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Parce que c’est un art populaire entre tous, qui touche à la vie de chacun et appartient à la mémoire collective, la chanson constitue le meilleur reflet de l’air du temps : via son histoire (qui « est la même que la nôtre », chantait Charles Trenet) et son actualité, ce blog destiné surtout à illustrer et promouvoir la chanson de l’espace francophone ne se fixera donc aucune limite…
Journaliste depuis 1971, créateur de plusieurs journaux dont le mensuel « Paroles et Musique » (1980-1990) et la revue « Chorus » (1992-2009). Editeur depuis 1984 et créateur en 2003 du « Département chanson » chez Fayard.
En ces temps d’ignominie, à l’échelle planétaire, alors que la cruauté s’étend partout, froide et robotisée, nous sommes nombreux encore, gens de bonne volonté qui écoutons des chansons ou lisons des poèmes, dont la patrie est le chant, la voix et la parole. C’est la seule patrie qu’ « ils » ne pourront pas nous voler, même en nous collant le dos au mur… Que personne ne pense jamais : je n’en peux plus, j’arrête là. Au contraire, il faut « les » regarder droit dans les yeux et leur crier fort : tremblez, car nous sommes des millions et la planète ne vous appartient pas !
Ces mots ne sont pas de moi (seulement leur traduction-adaptation), mais du grand poète espagnol contemporain José Agustín Goytisolo (l’auteur du magnifique Palabras para Julia – « Paroles pour Julie » – que l’on peut écouter et voir chanter par Paco Ibañez dans mon sujet précédent), mais je les ressens comme miens. Allez savoir pourquoi… Atavisme redevable de ce « buen Hidalgo señor » qui parcourait les plateaux désolés de la Mancha en quête d’inaccessible étoile ? Ou simple bon sens que le commun des mortels devrait naturellement partager ? Le poète, en tout cas, a raison qui voit l’ignominie en question se répandre partout et chaque jour davantage sur la planète, « comme une vieille maladie poisseuse » ; l’ignominie comme un virus propagé sciemment par ceux pour lesquels piétiner leurs semblables, voire fouler aux pieds leurs cadavres, n’est qu’un moyen de multiplier leurs avoirs et/ou maintenir leur pouvoir – les exemples sont légion, hélas, en ce vingt et unième siècle désespérant.
Antidotes à ce virus ? La poésie et la chanson vivante… Au Châtelet, le 30 janvier dernier, devant une salle archicomble (2700 personnes) et admirablement attentive, ce sont par ces mêmes mots, déclamés en espagnol, que s’est ouvert le récital de Paco Ibañez. Cet hymne « patriotique » au chant, à la voix et à la parole, c’est d’ailleurs, depuis quatre décennies, la teneur essentielle de chacune de ses prestations*. « Dans tes moments de désespoir », écrit le poète à sa fille Julia, en évoquant le sort des plus humbles, ceux que Ferré appelait les pauvres gens, « souviens-toi, souviens-toi toujours de ce qu’un jour j’ai écrit en pensant à toi : / Ils attendent que tu résistes, que tu les aides de ta joie / Et que les aide ta chanson / Parmi les leurs… »
Concert exceptionnel pour le grand compositeur-interprète que celui du Châtelet, qui nous a remis en mémoire, au plan de la qualité d’émotion et de la beauté du répertoire, celui de Barbara en 1987. C’est tout dire… Un concert en deux parties avec la contribution, rarissime en l’occurrence (car l’artiste s’accompagne presque toujours seul à la guitare), de plusieurs musiciens intervenant à tour de rôle. Joxan Goikoetxea à l’accordéon, César Stroscio au bandonéon, Mario Mas à la guitare, Gorka Benitez au saxo, Michael Nick au violon… sans oublier François Rabbath, complice fidèle du chanteur en studio : « le plus grand contrebassiste du monde », dixit Paco en évoquant son « génie » musical. Des pointures qui n’ont pas besoin de faire étalage de frime, comme tant de leurs collègues adulés des médias, pour laisser libre cours au talent pur. Simplicité humaine et virtuosité instrumentale (mention spéciale au magnifique duo de six-cordes et de voix mêlées sur Soldadito boliviano entre Paco et Mario, à l’âme flamenca).
Le 9 décembre 1969, Jean-Michel Boris mettait l’Olympia à disposition de ce jeune homme élancé, tout de noir vêtu, alors totalement inconnu du monde médiatique. Qui aurait pu penser que l’Olympia – aux abords « envahis d’une invraisemblable foule » au point de laisser un maximum de gens s’installer sur la scène, assis de chaque côté de l’artiste – vivrait alors certaines des plus riches heures de son histoire ? « Tout cela pour ce grand garçon simple, détendu, qui, après qu’on l’eut accueilli avec une chaleur telle que je ne me rappelle pas en avoir enregistré de semblable qu’en l’honneur de Toscanini, de Chaplin ou de Lindberg – se mit à chanter, accompagné par sa seule guitare… » écrivit ensuite le grand compositeur Jean Wiener. À la fin de cette soirée unique à tous points de vue, on vécut un dernier grand moment de fraternité frissonnante quand les spectateurs (des étudiants pour la plupart) reprirent en apothéose (et en v.o. dans le texte !) la chanson A galopar qu’ils venaient tout juste de découvrir un peu plus tôt dans le concert, sur un texte allégorique de Rafael Alberti : « Galope, mon cheval balzan / Galope, cavalier du peuple / Car la terre est tienne / Au galop, au galop / Jusqu’à les enfouir dans la mer… »
En 1969, ces paroles visaient la dictature fasciste sévissant au pays de Lorca depuis 1939 : trente ans de crimes, d’abominations et d’ignominie. « À quoi sert une chanson si elle est désarmée ? » s’interrogeait Étienne Roda-Gil, autre enfant de républicains espagnols exilés en France… Commentant aujourd’hui cette chanson qui restera la plus emblématique de la résistance antifranquiste (avec L’Estaca de Lluis Llách et Al alba de Luis Eduardo Aute), Paco Ibañez actualise son propos en l’élargissant à l’anti-impérialisme culturel. A galopar, encore et encore, mais pour dénoncer désormais – sans nul besoin de changer un seul mot à la chanson ! – les méfaits d’une standardisation… galopante et débilitante des goûts et des mœurs, résultat d’un formatage culturel à l’échelle de la planète.
Tout l’inverse, chante notre porteur de parole, de « la poésie des pauvres, la poésie nécessaire / Comme un pain pour chaque aurore / Comme l’air que nos poumons veulent à chaque seconde ». Une poésie (de Gabriel Celaya en l’occurrence) conçue comme une arme chargée de futur, dont les « combattants », au défilé de ce 30 janvier 2013 au Châtelet, se nomment Pablo Neruda, Alfonsina Storni, Antonio Machado, Ruben Darío, Federico García Lorca, Nicolas Guillen… Pour mettre ces poètes en musique, constatait un jour Henri-François Rey, « il fallait les doigts exacts de Paco Ibañez et sa rigueur. Il fallait d’abord avoir le sens du silence et ensuite celui de la note qui éclate dans le silence. Il fallait avoir l’amour de l’amour pour accrocher à ces mots flamboyants ces notes flamboyantes. L’amour comme la mort exige une certaine musique. Rares sont ceux qui la dépistent, la débusquent et la traquent, et finalement la domptent. Ils sont marqués par une grâce, par un don, par un signe. Paco Ibáñez est de ceux-là. »
Parmi « ceux-là », fort rares en effet, Paco a tenu à rendre hommage à deux grands maîtres, deux « Working Class Heroes » comme disait Lennon se souvenant notamment de Woody Guthrie : à l’Argentin Atahualpa Yupanqui, avec un morceau très enlevé qui donnait l’occasion au chanteur de rappeler l’ensemble des musiciens autour du bandonéon de César Stroscio, et bien sûr au Sétois Georges Brassens, en version originale s’il vous plaît (Le Parapluie, repris en majesté par toute la salle). Au final, en guise de cadeau d’adieu (et de « remerciement à la France »), un certain Pierre de Ronsard mis en musique par l’ex-Espagnol d’Aubervilliers : «Vivez, si m’en croyez, n’attendez à demain / Cueillez dès aujourd’hui les roses de la vie… »
Vous savez quoi ? Tant qu’une salle entière comme celle-ci (où, loin des « people » en toc qui attirent l’écume des médias, se croisaient et se reconnaissaient discrètement des personnalités authentiques, à l’instar d’Edgard Morin…) vibrera pareillement à l’unisson d’un humble poème mis en musique ; tant qu’il y aura des gens de bonne volonté « dont la patrie est le chant, la voix et la parole », c’est sûr : rien n’est perdu, tout reste possible ! Car cette poésie dont Paco Ibañez est le chantre n’est pas un luxe culturel, conçu par et pour ceux qui restent neutres en toutes occasions, non, cette poésie-là « n’est pas goute à goutte pensée / Ce n’est pas une fleur, et pas un fruit parfait / C’est ce qui est nécessaire, ce qui n’a pas de nom / Des actes sur la terre, un cri vers l’horizon ».
NB. Attention, document : cinq des vidéos accompagnant ce sujet composent un formidable portrait biographique (d’une heure quinze) de l’artiste, réalisé le 23 décembre dernier à Buenos Aires par la télévision publique argentine. L’entretien extrêmement chaleureux, mené en public (…et en espagnol) par la journaliste Cecilia Rossetto, est entrecoupé de chansons interprétées en direct et d’archives audiovisuelles où l’on voit notamment des images et des personnalités artistiques du Paris des années 50 et 60, où l’on entend Brassens… L’émission qui s’intitule Paco Ibañez, poésie nécessaire, débute par un enregistrement en noir et blanc de la télévision française datant de 1969 où « le maestro » (comme l’appelle respectueusement la présentatrice) chante La poésie est une arme chargée de futur, avec des images du Pays Basque où il vécut enfant, des photos de ses grands-parents et de ses parents… La sixième vidéo (caméra fixe) a été réalisée à Paris lors d’une émission de France Musique quelques jours avant le spectacle du Châtelet.
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*En France, on pourra retrouver Paco Ibáñez au mois d’avril : le 5 à Unieux (Loire) et les 19 et 20 au Théâtre Antoine-Vitez d’Ivry-sur-Seine. Voir son site pour le détail des concerts. NB : Les photos illustrant cet article, signées Francis Vernhet, ont été prises pendant les « balances » précédant le spectacle du 30 janvier.
D’Aubervilliers au Châtelet ! À l’occasion d’un nouvel album (le précédent remonte à dix ans), « l’Espagnol d’Aubervilliers » – comme il se définissait lui-même aux premiers temps de sa carrière internationale (et si atypique) de compositeur-interprète au service des grands poètes hispanophones – est de retour à Paris, mercredi 30 janvier, pour un récital exceptionnel au théâtre du Châtelet. Un rendez-vous que ne saurait manquer aucun amoureux du cercle (ibérique) des poètes disparus, mais plus généralement aucun amateur de cette chanson vivante, humaniste et sans frontières que ses amis Georges Brassens et Léo Ferré incarnèrent en France et dont Paco Ibañez reste le héraut.
La vie de Paco Ibañez (né à Valence le 20 novembre 1934, deux ans avant le début de la guerre civile espagnole, mais élevé au pays Basque) est un vrai roman que je pourrais presque écrire les yeux fermés, avec la seule mémoire du cœur, tant elle m’est familière et intime. Du séjour de son père républicain, emprisonné en 1939 dans les camps de la honte d’Argelès et de Saint-Cyprien (comme mon propre père), à l’exil en banlieue parisienne, à Aubervilliers… et la découverte de la chanson française dans les cabarets parisiens du Quartier latin.
Rencontres fondatrices avec Brassens et Ferré au début des années cinquante, puis avec Salvador Dali qui illustra son premier album en 1964 ; concerts mythiques à la Sorbonne le 12 mai 1968 et à l’Olympia le 2 décembre 1969 : encore aspirant journaliste, mais déjà fou de chanson vivante, j’y étais ! Et, hasard ou signe du destin, LE photographe de cette soirée aussi mémorable que celle des adieux de Brel trois ans plus tôt en ce même lieu, celui qui signa les photos du double 33 tours de ce concert unique dans tous les sens du terme – un « certain » Jean-Pierre Leloir – deviendrait quelques années après celui d’un « certain » mensuel Paroles et Musique…
Arrêt sur image. Au sommaire, justement, de ce « mensuel de la chanson vivante », et même de son tout premier numéro daté de juin 1980, le nom de Paco Ibañez figure à la Une, sous la photo d’Anne Sylvestre annonçant le dossier consacré à celle-ci. En pages 6 et 7, un article signé de votre serviteur intitulé Paco Ibañez : « Une arme chargée de futur ». C’était le compte rendu de la première de son passage récent à Bobino. En voici des extraits, pour la nostalgie et la mémoire… du futur. Mais aussi pour la petite histoire des liens étroits unissant Paco et Tonton Georges, le disciple et le maître, toujours bien vivant à l’époque et non loin de là, d’ailleurs, à quelques rues seulement…
« Il a chanté à Bobino du 7 au 25 mai dernier. Un événement, dix ans après son récital triomphal à l’Olympia. Avec sa guitare comme chevillée au corps, sa voix précise, âpre et pourtant fragile, à la sérénité retrouvée, sa passion, sa lucidité et une immense sincérité. Avec son public aussi, fidèle et attentif, auquel Paco avait réservé un somptueux cadeau : dix chansons de Brassens, qu’il pétrissait depuis vingt ans, qui s’ajoutent désormais à son répertoire spécifique, chansons de toute éternité et de toutes humanités, sur des textes des poètes espagnols du temps présent et du temps jadis.
» À 45 ans, Paco Ibañez – qui en paraît toujours dix de moins – aurait pu s’échouer sur les écueils de la révolte qui a touché au port, mais, non content de les avoir évités, il apporte à son répertoire qui s’est bien enrichi une dimension universelle qui le hisse aux premiers rangs des porteurs de parole. L’enfant du pays Basque qui vécut l’exil à 14 ans connaît à présent les vertus de l’épanouissement. Le déracinement, l’adolescence transplantée à Aubervilliers lui avaient montré “la difficulté d’être Espagnol” ; Atahualpa Yupanqui, Violeta Parra et déjà Georges Brassens lui enseigneront que la chanson, à l’image de la poésie, peut être “une arme chargée de futur” (Gabriel Celaya). Paco a quelque chose à dire et il le dira lui aussi en chantant. En utilisant, en réinventant les œuvres de Lorca et de Gongora d’abord, puis de Miguel Hernandez, Quevedo, Alberti, Blas de Otero, Celaya, Machado ou Neruda. D’autres encore comme Goytisolo, à qui l’on doit le texte splendide de Palabras para Julia…
» Paco Ibañez ne se sert de rien d’autre que de la diffusion d’une poésie qui s’obstine à clamer la vérité. Il est interprète mais aussi, dans une certaine mesure, protagoniste de ce qu’il chante, et il convertit à leur tour ceux qui l’écoutent en protagonistes. Miracle de sa voix tranchante et d’une présence, mélange de simplicité, de rigueur, de conviction et de gentillesse, qui forcent l’adhésion et en appellent à la solidarité. Des chansons d’urgence de ses débuts, Paco a conservé la fougue qu’elles réclamaient ; fougue à laquelle il associe dorénavant une remarquable aisance qui l’invite à prendre le temps de respirer : ce sont les chansons de Brassens, admirablement adaptées en castillan (Chanson pour l’Auvergnat est un véritable régal), ce sont des chansons d’amour, des romances et même de petites fables pleines d’humour. Et c’est Le Temps des cerises qu’il entonne à la fin de son récital : « l’une des plus belles chansons du monde », dit-il à son public qui reprend les couplets en chœur, comme pour l’approuver.
» A galopar, naturellement, de Rafael Alberti, devenu grâce à Paco l’hymne magnifique du combat pour la liberté de l’Espagne, figure en bonne place dans son tour de chant. Chanson-cri, chanson-révolte, qu’il lançait en signe de ralliement contre la dictature franquiste, elle restera un témoignage concret de la force et de la vitalité de la chanson. À Bobino, dès les premières mesures, l’émotion renaît comme il y a dix ans… « Hasta enterrarlos en el mar… » (jusqu’à les enfouir dans la mer). Et le public frissonne. Qui dira la part importante de cet enfant de l’exil dans l’éveil des consciences d’une Espagne nouvelle ? « Petit Espagnol qui vient au monde, que Dieu te garde, car l’une des deux Espagnes saura te glacer le cœur » (Machado). Pour une fois, Paco a fait mentir le poète, réchauffant tout entier le cœur de ce petit Espagnol qui découvre maintenant les trésors d’une Espagne éternelle. Comme il lui fait découvrir Brassens. Avec des sonorités, à la guitare, purement ibériques, qui recréent l’univers de l’auteur-compositeur français, pour mieux mettre en valeur… son universalité.
» Le public l’a bien compris, à Bobino, qui a applaudi le maître à travers l’élève, la leçon d’humanité à travers les mots, la vie qui jamais ne se fige à travers les musiques remodelées (arrangements de Jean-Luc Maréchal et Maximiliano Ibañez pour la guitare et de François Rabbath pour la contrebasse). Et cette tranquille assurance de Paco dans sa lutte contre toutes les injustices, et ce terrible et merveilleux pouvoir de la parole. C’est là l’enseignement principal de ce retour à la scène. À la fonction mobilisatrice qui était autrefois celle du chanteur, il a réussi à substituer la plénitude du poète qui se nourrit de doute et n’en croît que davantage. »
En Espagne et partout en Amérique latine, comme Ferré dans la francophonie, Paco Ibañez a fait descendre la poésie dans la rue. C’est grâce à lui d’ailleurs que l’auteur de L’Espoir, des Anarchistes, du Flamenco de Paris, de Franco la muerte ou du Bateau espagnol a chanté au pays de Don Quichotte. C’était en février 1988, une tournée au cours de laquelle, à Madrid, Paco lui a remis « les clés de l’Espagne ». Voici ce qu’il m’en disait lors d’une rencontre pour le dossier « spécial Léo Ferré » de Chorus (n° 44, été 2003) : « On s’est dit que cette clé, seuls pourraient en disposer les descendants artistiques de Cervantes, les artistes à sa hauteur. Alors, on a demandé l’autorisation à Cervantes de la remettre à Léo Ferré… et il a dit oui. Avec cette clé, toutes les portes de l’Espagne lui étaient ouvertes… Et il était content Léo, et il était ému ! »
Déclaré indésirable par le régime franquiste mais devenu entre-temps l’icône de tout un peuple ivre de démocratie, Paco n’est retourné vivre en Espagne, à Barcelone (« Ma petite France à moi », dit-il), qu’au début des années 1990. En mai 1991, à Madrid, il crée A galopar, un spectacle à deux voix avec le poète Rafael Alberti lui-même (cf. cet émouvant document vidéo), le dernier des poètes de « la génération de 27 », ami de Lorca : « Un des moments les plus forts de ma vie, déclara Paco à Marc Legras pour Chorus (n° 26, hiver 97-98), et c’est avec lui que je l’ai partagé ! Alberti à lui seul symbolise des milliers et des milliers de vies. Un million de vies peut-être… Celles de toutes les générations qui ont lutté, tout donné, tout sacrifié pour leurs idées. Il représentait tous ces gens. Sa poésie rendait hommage à leur démarche historique. À leur dignité. »
Depuis lors, entre deux tournées en Espagne et en Amérique latine (où il est considéré comme l’égal des plus grands), il retrouve toujours Paris avec bonheur. Cette fois, dans le magnifique écrin de la scène du Châtelet, ce mercredi 30 janvier, il revient avec de nouvelles chansons, celles de l’album Paco Ibañez canta a los poetas latinoamericanos qui résonne des mots de Rubén Darío, Nicolás Guillén, Pablo Neruda, Alfonsina Storni, César Vallejo et autres poètes incontournables du continent sud-américain, qu’il a « enmusiqués » avec son talent unique en la matière. Mais il chantera aussi un florilège de ses grands succès, sans oublier de saluer la mémoire bien vivante d’un autre grand chanteur libertaire de ses amis, « le Jean-Sébastien Bach de la chanson »…
Flash-back.
Été 1996. Nous avons fait le voyage à Barcelone, pour rencontrer Paco, en vue d’un dossier Brassens à paraître dans Chorus (n° 17). Et il nous a invités, ma chère et tendre et moi, à l’accompagner au spectacle qu’il doit donner le soir même dans la capitale catalane. Malgré un match européen de grande importance pour le Barça, à la même heure, la salle de spectacles est archicomble ; sur scène, seul à la guitare, Paco chante les grands poètes de langue espagnole, en ajoutant par-ci par-là quelques anecdotes et commentaires de son cru. Passe environ une demi-heure et puis… « Parmi vous,ce soir, annonce-t-il en s’adressant au public en catalan, il y a des amis français de la revue Chorus qui sont venus me demander de leur parler de Brassens. Nous allons faire mieux : nous allons leur montrer combien on aime Brassens en Catalogne… » Et Paco Ibañez d’enchaîner La Mauvaise Réputation et Pauvre Martin, reprises aussitôt et spontanément en chœur… et en castillan (La Mala Reputación et Pobre Martín), par le public catalan ! Moments de grand frisson partagé. Ce soir-là (et la nuit qui a suivi…), l’esprit de Brassens planait au-dessus de nous.
En Espagne, le public reprend spontanément et parfois entièrement ses chansons en chœur. En France, dans l’histoire de la chanson, Paco Ibañez est sans doute le seul chanteur « étranger » qui aura, partout et toujours (au long de cinq décennies), réussi à remplir les salles avec un répertoire non francophone. Miracle de la chanson vivante… C’est encore lui, lors d’un autre entretien réalisé pour Paroles et Musique, qui nous livrera la plus belle définition de la nature, du rôle et de la finalité de la chanson (dont je ferai d’ailleurs, en 1990, le « point d’orgue » de mon livre Putain de chanson). Une conception comme plus jamais, dans toute ma vie au service de celle-ci, je n’en recueillerai d’aussi proche de mon propre ressenti : « Une chanson ce n’est jamais que quelques mots, ce n’est que trois minutes dans le cours du temps, mais une seule seconde peut être d’éternité. En fait, le pouvoir de la chanson est énorme. Et tout à fait inexplicable : elle nous entraîne vers l’utopie, vers des limites que, peut-être, nous n’atteindrions pas sans elle, et c’est cela notre destin : croire à l’utopie. » CQFD ? Oui, CQFD !!!
NB. En 2002, la quasi-intégralité de son œuvre discographique (inclus son album Canta Brassens) a été rééditée en France, sous son propre label « A flor de tiempo », en licence Universal Jazz Music, en superbes CDs digipacks.
Réservations pour le Châtelet, contact scène et disques sur le site de l’artiste.
C’est déjà la trente-troisième occasion qui m’est donnée d’adresser mes vœux enchantés, noir sur blanc ou par écran interposé. Alors, avec Jacques Brel, en cette période qui a tant besoin d’émules et d’alter ego de Don Quichotte, je vous souhaite de poursuivre la quête d’un « impossible rêve » jusqu’à son accomplissement – l’« impossible » ou l’utopie n’étant que ce qu’il nous reste à réaliser –, mais avant tout et sans attendre « des chants d’oiseaux au réveil et des rires d’enfants »…
Trente-trois tours plus tôt, durant l’hiver 1979-1980, nous travaillions à l’élaboration du « mensuel de la chanson vivante » destiné à combler une invraisemblable lacune : l’absence totale en France (et dans ce qu’il est convenu d’appeler l’espace francophone) de tout journal « sérieux » consacré à la chanson d’expression française (et des langues régionales ou vernaculaires de France et dudit espace francophone). À son origine indirecte : Jacques Brel. C’est en effet une phrase du Grand Jacques, extraite d’un chef-d’œuvre de son dernier album, qui allait finir de nous décider : « Nous savons tous les deux (lui et Jojo, mais c’était comme si cela s’adressait aussi à « Mauricette et Frédo ») que le monde sommeille par manque d’imprudence. »
Nous décider… et nous apporter la motivation nécessaire – car il en fallait de la motivation pour lancer un magazine mensuel à vocation internationale sans financier ni sponsor ni groupe de presse, sans être reconnus ni même connus du « métier » (de la musique) et de la profession (journalistique). Là encore, c’est une assertion de Brel qui contribuerait à nous faire passer le pont : « Le talent, c’est d’avoir envie. » Or, si les finances nous faisaient bien défaut, il y avait une chose en revanche qui ne nous manquait pas, mais vraiment pas, c’était l’envie, justement…
Restait à constituer l’équipe (de talent) pour nous accompagner dans notre quête. Car nous avons toujours été persuadés pour notre part que, dans une entreprise collective, le talent c’est aussi de savoir s’entourer. Et c’est là un talent qu’a posteriori nous revendiquons sans fausse modestie. Ainsi nous honorons-nous d’avoir compté (par exemple) sur la participation de Jean-Pierre Leloir au comité de rédaction de Paroles et Musique, lequel nous offrit (par exemple) de nombreuses photos inédites de Jacques Brel dans notre premier numéro consacré à celui-ci, en juin 1982 (comme celle de sa couverture prise à l’Olympia 1964, lors de la création d’Amsterdam).
On jugera plus globalement de ce talent d’équipe par le « générique » (ci-dessous) de nos collaborateurs au long de ces trois décennies passées à faire chorus en paroles et musiques… Autrement dit, à faire Paroles et Musique dans les années 1980 puis Chorus (Les Cahiers de la chanson) dans les années 90 et 2000. En paroles et musiques mais aussi en illustrations avec certains des meilleurs photographes de la scène française (outre Leloir, Rénald Destrez, Claude Gassian, Jean-Louis Rancurel, Pierre Terrasson… et Francis Vernhet) et de formidables dessinateurs et graphistes : Bridenne, Cabu, Glez, Hours, Margerin, Plantu… ou Quinton à qui l’on doit la pleine page d’ouverture du dossier Brel déjà cité.
Sans oublier nos duettistes du Plat Pays : Frédéric Jannin (ex-assistant et ami de Franquin) et son scénariste Serge Honorez qui souhaitaient à leur façon (voir ces deux planches extraites d’une BD exclusive et à suivre intitulée La Cité Soupir, présentées ci-dessous l’une au-dessus de l’autre) la bonne année aux lecteurs de Paroles et Musique en janvier 1988… il y a exactement un quart de siècle.
L’occasion de les remercier publiquement (une nouvelle fois) et de leur adresser notre amical et fidèle souvenir, en les réunissant ici (pour la première fois) tous ensemble, collaborateurs attitrés et autres compagnons de route réguliers, occasionnels ou exceptionnels de Chorus et de P&M :
Cécile Abdesselam, Jean-Pierre Andrevon, Antoine, Michel Arbatz, Louis Arti, Luis Eduardo Aute, Olivier Bailly, Noël Balen, François-Régis Barbry, Geneviève Beauvarlet, Christian Bedei, Jean-Daniel Belfond, François Bensignor, Laurence Berthier, Jacques Bertin, Pascale Bigot, Yves Bigot, François Blain, Danièle Blanchard, Cécile Bonzom, Marie-Agnès Boquien, Jean-Michel Boris, Valérie Bour, Michel Bridenne, Jean-Dominique Brierre, François-Xavier Burdeyron, Anne Bustarret, Francis Cabrel, Cabu, Olivier Cachin, Louis-Jean Calvet, Richard Cannavo, Bernard Capo, Jean-Claude Catala, Francis Chenot, François Chesnais, Jeanne Cherhal, Alain Cinquini, Philippe Claudel, Bernard Clavel, Gérard Cléry, Thierry Coljon, Caroline Collard, Philippe Conrath, Philippe Cousin, Jean-Louis Crimon, François-René Cristiani, Jean-Loup Dabadie, Didier Daeninckx, Marcel Dallaire, Nicolas Dambre, Gérard Davoust, Michaël De Montzlov, Patrice Delbourg, Thierry Delcourt, Guy Delhasse, Yannick Delneste, Gérard Delteil, Mario De Luigi, Jean-Claude Demari, Richard Desjardins, Rénald Destrez, Christian Deville-Cavelin, Bertrand Dicale, Serge Dillaz, Alain Dister, Jean-Pier Doucet, Dominique Dreyfus, Dominique Duchesnes, Jean-Jacques Dufayet, Yves Duteil, Jacques Erwan, Mathieu Fantoni, Guy Fasolato, Jacques Favart, Pierre Favre, Jean Ferrat, Gilles Floersheim, Jean-Louis Foulquier, Maurice Frot, Élizabeth Gagnon, Claude Gassian, Anne-Marie Gazzini, Denis Gérardy, Loïck Gicquel, Monique Giroux, Damien Glez, Jean-Jacques Goldman, Jean-Michel Gravier, Eve Griliquez, Salah Guemriche, Audry Guiller, Michel Hamel, André-Georges Hamon, Pascale Hamon, Jacques Hébert, Bernard Hennebert, Serge Honorez, Olivier Horner, Roland Hours, Christian Jacot-Descombes, Françoise Jallot, Frédéric Jannin, Alain Jeannet, Jean-Jacques Jelot-Blanc, Jofroi, Michel Jonasz, Thierry Jonquet, Bernard Joyet, Michel Kemper, Kent, Bernard Kéryhuel, Claude Klotz (alias Patrick Cauvin), Rémy Kolpa-Kopoul, Christian Laborde, Yann-Fanch Langoët, Pascale Lavergne, Olivier Lebleu, Thierry Lecamp, Yves Lecordier, Jean-Marie Leduc, Marc Legras, Valérie Lehoux, Anne Le Lann, Jean-Pierre Leloir, Claude Lemesle, Allain Leprest, Rémy Le Tallec, Michel Létourneau, Bernard Lopez (alias Bernard Maryse), Agnès Mabille, Pierre Mahier-Chopin, Monique Malfato, René Maltête, Frank Margerin, Guy Melki, Alain Meilland, Régine Mellac, Hervé Moisan (alias Achème), Jacques Mondoloni, Catherine Monfajon, Richard Montaignac, Jean-Pierre Moreau, Annie Morillon, Christian Mousset, Christine Mulard, Lucien Nicolas, Michèle Oster, Daniel Pantchenko, Jacques Perciot, Pascal Perrot, Catherine Pinot, Didier Pinot, Plantu, Patrick Poivre d’Arvor, François Possot, Alain Poulanges, Jacques Poustis, Patrick Printz, Miquel Pujado, Philippe Quinton, Jean-Louis Rancurel, Évelyne Reb, Éric Rémy, Renaud (Séchan), Alexandre Révérend, Philippe Richard, Robin Rigaut, Lucien Rioux, Marc Robine, Fabienne Roche, Daniel Rossellat, Didier Sandoz, Jean-Marc Sandoz, Robert Schlockoff, Patricia Scott-Dunwoodie, Thierry Séchan, Laurent Séroussi, Yves Simon, Mano Solo, Alain Souchon, Frank Tenaille, Pierre Terrasson, Françoise Ténier, Jean Théfaine, Marc Thirion, Maryo Thomas, Stéphanie Thonnet, Marc Thonon, Michel Trihoreau, Hélène Triomphe, Michel Troadec, Caroline Vanbelle, Didier Varrod, Jean Vasca, Jacques Vassal, Jean-Marie Verhelst, Francis Vernhet, Gilles Vigneault, Bernard Villiers, Éric Vogel, Albert Weber (en caractères italiques, les membres de nos comités de rédaction).
L’occasion aussi de penser à nos chers disparus (François-Régis Barbry, Jean-Pierre Leloir, Régine Mellac, Marc Robine et Jean Théfaine), et de souhaiter à tous les autres le meilleur pour les douze mois à venir, en continuant de « vivre debout »… si toutefois ça veut bien chanter pour la planète. L’occasion enfin de vous souhaiter, « lecteurs » réguliers ou intermittents de Si ça vous chante (dont certains nous sont fidèles depuis le premier numéro de Paroles et Musique, il y a donc trente-trois millésimes de cela : champagne, dirait Higelin !) nos vœux aussi fraternels que possible en ce monde où l’égoïsme et la duplicité, la frime et le profit sans partage gagnent chaque jour du terrain, au détriment du bien commun, comme une vieille maladie poisseuse (salut, la Souche !). En quelques mots, plus d’actualité que jamais, voici tout ce que nous vous souhaitons… et que je me permets d’emprunter au responsable indirect de ces trente-trois dernières années passées à élever pierre après pierre notre Maison d’amour de la chanson vivante :
Je vous souhaite des rêves à n’en plus finir, et l’envie furieuse d’en réaliser quelques-uns. Je vous souhaite d’aimer ce qu’il faut aimer, et d’oublier ce qu’il faut oublier. Je vous souhaite des passions. Je vous souhaite des silences. Je vous souhaite des chants d’oiseaux au réveil et des rires d’enfants. Je vous souhaite de résister à l’enlisement, à l’indifférence, aux vertus négatives de notre époque. Je vous souhaite surtout d'être vous...
Des vœux de Jacques Brel (prononcés le jour de l’an 1968), comme autant de maillons d’une chaîne solidaire reliant les hommes et les femmes de bonne volonté (souvenez-vous du « Fil de Chorus »…), qui sont aussi ceux de vos serviteurs Fred et Mauricette Hidalgo pour 2013. Ou plutôt, comme le chantait Gilbert Laffaille dans son succès satirique de 1977, Le Président et l’Éléphant (à l’époque où nous vivions justement en Afrique dans le pays où ledit « Président » venait chasser discrètement « l’Éléphant »), vos amis « Mauricette et Frédo »… qui, pensant déjà à créer un journal de chanson, commençaient alors à faire leurs gammes et à « se gratter » le do !
PS. Avec toutes nos excuses, par avance, à ceux que nous aurions (involontairement) oubliés dans notre liste de collaborateurs « papier ». Qu’ils n’hésitent pas à nous contacter (et nous les y rajouterons volontiers). Pour le Net et Si ça vous chante, je tiens également à saluer et à remercier Serge Llado (… qui nous adressait d’ailleurs ICI ses vœux « présidentiels » de nouvelle année, toujours d’actualité).