Parce que c’est un art populaire entre tous, qui touche à la vie de chacun et appartient à la mémoire collective, la chanson constitue le meilleur reflet de l’air du temps : via son histoire (qui « est la même que la nôtre », chantait Charles Trenet) et son actualité, ce blog destiné surtout à illustrer et promouvoir la chanson de l’espace francophone ne se fixera donc aucune limite…
Ce soir, mercredi 2 décembre, a lieu la centième et ultime représentation du spectacle La Porte Plume d’Amélie-les-crayons, dans la même salle, le Train-Théâtre de Portes-lès-Valence (Drôme), où il fut conçu en avril 2007. Pour cette occasion spéciale, divers artistes ont tenu à être de la fête : Nilda Fernandez, Gérard Morel, Fred Radix, Anne Sylvestre… Si je vous en parle ici, ça n’est évidemment pas pour inciter les régionaux de l’étape à s’y rendre (dommage, c’est à guichet fermé depuis longtemps), mais pour amener ceux et celles qui ont « échappé » à ce beau spectacle à le découvrir aujourd’hui en DVD. Voire, tout simplement, à découvrir cette superbe artiste de trente ans (native de Vienne, mais installée à Lyon, encore Lyon… comme Karimouche et Carmen Maria Vega notamment) qui, dès le départ, a décidé de ne pas brûler les étapes et d’avancer à son rythme sans céder au chant des sirènes.
Le départ ? Du théâtre dès l’âge de quatorze ans, des cours d’art du spectacle à l’université, des spectacles de rue… et en octobre 2002 un premier CD de six titres enregistré « à la maison », Le Chant des coquelicots, aussitôt repéré et présenté par Chorus (n° 44, p. 49). « Une seule réserve, écrit alors Daniel Pantchenko, c’est trop court ! Dès les premières secondes, on est séduit, ému, emballé par la voix fraîche, limpide, évidente, d’Amélie. Pas étonnant que les coquelicots poussent sur son piano, ses textes et ses mélodies coulent dans la même veine, poétiques et simples à la fois… Un pur régal. » En mai 2004 (comme Jeanne Cherhal trois ans plus tôt), elle remporte les « Bravos » à la fois du public et du jury au festival Alors… chante ! de Montauban. Et Yannick Delneste écrit dans notre n° 48 : « Elle est grande et jolie, brune et piquante. Et en plus, elle a beaucoup de talent (…) jouant avec les mots et le public le rôle de la séductrice ingénue. » J’en témoigne, je suis moi-même tombé sous le charme. Pas seulement de l’artiste qui, dès lors, va faire l’unanimité dans le circuit du collectif des festivals francophones, mais aussi de la personne, si émouvante, qui est ce que j’appelle « une belle personne ». À ses côtés l’année suivante sous le même Magic Mirrors des « Découvertes », je l’ai vue fondre en larmes parce que ses amis lyonnais de Khaban’ (Stéphane Balmino) étaient repérés à leur tour…
Un « vrai » premier album sort alors, Et pourquoi les crayons ?, chroniqué dans le numéro suivant de Chorus qui lui offre comme de juste le « Portrait » d’ouverture de la rubrique « À suivre ». Enfin, nombre de concerts plus tard, toujours acoustiques et d’une grande finesse orchestrale où ses musiciens se font complices de son univers quelque peu théâtralisé, Amélie-les-crayons publie à la fin de l’été 2007, juste en amont de sa tournée éponyme, La Porte Plume, qui lui vaut aussitôt un « Cœur Chorus », notre distinction majeure (« Un disque d’orfèvre », écrivait Michel Kemper en conclusion de sa chronique du n° 61 : « Du bonheur à l’écoute de ces quinze plages où il serait injuste, vraiment, de privilégier un titre par rapport aux autres. Car tout semble être pépite d’une même parure. Il y a dans ces chansons-là une féminité rare et presque surannée, loin des standards et artifices actuels qu’on nous vend avec célérité »). Un album à nouveau produit par un label indépendant, Néômme, au travail digne d’éloges, couronné le 30 novembre suivant, excusez du peu, par un Grand Prix de l’académie Charles-Cros.
À l’Ouest, je te plumerai la tête…
Et voilà une tournée qui s’achève, dont il reste ce DVD, À l’Ouest, je te plumerai la tête… que je recommande vivement aux amateurs de chanson vivante. L’objet, au contenu tout d’émotion, de poésie, d’humour et de tendresse mêlés, est une vraie réussite (à l’intégrale du concert – dix-neuf chansons – s’ajoutent trente minutes de « road-movie » et une version des plus sympathique, en acoustique et en extérieur, de La Maigrelette). Accompagnée de trois musiciens multi-instrumentistes, et elle à la guitare, à la voix nue, virevoltant sur scène ou perchée sur son piano géant, Amélie – comme l’indique un commentaire accompagnant la vidéo de Ta p’tite flamme (la chanson par laquelle s’achève ce spectacle, captée ici à une autre occasion) – c’est du bonheur à l’état pur, « une capsule de beauté ».
Rien à ajouter, si ce n’est le regret que les grands médias (et les « professionnels de la profession » à travers les Victoires de la Musique) n’aient toujours pas pris la mesure du fabuleux destin d’Amélie-les-crayons. Peu importe, l’artiste trace sa route sans dévier d’un iota… et le public, ravi, la suit fidèlement. À partir de demain, Amélie se remet à l’écriture. C’est ainsi que se bâtissent les carrières.
NB. Dans mon prochain sujet, qu’on se le dise, je proposerai une « session de rattrapage » des principaux disques parus cet automne, à commencer, déjà, par ceux qui auraient dû figurer dans le n° 69 de nos « Cahiers de la chanson » (pour rappel, car on me le demande régulièrement, on trouvera l’index de tous les articles publiés sur des artistes – des milliers ! – depuis le n° 1 de 1992 sur le site de la Rédaction de Chorus. Par exemple une « Rencontre » détaillée de quatre pages avec Amélie-les-crayons dans le n° 62).