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  • : SI ÇA VOUS CHANTE (le blog de Fred Hidalgo)
  • : Parce que c’est un art populaire entre tous, qui touche à la vie de chacun et appartient à la mémoire collective, la chanson constitue le meilleur reflet de l’air du temps : via son histoire (qui « est la même que la nôtre », chantait Charles Trenet) et son actualité, ce blog destiné surtout à illustrer et promouvoir la chanson de l’espace francophone ne se fixera donc aucune limite…
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  • Fred Hidalgo
  • Journaliste depuis 1971, créateur de plusieurs journaux dont le mensuel « Paroles et Musique » (1980-1990) et la revue « Chorus » (1992-2009). Editeur depuis 1984 et créateur en 2003 du « Département chanson » chez Fayard.
  • Journaliste depuis 1971, créateur de plusieurs journaux dont le mensuel « Paroles et Musique » (1980-1990) et la revue « Chorus » (1992-2009). Editeur depuis 1984 et créateur en 2003 du « Département chanson » chez Fayard.

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21 mai 2020 4 21 /05 /mai /2020 10:11

« N’en jetez plus !* »


Nous, quand on ressent de la peine, disait Frédéric Dard (en évoquant les écrivains, les poètes, les artistes en général), on ne peut s’empêcher de lui chercher un titre… Elle revient au triple galop, la gueuse, en ce « pont » de l’Ascension où nous avions l’habitude de retrouver nos amis les plus fidèles (Allain Leprest, Nilda Fernandez, Léo Ferré...) au festival de Montauban, « Alors… Chante ! ».

Jamais en peine, elle, la Camarde ne cesse de nous remettre à notre juste place, celle de « morts en sursis », comme disait Jacques Brel. Heureusement, il y a la mémoire qui chante qui, même lorsqu’elle est triste (un an déjà que le tendre, délicat et tellement talentueux Nilda a discrètement tiré sa révérence...), cherche à nous rappeler le meilleur de nos souvenirs... Lequel, pour moi (et tant d’autres sans doute) tourne souvent autour de San-Antonio... qui connaissait (vraiment) la chanson et adorait les artistes. Et réciproquement !

La preuve avec cette photo du grand comédien (et citoyen solidaire) Michel Piccoli (parti lui aussi dans la plus grande discrétion), se disputant avec Pierre Richard un de ses ouvrages inénarrables de fantaisie débridée comme de lucidité désespérée (en l’occurrence La Vie privée de Walter Klozett, 1975) ; la preuve aussi avec celle, ci-dessus, de Nilda Fernandez, invité en 1991 à Genève, en compagnie de Renaud, par Frédéric Dard qui l’estimait beaucoup et avait été particulièrement ému en découvrant Madrid, Madrid (voir Renifle, c’est de la vraie, paru en 1988, où il le clamait aux quatre vents – un passage dont je parlerai moi-même de l’origine, un jour, ailleurs, puisque je peux dire que « j’y étais », Frédéric m'ayant sollicité en amont à ce sujet, persuadé à juste titre que je devais bien connaître Nilda…).

Si j’avais su que je l’aimais autant, je laurais aimé davantage, disait encore Frédéric Dard, toujours lui. « On est aussi con aujourdhui / Quon sera mort dans dix mille ans », assurait pour sa part Leny Escudero qui vouait un culte à San-Antonio (et que nous étions allés saluer une dernière fois, Nilda et moi...). « Il ne faut pas aimer bien ou un peu / et à tout prendre / mieux vaut ne pas aimer du tout / Il faut aimer de tout son cœur / et sans attendre / dire "je taime" à ceux quon aime / avant quils ne soient loin de nous »... tant que nous sommes, nous-mêmes, « des morts encore vivants » (Brel…). Oh ! que oui, cher Jean-Roger Caussimon... Combien je voudrais pouvoir redire « je taime » à Frédéric, à Leny, à Nilda (avec « sa petite frime de fouine triste »,) à Léo, Allain, Claude, « Jo », Guy... et les autres. Des êtres qui sont « d’une autre race et ne le savent pas », chantait Ferré. Ils sont « d’un autre clan et se mêlent à vous, ils nous tendent leurs bras et nous donnent la main »...

Amis, soyez toujours (Vasca) !

*75e San-Antonio, 1971.

**Pour rappel sur (et avec) Nilda, si ça vous chante, sur ma page personnelle d’ « échanson de la chanson » :

« 37 ans de fraternité » (avec une émission, ensemble, sur France Inter).
• 7 avril 2018, Nilda chantait Garcia Lorca à Paris.
« Ah ! que ça me fait de la peine… »
« Nilda, Vasca : “La porte qui bat / Sur quel au-delà”… »
« L’Ascension de la chanson (Allain, Nilda et les autres) ».
« Nilda, San-Antonio et le temps qui reste ».

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18 mai 2020 1 18 /05 /mai /2020 09:23

« À prendre ou à lécher »*… par les affranchis


L’an dernier, les amateurs du Fou Écrivant (le plus lu du XXe siècle) ont célébré les 70 ans de son héros et alter ego San-Antonio (voir « San-Antonio sans alter ego »). Cette année, la Poste rend hommage à Frédéric Dard à l’occasion des vingt ans de sa disparition, le 6 juin 2000 (voir « San-Antonio fait chorus »), mais surtout en prévision du centenaire de sa naissance en 2021. Lui qui détestait les honneurs en tout genre, mais s’est toujours considéré (non sans humour) comme un « homme de lettres », en raison de sa venue au monde au-dessus d’un bureau de poste – chez un receveur des postes ! –, sûr qu'à se voir ainsi timbré, il se serait exclamé, comme San-Antonio en 1959 : Tout le plaisir est pour moi !a
_________
*Vous me direz que les timbres d’aujourd’hui ne se collent plus avec la langue, qu’ils sont autocollants. Soit ! Avec le temps tout se perd, comme les bas à jarretelles au profit de collants d'hommes-grenouilles, pas vrai San-A. ? Ça n’est pas une raison de se priver, pour autant, d’un titre alléchant, paru en même temps que le premier numéro de Paroles et Musique...

 


Voulez-vous que je vous dise ? En cette période si glauque où nombre d’entre nous ont perdu des proches ou des amis, ça fait un bien… fou de le voir ainsi timbré, en attendant de le découvrir oblitéré ; à moi, peut-être plus qu’au premier venu, qui l’avais « reconnu » déjà, tout minot, sans même savoir qui pouvait se cacher derrière ce nom étrangement hispanisant, alors que la mode littéraire était aux pseudos anglo-saxons (dix ans avant la vague de la chanson yéyé). San-Antonio !?... Comment aurions-nous pu imaginer à l’époque, moi, en lui adressant une lettre « fondatrice », lui en m’apportant (à ma grande surprise et pour mon plus grand bonheur) une réponse inoubliable, qu’un jour – plus d’un demi-siècle après ! – il nous serait possible de correspondre en affranchissant nos lettres à son image ?!

En 1990, déjà, on s’était réjoui quand la Poste française avait émis un timbre (à 2,80 F) à l’effigie de Jacques Brel (même si le portrait choisi, dessiné par Moretti, m’avait laissé dubitatif), mais surtout j’avais été comblé en découvrant sur place qu’en 2009 la Polynésie avait choisi de mettre le Grand Jacques à la une, à l’endroit même (un « pays » autonome, je vous le rappelle, avec son propre gouvernement) de son accessible étoile où l’avait mené l’impossible rêve de sa quête ultime (voir « Le voyage au bout de la vie »). Pour seulement 100 F Pacifique !

Et voici que pour moins d’un euro, le pays de Rabelais nous offre Frédéric Dard dit San-Antonio à prendre ou à lécher !

San-Antonio enfin timbré, pas trop tôt pour ce génial écrivain dont le succès populaire (donc suspect...) lui a trop longtemps valu, de son vivant, d’être enfermé dans des limbes d’indifférence voire repoussé dans un purgatoire de condescendance, par les tenants forcenés de l’agagadémisme et de la bien-pensance.

Cela me rappelle les réactions offusquées d’amateurs purs et durs de « la bonne chanson française » qui refusaient mordicus qu’on pût aimer, par exemple, un Brel et un Goldman en même temps (…alors que le répertoire de celui-ci, soit dit en passant, est infiniment brélien dans l’inspiration). Tant pis pour ces gens-là… Il suffit à mon bonheur de savoir deux ou trois petites choses… Que San-Antonio connaissait la chanson, qu’il était même avec Brel, dans sa loge, après sa toute dernière à l’Olympia… Ou qu’à défaut d’arriver à réunir Jean-Jacques Goldman (qui l’adorait) et Frédéric Dard (qui n’en pensait pas moins à son sujet), j’avais pu leur faciliter un rendez-vous téléphonique, diffusé en direct à la radio et tenu secret jusqu’au dernier moment (voir le verbatim intégral de leur conversation dans « Goldman Confidentiel »).

Bref ! Si vous mordez entr’ les lignes le topo que j’viens d’vous bonnir, les aminches, vous savez quoi faire la prochaine fois que vous aurez des velléités épistolaires, d’amour ou d’amitié ; a fortiori si votre bafouille est destinée au « Grand Connétable de la San-Antoniaiserie » :

l’orner du portrait dentelé (99 ans et toutes ses dents) du Grand Maître de l’Ordre (des plaisantins de bonne compagnie) ! Il ne vous en coûtera que 0,97 euro et une dose gracieuse de sympathie. Quant aux pisse-froid, aux pisse-chagrin, aux aboyeurs professionnels qui trouvent toujours à redire, bien planqués à l’arrière, à critiquer ce que font les autres, aux atrophiés du bulbe auxquels l’ouverture d’esprit est aussi étrangère qu’un semblant d’intelligence aux cons (« les seuls véritables étrangers de l’existence, disait Frédéric, contre lesquels s’exerce ma xénophobie »), quant aux trépanés de la membrane empathique, amputés des glandes lacrymogènes (dixit Bérurier) à force de s’autocastrer le rire salvateur, aux empêcheurs d’aimer (qui on veut) en rond, en long, en large et en travers, qu’ils se tranquillisent : personne ne s’avisera jamais de les regretter s’ils se décident à lâcher (enfin) la rampe !

Pour rire, justement (et pour la curiosité de l’affaire), je vous offre une chanson sur San-Antonio de 1981 tirée du navet « le plus pire » qu’on ait jamais « adapté » de son œuvre inadaptable à l’écran (réalisé par Joël Séria, pourtant, vous savez : Les Galettes de Pont-Aven, avec le regretté Jean-Pierre Marielle…). Interprétée par Robert Carpentier, composée par M. Stelio et J.P. Vinit, mais surtout écrite (commise ?) par le très talentueux et très sérieux Claude Lemesle, eh oui… Mais il lui sera beaucoup pardonné pour avoir eu Jacques Brel comme dieu et n’avoir pas craint, pour autant, de s’avouer idolâtre de San-Antonio !

Rappelons que, dans la seconde moitié des années 60, Frédéric Dard s’était lui-même essayé à l’exercice, sans prétention, en écrivant les paroles de la chanson San-Antonio, enregistrée par Félix Marten (sur une musique de Philippe-Gérard), ainsi que de la ritournelle préférée de Béru, Les Matelassiers, chantée par Bourvil (sur une musique de Jo Moutet). On peut les écouter dans mon premier sujet consacré à San-A. (« fait chorus ») sur ce blog.

Enfin, pour qui voudrait ne pas mourir idiot ou inculte (du Serial Virus Killer ou de connerie assumée), voici le communiqué officiel que La Poste va diffuser dès aujourd’hui, lundi 18 mai 2020, pour accompagner la sortie de son nouveau timbre (et je n’y suis pour rien*, s’il est – forcément – élogieux !) :

« Frédéric Dard est né le 29 juin 1921, à Jallieu (Isère), à l’étage situé au-dessus d’un bureau de Poste, ce qui, disait-il, le prédestinait à une carrière dans les lettres… Issu d’une famille modeste, il manifeste très tôt un goût immodéré pour la lecture. Influencé par des auteurs comme Georges Simenon ou Louis-Ferdinand Céline, il publie son premier livre, La Peuchère, en 1940. Touche-à-tout littéraire et stakhanoviste de la machine à écrire, il se frotte, sous son nom ou sous d’improbables pseudonymes, au roman populaire comme au conte pour enfants, en passant par l’écriture théâtrale ou les adaptations radiophoniques et les scénarios pour le petit et le grand écran. En 1949, en plein épanouissement du roman noir à l’américaine, il publie Réglez-lui son compte !, premier titre d’une série de plus de 180 livres mettant en scène le commissaire San-Antonio. Cette saga deviendra un raz-de-marée littéraire, transcendant tous les lectorats. La faconde, la truculence et la vitalité rabelaisienne de son héros et de son inséparable comparse Bérurier n’ont d’égales que son génie du verbe et ses fulgurances stylistiques. À raison de quatre titres par an, Frédéric Dard a créé un personnage-pseudonyme entré au panthéon des héros populaires.
 

Phénomène unique de la littérature française du XXe siècle, Frédéric Dard a publié près de 300 livres vendus à plus de 250 millions d’exemplaires et traduits en plus de trente-cinq langues. Tant par la diversité de sa production, que par l’art unique avec lequel il a renouvelé la langue, pourfendeur de la bêtise humaine à tous les étages, il est sans conteste l’une des figures majeures du patrimoine littéraire. Homme pudique et sensible, à la personnalité attachante, Frédéric Dard est décédé le 6 juin 2000, à l’âge de 78 ans. Il repose dans le cimetière de Saint-Chef (Isère), village où il a passé une partie de son enfance.

Ce timbre, célébrant les vingt ans de sa disparition, précédera d’un an les événements autour du centenaire de sa naissance. »
*Mais Éric Bouhier, auteur de l'excellentissime Dictionnaire amoureux de San-Antonio (voir mon sujet précédent sur San-A.) y est, lui, pour tout !

___________

DERNIÈRE HEURE – Je reçois, au moment même de mettre ce sujet en ligne, une information de La Poste, faisant état – compte tenu de l’impact de la crise sanitaire et du confinement sur ses programmations du premier semestre – du report au 15 juin de l’émission du timbre dardo-san-antonien. Dont acte… qui renvoie sans coup férir cet article du genre policier à celui de l’anticipation, en le rendant carrément « scoopesque ». On nous précise aussi, pour le cas où ça vous chanterait, qu’une avant-première de ventes d’enveloppes « Premier Jour » aura lieu à Paris, les 12 et 13 juin, à la librairie Carré d’Encre. Vous voilà affranchis de A jusqu’à Z !

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PS. Pour rappel, une bonne adresse à recommander ici et orbi : le site de l’association « Les Amis de San-Antonio » (à partir duquel vous pourrez accéder à d’autres sites, blogs, pages et groupes également des plus recommandables) ; pour y adhérer, vous pouvez vous présenter de ma part, on vous y accueillera à bras ouverts. Avec l’historique de la revue éditée par l’association, Le Monde de San-Antonio (91 numéros parus depuis 1997), véritable mine d’or pour les passionnés... et les chercheurs universitaires, de plus en plus nombreux à s'intéresser à ce monde-là.

 

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8 septembre 2014 1 08 /09 /septembre /2014 23:03

Je me souviens du 9/09... et du reste

 

Aujourd’hui même, Claude Nougaro aurait 85 ans. Né la même année que le Grand Jacques (qui disait de lui à Tahiti : « Nougaro ? C’est le meilleur d’entre nous ! »), il a vécu toute sa vie sous le signe du 9, ou plutôt du neuf, du nouveau, du renouveau. Véritable phénix de la chanson française, ce natif du 9/09/1929 s’est appliqué comme nul autre à renaître de ses cendres pour repartir toujours de plus belle. Une fois sa formule musicale du moment arrivée à son apogée, alors qu’il aurait pu prolonger son succès longtemps encore, il préférait tourner la page et s’attaquer à un nouveau défi – quitte à passer sans transition d’une formation rock explosive au simple piano-voix de ses débuts au Lapin Agile* ou à la fanfare de L’Enfant-phare de Paziols. L’artiste avait besoin de se remettre sans cesse en danger pour se sentir exister. C’est ce qu’il me confia, entre autres, le jour de ses 55 ans – le 9/09/1984 – où il avait tenu à m’inviter chez lui pour travailler à son premier dossier de Paroles et Musique…  

 

  

Il tournait alors avec Maurice Vander au piano, Pierre Michelot à la contrebasse et Bernard Lubat (en alternance avec Philippe Combelle ou Francis Lassus) à la batterie : « Nougaro Trio », une formule acoustique dans laquelle il se sentait particulièrement à l’aise et avec laquelle il pouvait donner le meilleur de lui-même. Je le vérifierai deux ans plus tard d’une manière on ne peut plus privilégiée en étant, ma chère et tendre et moi, les seuls journalistes à le suivre durant sa tournée d’un mois en Afrique noire. Capable de modifier son concert non seulement d’un soir ou d’un pays à l’autre mais aussi le soir même, pour mieux s’adapter au public local, Claude s’investirait comme jamais (ou encore plus que d’habitude) dans cette tournée exceptionnelle à bien des titres, pour se mettre en règle avec l’Afrique rêvée de son enfance toulousaine. Une tournée-charnière** intervenant juste après le non-renouvellement de son contrat par le label Barclay et au cours de laquelle se déciderait la suite de sa carrière, avec son départ annoncé pour New York d’où il reviendrait, six mois plus tard, avec son plus gros succès discographique…
  

Eglise-Affiche.jpg 

Juste pour le plaisir du partage, flash-back sur le premier concert de Claude Nougaro en terre ouest-africaine. Nous sommes à Brazzaville. La salle (du centre culturel français dirigé par Bernard Baños-Robles) est comble et surchauffée : et « comme on ne présente pas plus Nougaro qu’on ne présentait Brel ou Brassens », c’est sans autre introduction que débute le spectacle du Toulousain. Qu’il est loin son pays, ce soir-là, qu’il est loin… et pourtant qu’il devient proche lorsque, d’emblée, sa voix s’élève pour incarner la ville rose, le canal du Midi et la brique rouge des Minimes… Maurice Vander égrène les premières notes au piano, bientôt suivi de la basse de Pierre Michelot puis de la batterie, légère, du petit lutin Francis Lassus.  

 

 

Le ton est donné, le rythme infernal, les titres se succédant sans interruption ou presque – à la Brel ! Le Jazz et la Java, L’Amour sorcier, Sa majesté le Jazz, Sing Sing Song, Quatre boules de cuir, À bout de souffle, Le Rouge et le Noir… Acclamations du public noir chauffé à blanc, puis cueilli à froid par l’émotion quand Nougaro s’interrompt, au milieu de son tour, pour présenter L’Accordéoniste, les doigts de Vander seuls pour accompagner son souffle vital : « Il y a trois racines à mon arbre généalogique : la première, c’est mon père qui était un grand chanteur d’opéra, de bel canto ; la deuxième, c’est la voix de Louis Armstrong, le jazz ; et la troisième, c’est la chanson française incarnée par Édith Piaf… » Justement, après Piaf, Claude entonne Armstrong ! C’est du délire dans la salle : « Je ne suis pas noir / Je suis blanc de peau / Quand on veut chanter l’espoir / Quel manque de pot… »  

 

  
Longtemps, longtemps après, Claude reviendra pour un rappel ultime interpréter
Prométhée, un masque africain sur le visage. La salle est portée au point d’incandescence, au propre (pas de climatisation) comme au figuré, saisie, captivée, subjuguée par le rythme, la danse, les mots, la voix et les sons de ce diable d’homme. Et le ministre congolais de la Culture de répéter à qui veut bien l’entendre, dans ce tohu-bohu de plaisir indescriptible, que « c’est de loin le meilleur spectacle français qu’on ait jamais vu à Brazza ! ». Trois semaines suivront à ce rythme au cours d’une tournée étincelante, produisant des résultats surprenants, des rencontres inattendues et des spectacles hors du commun – même pour un artiste habité par le souci de donner toujours le meilleur de lui-même.

 

  

C’était le 20 octobre 1986. Mais déjà, en mars 1984, ce précurseur de la musique africaine dans la chanson française (L’Amour sorcier en 1966, Locomotive d’or en 1973…) avait atterri dans la Corne de l’Afrique, avant de faire un saut dans l’océan Indien. J’ai peu ou prou raconté l’histoire de cette première tournée qui a fait de notre ami Baños-Robles (futur directeur du CCF de Brazzaville en 86…) et de nous-mêmes des instruments du destin en permettant indirectement à Claude Nougaro de rencontrer à la Réunion celle qui deviendrait « la femme de [sa] mort » – ainsi qu’il me le confierait en octobre 1986 au cœur d’une étouffante mais émouvante et inoubliable nuit congolaise.

Il aurait suffi en effet, qu’à la demande de « BBR » qui cherchait « un grand artiste français, au cachet modeste et qui voyage léger » (la quadrature du cercle !) pour convaincre ses collègues de Maurice et de la Réunion de monter un réseau régional de diffusion, que nous lui recommandions n’importe quel autre chanteur… et cette rencontre décisive entre Hélène (alors kiné à Saint-Denis de la Réunion) et Claude (qui avait le dos bloqué à la veille de son spectacle…) n’aurait jamais eu lieu***. « Il n’y a pas de hasard, il n’y a que des rendez-vous », disait le poète…

Mais voilà, lorsque Bernard nous passa ce coup de fil de Djibouti, à l’automne 1983, il se trouvait que l’auteur d’Armé d’amour venait de nous annoncer qu’il répétait chez lui, dans son grand atelier de l’avenue Junot à Montmartre, avec le futur Nougaro Trio. Et c’est son nom, dans l’instant, sans aucune hésitation, qui s’imposa à moi. J’appelai ensuite l’intéressé pour lui faire part de cette proposition et lui parler de Djibouti, où j’avais vécu (et sympathisé avec BBR) à la fin des années 70, puis, son accord de principe obtenu, je contactai son agent pour établir les liens nécessaires.
  

FredNougaro.jpg 

Moins d’un an après, je me retrouvai chez lui pour mettre en boîte la longue interview dont nous avions besoin pour lui consacrer un premier dossier dans « le mensuel de la chanson vivante ». Claude avait lui-même choisi la date : ce serait le jour de ses 55 ans, un dimanche ; ni la veille (où d’ailleurs il se produisit triomphalement devant plus de cent mille personnes à la Fête de l’Huma) ni le lendemain, mais le 09/09 ! Témoin de notre rencontre : le regretté photographe Jean-Pierre Leloir (celui d’ « une célèbre affiche » avec Brel, Brassens et Ferré) qui nous faisait alors l’amitié (et l’honneur) de collaborer avec nous. Une autre personne, une seule, était présente, discrètement, comme en coulisses : une certaine Hélène rentrée de la Réunion au printemps précédent, qui deviendrait son épouse dix ans plus tard et passerait avec lui les vingt dernières années de sa vie. Histoire d’un coup de foudre et d’un amour au long cours…  

 

 

Claude ne me l’avoua pas explicitement, mais je suis convaincu qu’en m’invitant précisément ce jour-là – joli privilège –, il exprimait implicitement sa reconnaissance pour avoir été en quelque sorte l’un des deux « deus ex machina » de sa rencontre avec Hélène. D’ailleurs, après le « travail » (arrosé au champagne) qui dura tout l’après-midi, Claude fouilla dans ses affaires pour me confier un manuscrit inédit en me priant de bien vouloir le publier dans « son » dossier (Paroles et Musique n° 44, novembre 1984). Pensez si j’avais besoin de me faire prier pour un inédit de Claude Nougaro !

Cet inédit, c’était le poème que Claude avait dédié à Hélène, avant qu’elle ne quitte la Réunion puis Toulouse pour le rejoindre définitivement à Paris. Une « Lettre à Hélène » dans laquelle il se languissait de la retrouver et qui, sous le titre définitif Réunion, donnerait lieu dans son dernier album chez Barclay, l’année suivante, à la tendre chanson que l’on sait. « Dans les lignes de mon avenir / Ta main est écrite dans la mienne / Sans toi c’est un exil, une île Sainte-Hélène / Ô ma lointaine longue à venir / Invente-moi encore une île mauricienne / Une Réunion pour nous unir… »  

 

  
Quoi d’étonnant alors que, trente ans plus tard – en cette année 2014 marquant les dix ans de sa disparition – je me sois retrouvé pour parler de lui, de l’homme et de l’artiste, à Paziols, ce village des Hautes Corbières où avec Hélène il avait élu domicile, chaque été, depuis 1994 ? Une petite bâtisse presque attenante à l’église au « clocher mexicain », perchée sur un roc qui domine un paysage magnifique, à perte de vue, avec le Verdouble coulant en contrebas et un château cathare à l’horizon.  

 

  

C’était juste en face d’une jolie maison aux volets bleus faisant office de restaurant et de café-théâtre à la fois. Le Merle Bleu. Les murs de celui-ci sont encore imprégnés de la présence du Petit Taureau qui aimait à y inviter ses amis artistes de passage : Marti, Leprest, Vander, Gougaud, Cujious, Jehan, Vassiliu…
  

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La maîtresse des lieux, Jacqueline Delpey, organisait cet été avec la municipalité de Paziols un hommage vibrant à son hôte le plus célèbre (qui lui avait d’ailleurs dédié une « fable » – voir ci-dessous). Concerts des chansons de son répertoire (notamment avec La Rouquiquinante), exposition de poèmes et de dessins inédits à la salle des fêtes, projection d’un court métrage du spectacle que le chanteur avait offert ici même aux habitants pour les remercier de leur accueil… et finalement, le samedi 30 août au Merle Bleu, petite causerie de votre serviteur.
  

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Surprise pour les amis et admirateurs de Claude, des curieux aussi, avides d’en savoir plus sur lui : prolongée jusqu’à plus soif et plus faim (tapas et sangria à volonté !), cette rencontre aussi informelle que conviviale allait bénéficier de la présence rare d’un certain Bernard Baños-Robles… L’occasion de reconstituer symboliquement notre duo de « la campagne d’Afrique » comme disait le « Nègre grec », incarnation même du mot qui chante et qui danse.
  

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Trente ans après la rencontre de l’artiste avec sa muse, à laquelle il ne consacrera pas moins de quatre chansons : Réunion en 1985, Kiné en 1989, L’Irlandaise en 1993 et L’Île Hélène en 2000 – si ça n’est pas de l’amour sourcier, ça, rien ne le sera jamais ! Trente ans après… et à deux pas de leur maison d’été, sur la place Claude-Nougaro de Paziols… Voulez-vous que je vous dise ? Ce soir-là, sans parler de l’émotion, l’âme du cantor cathare – celui qui, en ces lieux de soleil et de tramontane, écrivit la plupart des chansons de son album L’Enfant-phare – était attablée à nos côtés. 

(Photos de Bernard Baños-Robles et Mauricette Hidalgo)

 

 
*C’est au Lapin Agile que Nougaro choisira recevoir le 23 mars 1998 la médaille d’officier de l'ordre national du Mérite (cf. le document audio-vidéo ci-dessus). **J’ai publié le reportage de cette tournée dans le n° 66 de Paroles et Musique (janvier 1987), repris (sans les illustrations) dans mon livre Putain de chanson (1991). ***On lira le détail de cette rencontre, sous forme d’un entretien entre Hélène Nougaro et moi-même dans le n° 68 de Chorus (été 2009). 


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