Parce que c’est un art populaire entre tous, qui touche à la vie de chacun et appartient à la mémoire collective, la chanson constitue le meilleur reflet de l’air du temps : via son histoire (qui « est la même que la nôtre », chantait Charles Trenet) et son actualité, ce blog destiné surtout à illustrer et promouvoir la chanson de l’espace francophone ne se fixera donc aucune limite…
Sa nouvelle adresse
Lorsque Brel quitte le canal de Panama, le 22 septembre 1975, il met directement le cap sur les Marquises, sans passer par l’escale traditionnelle des Galapagos : pas question pour lui d’aborder dans un territoire appartenant à un pays, l’Équateur, vivant sous dictature militaire. Mais ce choix, en le menant hors de la route des alizés, lui vaudra de connaître ce que les marins appellent « le pot au noir », le calme plat, dix-sept jours durant… Au total, la traversée jusqu’à Hiva Oa où l’Askoy jette l’ancre le 19 novembre prendra cinquante-neuf jours. En avion, aujourd’hui, on relie Paris aux Marquises en moins de trente heures, après une étape obligée à Tahiti, « capitale » et seule île de Polynésie française capable d’accueillir des vols intercontinentaux. Tahiti où Brel, on le sait moins, séjournait régulièrement et d’où il rayonnait par la voie des airs d’une île à l’autre.
Ce « Voyage aux Marquises » passera donc par l’archipel de la Société et les atolls des Tuamotu, afin de suivre le plus complètement possible les traces du Grand Jacques dans ce « pays » (1) où il se sentait chez lui et comptait bien, « lassé d’être chanteur » et résolu à retrouver l’anonymat du temps où il s’appelait Jacky, s’installer définitivement à demeure.
Ça a commencé comme ça… ou plutôt, n’en déplaise à Céline, ça a fini de commencer comme ça, au Théâtre des Trois-Baudets. Ce soir-là, mercredi 29 septembre 2010, ma chère et tendre et moi étions honorés dans ce haut lieu de la chanson où « Jacky », à Paris, réalisa ses vrais débuts sous la houlette de Jacques Canetti. À vrai dire, sans fausse modestie, et l’occasion faisant le larron, ces distinctions nous ont surtout offert le bonheur de pouvoir réunir une jolie palette d’amis, artistes, journalistes et professionnels pour l'essentiel (voir « Allain Leprest, fin », paragraphe « Bien mérité »). Parmi eux, chargé d’officier pendant la petite cérémonie obligatoire, un certain Jean-Michel Boris qui fut plus de quarante ans directeur artistique de l’Olympia où Brel, toujours lui, fit ses fameux et mémorables adieux du 6 octobre au premier novembre 1966. Les Trois-Baudets, l’Olympia, tout un symbole.
Ce soir-là, la boucle était bouclée. D’autant plus, d’ailleurs (voir le « Prologue » précédent), qu’Antoine était de la partie, tout juste rentré de sa Polynésie d’adoption, dont il s’est fait par ses livres, ses films et ses conférences le chantre par excellence. Extrait de notre dialogue du moment :
« Bon, maintenant que vous allez avoir le temps, que vous n’êtes plus assujettis à des délais de parution, le moment est venu pour vous de découvrir Tahiti…
– Et de nous rendre aux Marquises, pourquoi pas ? Un rêve de trente ans… »
À plusieurs reprises auparavant, le globe-flotteur ex-chanteur avait tenté de nous faciliter la venue en Polynésie pour y effectuer un reportage sur les musiques locales (« Les Polynésiens sont un peuple-né de chanteurs et de musiciens, vous verrez ; il y a beaucoup à dire sur la chanson polynésienne et l’amour de la chanson des Polynésiens… »), à l’image des dossiers déjà publiés dans nos « Cahiers de la chanson » sur les pays d’Europe du Sud ou d’outre-mer (histoire d’élargir le champ de vision principalement francophone de la revue). Et puis, Chorus a disparu… Mais pas notre envie de continuer à promouvoir la chanson (quand on est tombé dedans à la naissance, c’est incurable) ni de parcourir les distances qu’il faut pour aller à sa découverte.
« Un rêve de trente ans » : trois bonnes décennies en effet à écrire sur le Grand Jacques et à multiplier dans nos journaux les dossiers à son sujet : par deux fois dans Paroles et Musique (en juin 82 et en octobre 88), par deux fois aussi dans Chorus (n° 25, automne 98, et n° 65, automne 2008), en variant chaque fois les angles pour éviter les redondances et compléter le travail précédent.
Dans l’édito du premier dossier du « mensuel de la chanson vivante » (qui comportait de formidables photos inédites de Jean-Pierre Leloir, apprécié particulièrement du chanteur : voir ci-dessus ce document exceptionnel de décembre 1964 où il parle de lui et des photographes), je faisais déjà référence à l’imprudence prônée par Brel : « Pour la petite histoire de l’origine de la revue, une boucle vient d’être bouclée. Il fallait une certaine dose (et même une dose certaine) de folie pour lancer une telle entreprise sans capitaux ni le moindre soutien publicitaire. C’est là qu’intervient la responsabilité (indirecte) de Jacques Brel… Il a suffi, en effet, d’une phrase de son dernier disque pour placer vraiment en orbite ce qui n’était encore qu’une espèce d’étoile inaccessible. Une phrase toute simple, mais si juste, qui disait que “le monde sommeille par manque d’imprudence”… » Seize ans plus tard, le n° 25 des « Cahiers de la chanson » proposera la somme la plus importante jamais réalisée sur Brel dans la presse francophone : un dossier de 90 pages (soit presque la moitié du numéro) !
Ce n’est pas tout, loin de là : en 1997, pour le cinquième anniversaire de Chorus, François-René Cristiani et Jean-Pierre Leloir (voir « L’œil de la musique ») nous accorderont l’exclusivité de la publication intégrale de la table ronde réalisée par eux le 6 janvier 1969 avec Georges Brassens, Jacques Brel et Léo Ferré. François-René me confiera ses cassettes que je décrypterais moi-même et Jean-Pierre une douzaine de photos inédites (alors qu’il avait refusé des fortunes – y compris un chèque en blanc d’un grand hebdomadaire national ! – pour publier après la mort du Grand Jacques d’autres images que celle du célèbre poster de cette rencontre historique). Le résultat publié dans le n° 20 de Chorus leur conviendra tellement que je n’aurai guère à insister, quelques années plus tard, pour les convaincre d’enrichir ce travail de mémoire dans un « beau livre » – en narrant sa genèse et sa tenue pour l’un, et en exhumant près de cinquante photos pour la plupart inédites (dont une bonne part en couleur !) pour l’autre – en ouverture symbolique du « Département chanson » coédité par Chorus et Fayard, dont j’assurerais la direction en liaison étroite avec Claude Durand, président de Fayard.
Dans l’intervalle, nous aurons eu le plaisir de rencontrer voire d’accueillir chez nous des proches de Brel, ses filles Chantal et France, son neveu Bruno, ainsi que ses musiciens et amis Jean Corti, Gérard Jouannest et François Rauber. D’autres encore… Et puis, et surtout peut-être, j’aurai suivi de bout en bout l’évolution de Grand Jacques, le roman de Jacques Brel, la fameuse biographie signée Marc Robine (voir « Le colporteur de chansons ») qui obtint aussitôt le grand prix de l’académie Charles-Cros. Parue en 1998 en coédition Chorus/Anne Carrière, elle fut signée dès 1988 chez « Hidalgo Éditeur », label que nous décidâmes ensuite de mettre en sommeil pour nous consacrer totalement à la création de Chorus. Dix ans de travail donc pour ce grand œuvre de l’ami Marc. « La meilleure des biographies de Brel », estimera la regrettée Anne-Marie Paquotte dans Télérama, tandis que Bertrand Dicale (quelques années avant de collaborer à Chorus) le plébiscitera ainsi dans Le Figaro : « Robine s’insurge, s’enthousiasme, converse avec Brel en nourrissant son propos d’une somme unique d’informations. Son travail est exemplaire non seulement par son ampleur, mais aussi par sa pertinence. »
Ce rappel pour dire combien Brel est resté proche de nous, toujours, avant (voir « Prologue ») et après sa disparition (sans même parler de Si ça vous chante et de son Don Quichotte d’avatar qui a forcément à voir, aussi, avec lui : « On n’oublie rien, de rien / On n’oublie rien du tout / On n’oublie rien de rien / On s’habitue, c’est tout… ») ; et combien, par conséquent, il nous était nécessaire d’aller au bout de notre démarche. Alors, quand Antoine a remis le sujet sur le métier, l’affaire était déjà entendue, il ne restait plus qu’à la mettre en musique… Puis embarquer, enfin, jusqu’à l’endroit où le Grand Jacques avait choisi non pas de marquer une pause mais de se fixer vraiment, durablement (voire pour le reste de sa vie comme le montreront les témoignages recueillis sur place), jusqu’au lieu finalement devenu son ultime demeure. Pourtant, Hiva Oa ne devait être qu’une simple escale dans son tour du monde à demi-achevé. Après une période de cabotage autour de Tahiti, des îles de la Société et des Tuamotu, le voyage devait se poursuivre via les Fidji. Mais la fatigue, due à la fois aux conséquences de l’opération subie un an plus tôt comme aux difficultés de maniement de l’Askoy, a vite pris le dessus. La fatigue, mais pas que : l’éblouissement aussi...
Fin 1975, un mois et demi durant, Jacques et Maddly naviguent dans cet archipel de douze îles (dont six seulement sont habitées), entre Fatu Hiva, la plus méridionale, à trois heures de bateau, aux deux principales du « groupe nord », Hua Uka et Nuku Hiva. Leur décision de s’installer à Hiva Oa sera définitivement arrêtée après leur passage à Nuku Hiva qui, considérée comme la capitale administrative des Marquises, offrait pourtant plus de « commodités », dont une meilleure desserte depuis Tahiti et l’existence d’un hôpital alors qu’Hiva Oa ne comptait qu’un dispensaire. Mais justement ! Depuis ses mésaventures aux Antilles avec les paparazzi, Brel a soif de tranquillité et recherche l’anonymat avant tout. De plus, il a tout de suite apprécié le charme particulier d’Hiva Oa : « Je suis pris par la beauté de cette île. C’est bien la première fois que ça m’arrive », confie-t-il à son copain belge Vic (croisé jadis à Bruxelles et retrouvé par hasard fin 1973 dans un port des Canaries) qui navigue avec sa compagne Prisca Parrish quasiment de conserve avec l’Askoy depuis les Açores et dont le voilier le Kalais a mouillé une semaine plus tôt à Tahauku.
Alors, quand les autorités administratives et les notables de Nuku Hiva, prévenus de l’arrivée de l’artiste, mettent les petits plats dans les grands et se mettent eux-mêmes sur leur trente-et-un pour l’accueillir en rade (superbe) de Taiohae, la « capitale » de l’île qui a des allures de sous-préfecture, Brel revit ce qu’il raillait dans Je suis un soir d’été en 1968 : « Il pleut des orangeades / Et des champagnes bien tièdes / Et les propos glacés / Des femelles maussades / De fonctionnarisés… » S’ils nourrissaient quelque espoir de le voir s’installer chez eux, ils ont tout faux ! Jacques fera contre mauvaise fortune bon cœur, mais n’en livrera pas moins son verdict, immédiat, à Maddly : « Ça n’est pas pour nous… »
Le couple poussera encore jusqu’à Tahiti, histoire de découvrir de visu Papeete et le « bateau amiral » de la Polynésie française mais surtout de vérifier, par comparaison, que sa première impression a été la bonne en ce qui concerne Hiva Oa. Par la suite, Brel et sa compagne (sa « Doudou ») reviendront régulièrement à Tahiti, environ une semaine par mois, comme on va « en ville », pour s’ approvisionner en produits alimentaires ou matériels divers introuvables aux Marquises, répondant à des invitations (notamment au mariage du dernier gouverneur, Charles Schmitt), allant au cinéma, au restaurant, et surtout passant son temps en compagnie de pilotes, à l’aéroport international de Faaa. Car le virus de l’avion l’a repris. Ou plutôt il ne l’a jamais quitté. Installé à Atuona, il n’aura en effet plus qu’une idée : revalider sa licence et acheter un bimoteur. Or, quand on n’a pas piloté depuis un certain temps, il est obligatoire, avant de reprendre seul les manettes, de voler un certain nombre d’heures en compagnie d’un instructeur : en l’occurrence et à tour de rôle Michel Gauthier, pilote d'Air Polynésie, ou Jean-François Lejeune, fils du fondateur d’Air Tahiti qui assure des rotations sur Moorea, « l’île sœur », et sur les Tuamotu, ces îles de corail aux étroites bandes de terre délimitant un lagon immense.
C’est ainsi qu’un jour de 1976 (probablement en novembre, d’après nos sources) Jacques s’est posé à Rangiroa dont le lagon pourrait contenir la totalité de l’île de Tahiti. C’est l’image du paradis, telle qu’on l’imagine dans l’hémisphère nord. Sables blancs ou roses, lagon bleu clair enchâssé dans le grand lagon, telle une perle précieuse dans l'océan bleu foncé, végétation luxuriante : vu d’avion, c’est une explosion incomparable de couleurs. Deux milliers d’habitants tout au plus, une petite mairie à Avatoru, une école et un collège, une banque, un centre médical, un bureau de poste et quelques épiceries. Les voitures sont rares, presque inutiles, on circule surtout en deux-roues. L’aérodrome, lui, ne peut accueillir que de petits appareils.
Coïncidence : Pierre Perret, qui venait de faire un break dans sa carrière, y séjourne justement. Il est descendu à l’hôtel Kia Ora, le seul de l’île, composé de paillottes plantées dans le lagon et reliées entre elles jusqu’à la plage par un ponton de bois d’où l’on voit évoluer toutes sortes de poissons multicolores, des raies et même des requins pointe noire ou dormeurs, que l’on dit inoffensifs… Ce soir-là, raconte aujourd’hui un ancien copain de Jacques du temps où il travaillait comme prof à Hiva Oa, « la fête a duré toute la nuit ». Brel et Perret s’étaient déjà rencontrés quelques mois plus tôt, au printemps 1975, aux Antilles. « Pierrot » rappelle cet épisode en préface du Grand Jacques de Marc Robine : « “Sur la fin, me dit-il, je faisais du Brel. J’avais l’impression de me singer moi-même. Il était temps d’arrêter… Et puis, dès le début, ce métier m’a rendu malade ! Tu en es là, toi ?” Non, moi, je n’en étais pas là en 1975 lorsque nous nous rencontrâmes dans la mer des Grenadines. Mais ce qu’il venait de me dire m’avait quand même filé le tracsir… pour la suite (à moi qui venais d’arrêter pour “souffler” déjà depuis deux ans). »
Moralité : Pierre Perret ne tarda pas à regagner la France pour enregistrer un nouvel album (Papa, maman, 1976) contenant cette superbe chanson autobiographique, Ma nouvelle adresse, qui s’achève en forme de coup de chapeau au Grand Jacques : « Oui mes amis j’ai largué tout / Pour l’archipel des Tuamotu / Où quel que soit le cours du franc / On offre son poisson vivant / Pour une poignée de riz blanc… / Mon copain Jacques a mis les bouts / Toutes voiles dehors et vent debout / Il chante dans les alizés / Quelques chansons dont le succès / N’aura jamais su le griser / Prenez sa nouvelle adresse / Il vit dans le vent sucré des îles nacrées / Et à sa nouvelle adresse / Une fille s’amuse à rire de ses souvenirs… »
Sa nouvelle adresse ? Une maison de bois et de tôle ondulée à mi-chemin du sentier menant en forte pente de la gendarmerie, tout en bas du village, au cimetière d’où la vue sur Atuona et sa baie, dans laquelle émerge l’impressionnant rocher Hanakee, est pour le moins spectaculaire. Enfoncé, le cimetière marin de Paul Valéry ! Aux antipodes de Sète, celui de Gauguin offre un panorama « imprenable ».
Sa nouvelle adresse ? Justement, ce chemin de terre ne porte pas de nom : il faut se rendre à la Poste pour récupérer son courrier. Mais Brel, pour l’heure, vient seulement de jeter l’ancre à Hiva Oa et, comme tous les marins qui font le tour du monde, il a demandé à ses proches et amis de lui écrire en poste restante. Cela va être sa première démarche personnelle, le lendemain matin de son arrivée, juste après avoir satisfait, en tant qu’étranger débarquant en Polynésie française (notre homme est belge, ne l’oublions pas), aux formalités douanières obligatoires auprès de la gendarmerie située, dans la rue principale, juste en face de la Poste.
Tout de blanc vêtus, Jacques et Maddly montent à bord du dinghy de l’Askoy et débarquent sur la grève qui ferme la baie de Tahauku. Ils ignorent sans doute l’existence du passage qui remonte directement vers le village, dit « Escalier Gerbault », vestige du sentier emprunté jadis par le célèbre navigateur. Chemin faisant, ils croisent un pêcheur à la ligne, un popaa (comme les Polynésiens désignent plus généralement les « Blancs » ou les Français de métropole) qui les salue de loin, d’un signe de la main. On y reviendra…
Il faut environ une demi-heure pour se rendre à pied jusqu’au « centre-ville », à quelque trois kilomètres du mouillage. Le jeune postier polynésien qui les accueille est le seul employé, à la fois receveur et homme à tout faire de l’Office des postes et télécommunications local. Il se nomme Fiston Amaru. De lui aussi on reparlera, car il sera bientôt du cercle des intimes de Brel. Leur premier contact, de part et d’autre du guichet, donne lieu à un dialogue surréaliste, sachant l’immense notoriété dont jouit alors le chanteur-comédien dans tout l’espace francophone. Et même ailleurs, en Amérique latine notamment : quelques mois plus tôt au Venezuela, en escale au port de La Guaira, n’a-t-il pas eu la surprise de voir un officier se présenter à la passerelle de l’Askoy et demander après lui : « Cher Monsieur, messieurs les ministres de l’Information et du Tourisme aimeraient venir vous saluer » ?!
Matin du 20 novembre 1975, bureau de poste d’Atuona.
« Bonjour, je m’appelle Jacques Brel, je dois avoir du courrier en poste restante…
– Ah ! très bien, monsieur, répond Fiston (oui, c’est son vrai prénom !), j’ai bien fait de le garder plus longtemps que le délai normal. Je prévois toujours le possible pot au noir en pensant aux marins qui traversent le Pacifique… J’ai beaucoup de courrier au nom de Brel. »
Silence et attente réciproque :
« Voulez-vous me montrer une pièce d’identité ?
– Mais…
– C’est indispensable, monsieur ; on ne peut pas délivrer de courrier sans savoir à qui on a vraiment affaire. Et pour cela, j’ai besoin d’une carte d’identité ou d’un passeport... »
On imagine Brel écarquiller les yeux, de joie autant que d’incrédulité, avant de se tourner vers sa compagne, un large sourire aux lèvres : « Tu te rends compte, la Doudou, ici on ne me connaît pas ! »
Ce que Jacques Brel n’osait plus espérer, cet anonymat tant recherché pour repartir de zéro sans tricher, il venait contre toute attente de le trouver dans cette terre d’imprudence aux plages de sable noir battues par l’océan, aux vallées profondes cernées de falaises abruptes. Une île en apparence inhospitalière, dominée de pics envahis par la brume, et pourtant rêvée de longue date ; une île « au large de l’espoir / où les hommes n’auraient pas peur ». 316 km carrés oubliés de tous ou presque, aux pistes de terre seulement en cours de traçage ou d’élargissement au sein de paysages somptueux mais tourmentés, peuplés de chevaux sauvages : Hiva Oa, latitude 9° 45’ 0’’ Sud. « Voici venu le temps de vivre / Voici venu le temps d’aimer. » Et bientôt le temps de nouvelles vocalises…
(1) Depuis 2003, c’est un « pays d’outre-mer de la République française » (POM) régi par une assemblée territoriale, un « président de la Polynésie française » élu par elle et un gouvernement local, les pouvoirs régaliens étant assurés par un « Haut-Commissaire » de la République. À l’époque de Brel, encore Territoire d’outre-mer (TOM), il était dirigé par un gouverneur nommé par la France.
(À SUIVRE)