L’arbre à chansons
Au cœur de l’homme il y a l’amour
Au cœur de l’amour il y a la peine
Au cœur des peines il y a le jour
Que le matin ramène…
(Au cœur de l’arbre, 1979,
Maurice Cocagnac, chanté par Graeme Allwright)
Au milieu des années 1970, pour le quotidien national L’Union (le premier journal que ma chère et tendre et moi avons créé ensemble – c’était au Gabon, lorsque ce pays était l’un des plus prometteurs d’Afrique en termes de développement économique et démocratique), j’avais conçu l’idée d’un billet satirique que chaque journaliste de notre équipe pouvait utiliser au gré de ses envies ou des informations recueillies au jour le jour. Vite devenu un phénomène populaire, car aucun sujet n’y était tabou, il était signé Makaya, patronyme le plus répandu sur place, un peu comme Martin, Durand ou Dupont en France, sans que personne ne se doute qu’il s’agissait d’un pseudo collectif. Si bien que tout le monde à l’époque – lecteurs de toutes classes sociales (le Gabon avait alors l’un des taux d’alphabétisation les plus élevés du continent), du simple planton aux membres du gouvernement (dont certains lui auraient bien fait la peau) – se demandait qui pouvait bien être ce Makaya-là ! Alors que c’était simplement une expression locale des plus courante, « Pour moi quoi ! », qui nous avait conduits à y associer ce nom aussi usité.
Car Pour moi quoi ! Makaya, titre générique de ce billet corrosif qui dénonçait toutes sortes d’injustices, des magouilles de la sphère politique aux carences aussi anormales qu’ordinaires auxquelles se trouvait confronté le « petit peuple », était un formidable raccourci. Trois petits mots pour résumer toute une phrase : « Moi, ce que je vous en dis, c’est juste histoire de dire. À vous de voir ensuite si ça vous dit ou pas d’aller plus loin. Mais au moins, moi, Makaya, je l’aurai dit… » Avec ce corollaire implicite : « Et vous, vous ne pourrez pas dire que vous ne saviez pas ! »
C’était le bon sens populaire, en fait, qui s’exprimait dans le langage de la rue à travers ce billet, servant aussi à attirer l’attention sur des initiatives ou des créations pas forcément considérées à leur juste valeur. Bref, quelque trente-cinq ans plus tard, dont trente de presse musicale en tant que créateurs et animateurs de journaux de référence (le mensuel Paroles et Musique depuis 1980 puis la revue Chorus jusqu’à la mi-2009), à l’heure de donner un nom adapté à ce blog, je me suis souvenu de ce billet – un blog quotidien avant l’heure ! – et de son titre qui, transposé en français de France, signifie tout simplement « Si ça vous chante »…
Pour moi quoi ! Fred Hidalgo… Tout ce que je dirai au fil de ces rendez-vous nouveaux, consécutifs au fait accompli de la disparition de Chorus devant lequel son équipe rédactionnelle a été placée, glacée, en plein cœur de l’été, alors qu’elle vaquait normalement à la réalisation du numéro suivant (voir le site de la Rédaction de Chorus), ce sera comme toujours depuis trente ans par besoin irrépressible. Par urgence de dire, de partager avec ceux et celles qui le veulent bien (parce qu’ils le valent bien ?) un coup de cœur, une découverte, un beau moment… ou a contrario un instant de désenchantement, un coup de griffe ou de sang. Avec le bonheur parfois (pas toujours, car des goûts et des couleurs, n’est-ce pas…) de réussir à accorder nos violons sur nos goûts et dégoûts, nos sentiments d’admiration ou d’indignation, de joie, de peine ou de colère. Cela, bien sûr, à travers l’actualité (et le patrimoine) de la chanson dans tous ses états (disques, scènes, livres, rencontres, reportages…), mais aussi de l’actu tout court dès lors qu’elle trouvera un écho dans la chanson, tant celle-ci forme un miroir fidèle de la société, un reflet plus ou moins brillant de l’air du temps.
Ce que j’écrirai dans ce déblogue-notes, comme aurait dit mon très cher Frédéric Dard, ce sera donc à l’instar de Makaya, l’homme libre de Libreville, « juste histoire de dire ». Pour moi, quoi... Même si malgré tout, malgré les coups reçus, coups bas et coups fourrés, malgré l’hypocrisie et la veulerie, l’espoir de poursuivre le partage reste aussi vivace qu’immortel est l’arbre à chansons. Le poète l’a dit : « Au cœur de l’arbre il y a le fruit / Au cœur du fruit il y a la graine / Au cœur de la graine il y a la vie / Et la saison prochaine… »
Impossible en effet – sauf à accepter la sentence vous réduisant brutalement au silence, au mépris total des droits de la défense – de se résoudre à tourner définitivement la page. Celle qui s’ouvre donc ici – fût-elle virtuelle et non plus de papier – n’a d’autre ambition, qu’on se le dise au fond des ports, que de s’offrir elle aussi en partage. Pour les copains d’abord… et tous les autres prêts à monter à bord. Avec en ligne de mire les lendemains qui chantent de « la saison prochaine »… Si ça vous dit d’en être, j’en serais évidemment fort aise. Mais le voyage est purement facultatif, à but non lucratif, organisé à l’intention des seuls amoureux au long cours de la chanson, capables d’en apprécier l’agrément, les beautés voire les vertus, sans arrière-pensées cupides ni calculs machiavéliques. Nul besoin d’oiseaux de passage et de malheur se faufilant masqués dans notre sillage, on a déjà donné.
Mais si affinités ou plus, alors oui, embarquez sans tarder et bienvenue chez vous ! À la maison de la chanson. À commencer, je l’espère, par les passionnés de paroles et de musiques qui par milliers faisaient chorus avec nous chaque saison. De l’espace francophone… ou du reste du monde.
Selon Gabriel Celaya (mis en musique et chanté dans la langue de Cervantes par le seul, l’unique, le grand Paco Ibañez – clin d’œil perso en cette année qui marque les soixante-dix ans de la Retirada…), la poésie est une arme chargée de futur. Dans ce cas, c’est sûr, tous les espoirs sont permis. Il suffit d’y croire… si ça vous chante, évidemment !