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  • : SI ÇA VOUS CHANTE (le blog de Fred Hidalgo)
  • : Parce que c’est un art populaire entre tous, qui touche à la vie de chacun et appartient à la mémoire collective, la chanson constitue le meilleur reflet de l’air du temps : via son histoire (qui « est la même que la nôtre », chantait Charles Trenet) et son actualité, ce blog destiné surtout à illustrer et promouvoir la chanson de l’espace francophone ne se fixera donc aucune limite…
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  • Fred Hidalgo
  • Journaliste depuis 1971, créateur de plusieurs journaux dont le mensuel « Paroles et Musique » (1980-1990) et la revue « Chorus » (1992-2009). Editeur depuis 1984 et créateur en 2003 du « Département chanson » chez Fayard.
  • Journaliste depuis 1971, créateur de plusieurs journaux dont le mensuel « Paroles et Musique » (1980-1990) et la revue « Chorus » (1992-2009). Editeur depuis 1984 et créateur en 2003 du « Département chanson » chez Fayard.

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28 juin 2021 1 28 /06 /juin /2021 23:01

L'affaire du vrai-faux "dernier San-Antonio"...

Ce 29 juin 2021, Frédéric Dard aurait eu cent ans ! San-Antonio et ses lecteurs, eux, sont orphelins depuis le 6 juin 2000. Mais au printemps suivant, bien que son Dard de géniteur fût raide, San-Antonio se dressait à nouveau en majesté sur les étals des librairies avec un inédit, Céréales killer… Vingt ans après, voici la véritable histoire du vrai-faux « dernier San-Antonio », l’ultime volume officiel de la saga, telle que racontée dans San-Antonio poussa la porte et Frédéric Dard entra, par le Grand Connétable (« à vie » !) de la San-Antoniaiserie. Probablement les derniers extraits que je mets en ligne avant que cet ouvrage trouve son éditeur ou, à défaut, donne lieu à un éventuel financement participatif.

Après le chapitre où Frédéric Dard arrivait chez mes parents, à Dreux, pour me rencontrer (voir sujet précédent), je vous invite à faire un saut dans le temps de trente-cinq ans (et de 350 pages dans mon livre !). Au moment où, peu après la mort de l’écrivain, on apprenait par Le Figaro Littéraire qu’il avait enregistré au magnétophone, à l’hôpital, un nouveau San-Antonio, certain qu’il était alors de se relever de ses soucis de santé… Au-delà de la stupeur et du chagrin de son départ, quelle surprise et surtout quelle chance pour ses féaux de pouvoir attendre encore, ne fût-ce qu’une fois, la toute dernière, le prochain San-A. ! Un rituel jamais interrompu, pour ma part, depuis l’automne 1964 et la « fameuse » première lettre que je lui avais adressée, qui avait eu l’heur de le toucher profondément.

Extraits.

« C’est Le Monde qui ouvrit le bal en avril 2001, quatre samedis de suite, en publiant les bonnes feuilles de Céréales killer, sous forme de quatre fascicules de seize pages illustrés en une par Boucq. Le « chapitre Pommier » s’inscrivait logiquement dans la filiation du précédent ouvrage, Napoléon Pommier [« Béru empereur », le dernier S-A. hors-série paru en mai 2000]. Et ma foi, on avait vraiment envie d’y croire, tellement c’était bien fichu. D’ailleurs, Bertrand Poirot-Delpech, « de l’Académie française », qui avait eu le privilège de lire le tapuscrit intégral, lui décernait un « Coup de bicorne » (!) de connaisseur :

« Sacré Frédéric !
Pour ce roman posthume (posthume-trois-pièces ?), il oppose une fois de plus la ressemblance des sons à la logique du sens, céréales à serial. Du coup, nous voilà en pleine Beauce. Une Beauce gaillardement dardienne, avec rave-party et jambes en l’air à tout va. Car la turlute est l’idée fixe de San-Antonio, ses fans le savent. Le commissaire a beau enquêter ici sur son propre fils suspecté de crime, il n’oublie pas la “chose”, meilleur moyen de “sentir qu’on existe et d’oublier qu’on n’existera plus” (c’est sa définition du bonheur). Il lui plaît que le désir débarque toujours comme un cheveu sur la soupe, cadeau tombé du Ciel et qui y réexpédie aussi sec. De “là-haut” – il y croyait –, Frédéric nous envoie ce message ultime de santé. Derrière la machine à écrire en folie, on croit deviner sa cravate fluo et son regard tendre, dont le bleu piscine n’est plus assombri par l’angoisse d’avoir à nous quitter.

Autre signature de San-A. d’une logique piaffante dans son incongruité : son dédain de la police des mots, remplacée par des à-peu-près de son cru. […] Ces pied-de-nez au bon français supposaient que des vieillards vieillassent (sic) sur la correction langagière, que des contractuels en vert (et contre tout !) collassent des contrav’ aux chauffards de son espèce. Dard avait tellement besoin de ces académiciens-repoussoirs qu’il les tenait en affection. À plusieurs reprises, il te les épingle gentiment, une dernière fois. À force de célébrer le bon usage en le défiant, il aurait mérité de siéger sous la Coupole. Il aurait croisé les mannes de Rostand, Pagnol, Cocteau, Achard, Ionesco, et, chez les vivants, plus d’un émule en calembours. L’idée ne lui déplaisait pas, pour peu qu’il ait pu continuer à se croire tancé, à sentir sur sa tête l’épée de “la Dame au cleps”, alias “du quai Conti”. Les fauteuils de Rabelais, Queneau, Pérec et Boudard lui auraient convenu… si ces précurseurs avaient été des nôtres. À défaut, attrape ce coup de bicorne, l’ami, et que voguent tes Céréales qui leurrent ! »

Yesss !

On avait – j’avais ! – envie d’y croire. Pourtant, même si les académiteux se portaient garants de la « signature » de Frédéric Dard, soulignant la particularité et l’originalité de ses obsessions magritto-textuelles, je ne parvenais pas à concevoir qu’il ait pu enregistrer tant de bons mots, de calembredaines et de néologismes, sachant qu’il lui était nécessaire de les poser sur le papier, de les malaxer, de leur faire rendre gorge avant de leur donner droit de cité dans son petit monde. On ne dicte pas comme on écrit. En tout cas pas lui ! Frédéric Dard à la rigueur, mais sûrement pas San-Antonio. Combien de fois ne m’avait-il pas assuré qu’il était incapable de parler comme il écrivait, et que ça lui échauffait les oreilles chaque fois qu’un journaliste le lui demandait à la radio…

Il y avait anguille sous roche. Qu’il eut consigné l’essentiel au magnéto, décrit l’intrigue, les lieux, les personnages, dans les grandes lignes, d’accord. Mais il fallait quelqu’un, c’était obligé, pour peigner l’ensemble, le mettre d’aplomb, l’enrichir… Possible, encore. Oui, mais pour le « san-antoniaiser » à ce point ? Qui donc ? Sinon Patrice [Dard]… Pas sorcier quand on connaissait le père et le fils. Impossible de confier le saint esprit d’Antoine – pour « la dernière enquête de San-Antonio », ainsi que Le Monde présentait Céréales killer – à n’importe quel rewriter de l’édition. Il y fallait sinon le génie de l’auteur, du moins ses gênes…

Mais Le Monde ne publiait que les bonnes feuilles. Soixante-quatre pages. Pour bien en juger, je devais attendre le livre, annoncé pour bientôt. Un indice, cependant, se montrait de nature à signer pour moi la paternité de cet opus 175 situé dans la Beauce, du moins de son idée originale : après le « chapitre Pommier », le chapitre deux ? Non, écrit à l’encre sympathique, je vous le donne en mille : le « chapitre DREUX » !

Trente-six ans après, Frédéric revenait sur les lieux du crime initial... Celui qui m’avait valu, pour complicité avérée, sans circonstances atténuantes, une condamnation à perpète ! Trente-trois ans après Bravo, docteur Béru ! dédié à ses féaux de Dreux… Trente-trois p’tits tours et puis s’en va au Paradou [nom de sa villa, près de Genève, où il est mort]. Si la turlute, comme l’écrivait Poirot-Delpech, était l’idée fixe de San-Antonio, ceci était bien une pipe d’outre-tombe, non ?

« Le dernier SAN-ANTONIO », tel qu’indiqué sur un bandeau, m’attendait à la Rose des Vents [la librairie du centre-ville de Dreux : voir photo d’ouverture du sujet précédent]. Souvenirs, souvenirs… Quatre décennies plus tôt j’avais découvert « le premier » (et trois autres avec !) juste en face, à la Maison de la Presse… devant laquelle, un an plus tard, le ciel me tomba sur la tête [cf. l’entretien avec Patrice Carmouze, vidéo ci-dessous]. Surprise : ce n’était pas un poche, ni un « grand ». Format inédit, intermédiaire. Dessin de Boucq courant, comme Béru coursé par la poulaille et la volaille, sur les trois plats de couverture.

Titre franglais à la une et deux textes en quatrième. The Feurste Ouane, de San-Antonio : « Il s’en passe de drôles dans les plaines de la Beauce. La jeunesse du cru a organisé une “rave-party” au milieu des champs. Mélanie Godemiche, la prêtresse de cette fiesta, a été retrouvée atrocement mutilée et qui plus est un peu morte. Si je te dis que mon fils Antoine, San-Antonio Junior, a paumé sa casquette sur le lieu du crime, tu comprends mon souci ? » The Seconde (de toute beauté), de l’éditeur : « Le 6 juin 2000, Frédéric Dard nous quittait, laissant derrière lui son œuvre géniale et des millions de lecteurs orphelins. Écrivain passionné jusqu’à son dernier souffle, il nous a fait le cadeau de ce roman posthume dans lequel son humour, son sens du suspense et son éternelle jeunesse éblouissent notre esprit ! Le Commissaire est toujours là, qu’on se le dise ! En compagnie de Bérurier, Berthe, Marie-Marie et toute la fine équipe ! »

Well, well…

Excellent cru. Dégusté à petites doses. « Le dernier »… Fallait le faire durer. Entre-temps, les bonnes critiques pleuvaient de partout. Beaucoup d’articles « informatifs », surtout. On rappelait que Frédéric Dard, soucieux de rendre au moins un « petit » à paraître à la rentrée 2000, après être tombé malade à la fin de Napoléon Pommier en février, l’avait enregistré durant son séjour forcé à l’hôpital. D’autres disaient qu’il l’avait dicté à [sa femme] Françoise ; d’autres encore qu’il en avait écrit une partie avant que sa santé ne déclinât. C’est vrai que sa priorité allait d’abord à l’écriture, coûte que coûte, justement pour ne pas mourir…

Selon d’autres sources « bien informées », Frédéric avait sollicité lui-même l’aide de Patrice, le temps de traverser cette mauvaise passe. Il lui avait raconté l’histoire, détaillé les péripéties. À charge pour lui, en se calant dans les pas de son père dont il savait pouvoir compter sur la pleine et entière confiance, de tout coucher sur le papier. Les deux hommes, San-Antonio père et fils, avaient opéré leur jonction grâce à l’écriture en commun d’une pièce, Le Massacre de la Saint-Valentin (1997), que Robert Hossein comptait créer au Palais des Sports. Frédéric l’avait confié à ses amis proches : depuis cette expérience, surtout depuis qu’ils avaient travaillé ensemble sur la série télévisée Maître Da Costa [joué par Roger Hanin], il se sentait en harmonie totale avec Patrice. […] Rien de plus normal, dans ces conditions, qu’il pût lui demander d’achever… ou de rédiger de bout en bout Céréales killer.

SAN-ANTONIO PÈRE ET FILS

Quoi qu’il en soit, à l’instar de ses personnages […], les calembredaines habituelles de San-A. étaient au rendez-vous, métaphores, calembours, contrepèteries et autres bons mots. Pas trop de digressions… Mais les apostrophes au lecteur, si […]. L’histoire était bien ficelée, mieux qu’à l’accoutumée peut-être… Et le langage de Béru toujours aussi paronymique, comme à propos du député de sa « circoncision ».

Ce que j’appréciai personnellement, parce que je le voyais venir depuis des lustres et que ça me semblait une excellente idée pour rajeunir et redonner un second souffle à la saga, c’était cette passation de pouvoir latente qu’on devinait entre le père et le fils. Entre le commissaire Antoine San-Antonio, dit Tonio, et le lieutenant de police tout frais émoulu Antoine San-Antonio, dit Toinet [vous suivez ?]… Avant d’être le suspect n° 1 du meurtre de Mélanie Godemiche*, et d’obliger San-A. à prouver son innocence, Toinet venait d’être nommé major de sa promotion de l’École de police ! Ça sentait bon la retraite pour le père ; la place était chaude pour le fils qui pouvait compter sur l’expérience des anciens pour l’épauler : Béru, Pinaud, Jérémie, Mathias le Rouillé… […]

*Avec un nom pareil, son créateur ne pouvait qu’être inconditionnel de Brassens : « Ancienne enfant d’Marie-salope / Mélanie, la bonne au curé / Dedans ses trompes de Fallope / S’introduit des cierges sacrés… » (Mélanie, 1976). Ah ben tiens, page 38 : « Tout est bon, y a rien à jeter, qu’il aurait chanté notre Brassens » !

« Lieutenant Antoine San-Antonio, police criminelle ! Je suis major de ma promo ! »

Te dire que je suis heureux de sa réussite chez les matuches, tu vas pas me croire. […] Eh bien, t’as tort Nestor, un frisson de fierté me parcourt depuis les burettes jusqu’au cervelet. Ce môme cueilli comme une mauvaise plante et que j’ai éduqué à la va comme je te pisse sans même le voir grandir devient soudain l’objet de ma gloriole paternelle. Bravo San-Antonio ! Ça, c’est de la descendance !

Faut que tu réagisses, mec. N’oublie pas que la métamorphose d’un petit d’homme obéit aux mêmes lois que celle des papillons : larve, chrysalide et tchao pantin ! On n’y peut rien. Chez nos embryons la trajectoire est à peine plus sophistiquée : tendre fœtus, joli poupon, charmant bambin, étudiant, militaire, jeune con, travailleur, père, chômeur, gros con, grand-père, retraité, vieux con et puis ce papillon de l’âme qui s’évade un beau jour d’un caisson de bois. Pin, chêne ou acajou… C’est à la couleur finale qu’on reconnaît la richesse d’un homme ou la beauté d’un lépidoptère.

Frédéric ou Patrice ?

Quelle importance, au fond, de savoir à qui revenait la paternité de ces lignes ? C’était du San-Antonio pur jus, tout craché ! Une de ces (ses ?) saillies textuelles qui, vu sa justesse et le contexte, vous prend en flagrant délit de larguer sans autorisation, et sans déclaration préalable, les amarres d’une armada de larmes…

SAN-ANTONIO PÈRE ET FILS

San-Antonio junior prolongeant son paternel ? […]

À vrai dire, je me demandai seulement jusqu’à quel point le fils se dissimulait derrière le père. S’il devait n’y avoir qu’un lecteur informé, c’était bien le Grand Connétable de la San-Antoniaiserie… Je m’abstins cependant de chercher à le vérifier auprès de Françoise ou de mon frangin d’adoption. Pas risquer de les contraindre à se mettre, vis-à-vis de nous, en porte-à-faux… Le jeu n’en valait pas la chandelle. Et puis, la qualité de l’ouvrage se suffisait à elle-même. […] Pour l’homme du Monde et de l’Académie française réunis, pour les critiques qui allaient marcher ensuite dans ses sillons, ce « roman agricole » n’était rien que du bon pain. […] Du reste, le public, le seul qui avait vraiment voix au chapitre, s’était prononcé. Les suffrages furent francs et massifs. On n’aurait pas besoin d’un second tour. Cinq cent mille exemplaires vendus ! Un véritable plébiscite. […]

Frédéric ? Patrice ? San-Antonio père et fils « à quatre mains » ? Mon doute ne procédait pas seulement de la certitude, pour bien connaître notre Frédo, de son incapacité à enregistrer ou dicter un San-A. nourri à ce point d’inventions littéraires, mais aussi de mes accointances affectives de longue date avec Patrice : Si je te dis que mon fils Antoine, San-Antonio Junior… Voilà, pour moi, qui signait clairement la paternité de ces deux cent quarante-deux pages de San-Antonio sans Frédéric Dard. Mais bon dieu, mais c’est bien sûr ! aurait dit le commissaire Bourrel, n’avait-il pas signé ainsi le Livre d’Or du Club San-Antonio*, trente-trois ans plus tôt :

Avec toute la sympathie et les remerciements
d’un membre du Club qui ne peut malheureusement
que signer SAN-ANTONIO JUNIOR…

*La première association des Ami(e)s de San-Antonio, que j’avais créée en août 1965, avec Le Petit San-Antonien, journal trimestriel puis bimestriel, pour organe de liaison.

SAN-ANTONIO PÈRE ET FILS

Comme quoi le « coupable » ne se méfie jamais assez des indices qu’il sème sur son chemin, fût-ce une éternité plus tôt ! Déchiffrable par le premier Hercule Poirot (-Delpech) venu. Sous réserve, bien sûr, de connaître toute l’histoire, et ça, ma foi, y en avait pas beaucoup, pas beaucoup, y en avait pas beaucoup (« peut-être pas du tout ») qui pouvaient la connaître à ce point-là… Avec le temps, l’éditeur, les lecteurs et les médias finiraient malgré tout par apprendre le poteau rose (dixit Béru). Selon ce qu’on voulait bien entendre ou accepter de croire, du moins, Céréales killer s’insérant officiellement dans la saga, une fois réédité au format de poche originel, en mars 2003, sous le numéro 175.

Entre la remise de Napoléon Pommier et le 6 juin 2000, Frédéric fut en proie à de sévères problèmes cardiaques, s’aggravant sans cesse, avec des séjours répétés en clinique. Impossible de s’atteler au prochain qu’il s’était engagé à rendre le 15 octobre. Il essaya bien de s’y mettre, mais en vain, à part quelques notes jetées sur le papier. Plus tard, Françoise, qui connaissait bien les qualités de scénariste et de romancier de Patrice*, les lui montra en lui disant qu’il fallait écrire ce livre : « Ton père a toujours dit que tu étais capable de le faire. » Il était question d’un paysan au volant d’un tracteur, à l’aube, allant décharger discrètement sa cargaison, dans laquelle se trouvait un cadavre, dans une fosse à purin. Sans doute le début de l’intrigue, mais rien de plus. Patrice eut l’intelligence d’en faire le « Dernier chapitre » (… et de le placer en ouverture !), avant d’opérer un retour en arrière.

*Sous les pseudonymes de Vic St Val (avec Gilles Morris-Dumoulin), Patrice Damaisin et Alix Karol, lequel marchait déjà sur les pas de San-A., outre ses adaptations en BD, il ne manquait guère d’expérience. Sans compter qu’il s’était jeté, très jeune encore et sans que son père le sût, bravant même son interdiction, sur tous les San-Antonio de la bibliothèque des Mureaux…

Pour qui en possédait les clés de lecture, Céréales killer marquait le passage évident, et assurément filial, d’un San-Antonio à l’autre…

Doublement attristés par la sortie de scène soudaine de Frédéric, Françoise et Patrice Dard avaient voulu prolonger un peu sa vie d’auteur, d’autant plus que l’éditeur n’attendait que ça. Sans ignorer que son fils n’y était pas totalement étranger, il voulut croire que ce livre était bel et bien de Frédéric. Patrice écrivit Céréales killer « sans se poser de question, comme une thérapie, une manière de deuil express ». San-Antonio fit ainsi de vrais adieux, fussent-ils faussement posthumes, à ses lecteurs.

Bravo et merci.

La suite était moins attendue. Mais sans ambiguïté : « Les Nouvelles Aventures de San-Antonio », par Patrice Dard. Chez Fayard. […] Après l’accueil enthousiaste obtenu par « le dernier San-Antonio », Françoise lui suggéra de poursuivre la série, par crainte que, sans actualité autour de San-A., son œuvre ne finisse par tomber dans l’oubli. Encouragé par sa propre famille, Patrice releva le gant : « Surtout parce que je ne voulais pas qu’on oublie Frédéric Dard. » […]

On s’en doute, la presse ne fut pas spécialement bienveillante. Comme si l’histoire bégayait. Impression de déjà-vu. Après avoir boudé ou raillé San-Antonio dans les décennies 50 à 70, puis volé au secours de son succès, on allait se venger de son rejeton après avoir salué bien bas Céréales killer… Patrice : « Quand j’ai repris le flambeau, j’étais parfaitement conscient de la difficulté comme des risques encourus, mais je l’ai fait pour prolonger mon père, pour contribuer à la survie de son œuvre. Ma plus grande crainte ? Ne pas être à la hauteur du premier livre, sachant que tout le monde penserait qu’il était de lui. Oui, j’ai eu la trouille… Mais ensuite, en accolant mon nom à celui de San-Antonio, j’endossais toute la responsabilité et acceptais par avance toutes les critiques. Ça n’avait plus d’importance, surtout si elles émanaient de journalistes qui avaient encensé Céréales killer sans savoir qu’il était de moi. »

[…] En 2016, peu après le décès de son éditeur*, Patrice choisit de mettre un terme définitif à cette aventure. […] L’histoire, il le savait, le ressentait profondément, devait s’achever là. Mais pas n’importe comment. Par un retour en arrière, aux origines de la série. Il fallait envoyer son héros sur Le Sentier de naguère… « Je me suis lancé dans cette folle aventure pour la simple et bête raison que j’ignorais tout du passé de mon père », écrit San-Antonio au dos du livre…

*Claude Durand, PDG de Fayard, grand admirateur de Frédéric Dard et amateur de San-Antonio, avec qui nous avions créé en 2003 le « Département chanson Fayard-Chorus » ; il n’y a pas de hasard…

Patrice Dard : « Avant même de prendre la décision d’arrêter, j’avais envie de partir en quête des origines de San-Antonio, pour comprendre d’où lui venait son nom, s’il avait un rapport avec la ville du Texas, proche du Mexique. J’ai donc imaginé une histoire d’héritage pour l’envoyer aux States, dans un décor de western, sur les traces de ses ascendants…

— La boucle est bouclée* : San-Antonio revient sur les lieux d’où il tire son nom… à un tiret près !

— Oui. J’ai expliqué d’où il venait… Mais à présent j’ignore où il va. Je sais seulement que San-Antonio ne mourra jamais. »

*Entre 2002 (Corrida pour une vache folle) et 2016 (Le Sentier de naguère), Patrice Dard a écrit 28 épisodes des « nouvelles aventures de San-Antonio », auxquels il faut donc ajouter Céréales killer (2001).

La preuve :
Bouquins vient de publier le tome ultime, le vingt et unième, de la saga intégrale de San-Antonio (intégralement disponible !), dont la publication avait débuté en 2010 (1600 pages environ le volume, faites le compte !). L’intérêt principal de ces œuvres complètes – sa Pléiade à lui – est d’être présentées dans leur « jus d’origine » (les San-A. ayant été réédités à de multiples reprises, au fil des décennies, l’éditeur se permettait de modifier des références de toutes sortes, allusions culturelles, modèles de voiture, marques de publicité, etc., jugées trop datées), et de proposer une pertinente remise dans le contexte par François Rivière (l’auteur de la biographie officielle Frédéric Dard ou la vie privée de San-Antonio, Fleuve Noir, 1999).

À noter que ce tome 21, qui comprend les 11 derniers titres de la saga (dont Ceci est bien une pipe, le spécial 50 ans de San-Antonio où celui-ci se dotait d’un « Grand Connétable de la San-Antoniaiserie »…) s’achève par Céréales killer, qui reste donc (malgré sa véritable histoire ici dévoilée !) « le dernier San-Antonio » officiel de la saga. Soit 175 titres, auxquels il faut ajouter 9 « grands romans » hors-série publiés entre 1964 et 2000 avec les mêmes personnages.

Voilà pour San-Antonio l’immortel.

Pour Frédéric Dard – dont le centenaire de la naissance, ce 29 juin, a déjà donné lieu à nombre d’articles, dossiers, hors-série ou émissions de radio et de télévision, ainsi qu’à des manifestations et rencontres aux Mureaux (où est né San-A.), à Saint-Chef-en-Dauphiné (où repose Frédéric) et même à Sète pour un duo inédit entre Brassens et Dard (nés la même année) –, l’événement, c’est la publication d’un gros recueil (592 pages) chez Fleuve Noir.

Intitulé ­Des nouvelles de moi (en référence au mot retrouvé sur son bureau après sa mort, à côté des notes de son « prochain San-A. », publié en exergue de Céréales killer : « Je suis sans nouvelles de moi »), il propose un aspect de son œuvre méconnu de la critique et de son public populaire : celui d’auteur de nouvelles. Celles-ci, écrites pour la plupart entre 1940 et 1950, collectées dans différents journaux et revues de l’époque, sont commentées par Alexandre Clément qui met l’accent sur « leur style affirmé, reflétant l’intensité des lectures abondantes qu’il n’a cessé de faire depuis son plus jeune âge. […] Ambitieuses, véhiculant des émotions à travers un style aussi incisif que dépouillé, ces nouvelles [près de 90 dans ce recueil] sont la démonstration que le romancier français le plus lu du XXe siècle était un très grand écrivain dont la plume ne semble guère souffrir de l’usure du temps ! » On estime à 200 environ le nombre total de nouvelles et contes divers écrits durant sa carrière (son dernier recueil publié, En voilà des histoires, Fleuve Noir, date de 1992). 

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commentaires

B
FRED, <br /> A propos de votre dernier blog, de votre dernier article sur SAN-ANTONIO PERE et FILS, je suis pour le moins surpris du manque de réactions !<br /> Je viens de relire celui-ci mais surtout, si j’ose dire, l’ABSENCE de commentaires de tout un chacun !!!<br /> Rien.<br /> Votre article, comme toujours bien préparé, bien étayé, en plus, avec la complicité du fils de Frédéric DARD, est pourtant impressionnant.<br /> SAN-ANTONIO serait-il remisé dans les oubliettes et ne susciterait-il plus d'intérêt pour que "personne" ne vous réponde... ou seulement vous remercie pour votre formidable travail ?<br /> La COVID 19 aurait-elle tué tout le monde ? ...A part vous, San-Antonio l'immortel... et moi, le seul de vos lecteurs à avoir posté un commentaire...Tué, non physiquement mais moralement, de l’intérieur, ne laissant plus qu’un vide sidéral en chacun ?<br /> La politique et les médias du tout et du rien, de la vraie ou fausse information, auraient-ils anéanti la communion des esprits, l'esprit d'équipe, l'esprit de dialogue, les opinions personnelles ? Il est vrai que, comme l'a chanté Colette MAGNY : “Pas d'opinion, pas de délit d'opinion” !<br /> Je ne le crois pas, cependant, quand on voit tout ce qui peut être dit en revanche sur les réseaux sociaux, même si c'est souvent pour le pire ! Alors ???<br /> J'en suis dépité pour vous qui avez dû passer “un certain” temps à (nous) préparer cet article aux informations inédites, vingt ans après !!!<br /> HAUT LES COEURS et BONNE SEMAINE<br /> Cordialement<br /> Yves BARBERON
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B
WHOUAH ! Quel bel hommage à Frédéric DARD, quelle connaissance, quelle complicité !!!<br /> Il n'est jamais trop DARD pour en parler, en reparler, à faire vivre SAN ANTONIO.<br /> A Quand le prochain hommage et, pourquoi pas, pour un spécialiste de la chanson française, un à Hommage à Morice BENIN, parti l'année dernière, ou pour le dernier CD, SUBLIME et SURPRENANT dans sa présentation et sa teneur, de Philippe FORCIOLI, "On n'est jamais trop près du ciel" ?<br /> Bien à vous
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