne connaît que trop son tempérament casanier et sa résistance au voyage, pour espérer le convaincre de faire le déplacement.

En attendant la mise en œuvre de ce projet (auquel ils ne songeront qu’après une première année passée sur place), Jacques et sa Doudou s’installent pour de bon dans la maison cernée, de part et d’autre de son chemin d’accès, par le sabre et le goupillon : la gendarmerie (avec le monument aux morts marquisiens des deux guerres – un seul par guerre !) et le grand calvaire blanc. Sans parler de la mission catholique, de l’église et du collège Sainte-Anne légèrement en contrebas, proches au point d’entendre fort bien les élèves en récréation, et encore plus la chorale, quand elle interprète des chants marquisiens polyphoniques. « C’est beau, mais c’est copieux », dira Jacques. Anecdote racontée par Fiston Amaru, le postier, et rapportée en 2008 par l’auteur de La Valse à mille rêves (op. cit.) : « Un jour en fin d’après-midi, nous bavardions à quelques-uns sur sa terrasse. En bas, la chorale répétait les chants de la messe et on ne s’entendait plus parler. Alors, Jacques s’est levé et il a entonné une chanson paillarde. La chorale s’est arrêtée tout de suite. Et nous avons repris nos conversations. » Bientôt, ce seront les pensionnaires qui entendront Brel dans ses propres œuvres : « Depuis l’école, se rappelle aujourd’hui une ancienne élève des Sœurs, on l’entendait souvent chanter, on avait l’impression qu’il était heureux de vivre, toujours de bonne humeur… »

 

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Car Jacques s’exerce alors à l’écriture des chansons de son prochain disque qui lui prendra près d’un an, de l’automne 76 à l’été 77. Un an pour aboutir à dix-sept titres – de quoi envisager un double album 30 cm – mais sans renoncer pour autant à ses habituelles occupations : la vie au quotidien avec table ouverte le soir aux amis d’Atuona, aux pilotes et marins de passage, puis ses séances de cinéma en plein air, l’avion et le transport du courrier, les évacuations sanitaires, etc., les balades en 4x4 à travers l’île… Outre des séjours réguliers à Tahiti, hébergé chez PRT à Punaauia ; telle la période durant laquelle il revalide sa licence de pilote et dont il profite pour faire découvrir les îles de la Société et des Tuamotu à Charley Marouani et Henri Salvador (cf. « Brel-4 ») avec le bimoteur qu’il vient d’acheter (et qu’il reviendra chercher début 77, une fois mis aux normes exigées pour voler jusqu’aux Marquises – cf. « Brel-3 »). Et pour mener à bien leur écriture et leur composition, Jacques a besoin de tester ses chansons à l’infini, et à tue-tête. Or, tout amputé d’un poumon qu’il soit, sa voix forte et assurée porte loin. Il a d’ailleurs prévenu Maddly : « Veux-tu que je fasse un disque ? Ne réponds pas tout de suite. Réfléchis bien. Je ne suis pas drôle quand je travaille. Tu n’as jamais vu ton vieux travailler, je suis infernal. Il faut que je gueule mes chansons ! Et pour cela il faut que je sois seul. Je ne l’ai jamais fait devant personne… »

J’y reviendrai au prochain épisode, surtout que Jacques a laissé sur place des traces inédites de la gestation de ces chansons-là... Comme s’il avait voulu qu’on les y déniche, un jour, pour faire mentir ceux qui ont dit ou écrit, par exemple, qu’il avait perdu sa voix suite à son opération et qu’il avait dû cravacher fort à Paris, en septembre 77, pour retrouver la capacité vocale d’enregistrer. Il aura d’ailleurs ce mot resté célèbre en apprenant l’intention de Serge Lama de reprendre son répertoire (album Lama chante Brel, 1979) : « Vous direz à Lama qu’il me reste encore un soufflet ! » Sous-entendu : « je suis malade », peut-être, mais toujours capable de chanter ! Voire comme au temps d’Amsterdam…  

 

 

 

Oui, j’en reparlerai d’autant plus volontiers… que Brel a chanté, justement, à Hiva Oa. Pas seulement, comme on vient de le voir, pour le bénéfice involontaire des « sœurs d’alentour » et des élèves de Sainte-Anne, mais aussi de façon délibérée pour certains Marquisiens… Une chose est avérée, que Maddly a confirmée : chez lui, sur la terrasse, dans le jardin (ou même dans la petite piscine qu’ils vont faire creuser), Jacques chante vraiment « tout le temps ! ». Pas ses anciennes chansons – « ou alors en plaisantant », précise-t-elle dans son livre de souvenirs, en les parodiant, comme avec La Fanette : « Nous étions deux couillons / Que Fanette trompait… » (!) –, celles d’autres auteurs et seulement des extraits, des refrains, mais aussi et surtout des airs d’opéra.

Dans son salon, du reste, c’est de la musique classique qu’il écoute « en permanence », rarement de la chanson. Sur disque ou copiée sur bandes (Maddly s’en charge) pour qu’elle défile des heures durant… Une anecdote à ce sujet, que nous a rapportée l’un des témoins, déjà cité (cf. « Brel-6 »), de la vie de Brel à Hiva Oa, Jean Saucourt : « Il écoutait régulièrement Radio Tahiti et pestait contre la programmation musicale, essentiellement anglo-saxonne. “Des américâneries”, disait-il. Un jour, il nous a raconté qu’il avait écrit à la direction pour leur suggérer de diffuser de la chanson française, de la chanson qui s’écoute, pas seulement qui se danse, mais aussi du classique... Et puis, un jour, dans l’émission musicale du matin, on a entendu l’animateur dire : “Et maintenant, le quart d’heure de musique classique… pour Monsieur Jacques Brel” ! »

 

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L’histoire n’est pas finie, car lors d’une de ses virées « en ville », à Tahiti, Jacques tombera sans le vouloir sur l’animateur en question. Il s’appelle Jean-Michel Deligny. C’est un ancien guitariste de la bande à Johnny, Sylvie et autre Carlos, du temps du yéyé, resté depuis sur ses goûts musicaux de l’époque. Il n’a jamais écouté un disque de Brel, bien qu’il en ait acheté un à ses débuts, pensant découvrir un guitar hero à la française ou un émule des Shadows, la pochette affichant un personnage appuyé sur une guitare (il s’agit du troisième album 25 cm, paru en juin 1958, et débutant par Demain l’on se marie). Mauvaise pioche : « J’ai écouté et je ne suis pas allé jusqu’à la fin du premier morceau, confiera-t-il en 2008 à Eddy Przybylski. J’ai offert le disque à ma mère ! »  

 

 

 

Arrivé six ans plus tôt à Tahiti, Deligny est devenu producteur à RFO (« Radio Tahiti ») et animateur de l’émission matinale (l’émission de 6 h : en Polynésie on se lève avec le soleil et on se couche avec lui). Et c’est dans une clinique de Papeete où il s’est rendu au chevet de son vieux copain Carlos, victime de calculs rénaux alors qu’il se trouvait en vacances à Mooréa, qu’a lieu l’improbable rencontre. Drôle d’endroit pour une rencontre ? Le responsable indirect en est le docteur Thomas, chez qui séjournent Brel et la Doudou ; c’est lui qui a fait hospitaliser en urgence le fils de Françoise Dolto, lui qui leur propose de l’accompagner à la clinique, lui aussi qui rapportera la scène :

« J’ai une visite à faire en ville. Et j’ai pensé que vous pourriez la faire avec moi.
– Tu crois que je saurais me servir d’un bistouri ?
Il fend l’air de son bras comme Zorro !
Faut dire qu’il a appris l’escrime pour le tournage du film Mon oncle Benjamin
– Et qui veux-tu que je pourfende ?
– Carlos !
[…] Je raconte l’aventure de Carlos et de son mauvais calcul. De ses vacances écourtées.
Brel se lève aussitôt :
– Mais on vient avec toi ! Maddly ! Mon épée, mon armure… » !

livreEP.jpgLe lendemain, prévenu par Carlos que Brel lui a promis de revenir, Jean-Michel Deligny est présent. Je passe les détails, toujours est-il qu’une soirée bien arrosée, autour de quatre pizzas, est improvisée à la clinique ! « À quatre, précisera l’animateur à Eddy Przybylski, nous avons fini cinq bouteilles de vin. Je ne sais pas comment Brel a supporté ça. Ce que je sais, c’est que c’est lui qui, avec l’aide de Maddly, m’a ramené à ma voiture. Je n’en ai aucun souvenir. Je me suis réveillé dans l’auto et j’ai trouvé un mot : “Bien aimé cette soirée. Parle pas trop de moi à la radio. On s’écrit !” De fait, il m’a écrit des Marquises et, quand il est revenu à Tahiti, je les ai invités à la maison. »

Après avoir convaincu Deligny « par A + B » du bien-fondé de passer un peu de musique classique dans son émission, Jacques remonte au créneau, lui suggérant cette fois de diffuser de temps à autre un morceau d’un de ses musiciens préférés, Franz Schubert. Et l’animateur de s’exécuter de bon cœur, en évitant désormais de le citer nommément : « Quand je le faisais, j’annonçais toujours : “Et maintenant, le petit Schubert des Marquises !”… » Joli clin d’œil. Lors d’un séjour ultérieur, alors que Brel joue avec le gros chien de Jean-Michel (« un doberman d’une gentillesse extraordinaire mais qui faisait peur à tout le monde, et qui aimait à se blottir contre Jacques »), celui-ci lui suggère : « Il y a une photo à faire ! » Car s’il craint les paparazzi comme la peste, Jacques Brel ne rechigne pas à se faire photographier en privé.

 

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Ce jour-là, il pose complaisamment avec le chien, seul ou en compagnie de Maddly. Une pellicule y passe ; trente-six poses. La chose n’est pas anecdotique, car c’est précisément de cette séance que sera tiré le fameux portrait en médaillon sur fond bleu du dernier album, cheveux courts, barbichette et doigt sur la bouche. Le moment venu, le chanteur retiendra lui-même cette photo et la remettra à Barclay après avoir dit à Deligny : « Celle-là, tu la vends le maximum ! » Une photo, devenue rapidement « culte » pour tous les amateurs de Brel, que l’on n’aurait peut-être jamais connue si un certain Adolphe Sylvain, le grand photographe de Tahiti (voir « Brel-3 »), n’avait pas oublié le rendez-vous fixé par Jacques pour une séance de photos… Allez savoir ! Une photo où celui-ci, à travers son expression complice, semblait s’adresser directement à nous, qui avions tant attendu ce nouvel album, sans oser l’espérer, après plusieurs années de silence discographique ; comme s’il voulait nous dire : « Ne vous inquiétez pas, je vais bien et je vis aux Marquises, je veux simplement qu’on me laisse tranquille ; mais je ne vous oublie pas et, pour le prouver, je vous offre ces chansons… » Peut-être fut-ce l’intention de Jacques a posteriori, mais sur le moment on sait maintenant que les circonstances furent plus prosaïques. C’est Deligny qui l’a révélé, via La Valse à mille rêves (Ed. de l’Archipel, 2008) – la meilleure bio consacrée au Grand Jacques après celle de Marc Robine (voir « Brel-2 ») –, le doigt sur la bouche, « c’est parce que Brel essaie de faire taire le doberman… ».

 

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Mais retournons à Hiva Oa. Dans cette maison d’amour et d’amitié, aux « nacos » en verre en guise de fenêtres, où Jacques et Maddly sont assistés, le matin, d’un « homme de maison », Fii, et d’une femme de ménage, une proche voisine nommée Matira. C’est elle qui gardera les lieux, en s’installant à demeure avec ses trois enfants, dormant même dans le lit du couple quand celui-ci effectuera des séjours en Europe. Le tableau de la maisonnée ne serait pas complet si l’on oubliait de citer Mimine, la chatte qui a choisi d’y élire domicile, et ses trois chatons, bientôt, que Brel, fin plaisantin autant que fin lettré, baptisera Waterloo, Waterloo et Morne Plaine !

À défaut de recevoir d’anciens amis, ils sympathisent avec des habitants d’Hiva Oa, popaas ou marquisiens de souche : avec les sœurs (qui « animent admirablement leur école, confie Jacques à Paul-Robert. J’aime rencontrer sœur Élisabeth. Elle est douce et humaine. Elle voit tout et sait tout. Elle admet les petits écarts, comme elle admet l’anticléricalisme revendiqué dans mes chansons. Aux Marquises, l’habit fait moins le moine qu’ailleurs ») ; le curé (le père André qu’il salue dans les rues d’Atuona d’un tonitruant et systématique « Dieu est mort ! ») ; le postier Fiston Amaru qu’il a pris en affection et qu’il appelle toujours « vieux pédé » (alors qu’il n’est ni homo ni vieux), à l’instar de tout représentant de la gent masculine ; le prof de maths, Marc Bastard, au lourd passé d’aventurier ; Raymond Roblot, un viticulteur bourguignon bien connu (rencontré au pique-nique du jour de l’an 76) venu lui aussi s’installer aux Marquises, lassé de sa vie en France (un jour d’agapes un peu trop arrosées, il sera victime d’hydrocution en plongeant de son bateau : sur sa pierre tombale, quelques mètres plus haut que Brel et Gauguin, on a sculpté une grappe de raisin en guise d’épitaphe !) ; Victorine Matuaiti, dite Vito, et Christian Rauzy, le frère du maire, tous deux membres du personnel soignant de « l’hôpital » ; le mécanicien d’Atuona, Luigi Conscient, toujours prêt à rendre service ; la propriétaire de la maison, Hei Teupua ; le maire, bien sûr, Guy Rauzy… et puis Jean Saucourt, un pied-noir arrivé de longue date en Polynésie, devenu conducteur de travaux publics (il est alors « responsable de secteur de l’équipement des Marquises sud »), et sa femme marquisienne, Aline.

 

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Tout ce petit monde est invité plus ou moins régulièrement à boire un coup sur la terrasse (voire en maillot de bain dans la petite piscine circulaire, comme en témoigne une photo – de qualité hélas trop médiocre pour être reproduite ici – que l’on nous a remise, où l’on voit Jacques trinquer avec Bastard et Roblot, assis tous trois, immergés jusqu’au buste), ou à dîner. Témoignage exclusif de Jean Saucourt, vrai personnage de roman (genre Salaire de la peur), physique trapu de baroudeur, désormais à la retraite (mais qui loue aujourd’hui quelques bungalows tout équipés et offre à l’occasion ses services de guide culturel, sous réserve toutefois de lui paraître suffisamment motivé !) : 

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« D’abord, Jacques Brel exigeait une tenue correcte pour dîner chez lui. Maddly était en robe de soirée et Jacques nous recevait dans un smoking blanc, très classe, avec nœud papillon. Au bout d’un moment il demandait à Maddly ce qu’elle proposait à boire, en précisant aussitôt, comme une sorte de rituel : “Je crois que le champagne s’impatiente !” On discutait de tout et de rien, et puis on passait à table, on dînait à l’extérieur sur la terrasse…
– Parliez-vous de sa carrière de chanteur, des films qu’il avait tournés, etc. ?
– Non. On parlait de la vie quotidienne. Par exemple de l’avancée des routes dont je m’occupais, il fallait tracer des pistes, ou aménager celles qui existaient déjà pour les rendre carrossables. Jacques avait d’ailleurs l’habitude de passer nous voir, il venait nous saluer et plaisantait avec nous. “Alors, les gars, vous avez fait combien aujourd’hui ?” Il parlait du nombre de mètres qu’on avait tracés ou aplanis avec nos engins…
– Il conduisait lui-même ?
– Oui, il était accompagné de Maddly, ou de gens de passage, des marins ou autres, auxquels il faisait découvrir l’île ; enfin, là où il était possible de passer...
– Quelle voiture avait-il ?
-– Une Toyota Jeep, un 4x4 bien sûr, indispensable pour circuler ou se rendre par exemple jusqu’à l’aérodrome : la piste était sinueuse, étroite et très dangereuse, surtout en temps de pluie où elle devenait comme une patinoire. Il s’est acheté aussi une moto Suzuki, mais le temps lui a manqué pour s'en servir comme il l’aurait voulu.
– Combien de temps ont duré ces travaux ?
– Environ sept ans. On a démarré en 1972, pour ouvrir la route de l’aéroport. Et on a fini en 1979, en arrivant à Puamau [à l’extrême est d’Atuona : voir la carte de l’île dans « Brel-5 »].
– Y avait-il déjà des pistes bétonnées quand il est arrivé fin 75 ?
– Non, il n’y avait que des pistes de terre quand il était là. Avant son départ, en août 78, on avait seulement fait du goudronnage dans le village. Le cimentage date de 1986.
– Et le téléphone ?
– Il n’y en avait pas. Il est arrivé au début des années 80 et il a fallu attendre 1986 pour avoir l’automatique.
– As-tu conservé des photos avec Jacques ?

 

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– Non, seulement les cartes postales qu’il nous envoyait à ma femme et moi quand il regagnait la France ou quand il revenait par le chemin des écoliers. On savait qu’il voulait être tranquille et qu’il fuyait les photographes. Alors on respectait ça. Un jour, Éric Tabarly est arrivé à Hiva Oa, il voulait voir Brel, mais ils n’ont fait que s’entrevoir car Tabarly était suivi par quantité de journalistes. Jacques s’est sauvé en voiture dans la vallée pour qu’on ne puisse pas le prendre en photo…
– As-tu un regret quelconque ?
– Bien sûr. Le regret de ne pas l’avoir mieux connu. De ne pas en avoir eu le temps. Ici, Jacques Brel était un habitant comme les autres, il n’y avait pas de raison de le harceler de questions, on le laissait en paix. Et il avait plein de projets... Il avait même obtenu un bail de 99 ans pour le terrain où il comptait faire construire sa maison. Il l’avait choisi au-dessus du village, pour respirer mieux et se rapprocher de l’aéroport. Il avait fait dessiner les plans, à son idée, par un architecte de Papeete et les travaux de viabilisation étaient en cours… Pour nous, il était clair qu’il allait rester. Si on avait su qu’il nous quitterait aussi rapidement… »  

 

 

 

Punaauia, trente-cinq ans plus tôt. Jacques Brel à Paul-Robert Thomas (cf. J’attends la nuit, Le Cherche Midi, 2001) qui l’interroge sur les Marquises : « Il n’y a rien ! Sinon des gens souriants, qui n’ont pas le sens du temps. L’île d’Hiva Oa (qui signifie « L’étirée en longueur ») fait 40 km de large sur 20 km de haut. Cela paraît immense car il n’y a pas de route, mais de rudimentaires pistes cavalières. Pour aller d’Atuona à Puamau, de l’autre côté de l’île, il faut un à deux jours de cheval. C’est éreintant. On y construit une route. Il va falloir des années car les montagnes sont abruptes, la terre glissante, la végétation dense. » Et de préciser qu’Atuona, alors, est « un hangar à bulldozer, tracto-pelles et autres engins à chenilles et grosses roues » – un « hangar » dont Saucourt, maître d’œuvre du chantier, est le gardien. Dans Tu leur diras, publié en 1982, Maddly évoquera aussi ces rencontres avec l’équipe de Jean : « Quand on traçait la piste qui devait aller jusqu’à l’extrémité sud de l’île, il me disait : “Viens, allons voir les ouvriers, ça les changera de voir du monde !”. »

 

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À la saison des pluies, s’il est difficile pour Jacques de remonter chez lui en voiture depuis « le Chinois » [l’épicerie dite aujourd’hui « magasin Gauguin » : voir « Brel-5 »], « c’est encore plus difficile, dit-il à PRT, quand il faut aller chercher du matériel au débarcadère, là où sont les baleinières de la goélette Aranui [voir « Brel-4 », avec la nouvelle Les Marquises, ça se mérite, d’Alex W. Du Prel]. En fait il ne s’agit pas d’un voilier à deux mâts, mais on a gardé l’habitude du terme de goélette pour les bateaux qui cabotent entre les îles et viennent débarquer et embarquer marchandises et passagers. Il y a près de deux kilomètres ! L’Askoy est mouillé à une encablure du quai. Il faudra que je le change de place, avant les grandes houles de décembre [1976]… Les Marquises sont magnifiques, mais il faut, avant tout et surtout, vraiment vouloir y vivre. Rien n’y est facile, mais tout devient naturel. »

 

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Jean Saucourt peut en témoigner, lui qui a choisi de rester au pays de sa femme Aline et qui milite aujourd’hui avec elle pour la préservation de son patrimoine, la culture séculaire de l’archipel – notamment avec ses vestiges archéologiques, laissés quasiment à l’abandon (tel cet extraordinaire et unique « tiki souriant », ci-dessus, qu’il faut aller dénicher en pleine « jungle »), et son art de la sculpture auquel Gauguin s’était lui-même initié – étant la plus riche et diverse de toute la Polynésie française. Sur l’île d’Hawaï, il ne reste plus rien de la même culture maori, rapidement escamotée au profit du modèle américain. Aux Marquises, par chance, elle reste très vivante, sans être à l’abri d’un retournement soudain de situation, d’une génération à l’autre. « La culture marquisienne, expliquait déjà Brel à son ami médecin, est bouffée par la culture tahitienne, qui est elle-même bouffée par le français, qui à son tour est bouffé par l’anglais ; et l’anglais, par l’américain ! »

 

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Alors, Jean se bat sur tous les fronts. Après en avoir tracé, élargi ou cimenté les pistes, il connaît l’île et son histoire comme sa poche et ne demande qu’à partager son savoir. C’est un régal de parcourir Hiva Oa en sa compagnie érudite. Mais attention, avant d’obtenir sa collaboration, il vous fera passer, l’air de rien, une sorte d’examen. Nous y avons eu droit ! Pas question en effet, pour Jean Saucourt, de jouer au taxi-brousse avec des touristes indifférents à l’histoire de ces lieux (dont les ancêtres des habitants actuels pourraient être à l’origine du peuplement de l’île de Pâques, son dialecte et ses statues monumentales, les fameux moaï, présentant bien des analogies avec la langue et les tikis marquisiens) : avec ses pas loin de 70 balais, mais rassurant comme un roc, passionnant et enthousiaste, il vous offrira le maximum de lui-même si seulement il se rend compte que l’intérêt est partagé.

En l’an 2000, il a participé aux fouilles du puits que Gauguin avait fait creuser au pied de sa Maison du jouir, aujourd’hui reconstituée (cf. « Brel-5 »), l’eau douce surgissant à Atuona à faible profondeur. De son atelier du premier étage, à l’aide d’une canne à pêche, l’astucieux pécheur devant l’Éternel pouvait en remonter sans effort les bouteilles d’absinthe qui patientaient au frais ! De nouveau rebouché, mais mis en valeur, le puits fait à présent office de monument historique. Jean Saucourt : « Il était totalement obstrué lorsque nous avons mis à jour son emplacement. On y a retrouvé plein de petites choses, entre autres des bouteilles, des débris divers mais aussi des seringues et même des ampoules intactes de morphine… »

 

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On peut les voir à présent au Centre cuturel Gauguin, dans l’enceinte duquel se trouve le puits. Des objets dont l’examen permettra peut-être un jour de connaître la cause réelle de la mort du peintre. Tuberculose ? Maladie vénérienne ? Alcoolisme ? Les trois, mon capitaine ? Ou bien… ? Souffrant d’une infection à une jambe suite à une fracture ouverte subie lors d’une rixe à Concarneau, au printemps 1894, et réduite à la va-vite, le peintre aura régulièrement recours au laudanum puis à la morphine pour calmer ses douleurs, la plaie ne parvenant jamais vraiment à cicatriser. À Hiva Oa, conscient du danger, il avait demandé à son ami américain Varney qui tenait le magasin où il s’approvisionnait, de l’autre côté de la rue, de conserver sa dernière seringue et ses doses de drogue. livreBerruer.jpgMais le 7 mai 1903, souffrant le martyre, il fait appeler le marchand et le supplie de lui rapporter le tout. Le lendemain, on le trouva dans son lit, la jambe gauche pendant à l’extérieur… Overdose ? « Quelqu’un remarqua – était-ce Varney ? – qu’une fiole vide reposait près des lunettes, sur la table de chevet du défunt. Du laudanum ? Quelle importance ! Personne ne le sut jamais… Personne non plus ne put s’opposer à l’autodafé exigé par Mgr Martin [voir « Brel-6 »]. Là-bas, écrira l’excellent et regretté Pierre Berruer (ex-Ouest-France et auteur d’une des plus belles bios de Gauguin, Le Bon Dieu n’a pas d’oreilles, Plon, 1986), à quelques centaines de mètres, sur la plage où germaient des cocos, deux chevaux blancs couraient, insouciants et joyeux. »

Jean Saucourt, octobre 2011 : « Je connais quelqu’un, sur Atuona, qui dispose encore du carnet de facturation du magasin Varney, comportant la liste des produits que Gauguin achetait à crédit, avec sa signature à chaque nouvel achat ! Je l’ai vu une seule fois, mais depuis il m’est impossible de convaincre la personne concernée de mettre ce carnet à la disposition du patrimoine. C’est pourquoi depuis longtemps je milite pour l’ouverture d’un musée qui porterait notamment ce genre de documents à la connaissance du public, avec bien sûr des contrats confirmant la propriété d’origine… »  

 

 

 

Jacques Brel, Atuona, 1977 : « Quand on va à Paris, les gens nous demandent : “Mais qu’est-ce que vous pouvez donc faire toute la journée aux Marquises ?” On vit. On est occupés toute la journée à vivre sa journée. » Un soir, à des pilotes d’Air Polynésie qu’il a invités à dîner, il précise : « Il faut du temps pour tout et on prend du temps pour tout. Par exemple notre voiture est en panne. Comme il n’y a pas de garagiste, il faut trouver un gars qui connaît bien, qui veut bien… Il n’y a pas de station essence, on met une demi-journée pour faire le plein. » Sans parler de la cuisine, puisqu’il prend en charge tous les repas : « Il n’y a pas de restaurant, alors je fais la cuisine. Sauf le poulet à la belge qui est une spécialité de la Doudou. […] En plus, ici, c’est excitant d’essayer de faire de la bonne cuisine parce qu’il n’y a rien du tout. Les viandes congelées de Nouvelle-Zélande arrivent à Tahiti et nous sont réexpédiées par les goélettes, et les herbes sont inexistantes. J’ai apporté du persil, que j’ai planté… En ce moment, je me bats comme un fou pour l’oseille. Je voudrais pouvoir faire un saumon à l’oseille de mon jardin. J’ai déjà potassé la recette. »  

 

 

 

D’où lui est venu cet amour de la cuisine ? Il s’y est toujours intéressé, assure-t-il, mais c’est sur le bateau, pendant la si longue traversée du Pacifique (souvenez-vous du pot au noir, cf. « Brel-2 »), qu’il y a pris goût. « Sur un bateau c’est encore un peu plus pointu parce que ça bouge et je mettais un point d’honneur à ne pas ouvrir de boîtes. J’ai donc étudié sérieusement dans différents livres et je peux dire que je fais vraiment la cuisine... » (Tu leurs diras, op. cit.) Cela se saura très vite à Tahiti, tant et si bien que les pilotes invités à sa table n’arriveront jamais sans provisions. « Tout est aventure quotidienne. C’est une aventure de trouver des œufs, alors qu’il y a des coqs et des poules à profusion. Mais les poules sont en liberté, comme les gens. Et elles pondent dans les taillis. Aucune crudité, si ce n’est quelques tomates, oignons et concombres. Par contre on regorge de fruits succulents. […] Le poisson est excellent. » (J’attends la nuit, op. cit.) Bref, il faut savoir s’organiser, apprendre à anticiper, prévoir qu’on va manquer de riz… « C’est une habitude à prendre. Si on veut quelque chose en décembre, on le commande en août. Ce n’est pas plus compliqué. »

La table, elle, est toujours l’œuvre d’un chef étoilé. Que le plat de résistance soit relativement simple, comme le couscous que Jacques prépare la première fois pour Jean Saucourt, ou sophistiqué comme le poulet à la Neva qu’il réserve à Marc Bastard. Car Jacques est extrêmement attentionné avec ses invités. D’autant plus, sans doute, qu’il les choisit avec soin, réfutant régulièrement des demandes de fonctionnaires désireux de le rencontrer. C’est donc un vrai privilège d’être invité à sa table. Jean Saucourt se souvient de cette première fois : « Jusqu’alors on n’avait fait qu’échanger quelques mots, en se croisant dans le village ou sur le chantier. Mais le jour où il nous a fait part de son invitation, ma femme et moi, après avoir précisé que la tenue de soirée était de rigueur, il m’a demandé : “Au fait, c’est quoi ton plat préféré ?” Comme je suis originaire d’Algérie, j’ai répondu : “le couscous.” Sur le moment j’ai pensé qu’il me demandait ça comme ça, histoire de parler. Et puis, le jour venu, quand on est passés à table, après l’apéritif – champagne et caviar ! – et l’entrée, il est arrivé de la cuisine portant un plat de couscous ! Il l’avait préparé tout exprès pour moi… »

 

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Autre témoignage du même genre, celui de Marc Bastard, devenu le meilleur ami de Jacques à Hiva Oa. D’aucuns ne manqueront d’ailleurs pas de noter, curieusement, une certaine ressemblance physique entre lui et Jojo…

« M’ayant souvent prié à déjeuner ou à dîner chez lui, il me posa un jour la question suivante : “Quel plat as-tu le plus apprécié dans ta vie ?” Ma mémoire gustative se mettant en marche, je sortis au bout d’un moment : “Le poulet à la Neva.” C’était pour moi le souvenir ancien d’un soir de réveillon chez des amis de ma famille. Pour fixer les idées, le poulet à la Neva n’a rien du poulet chasseur de nos grands-mères. La volaille est désossée, cuite et entièrement reconstituée avec, mêlés à la chair de l’animal, du foie gras, des truffes et de la crème fraîche. Le tout est enrobé de gelée. Les rondelles de truffe restent apparentes. C’est une œuvre d’art et de goût. Le tout se découpe en tranches. On trouve ce plat de luxe chez les grands traiteurs parisiens, mais il n’est pas à la portée du cuisinier amateur moyen.
« Sur le moment, et dans mon esprit, sa question et ma réponse sur mon plat préféré n’avaient qu’un caractère documentaire. Or le soir du premier de l’an 1977, dans la maison de la colline, à la lueur des chandelles, avec la phrase traditionnelle “le champagne s’impatiente…” par laquelle il accueillait ses hôtes, Jacques s’éclipsa un moment et revint… avec un superbe poulet à la Neva, confectionné de ses mains ! »  

 

 

 

On le voit, Jacques excellait dans tout ce qu’il entreprenait. Le talent, assurait-il, c’est d’avoir envie. À l’en croire, il suffirait dès lors d’un pour cent d’inspiration, le reste étant « seulement » affaire de « transpiration ». D’apprentissage et de travail, c’est-à-dire. Lucidité ou humilité des gens vraiment… talentueux ? Après avoir entendu le Grand Jacques, cette question m’a toujours habité, au point que jamais je n’ai manqué de la poser aux plus… talentueux des créateurs que j’ai rencontrés voire côtoyés de près. Auteurs-compositeurs, écrivains, poètes… À Léo Ferré, à Frédéric Dard, à Luc Bérimont… pour n’en citer que trois, au hasard, parmi tant d’autres. « Géniaux », à n’en pas douter, ils étaient aussi et surtout des bourreaux de travail. Des stakhanovistes de la transpiration... Cela me renvoie au mot de Mileva Einstein, la première épouse du grand physicien, qui avait assisté, en excellente mathématicienne qu’elle était, à la gestation de la théorie de la Relativité ; en réponse aux journalistes se pressant soudain à leur porte dans l’espoir d’obtenir une déclaration du « génie », elle dit : « Mon mari se tue au travail. Voilà en quoi consiste son génie. » Einstein lui-même (grand amateur de musique et violoniste accompli, soit dit au passage), déclara : « Je ne pense pas que mon cerveau soit exceptionnel. Je suis seulement plus obstiné et plus passionné que la plupart des gens. »

Plus obstiné, plus passionné, Jacques Brel l’était assurément. En toutes choses. Avec un petit plus, encore : sa façon naturelle d’être en empathie avec les hommes (« j’ai mal aux autres »…) qui a fait, par exemple, que son souvenir reste aussi indélébile à Hiva Oa. Au final, se dessine le portrait d’un homme debout. « De l’aube claire jusqu’à la fin du jour ». Un homme qui jamais n’a courbé l’échine, ni devant quiconque ni face aux circonstances, aussi tragiques fussent-elles. Don Quichotte des temps modernes. Seule, la Faucheuse à laquelle nul n’échappe aura finalement eu raison de lui – ou plutôt de son enveloppe charnelle. Car son esprit demeure vivant en nous. « Voilà que l’on se couche / De l’envie qui s’arrête / De prolonger le jour / Pour mieux faire notre cour / À la mort qui s’apprête / Pour être jusqu’au bout / Notre propre défaite… » Serait-il impossible de vivre debout ? Aux Marquises, Jacques Brel a fait la preuve du contraire.    

(À SUIVRE)

__________ 

« SUR LES TRACES DE JACQUES BREL » (texte et photos de Fred et Mauricette Hidalgo), rappel des chapitres précédents : 1. Le Voyage aux Marquises (18 novembre 2011) ; 2. Sa nouvelle adresse (26 novembre) ; 3. Si t’as été à Tahiti… (3 décembre) ; 4. Touchez pas à la mer ! (8 décembre) ; 5. Aux Marquises, le temps s’immobilise (13 décembre) ; 6. Si tu étais le bon Dieu… (9 janvier 2012).

 
 
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9 janvier 2012 1 09 /01 /janvier /2012 13:38

Si tu étais le bon Dieu…

 

Dans les années 70, au fond de la baie de Tahauku qui sert de mouillage aux bateaux faisant escale à Hiva Oa, la plage est un lieu de pique-nique pour les habitants d’Atuona. Parfois aussi de fête populaire comme celle, donnée par la municipalité, le jour de l’an 1976 ; le jour où Jacques Brel et sa compagne Maddly Bamy, un mois et demi à peine après leur traversée du Pacifique, vont rencontrer les propriétaires de leur future maison…

 

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En fait, Jacques a prévenu très vite le maire, Guy Rauzy, de son intention de s’installer dans la commune. Encore faut-il trouver à se loger : pas facile, Atuona n’étant qu’un gros bourg d’un millier d’âmes dont les habitations, des cases de plain-pied (pas d’HLM ici !) en murs de bois et toit de tôle ondulée, sont occupées par leurs propriétaires. Et puis, Rauzy n’est pas convaincu qu’Hiva Oa soit ce qui convienne le mieux à un tel personnage. Lubie d’artiste, sans doute. Certaines îles de l’archipel de la Société sont autrement plus accueillantes et faciles à vivre : Tahiti, Moorea, voire Bora Bora ou Huahiné. Mais le Marquisien ne connaît pas encore notre homme. Celui-ci a pris sa décision, il n’en démordra pas. Il faut voir, lui dit le maire, je vais en parler, on verra bien...   

 Aux Marquises, le temps ne semble pas s’écouler au même rythme qu’ailleurs. La patience fait partie intégrante de la vie quotidienne. À Hiva Oa, où l’administration et son personnel sont réduits à leur plus simple expression, la ville d’Atuona est comme endormie. Alors, en attendant, Jacques et sa Doudou continuent de vivre sur l’Askoy, bord à bord avec le Kalais, le voilier de leurs amis Vic et Prisca (cf. « Brel-2 », § « Fin 1975 »). Ceux-ci reprendront bientôt la mer, poursuivant leur propre tour du monde, et jamais plus les quatre compagnons de navigation ne se reverront.

   

 

Avant cela, cependant, ils vont jouer ensemble les trublions à l’un de ces pique-niques organisés sur la plage (à l’aspect jadis plus accueillant qu’aujourd’hui, plusieurs tsunami étant passés par là depuis les années 80, le plus récent en février 2010 – voir la photo de « Brel-2 »). Enfin, par « ils », je veux dire Brel, que les autres se contentent de suivre, un brin gênés sans doute par son impétuosité. Depuis son bateau, un dimanche midi de décembre 75, Jacques a en effet aperçu à terre des robes blanches de sœurs et, surtout, une soutane noire... Provocation ! Comme le taureau devant la muleta, il voit rouge… et il fonce.

 

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C’est Prisca, dans le livre de souvenirs (Jacques Brel, l’homme et la mer, Plon, 1993) qu’elle écrira sur cette période passée à côtoyer notre héros, qui raconte la scène (corroborée aujourd’hui par des participants à ce pique-nique). Débarquant de son dinghy, notre anticlérical endiablé fait mine de rebrousser chemin en s’écriant : « Foutons le camp, ou je vais tous les bouffer ! » Et puis, se tournant vers Maddly : « Pas de fuite devant l’ennemi. On fonce dans le tas ! Viens, Doudou ! » Et de viser son auditoire médusé, comme armé d’un fusil invisible : « Pan ! Pan ! Pan ! » Le curé, le sourire aux lèvres, est le premier à réagir : « Qu’est-ce qui t’arrive ? » – vous l’ai-je dit ? en Polynésie, le tutoiement est naturel. « Vous êtes trop nombreux, ici, lance Brel, ça ne peut pas durer ! »

En fait de bouffer du curé ou de la bonne sœur, ce jour-là Jacques sympathisera avec le Père André, curé de Fatu Hiva (l’île habitée la plus au sud de l’archipel), et surtout avec les sœurs de la congrégation Joseph de Cluny, établie à Hiva Oa depuis 1885. Le collège Sainte-Anne dont elles ont la charge est une pension pour jeunes filles de 8 à 18 ans, les garçons – excepté ceux des petites classes de l’école du même nom qui, en cette année 75-76, sont les premiers à faire l’expérience de la mixité – devant se rendre à Nuku Hiva. Il y a là Sœur Rose de Nazareth, la mère directrice, Sœur Marie-Claire, Sœur Élisabeth ou encore Sœur Maria dont l’accent espagnol lui vaut de subir sans délai la diatribe antifranquiste de Brel, heureux d’avoir appris le 20 novembre précédent « que Franco est tout à fait mort » (ainsi qu’il l’écrira bientôt dans Knokke-le-Zoute). Le curé, lui, au fil de leurs rencontres, ne coupera pas à la raillerie récurrente du chanteur sur l’histoire des deux maîtresses (à la fois) de l’évêque d’Hiva Oa, un certain Mgr Martin, du temps de Paul Gauguin.

 

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Jacques Brel ne faisait en cela que répéter l’attitude moqueuse de son illustre prédécesseur envers l’homme d’église trois quarts de siècle plus tôt. C’est d’ailleurs en réaction à l’hypocrisie de l’évêque que Gauguin grava l’inscription La Maison du jouir sur « la grande cabane » dont il dessina les plans et qu’il fit bâtir par deux charpentiers locaux. Une maison en lattis de bambou et toit de feuilles de cocotier (voir « Brel-5 »), avec de part et d’autre de l’escalier extérieur menant à son atelier (et à sa chambre !), comme pour aggraver volontairement son cas, deux panneaux sculptés par lui : « Soyez mystérieuses et vous serez heureuses » et « Soyez amoureuses et vous serez heureuses ». Mais la vengeance est un plat qui se mange froid : le 9 mai 1903, lendemain de la mort du peintre dont il savait bien l’anticléricalisme absolu (en dépit – ou à cause – de son passage au Petit Séminaire d’Orléans…), l’évêque se fit un malin plaisir de le faire enterrer avec les sacrements religieux après un détour par l’église. Non content de cette bassesse posthume, il exigea ensuite l’autodafé de dessins et de peintures (on parle de vingt-cinq toiles !) qu’il jugeait obscènes…

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Pour couronner le tout, « Monseigneur » Martin écrivit ces lignes pitoyables dans son rapport du mois écoulé : « Rien de bien saillant, sinon la mort subite d’un triste personnage nommé Gauguin, artiste de renom, ennemi de Dieu et de tout ce qui est honnête. » Quant à l’administrateur des îles Marquises, c’est avec mépris qu’il commenta le décès du génial artiste dans un courrier adressé au gouverneur : « J’ai averti les créanciers du défunt d’avoir à me fournir leurs créances en double exemplaire. Selon les renseignements qui me sont parvenus, il résulte que le passif excèdera de beaucoup l’actif, les quelques tableaux du défunt, peintre décadent, ayant peu de chances de trouver amateur… » Aujourd’hui, non seulement « L’esprit des morts veille / L’ange aux ailes jaunes / Sur fond de montagne / […] Dans la grande cabane / Qu’il a fait construire / À Hiva-Oa, là où il mourut... » (Manset, cf. « Brel-5 »), mais ses toiles de Tahiti et d’Hiva Oa (comme cette « Course de chevaux sur la plage »), que son ami Monfreid avait le plus grand mal à écouler à un tarif de misère, se vendent à coups de millions de dollars ou d’euros.

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1er janvier 1976 : invité par le maire à participer aux festivités de la commune sur la plage du « port », Jacques retrouve les sœurs qui, aux antipodes des Bigotes de sa chanson, ne se sont pas formalisées de son débarquement intempestif quelques semaines plus tôt ; elles l’ont aussitôt accepté tel qu’il veut apparaître : athée, ô grâce à Dieu ! « Je n’ai pas la notion de Dieu, expliquera-t-il plus tard à Maddly en vue d’un livre à publier après sa mort (Tu leur diras, Éditions du Grésivaudan, 1982). Il est bien plus constructif, à mon sens, de se mettre en face des réalités plutôt que de tout déposer aux pieds d’un individu, et d’attendre qu’il fasse le travail. » En réalité, les sœurs l’ont même adoubé, en l’accueillant à l’école quelques jours auparavant sur les conseils de Marc Bastard, le prof d’anglais et de maths : « Nous avons la chance d’avoir un grand chanteur parmi nous. Je pourrais lui proposer de venir parler de son métier aux élèves de l’école ? Mais je ne suis pas sûr qu’il accepte… » Sous-entendu : parce qu’il n’aime pas trop les représentants de l’Église, quels qu’ils soient, et qu’il n’a nulle envie, d’autre part, de parler de sa propre carrière. Mais Sœur Rose donne néanmoins son accord et, contre toute attente, Jacques aussi, sans se faire prier !

À Eddy Przybylski, le dernier des rares (vrais) biographes de Brel à s’être rendus sur place (après Pierre Berruer, Olivier Todd et Marc Robine, les deux premiers au début des années 80, le troisième en 1998 et le quatrième dix ans plus tard), Sœur Rose racontera ce premier contact (cf. La Valse à mille rêves, op. cit.). L’artiste ayant souhaité que les élèves préparent des questions, la mère directrice en avait informé le professeur de français chargé de l’accueillir dans sa classe. Mais les questions s’étant avéré superficielles, « Jacques Brel a pris la direction des opérations », se rappelle-t-elle. Par discrétion et « puisqu’il n’aimait pas les bonnes sœurs, je n’ai pas voulu m’imposer et je n’ai pas assisté à cette rencontre. Je ne sais pas ce que Jacques Brel a raconté aux enfants. Mais, d’où j’étais, je les entendais rire beaucoup ». Après cela, Sœur Rose va quand même au-devant de lui « pour le saluer et lui proposer un rafraîchissement. Puisqu’il était belge, j’avais préparé une bière qu’il a acceptée volontiers. Et là, miracle ! Il s’est mis à me parler comme si nous nous connaissions depuis toujours. Il semblait content d’être là. »

 

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Cette petite causerie, mine de rien, constitua les débuts de l’implication de Brel dans la vie de la commune. Peu à peu, il marquera celle-ci de son empreinte, à travers quantité de services rendus en tout genre. Jusqu’au transport inter-îles du courrier ou des personnes aux manettes de son Jojo à partir de janvier 77 (voir « Brel-3 »), notamment les pensionnaires du collège Sainte-Anne qui, sans lui, n’auraient pu retrouver leurs familles à Noël ou à Pâques dans leur île d’origine ; de passage dans l’établissement (toujours tenu par les sœurs qui se comptent à présent sur les doigts d’une main), j’ai rencontré l’une de ces anciennes pensionnaires, devenue enseignante et mère de famille, qui, trente-quatre ans après les faits, en conserve un souvenir ému. Sans parler d’évacuations sanitaires à Taiohae voire à Papeete quand il y avait urgence. Bastard : « Ce n’était certainement pas par hasard qu’il avait choisi d’incarner Don Quichotte ! »

De façon plus « terre à terre », une fois établi dans cette ville assoupie, où s’efface même le rythme des saisons – car « s’il n’y a pas d’hiver, cela n’est pas l’été » non plus –, Jacques se désole pour les Marquisiens du manque d’activités culturelles à Hiva Oa. Il va donc faire en sorte de leur apporter le cinéma, en effectuant lui-même des projections en plein air : « En ce temps-là, se souvient Bastard, aux Marquises, les distractions étaient rares. La télévision n’était pas encore installée. Il y avait bien, à la Mission, un projecteur 16 mm qui passait le samedi soir des films antédiluviens, à l’exception de ceux que les bateaux de guerre de passage prêtaient pendant une ou deux soirées », mais rien de plus. Alors, Brel décide courant 76 de remédier à la question. Il remue ciel et terre, et après avoir convaincu le maire de lui « prêter » un terrain au centre du village et surtout de construire un grand mur peint en blanc pour faire office d’écran, il écrit à son ami Claude Lelouch avec lequel il avait tourné L’aventure c’est l’aventure, puis contacte le cousin tahitien de Fiston Amaru, le postier d’Hiva Oa, qui était exploitant de salle à Papeete.

 

 

Le résultat de ses démarches, pour faire court, est qu’il obtint non pas un mais deux projecteurs 35 mm (pour éviter l’interruption due au nécessaire changement de bobines), des « portables » japonais Tokiwa, de type T-60 aujourd’hui exposés à l’Espace Brel (mais aussi à la rouille !), ainsi que les grands films qu’il souhaitait projeter et qu’on lui expédiait gracieusement, moyennant le seul paiement des frais de transport et d’assurance.

 

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Le samedi soir, tout le village était rassemblé, plusieurs centaines de spectateurs assis sur l’herbe, sur l’emplacement qu’occupait « jadis et naguère » la jolie Maison du jouir… La nuit étoilée pour tout décor, Jacques assisté de Maddly au son et à l’image. Tarif de la séance : 100 francs Pacifique (l’équivalent de 5 FF), quatre fois moins cher qu’à Tahiti ; une contribution symbolique, mais pour le principe, pour montrer que la culture se mérite et qu’elle n’est pas sans valeur. Très vite, s’apercevant qu’il est difficile de mêler tous les publics, les enfants manifestant bruyamment leur enthousiasme, notre homme en viendra à proposer deux séances hebdomadaires différentes : l’une pour le jeune public, l’autre réservée aux adultes. Puis il formera un jeune projectionniste local pour assurer la suite...

Entre les deux guerres, le navigateur Alain Gerbault avait introduit le football aux Marquises, qui reste – après les courses de pirogue – le premier sport pratiqué dans l’archipel. Jacques Brel y aura apporté son Cinéma Paradiso à lui… Après sa mort, Maddly essaiera de continuer l’œuvre entreprise, mais l’arrivée de la vidéo au début des années 80 sonnera le glas de ce Far-West marquisien rêvé (pressenti ?) dès l’enfance bruxelloise, du temps où on l’appelait Jacky. « L’enfance / Qui peut nous dire quand ça finit ? / Qui peut nous dire quand ça commence ? / C'est rien, avec de l'imprudence / C’est tout ce qui n’est pas écrit / […] L’enfance / Qui nous empêche de la vivre ? / De la revivre infiniment ? / De vivre à remonter le temps ? / […] L’enfance / C’est encore le droit de rêver / Et le droit de rêver encore… »

 

 

À Jean Saucourt, l’un des habitants bien connus de l’île (sans être un intime de Brel ni appartenir au premier cercle de ses amis, il fut néanmoins l’une de ses relations régulières, le rencontrant souvent, dans le village, sur les pistes d’Hiva Oa ou à dîner chez lui avec sa femme Aline), j’ai demandé s’il lui était arrivé de mettre à l’affiche l’un de ses films.

– …Que ce soit comme interprète ou comme réalisateur ?
– Jamais ! Il tenait trop à son anonymat... Ici, il était un habitant parmi les autres, c’est tout. Les gens ne le connaissaient pas du tout comme chanteur et encore moins comme comédien ou metteur en scène.
– Jamais à ta connaissance, il n’a laissé entendre aux habitants qu’il était une célébrité internationale ?
– Non. Même lorsqu’il nous recevait à dîner chez lui, il évoquait rarement sa vie précédente. Il n’avait pas du tout la vanité, ce côté m’as-tu-vu des gens célèbres… C’était tout le contraire.

En fait, il aura fallu attendre les vingt-cinq ans de sa disparition en octobre 2003, à l’occasion de l’inauguration de l’Espace Brel, pour que Mon oncle Benjamin d’Édouard Molinaro, le film dont le rôle lui a peut-être collé le mieux à la peau (et dont il composa la musique avec François Rauber), soit projeté ici en son hommage. Devant toute la population, comme il le faisait lui-même : en plein air, au centre du village… 

L’humilité et l’altruisme de Brel ? Les sœurs – dont le collège Sainte-Anne, fondé en 1885, est resté tel qu’il était à la fin des années 70, avec ses différents corps de bâtiments : les classes d’école, le réfectoire et le pensionnat lui-même, tout près de la mission catholique et de l’église qui, elles aussi, existaient déjà du temps de Gauguin – ne disent pas autre chose :

– Jacques Brel n’a jamais cherché à montrer qu’il était quelqu’un de célèbre, adulé par des millions de gens. S’il aimait provoquer et même choquer, en affichant ses convictions anticléricales et en usant souvent d’un langage cru auquel les gens d’ici n’étaient pas habitués, il s’est toujours montré humble et discret. Ce qui ne l’empêchait pas d’être apprécié de tout le monde, car il aimait les Marquisiens et s’est battu pour eux. Il a tout fait pour améliorer leur sort au plan pratique et culturel…

Directrice de l’établissement pendant trente-deux ans, Sœur Rose (née Geneviève Chochois en 1925) a partagé de nombreuses conversations avec le chanteur. « Nul doute, assure Patrick Chastel, enseignant jusqu’en 1999 à Sainte-Anne, que ces discussions ont contribué à changer son regard sur le rôle de la congrégation dans l’archipel… et à l’amener à une sincère compassion pour ces sœurs qui se dévouaient tant pour donner un avenir prometteur aux jeunes filles. » Affectueusement nommée Mamau (grand-maman) par les anciens, Sœur Rose vit aujourd’hui à Tahiti mais a demandé, elle aussi, à être inhumée à Hiva Oa où elle débarqua en 1947, en provenance de Marseille, après plus de cinquante jours de mer (et une escale à Papeete). « Depuis qu’il est mort, dit-elle, je n’ai jamais entendu quelqu’un du pays le critiquer. Vous savez, il faisait des évacuations sanitaires, même de nuit, sur Nuku Hiva… ou Tahiti en refaisant le plein de carburant à Rangiroa (voir « Brel-2 »). Jamais il ne s’est vanté par exemple d’aller avec des voitures éclairer l’extrémité de la piste pour pouvoir décoller de nuit... Il ne faisait pas cela pour la gloriole. »

 

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Tous les témoignages concordent : ainsi, Jacques n’hésitera pas à intervenir directement auprès du gouverneur de Polynésie française pour que Tahiti ne continue pas d’oublier de façon aussi criante le développement des Marquises ; aujourd’hui encore seule Nuku Hiva, en tant que « capitale » administrative, bénéficie d’un hôpital (et d’une prison que ses « hôtes » continuent d’habiter aujourd’hui comme une pension ouverte !). Il se révoltera par exemple contre l’absence d’un dentiste, malheureux de voir les enfants souffrir de rages de dents, faute de soins élémentaires. Brel disait qu’il avait « mal aux autres » ; aujourd’hui, on le qualifierait d’« indigné ». Déjà, lors de sa première « descente » tonitruante sur la plage, rapporte Prisca Parrish, il sort de ses gonds en apprenant qu’une femme est morte pendant qu’elle accouchait dans l’île voisine de Fatu Hiva. « Où il est votre bon Dieu de bon Dieu ? lâche-t-il, furieux, au curé et aux sœurs. Il est trop vieux ? Il voit plus rien ? Si on m’avait prévenu, j’aurais emmené le docteur avec mon bateau. »  

Quelques semaines plus tard, lors du pique-nique organisé le jour de l’an à l’attention des fonctionnaires et des principales « sommités » d’Atuona, Jacques est présenté à chacun d’entre eux par le maire Guy Rauzy. Outre Bastard, le prof, Laffont, le gendarme, et les sœurs, Jacques ne connaît encore que Fiston Amaru, le postier (voir « Brel-2 »). Parmi les invités, madame Hei Teupua (prononcer Héi Téoupoua) et son mari : « Le maire nous avait dit que cet homme était un grand chanteur, expliquera-t-elle à Przybylski, mais je ne le connaissais pas. » N’empêche, le contact est établi. Dès le lendemain, Rauzy lui fait part du désir de Brel de louer ou d’acheter une maison. « Nous avions fait construire récemment une deuxième maison parce que nous songions à nous installer dans l’autre vallée, plus près de notre travail. Le maire m’a proposé de louer à ce Jacques Brel la maison que j’occupais. J’ai dit oui. »

Autre fait avancé par le biographe (et recoupé par nous) indiquant que Jacques et Maddly quittèrent définitivement l’Askoy pour ladite maison au cours du premier trimestre 1976 et non au printemps comme on le croyait auparavant : la participation du couple à une petite fête du collège donnée en février ; lui en tant que régisseur et elle comme chorégraphe, profession qu’elle exerçait avant leur rencontre. Celle-ci eut lieu un jour de novembre 1971 sur le tournage de L’aventure c’est l’aventure (avec Charles Denner, Charles Gérard, Aldo Maccione et Lino Ventura) où Maddly faisait de la figuration. « À la seconde où son regard croisa le mien, confiera-t-elle dans Tu leur diras (op. cit.), je sus que plus rien ne serait comme avant. Je n’avais jamais vécu une telle émotion. (…) Ce regard avait instantanément gravé sa marque indélébile et me faisait tout voir différemment. Quand je pense aux circonstances qui m’ont menée devant ce regard-là, je ne peux que saluer l’extraordinaire précision du destin… »  

Pour la fête du collège, notera Marc Bastard, « Jacques et Maddly entreprirent de monter un spectacle de variétés. Chorégraphe de métier, Maddly initia les grandes élèves aux danses à la mode. En régisseur rigoureux, Jacques coordonna les séquences de sketches et de saynètes flokloriques. Ce fut une “première” aux îles Marquises. On en parle encore dans les fare d’Atuona. » Mais surtout, Jacques s’improvisa pour l’occasion ingénieur du son. À la mère directrice l’informant que le collège ne disposait que d’un simple magnétophone à cassette, il proposa d’utiliser la chaîne stéréo qu’il attendait, si toutefois elle arrivait à temps… La précision est d’importance, comme un indice probant, car la chaîne que devait lui livrer la « goélette » de Tahiti (la même qui, six mois plus tard, débarquerait l’orgue électrique sur lequel il allait composer les musiques du dernier album) ne pouvait être destinée qu’à son « fare » d’Atuona.

 

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Sœur Rose le confirme dans ce témoignage : « Quand il a appris qu’on faisait une kermesse, sa compagne étant une ancienne danseuse des Claudettes, il a proposé qu’elle apprenne la danse moderne à nos gamines. Il avait commandé une chaîne hi-fi à Tahiti ; il l’a installée chez nous avant de l’installer chez lui. » CQFD. Détail amusant : « À cette époque, poursuit la Sœur, il n’y avait pas de pendule pour sonner minuit dans la pièce Cendrillon (qui était prévue) : il a enregistré le chant de son coq sur bande et il s’est occupé de la régie du spectacle, tout heureux comme un enfant. Il aimait être traité comme cela ; il était très simple. »

 

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L’habitation qu’on leur proposa, une modeste case en bois de quatre pièces (un salon, deux chambres et un bureau), devint rapidement « la maison du bonheur et de l’amitié ; de la gaieté aussi, car Jacques aimait rire et faire rire, se souviendra Bastard, un familier des lieux s’il en fut. On y rencontrait le postier, les sœurs du collège Sainte-Anne, des pilotes d’Air Tahiti ou des marins de passage… Des discussions passionnées s’engageaient parfois. Jacques Brel refaisait le monde, un monde idéal, généreux, un monde de poète ». D’un vert criard à l’origine, ses nouveaux locataires la firent aussitôt repeindre en blanc. Dans le même temps, Jacques déménagea leurs affaires de l’Askoy avec la petite camionnette de Fiston Amaru qui accepta bien volontiers de lui confier sa voiture de fonction durant un week-end (les véhicules étaient rares à cette époque et, bien sûr, il n’y avait aucune agence de location).

Nichée dans la verdure « où des perruches multicolores répondaient en écho à la musique de Mozart ou de Verdi de ses disques », la maison se situait entre la gendarmerie (dans un mouchoir de poche avec la mairie, la poste et le « magasin Gauguin » où Jacques descendra régulièrement à pied pour boire une bière et discuter avec le patron) et le cimetière. Plus précisément au tiers d’un sentier de terre battue, fort pentu et en lacets, dans un virage en épingle à cheveux.

 

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Aujourd’hui, la maison blanche de Jacques et Maddly n’existe plus. Elle a été rasée il y a quelques années déjà pour être remplacée par une construction plus moderne (et plus grande, mordant sur le bout de terrain, arboré par le couple, en bordure de route), au grand dam des défenseurs locaux de la mémoire du chanteur. Sans parler des voyageurs de passage, déçus et incrédules… Il aurait fallu que la municipalité se porte acquéreur de l’habitation, lorsque sa propriétaire la récupéra auprès de Maddly (de moins en moins présente sur place après la mort de Jacques), pour la réhabiliter et l’aménager en une sorte de musée. Après tout c’est entre ses murs qu’est né entièrement le dernier album de Brel, apogée d’une œuvre elle-même au panthéon de la chanson francophone.

 

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Triste histoire, dit-on à Atuona : « on » aurait cru bien faire en laissant disparaître les traces concrètes des amours extra-conjugales du Grand Jacques (qui n’a jamais divorcé d’avec Miche), dans l’espoir d’obtenir une contribution au financement d’un « Auditorium Jacques-Brel » ultra-moderne... Version reprise en son temps par le magazine Tahiti-Pacifique qui renvoyait à l’affaire de la « guerre des femmes » autour de la tombe de l’artiste (voir « Brel-4 »). De l’affaire ancienne quoi qu’il en soit, puisqu’un compromis a été trouvé pour la sépulture entre Miche et Maddly, qu’un « Espace Brel » (des plus modestes) s’est substitué en octobre 2003 à l’ambitieux projet d’auditorium… et que la maison n’est plus qu’un lointain souvenir pour les contemporains locaux de Jacques Brel.

En revanche, la vue qu’on avait depuis celle-ci est restée la même. Aucune construction nouvelle ne vient la dénaturer à proximité. Elle plonge d’un côté sur la baie, dissimulée en partie par la végétation luxuriante, et de l’autre, de l’arrière par rapport à la route d’accès, elle donne sur le mont Feani, presque toujours recouvert de nuages, et l’ensemble du village en contrebas avec la Mission et l’école des Sœurs au premier plan. La piste de terre, souvent boueuse auparavant, a été bétonnée (pas de goudron aux Marquises, les rares rues et routes existantes ont seulement été cimentées) jusqu’au cimetière, un kilomètre environ plus haut.

 

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Là, en cet endroit qui domine majestueusement la baie des Traîtres, lorsque l’heure sera venue pour le Grand Jacques de penser à son dernier repos, il emmènera son ami Bastard, le premier popaa qu’il avait aperçu en accostant à Tahauku, pour lui montrer l’emplacement qu’il venait de choisir pour sa future sépulture : à trente mètres de celle de Gauguin et à une quinzaine d’un grand calvaire immaculé émergeant de la végétation.

 

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« Je lui avais fait remarquer qu’il se trouverait à la droite du Christ ; Gauguin étant, lui, déjà installé à gauche.
Les deux larrons, tu veux dire...
Mais toi au moins, tu seras le bon larron…
Il grimaça. Brel ne croyait plus en Dieu, bien qu’il en parlât souvent. Je n’ai jamais pu ni voulu élucider ce paradoxe. »

« Toi, toi si tu étais le bon Dieu / Tu allumerais des bals pour les gueux / Toi, toi si tu étais le bon Dieu / Tu ne serais pas économe de ciel bleu / Mais tu n’es pas le bon Dieu / Toi tu es beaucoup mieux / Tu es un homme / …Un homme… »

   

  

(À SUIVRE)

« SUR LES TRACES DE JACQUES BREL » (texte et photos de Fred et Mauricette Hidalgo), rappel des chapitres précédents :
1. Le Voyage aux Marquises (18 novembre 2011) ; 2. Sa nouvelle adresse (26 novembre) ; 3. Si t’as été à Tahiti… (3 décembre) ; 4. Touchez pas à la mer ! (8 décembre) ; 5. Aux Marquises, le temps s’immobilise (13 décembre).

 
 
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13 décembre 2011 2 13 /12 /décembre /2011 19:57

Aux Marquises, le temps s’immobilise

 

Octobre 2011. Trente-trois ans après la mise en terre du Grand Jacques au cimetière d’Atuona, trente-six ans après son accostage dans la baie de Tahauku (voir « Brel-2 »), émus sans le paraître mais remués de façon visible par les conditions climatiques qui rendent l’atterrissage délicat, nous nous posons sur un plateau surgissant brusquement au milieu de nulle part. Je veux dire en pleine nature, exubérante et sauvage, majestueuse et inchangée, semble-t-il, comme au premier matin du monde. Nous voilà enfin dans l’île de Brel et de Gauguin ! Fascinante par son relief torturé, plantée de sommets aiguisés et découpée de baies se fracassant dans la mer déchirée, « infiniment brisée / par des rochers qui prirent des prénoms affolés ».

 

  

Et comme dans la chanson, c’est sous une pluie battante que nous débarquons sur la piste, trempés avant même que d’atteindre cette minuscule aérogare qui porte désormais le nom d’« Aéroport Jacques-Brel ». Aux Marquises, je le confirme, la pluie est traversière qui bat de grain en grain… Petit rappel : découvertes en 1595 par le navigateur espagnol Alvaro Mendaña de Neyra, venu du Pérou, les Marquises furent ainsi nommées (Islas marquesas de Mendoza) en l’honneur du marquis de Mendoza, vice-roi du Pérou. Curiosité : Paul Gauguin, d’origine espagnole du côté maternel, avait vécu au Pérou de l’âge de 2 à 7 ans où s’était installé son arrière-grand-père aragonais, le chevalier don Mariano Tristan y Moscoso (1) ! Le monde est petit et plein de passerelles… Peut-être même Gauguin avait-il lu Cervantès avant Brel, lui qui prônait déjà « le droit de tout oser » et fustigeait le principe de précaution : « Un jeune homme qui est incapable de faire une folie est déjà un vieillard. » Ne croirait-on pas entendre notre don quichottesque Grand Jacques à propos des adultes trop prudents qui ont plus d’avenir que de présent, et de la nécessité vitale d’« aller voir » ?

 

aeroport-pluie

 

 Certains, catégorie petit bras, se contentent de peu, de Vesoul ou de Vierzon. D’autres mettent les voiles sans point de chute précis pour un tour du monde, contre vents et marées (voire le pot au noir !) et accostent un beau jour dans la baie de Tahauku à Hiva Oa. Vous savez, en novembre 1975, là où un pêcheur à la ligne, un popaa, a salué Jacques et Maddly lorsqu’il les a vu débarquer de l’Askoy (voir « Brel-2 »). Je vous avais promis d’y revenir… Mais d’abord, avant de renouer le fil, je ne résiste pas au plaisir de vous offrir deux vidéos exceptionnelles de Vesoul , justement : celle de la version que l’on connaît, mais durant ses répétitions et l’enregistrement en studio, en direct comme toujours avec Brel ; et une autre, moins classique, à moins que ça ne soit le contraire, disons assez iconoclaste et jubilatoire, Jacques n’ayant jamais reculé devant la parodie et l’autodérision, avant que le naturel ne revienne au galop (et c’est le cas de le dire avec une telle chanson). 

On y découvre aussi le Grand Jacques explicitant les motifs de son osmose si prégnante avec Don Quichotte, en lequel il voyait « le symbole de la minorité ; c’est un type qui tend la main… » L’important chez l’Homme de la Mancha ? « Il donne priorité à ses rêves… Il va là où il croit que c’est beau. » On comprend pourquoi Jacky a osé quitter la scène, à son apogée, pour partir là où personne ne part, jusqu’à Hiva Oa. Tout Brel est d’ailleurs dans cette phrase de Cervantès qu’il ne manqua pas de faire sienne : « La folie suprême n’est-elle pas de voir la vie telle qu’elle est, et non telle qu’elle devrait être ? » Éloquent venant d’un homme que d’aucuns, agrippés à leur vie mesquine comme Harpagon à sa cassette,  ne se privèrent pas de traiter de fou – et c’est vrai qu’il en fallait, de la folie, pour rester fidèle à ses rêves d’enfant... Enfin, à vous… d’« aller voir » !

     

 

Précision : dans la première vidéo, document exclusif filmé en septembre 68, on aperçoit entre autres Georges Pasquier alias Jojo, le secrétaire et ami, Charley Marouani, l’agent, strict dans son costume-cravate habituel, et même Jean-Pierre Leloir, le photographe préféré de Brel, avec ses appareils en bandoulière et ses belles bacchantes – on le voit même en pleine action pendant une prise, ce qui est absolument impensable aujourd’hui. François Rauber est à la baguette, puis au piano dans la seconde vidéo en lieu et place de Gérard Jouannest, Marcel Azzola est à l’accordéon… « Chauffe, Marcel, chauffe ! »

 

 

Octobre 2011, suite. Si nous l’avions ignoré, nous aurions compris d’emblée où nous arrivions : loin, très loin des routes touristiques de la région déjà la plus isolée du reste du monde. Loin des îles de la Société et des Tuamotu, aux lagons d’un bleu turquoise ou d’azur contrastant avec le bleu marine de l’infinité océane, aux langues de sable blanc ou rose, qu’un ATR 72 de quatre-vingts places relie quotidiennement. À l’aérodrome de Nuku Hiva situé dans un endroit aussi aride qu’inattendu en bordure de mer, justement nommé Terre déserte, nous ne sommes plus que huit (inclus l’équipage !) en partance pour Hiva Oa dans un petit appareil de dix-huit places. C’est un Twin Otter, où pilote et copilote sont à portée de mains, semblable à celui que Brel emprunta tout au long de l’année 76 pour ses allers-retours sur Tahiti…

 

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Nuku Hiva ? L’île principale du groupe Nord des Marquises et la capitale administrative de l’archipel où Brel effectua un repérage, débarquant fin 75 sur le quai de Taiohae (aujourd’hui à trois heures de 4x4 de l’aéroport) où l’attendaient tous les notables du coin (voir « Brel-2 »). Nuku Hiva où nous avons marché aussi sur les traces d’Herman Melville, que la tribu anthropophage des Taipis retint prisonnier dans la vallée de Taipivai après qu’il eut déserté de l’Acushnet (la baleinière américaine avec laquelle il s’était engagé dix-huit mois plus tôt), sachant qu’il aurait encore à vivre trois ou quatre ans de privations en mer. S’étant échappé au bout de quatre mois, il rejoignit un baleinier australien qui faisait voile vers Tahiti où il fut emprisonné six semaines durant pour faits de mutinerie, puis s’installa à Mooréa… Cela se passait en 1842 et le futur auteur de Moby Dick (1851) n’avait que 23 ans. Mais c’est là une autre histoire, bien sûr, qu’on peut découvrir à travers ses deux premiers récits : Taipi ou Typee en version américaine (1846), suivi un an après d’Omoo (sous-titré « Un récit d’aventures dans les mers du Sud »).

 

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Refermons la parenthèse et revenons-en à Hiva Oa, la grande île du groupe Sud (étirée sur 39 km x 19 dans ses plus grandes longueur et largeur), dont l’auteur de L’Île au trésor, Robert-Louis Stevenson, écrivit de façon éloquente après y avoir débarqué en 1888 : « Je pensais que c’était l’île la plus jolie et de loin l’endroit le plus inquiétant au monde. » De fait, elle conserve aujourd’hui ce paradoxe de beauté sauvage qui vous saute aux yeux et de sensation d’inquiétude suscitée par son aspect sombre et tourmenté : quasiment pas de terrain plat sur ses 316 km carrés, encore moins le long de l’océan, ce qui explique qu’on atterrisse sur une crête au-dessus d’Atuona.

 

 

Dix-sept kilomètres relient l’aéroport à la ville. Un peu plus de cinq cents habitants à l’époque de Gauguin, un peu plus de mille du temps de Brel, quelque mille cinq cents aujourd’hui (pour deux mille âmes sur l’ensemble de l’île). Il faut moins d’une demi-heure pour effectuer le trajet, là où il fallait parfois des heures, à la fin des années 70, quand la route, à présent cimentée, n’existait pas encore, et que la pluie rendait la piste de latérite extrêmement glissante. Extrêmement dangereuse donc, car tortueuse au moment de plonger à flanc de ravin, dans une pente à fort pourcentage, vers Atuona, dominée par trois sommets souvent couronnés de nuages : les monts Temetiu, Feani et Ootua (1276, 1126 et 889 mètres respectivement).

 

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C’est un fait : peu, très peu de touristes poussent jusqu’aux lointaines Marquises (si Tahiti était Paris, Hiva Oa serait Moscou…), sinon pour une escale de quelques heures seulement avec l’Aranui, un cargo-mixte tahitien qui ravitaille les îles et embarque aussi des passagers, ou le Paul Gauguin, un paquebot américain de croisière. Brel, lui, décida de s’y installer après cinquante-neuf jours de balade océane. Car le Grand Jacques, à l’inverse de la plupart de nos contemporains, n’a jamais fait semblant. Même s’il s’incluait dans le lot commun en 1953, lorsqu’il n’était encore qu’un auteur-compositeur débutant : « Et dis toi donc grand Jacques / Dis-le-toi souvent / C’est trop facile / De faire semblant… » J’ai toujours pensé que cette chanson était une balise essentielle dans la vie de Brel ; comme si, à partir de là, il n’avait plus songé qu’à vivre vraiment, sans tricher jamais (c’est trop facile !), au point de se décider à fuir la gloire (et l’aisance financière), le soir même où il se rendit compte qu’il commençait, sur scène, à chanter machinalement.

 

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Attention, document : Grand Jacques, justement, non pas chanté par son auteur mais dit par... Georges Brassens ! Un enregistrement réalisé chez celui-ci le jour même de la mort de Brel, le 9 octobre 1978, qui ne serait diffusé qu’un an plus tard, sur Europe 1, dans l’émission Pirouettes de Claude Wargnier (émission à laquelle Brassens et les poètes, le dernier livre de Jean-Paul Sermonte, redonne vie à travers un CD : voir « L’Affaire Brassens » dans ce blog). Un hommage au talent d’auteur de Jacques Brel qui témoigne, si besoin était, de la grande estime en laquelle le bon Georges le tenait. Un document, aussi, jamais repris depuis lors, il y a plus de trente ans...

 

«Grand Jacques» dit par Georges Brassens

 

Flash-back : Atuona, novembre 1975. Le popaa qui avait fait un signe de la main à Jacques et Maddly, alors qu’il pêchait en baie de Tahauku, se nommait Marc Bastard. Prof d’anglais puis de maths au collège Sainte-Anne des Sœurs de la congrégation de Cluny, c’était avant tout un grand baroudeur devant l’Eternel, pas forcément exempt de défauts. Un ancien de la marine nationale auquel on avait discrètement conseillé de démissionner, en 1969, après l’affaire des vedettes de Cherbourg convoyées aux Israéliens de façon détournée (et soit-disant sans l’aval de la France), ex-créateur en 1964 de la télévision à Tahiti et auteur de romans policiers sous le pseudonyme de Marc Audran. Entre autres, puisqu’on murmure aujourd’hui à Hiva Oa qu’il fit également partie des services du SDECE, le contre-espionnage français… Bref, le profil type de l’aventurier comme Brel les aime. Il prit en 1970 ce poste d’enseignant chez les sœurs comme on part en pré-retraite et, célibataire, il vécut un temps avec une Marquisienne qui lui donna un fils, Paulo, qu’on peut toujours croiser, aujourd’hui, dans les rues d’Atuona.

 

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Mais reprenons le fil. Après les formalités douanières réglementaires, Jacques demande au gendarme Alain Laffont – « le » gendarme d’Hiva Oa – qui est ce pêcheur qui leur a fait un signe de la main. « C’est Marc Bastard, un professeur du collège Sainte-Anne. » Brel : « Alors, il devrait pouvoir nous renseigner sur Hiva-Oa. Pouvez-lui demander de passer nous voir ? » Sitôt dit, sitôt fait, le gendarme s’adresse à l’enseignant, et la suite, c’est l’intéressé qui la raconte :

« Jacques Brel désirerait vous voir…
- Vous voulez dire… Brel, le chanteur ?
­- Lui-même.
­­
- Mais je ne le connais pas autrement qu’à la radio…
- Je lui ai parlé de vous et il voudrait des renseignements sur Hiva Oa.

J’empruntais l’esquif du gendarme et me dirigeai vers l’Askoy. Jacques Brel, souriant, m’accueillit. La sympathie fut immédiate, et Maddly, la belle Guadeloupéenne qui l’accompagnait, me fit visiter le bord. […] Ils me questionnèrent sur Hiva Oa, les gens, la vie quotidienne… Leur intention était de se reposer une quinzaine de jours et de poursuivre leur route jusqu’à Tahiti.
Le surlendemain, je les croisais, main dans la main, sur l’unique route du village.
- Finalement, nous restons ici. Le pays est beau, les habitants agréables et, Dieu merci, ils ne me connaissent pas…
Il avait reconnu Atuona comme le bout de sa course, loin d’un monde qui l’étouffait. Jacques Brel fuyait l’agression médiatique que lui devaient sa célébrité et les rumeurs concernant son état de santé. Il voulait redevenir un homme “comme tout le monde” et je puis témoigner qu’il le fut pendant les trois dernières années de son existence auprès de celle qui fut son épouse par le cœur et l’esprit. »

 

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Ce sont ces trois ans – deux ans et huit mois exactement puisque Jacques s’envola une dernière fois d’Hiva Oa aux alentours du 20 juillet 1978 (avant d’embarquer à Faaa, à destination de Paris, le 27 du même mois) pour ne plus revenir de son vivant – que je me propose de vous conter une prochaine fois… mais seulement si ça vous chante vraiment. Un séjour reconstitué pour l’essentiel, grâce aux témoignages inédits recueillis sur place lors d’une enquête qui nous a permis, en outre, de rapporter des documents uniques – dont certains absolument fabuleux pour qui s’intéresse au Grand Jacques – auxquels bien peu de personnes ont eu accès depuis la disparition de l’auteur des Marquises. Ces terres qu’en langue vernaculaire, légèrement différente du tahitien parlé dans les autres archipels, on appelle Fenua Enata, c’est-à-dire Terre des hommes… Quand on sait l’admiration immense de Brel pour Saint-Exupéry et autre Mermoz, on est obligé de constater (une fois de plus) combien le hasard fait bien les choses.

 

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Il est vrai qu’aujourd’hui encore, par manque de brise ou pas, le temps s’immobilise aux Marquises. La politique centralisatrice de Tahiti oublie volontiers ces îles qui abritent pourtant le meilleur de la culture polynésienne, et possèdent sans aucun doute les meilleurs artisans en matière de sculpture. Gauguin lui-même s’initia aux techniques locales avec les sculpteurs d’Hiva Oa. Quant aux infrastructures routières, n’en parlons pas, surtout ici où les routes, excepté celle menant à l’aérodrome, sont peu ou prou ce qu’elles étaient du temps de Jacques : de simples pistes pour la plupart, bétonnées par secteurs, qu’au volant de sa Toyota Jeep il parcourait volontiers pour faire découvrir à ses amis de passage les beautés de son île.

 

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Et si l’on n’ose pas dire qu’elles restent ce qu’elles étaient déjà du temps de Gauguin, c’est parce que nous avons rencontré l’homme qui a tracé ou élargi ces pistes dans les années 70. Il n’en est pas moins évident que la traversée de cette île mystérieuse – elle recèle les plus beaux et imposants vestiges de l’histoire de ce peuple (grands tikis sculptés dans la pierre, dont les fameux moai de l’île de Pâques ne sont peut-être que les héritiers, et impressionnants vestiges archéologiques, lieux de culte, de réunion et d’habitation, aux dimensions exceptionnelles, qu’il faut mériter en s’enfonçant dans la forêt vierge) –, quand elle est faisable autrement qu’à cheval (qui reste un moyen de locomotion répandu), nous vaut des vues identiques à celles qui, à l’aube du vingtième siècle, s’offraient au regard du peintre.

 

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Quant au village, c’est à peine s’il a changé : davantage de maisons et de facilités quotidiennes, bien sûr, l’électricité, le téléphone et la télévision, un peu de voierie et d’aménagement communal, deux ou trois magasins de plus, mais voilà tout. À tel point, je vous le jure, qu’on ressent l’impression de pouvoir croiser Brel à tout moment, au détour d’une des rares rues d’Atuona, chapeau de paille, chemisette et pantalon blancs, descendant à pied de sa maison et passant devant la gendarmerie pour aller relever son courrier à la poste, saluer les sœurs dans leur école, brocarder au passage le curé à l’église ou aller boire sa bière au « Magasin Gauguin »… au seuil duquel discutent encore parfois, pour s’abriter du soleil, deux ou trois vahinés. « Les femmes sont lascives au soleil redouté… »

 

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Brel, Gauguin, le temps s’immobilise et l’histoire, dirait-on, se répète. Par la « goélette » qui assure la liaison avec Tahiti, le premier fit venir ici un orgue électrique pour travailler à ses futures chansons, le second un harmonium dont il jouait volontiers même s’il s’avouait piètre musicien. Le peintre s’accompagnait aussi à la guitare ou à la mandoline, on l’a dit, pour chanter en privé. Par exemple une chanson tahitienne dont il emprunterait le titre pour l’une de ses sculptures en pierre, Oviri (le sauvage), avant de demander qu’elle figure sur sa tombe : Oviri« Mon cœur est pris par deux femmes / Qui se sont tues / Alors que, proches et éloignés, / Mon cœur et ma flûte chantent… »

Autres cousinages étonnants entre les deux grands voyageurs (Gauguin aussi se rendit aux Antilles et à Panama), leur propension pour l’un à parler de peinture à propos de la chanson (« les mots ont des couleurs », disait par exemple Brel qui se comparait souvent à « un peintre flamand qui écrit des scènes, et qui les chante »), et pour l’autre à parler de musique au sujet de la peinture : « Mes chiens rouges, mes ciels roses sont voulus absolument ! Ils sont nécessaires et tout dans mon œuvre est calculé, médité longuement. C’est de la musique, si vous voulez ! J’obtiens par des arrangements de lignes et de couleurs, avec le prétexte d’un sujet emprunté à la vie ou à la nature, des symphonies, des harmonies, ne représentant rien d’absolument réel, au sens vulgaire du mot, n’exprimant directement aucune idée, mais qui doivent faire penser comme la musique fait penser, sans le secours des idées ou des images, simplement par des affinités mystérieuses qui sont entre nos cerveaux et tels arrangements de couleurs et de lignes. »

 

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Étonnant, non ? Brel, d’ailleurs, ne manquait pas d’évoquer Gauguin avec son ami toubib de Tahiti, Paul-Robert Thomas, qui rapportera ces réflexions dans son livre de souvenirs : « Il est parti en Polynésie pour vivre ses rêves d’enfance. livre-ThomasIl suffit de regarder le simple émouvant de ses traits et le désordre apparent de ses couleurs. Seule l’âme de l’enfant qui reste chez l’adulte qu’il devient, est capable de peindre un cheval en vert ou en rouge. » Alors, on aime à penser que tous deux auraient pu boire un coup ensemble dans ce « Magasin Gauguin », ainsi appelé à présent parce qu’on dit que le peintre s’y ravitaillait en vivres… et en alcools ! Jacques Brel (s'adressant toujours à Paul-Robert Thomas) : « À la saison des pluies, il faut un cheval ou une Jeep à quatre roues motrices pour se déplacer. Les ornières sont profondes. On s’enlise à chaque instant. On cahote. Ma Toyota a bien du mal à remonter la pente qui va du Chinois, l’épicerie d’Atuona où Gauguin allait également faire ses emplettes, jusqu’à la maison, qui est à huit cent mètres de là. C’est une expédition ! »

 

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Gauguin, lui, habitait presque en face du « Chinois », là où on a retrouvé son puits, celui où il faisait rafraîchir son absinthe, là où l’on a reconstitué aujourd’hui sa Maison du jouir (dont le simple nom inscrit sur le fronton, au-dessus de l'escalier, le fit vouer aux gémonies par le curé du cru : mais qu’est-ce qu’il en savait, le bougre, et qui donc lui avait dit, qu’il n’y a pas de peintre maudit en paradis ?!) et bâti un centre culturel de la plus belle eau. Celui-ci rassemble des documents biographiques, des lettres pleines d’enseignements sur le comportement chevaleresque de notre homme, et propose l’ensemble de ses toiles peintes en Polynésie (en fait des copies d’un faussaire de talent tout droit sorti de la prison de la Santé !). Tout ici concourt décidément à vous immerger dans le bain de l’aventure, de l’inattendu et de l’extraordinaire.

 

 

Alors, quand on visite sa maison – ouverte rien que pour nous, ma chère et tendre et moi ! – et qu’on découvre L’Or de leur corps à l’endroit même où le peintre maudit donna vie à cette toile sublime, dans son atelier du premier étage, juste après l'étroit vestibule où se trouvait son lit, on a l’impression de se noyer dans la peinture et la chanson à la fois. Avec Gérard Manset pour guide et Jacques Brel pour éternel voisin : « L’esprit des morts veille / Qui frappe à la porte / Et toi allongé dans ton demi-sommeil / Et l’or de leur corps / Partout t’accompagne / […] D’où venons-nous / Que sommes-nous / Où allons-nous... ? »
 

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1-Sa fille, Flora Tristan-Moscoso (la grand-mère de Paul), marquerait plus tard l’histoire du féminisme en France par ses actions et ses écrits, dont Pérégrinations d’une paria (1838), avant qu’un autre de ses ouvrages, L’Unité ouvrière (1843), ouvre la voie à un socialisme internationaliste. « Il n’est peut-être pas de destinée féminine, dira André Breton, qui, au firmament de l’esprit, laisse un sillage aussi long et aussi lumineux. » Et dans L’Odyssée de Flora Tristan, le grand écrivain péruvien Mario Vargas Llosa abonderait dans ce sens, non seulement « parce que dans le vaste catalogue des promoteurs des utopies sociales au dix-neuvième siècle, Flora Tristan est la seule femme, mais surtout parce que sa volonté de reconstruire la société sur des bases entièrement nouvelles est née de son indignation devant la discrimination et la servitude dont étaient victimes les femmes de son temps, ce qu’elle éprouva, comme bien peu, dans sa propre chair ». Belle hérédité pour un peintre qui, lui aussi, se distinguerait par son combat contre les injustices et les abus de pouvoir dont les Marquisiens étaient victimes…

(À SUIVRE) 

 
 
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