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  • : SI ÇA VOUS CHANTE (le blog de Fred Hidalgo)
  • : Parce que c’est un art populaire entre tous, qui touche à la vie de chacun et appartient à la mémoire collective, la chanson constitue le meilleur reflet de l’air du temps : via son histoire (qui « est la même que la nôtre », chantait Charles Trenet) et son actualité, ce blog destiné surtout à illustrer et promouvoir la chanson de l’espace francophone ne se fixera donc aucune limite…
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  • Fred Hidalgo
  • Journaliste depuis 1971, créateur de plusieurs journaux dont le mensuel « Paroles et Musique » (1980-1990) et la revue « Chorus » (1992-2009). Editeur depuis 1984 et créateur en 2003 du « Département chanson » chez Fayard.
  • Journaliste depuis 1971, créateur de plusieurs journaux dont le mensuel « Paroles et Musique » (1980-1990) et la revue « Chorus » (1992-2009). Editeur depuis 1984 et créateur en 2003 du « Département chanson » chez Fayard.

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13 juin 2021 7 13 /06 /juin /2021 09:00

Un dimanche 13 juin… d’il y a 56 ans !

Le récit de cette histoire unique entre un auteur immense (assez vite célèbre sous le nom de sa créature de fiction) et un jeune lecteur anonyme (finalement proclamé « Grand Connétable de la San-Antoniaiserie ») devait débarquer en librairie lundi 7 juin. Les circonstances, avec un report d’un an imposé par la pandémie puis une certaine frilosité éditoriale devant l’importance de l’ouvrage, en ont décidé autrement. En attendant un rebondissement éventuel, voici – anniversaire oblige ! – quelques extraits exclusifs (forcément) de « Faut-il vous l’envelopper ? » : le chapitre où l’on apprend comment et pourquoi, après que San-Antonio eut poussé la porte de mes petites cellules grises, Frédéric Dard est entré chez moi (ou plutôt chez mes parents)... et quelle fut la teneur de notre (première) conversation.

Dimanche 13 juin 1965.

… C’était ridicule, je le savais, mais je sortis bien dix fois dans la rue pour guetter son arrivée à partir de 10 heures… Jusqu’au dernier moment, pourtant, mes parents n’y crurent pas vraiment. Je leur avais montré le mot de Frédéric, ils savaient que j’étais allé l’appeler depuis une cabine téléphonique, mais de là à intégrer le fait qu’il avait confirmé sa venue… C’était littéralement incroyable.

Seule ma grand-mère y croyait ; d’ailleurs elle croyait aveuglément tout ce que je lui disais, la yaya, la mamie en espagnol : ma « Félicie » à moi… San-Antonio à la maison ? Jusque-là mon père le connaissait seulement à travers France-Soir, mais sans plus, n’étant pas sensible a priori à son style populaire et pétulant. Études classiques, goûts classiques, pudeur extrême… Mais d’apprendre dans son journal que l’écrivain qui correspondait avec son fils était le recordman des ventes pour 1964 (avec L’Histoire de France vue par San-Antonio !), ça l’avait impressionné. Un jour je lui avais donné à lire Le bourreau pleure, signé Frédéric Dard. « Ça te plaira, j’en suis sûr ; c’est très différent des San-Antonio, tout est dans l’atmosphère, et puis ça se passe en Espagne… » Bonne pioche, il l’avait captivé. Mais justement ! Grand prix du roman policier 1957 pour ce livre, plébiscité par le grand public pour ses San-A., comment pouvait-il croire que Frédéric Dard se proposait de venir à Dreux… pour me rencontrer ?!

Aujourd’hui, je pense savoir pourquoi mes parents se montraient si dubitatifs. Ils craignaient plus que tout ma déception, forcément ravageuse, pour le cas où Frédéric, forçat du clavier au fol emploi du temps, m’eut fait faux bond. L’idée ne me traversa pas l’esprit un seul instant ; il m’avait annoncé sa venue, je savais qu’il viendrait. Il aurait pourtant pu avoir un empêchement de dernière heure, c’est vrai ; ou se raviser au dernier moment. Qu’étais-je donc pour lui, sinon un lecteur parmi tant d’autres, des centaines de milliers d’autres… Un peu plus intuitif, peut-être, mais sans plus.

Finalement… Épatés (et peut-être un peu fiers de leur fiston), ils durent se rendre à l’évidence : le jour J, à l’heure H, il était là, au volant d’une belle teutonne, une Mercedes-Benz gris clair métallisé, avec sa femme Odette à ses côtés et sa fille Élisabeth à l’arrière, qui se garait à moitié sur le trottoir, le long de la maison. Rarement dimanche de juin avait été plus beau et serein, mais en moi ça battait la chamade… Cette fois, ça n’était pas l’écrivain, dont j’adorais lire le soir au fond du lit les humeurs et les états d’âme, ça n’était pas mon correspondant, que j’aimais à imaginer en train de m’écrire, ça n’était pas la personnalité publique… Non. C’était LUI !

Et il était là POUR MOI !

Il allait sur ses quarante-quatre ans et je venais d’en avoir seize. Il parut légèrement étonné en me voyant l’attendre sur le trottoir. Il s’approcha de moi, un grand sourire aux lèvres et ce regard si clair qu’il en devenait transparent, plongé aussitôt dans le mien…

[Plus tard]

…C’est là, peu avant son départ, que j’osai solliciter une dédicace. Je lui tendis Le Standinge selon Bérurier qui venait de paraître [et que j’avais commandé à la Rose des Vents – voir photo plus haut, d’Olivier Bohin, cinquante-six ans après !]. Il tira un stylo-bille noir de sa poche intérieure et traça ces mots que vous savez déjà : Pour mon ami fidèle […] Avec tout mon cœur… Ma mère m’étonna alors par sa propre audace. Comme Frédéric ne donnait pas le moindre signe d’impatience, elle lui demanda si ça ne le gênait pas qu’elle nous prît en photo, lui et moi… « Au contraire ! » On recula un peu nos chaises jusqu’au mur où, au-dessus de nous, était accroché un tableau de mon oncle Lamolla, et maman sortit son Polaroid… L’optique où elle travaillait faisait également dans la photo. Elle s’y s’était initiée très tôt, avec un Zeiss Ikon à soufflet et jusqu’aux premiers appareils reflex des années soixante, devenant la photographe attitrée de la famille. Tant qu’à immortaliser l’instant, il y avait donc mieux à faire qu’une vulgaire photo à développement instantané. Moins nette, forcément, et sans négatif… Mais je compris aussitôt son choix : elle nous tira le portrait à deux reprises pour donner un tirage à Frédéric qui le glissa dans son portefeuille.
Qu’est-il devenu ?
Le mien en tout cas a traversé le temps, l’espace… et les épreuves.

La question brûlait les lèvres de ma mère : « Quel âge donniez-vous à mon fils, Monsieur Dard, d’après ses lettres ? » Sans le vouloir, j’avais en effet omis de le préciser à Frédéric. Sa réponse surprit mes parents : « Je pensais qu’il était étudiant. Je lui donnais quatre à cinq ans de plus, à peu près l’âge de mon fils Patrice… » D’ailleurs, il était venu avec un cadeau propre à ravir un étudiant érudit et sans œillères : un petit fascicule hors commerce, intitulé Le Phénomène San-Antonio, reproduisant les actes du « séminaire de littérature générale » qui venait de se tenir à Bordeaux, sous la férule d’un certain Robert Escarpit. À sa lecture, plus tard, je serais enchanté de découvrir que d’éminents professeurs avaient su mettre des paroles sur la musique que San-Antonio suscitait en moi et dont je m’extasiais depuis l’automne précédent. Un travail fondateur pour la reconnaissance de son œuvre san-antonienne, dont Frédéric, en me remettant cet exemplaire (« Je viens de le recevoir ! »), semblait lui-même assez content.

Ma grand-mère, elle, ne dissimulait pas sa fierté de voir l’intérêt que me portait cet écrivain dont j’aimais tant les livres. Elle l’assura de sa gratitude, avant de se sentir obligée de justifier ma discrétion : Esscoussé monn pétite-fiss, Messié Dard, éss oune timido… Soit, en sous-titrant son baragouin hispano-français : « Nous garderons un beau souvenir de votre passage, Monsieur Dard, mais moi, un grand regret aussi : que vous n’ayez pas entendu davantage la voix de mon petit-fils ; c’est un timide ! »

Elle me connaissait bien, vous pensez, c’est elle qui m’avait élevé pendant que mes parents travaillaient, elle qui m’accompagnait, enfant, à l’école, qui préparait mon goûter en me chantant des chansons… Ma yaya adorée qui avait eu le courage, en août 1939, d’aller rechercher toute seule, petite bonne femme déracinée et ne parlant pas la langue de l’exil, son fils cadet Bienvenido, à l’agonie à l’hôpital de Perpignan, après sa détention funeste au camp du Barcarès. Vous parlez d’une bienvenue ! Il avait fallu l’accord préalable du préfet des Pyrénées-Orientales après l’intervention du maire de Dreux, Maurice Viollette. Dans ses bras pendant tout le trajet de retour en train, Bienvenido connut quelques jours plus tard le triste privilège, à seulement vingt-trois ans, d’être le premier républicain espagnol à décéder dans le département. Il repose aujourd’hui aux côtés de sa mère au cimetière de Dreux. Pas pleurer*…

_______
*Dans Pas pleurer, prix Goncourt 2014, Lydie Salvayre raconte l’histoire de sa mère au début de la guerre civile, évoquant en parallèle la figure de Georges Bernanos qui séjourne alors à Majorque. D’abord sympathisant du mouvement franquiste, mais rapidement choqué par sa barbarie et révolté par la complicité du clergé espagnol, il écrira Les Grands Cimetières sous la lune, un violent pamphlet antifranquiste qui connaîtra en France un grand retentissement lors de sa publication en 1938.

Ess oune timido… Frédéric n’avait pas besoin qu’on lui fît un dessin : « Ça n’a pas d’importance. Les timides savent parler avec les yeux et souvent ils ont plus de choses intéressantes à dire que les bavards. Je le sais, j’en étais un… et je le suis toujours un peu. On se comprend parfaitement, entre timides. » Puis, s’adressant à mes parents, il sollicita leur autorisation de m’embrasser ! Il se pencha vers moi et m’étreignit très fort, d’un seul bras. Longuement…

Deux ou trois heures plus tôt, j’aurais cru cela non seulement impossible mais impensable.

Avant de sortir tous ensemble dans la rue où patientait sa Mercedes 666 FW 78, la yaya, avec ses yeux pétillants de bienveillance, tendit à « Madame Dard » un panier de grosses cerises noires, qu’elle venait de cueillir dans notre minuscule jardin où s’élevait en majesté un bigarreau burlat unique et généreux. Je revois encore son expression de surprise devant cette offrande aussi modeste que l’intention était chaleureuse, et surtout, dans la fraction de seconde suivante, le sourire attendri d’Odette…

On resta encore un peu à papoter, Frédéric et moi, en se tenant par les yeux. Ma mère, qui avait sans doute ressenti l’intensité de l’instant, s’en alla chercher sa toute nouvelle caméra super 8 et nous filma quelques secondes. Frédéric était rayonnant. Enfin, il me souffla d’une voix vibrante d’affection : « J’ai une faveur à te demander… »

Une faveur ? À moi ?!

« Je voudrais que tu me promettes de ne plus m’appeler Monsieur Dard. À partir de maintenant, pour toi, je suis Frédéric. Seulement Frédéric ! »

Il me prit par l’épaule, comme pour sceller cet accord tacite, pendant qu’Élisabeth et Odette reprenaient leur place dans la Mercedes. Enfin, Frédéric se glissa au volant et démarra…

Quand la voiture parvint au bout de la rue et disparut à nos regards, un grand vide se fit brusquement en moi. Pour la première fois de ma vie, telle une fulgurante douleur, je ressentis la présence intense de l’absence… Par bonheur, elle s’évanouit aussi vite qu’elle avait surgi. Le temps de réaliser, l’espace d’une seconde de toute beauté, que Frédéric Dard, après que San-Antonio eut frappé virtuellement à ma porte quelques mois plus tôt, venait d’entrer pour de vrai et une fois pour toutes dans mon cœur*.

________
*En 1984, Frédéric Dard écrira ceci à propos de sa première rencontre avec Pierre Mamie, évêque de Fribourg : « Et il y eut cet échange d’âme entre lui et moi qui rend tout facile. Cette manière mystérieuse de se reconnaître lorsqu’on ne s’est jamais rencontré. Nous nous promîmes de nous revoir. » Un étrange phénomène ressenti, dès 1965, entre un gamin ébloui et un adulte débordant d'humanité…

San-Antonio poussa la porte et Frédéric Dard entra, copyright Fred Hidalgo 2021. Tous droits de reproduction réservés… mais partages vivement conseillés (pourvu que l’on souhaite découvrir un jour la suite), pour le cas où ces extraits auraient l’heur d’attiser la curiosité – … à l’heure où plus grand-chose ne tourne rond sur notre planète (aurait dit Louis Pauwels) – de quelque extraterrestre du monde éditorial. Pour paraphraser San-Antonio, y a-t-il un éditeur dans la salle… avec les clefs du pouvoir (de décider à la place des comptables de son groupe) dans la boîte à gants ?

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29 mai 2021 6 29 /05 /mai /2021 14:07

Le nec plus ultra des vieilles chansons de France…

Pour la génération des années 60, Guy Béart fut l’instrument de la découverte ou de la redécouverte populaire d’un florilège des Très vieilles chansons de France* ; pour les générations suivantes, Marc Robine restera « l’anonyme du XXe siècle » (comme l’auteur de L’Eau vive se définissait lui-même) grâce auquel la chanson traditionnelle a été sauvegardée de l’oubli. Son Anthologie de la chanson française traditionnelle, parue initialement en 1995, vient d’être rééditée chez EPM et c’est un événement en ces temps où le peuple déchante... parce qu'il ne chante plus.

Guy Béart-Marc Robine : deux puits de science chansonnière avec lesquels c’était un régal de partager en tête à tête les fruits de notre passion commune. Le rapprochement n’est pas gratuit. Un jour, je les fis se rencontrer (photo ci-dessus).  De quoi croyez-vous qu’ils parlèrent, au-delà des motifs qui avaient poussé Guy à ressusciter en 1966 et 1968 de belles chansons du temps jadis, en mêlant aux plus célèbres (Vive la rose, Aux marches du palais, Le roi a fait battre tambour, Vl’là l’joli vent, À la claire fontaine…) de véritables perles méconnues (Quand au temple, L’Amour de moy, Les Tristes Noces, Fleur d’épine, La Belle au jardin…) ?
*Après Jacques Douai dans les années 50 avec son répertoire de « chansons poétiques anciennes »…

Ce jour-là, j’eus droit à une joute éblouissante et jubilatoire entre deux des plus grands amoureux et connaisseurs, s’il en fut, de l’histoire de la chanson française… On évoqua Brassens, forcément, qui n’avait rien à envier en la matière, et chantait volontiers pour ses amis des chansons du répertoire. Hors œuvre officielle, l’auteur du Temps passé et du Moyenâgeux nous légua d’ailleurs des enregistrements de chansons de Bruant et même de poèmes de Musset et de Nadaud (comme Le Roi boiteux) qu’il s’était plu à mettre lui-même en musique.

La chanson est une chaîne sans fin : une dizaine d’années plus tard, Marc Robine compléta – et de quelle admirable façon ! – le travail de mémoire entrepris par Guy Béart. À la suite d’une autre rencontre (que j’eus également le plaisir d’organiser) avec François Dacla, ex-PDG de RCA et fondateur avec Léo Ferré du label EPM, naquit L’Anthologie de la chanson traditionnelle, résultante d’années de recherche concrétisées par deux ans et demi d’enregistrement avec des dizaines d’interprètes et musiciens !

C’est cette mémoire vivante qui est aujourd’hui rééditée quasiment à l’identique : plus de 300 titres (remastérisés) réunis dans un coffret de 14 CD thématiques illustrés par Bridenne (cf. La mémoire qui chante…), avec un livret de 52 pages resituant chaque période (ou chaque thème) dans son contexte. Sept siècles de chansons retrouvées, de Thibaut de Champagne – « sans doute le plus grand trouvère de son temps » – aux grand auteurs de la première partie du XXe, pour former le meilleur témoignage tant de la « grande histoire » que de la chronique de la vie quotidienne d’autrefois, amusée, amusante, émouvante mais aussi dramatique ou pathétique…

J’ai dit et redit ici l’essentiel sur Marc Robine, auteur-compositeur-interprète, journaliste, écrivain, historien de la chanson, directeur artistique, conférencier (et j’en passe), disparu en août 2003 à 52 ans, dont le chant écorché, frémissant de tendresse et d’émotion, arrachait spontanément à beaucoup d’entre nous des larmes discrètes de bonheur. J’ai tout dit, également, de ce travail sur La Tradition qui venait compléter son Anthologie de la chanson française enregistrée parue en 1994, au terme de six années d’un labeur acharné, et formait, dans un coffret monumental, son grand œuvre : près de cent disques (2000 chansons !), il fallait bien ça, pour restituer en paroles et en musiques l’histoire de la chanson française.
Pour mémoire, lire, écouter et voir :
« La chanson du passeur”.
« Le Colporteur de chansons ».

C’est en effet pendant l’achèvement de cette dernière, dont il écrivit tous les livrets décennie par décennie (1900-1980), que Marc Robine, taraudé par l’urgence de sauvegarder le patrimoine, suggéra à François Dacla d’aller encore plus loin dans leur folle entreprise en redonnant vie à nombre de chansons traditionnelles oubliées. L’affaire d’un art peu ou prou millénaire, jusqu’à l’aube de l’invention du phonographe. Cette fois, après avoir retrouvé les paroles et les partitions originelles (publiées dans un livre de 928 pages préfacé par Michel Ragon, La Tradition, également réédité sous le même titre que le coffret), il fallut tout enregistrer en faisant appel à plusieurs dizaines d’interprètes… En grand seigneur, mais non sans hésiter, Dacla releva le gant : « J’ai mis un an à prendre ma décision. Après il est parti en studio… Arriver à enregistrer trois cents titres avec quelque quatre-vingt-dix artistes différents sur une telle période, c’est hallucinant ! Mais Marc s’avérait aussi d’une formidable qualité de relation humaine et d’écoute des gens. »

Outre le prix de l’académie Charles-Cros 1995, cette réalisation exceptionnelle valut à Marc Robine d’être invité par Bernard Pivot à Bouillon de Culture. Il creva l’écran par sa profonde connaissance de la chanson, son érudition et son enthousiasme communicatif. François Dacla, après la mort de Marc : « Il s’est montré remarquable. Il a tenu l’émission à bout de bras devant un Pivot et d’autres invités admiratifs ; il a chanté deux chansons, dont Le Temps des cerises, et le lendemain on a été inondés de commandes ! »

Les disques : Des trouvères à la Pléiade (la naissance de la chanson française) ; L’Histoire de France (quelques repères dans l’Histoire de France) ; Ballades et complaintes (légendes et faits divers) ; Chansons rituelles (rites, magie et miracles) ; Chansons de soldats (conscrits, soldats et déserteurs) ; Chansons de métiers (travaux des villes et travaux des champs) ; Chansons de marins (la mer, les ports, les fleuves et les marins) ; L’Air du temps (chroniques de la vie quotidienne) ; Chansons d’amour (la tradition amoureuse) ; Chansons de femmes (la condition féminine) ; Chansons à danser (rondes, branles, valses, bourrées, rigodons...) ; Chansons pour enfants (comptines, berceuses, chansons pour s’amuser) ; De la rue au cabaret (les grands auteurs du XIXe siècle) ; La tradition paillarde (chansons à boire, gaillardes et libertines).

Les artistes : Claude Antonini, Gildas Arzel, Laurent Audemard, Ben, Sylvie Berger, Michèle Bernard, Jean Blanchard, la Chifonnie, Hal Collomb, Serge Desaunay, Christian Desnos, Jean-François Dutertre, Gilles Elbaz, Melaine Favennec, Denis Gasser, Tonio Gémème, Évelyne Girardon, Chantal Grimm, Yvon Guilcher, François Hadji-Lazaro, Michel Hindenoch, Serge Hureau, Patrice Lacaud, Bénédicte Le Croart, Claude Lefebvre, Francis Lemarque, Mélusine, Arlette Mirapeu, Emmanuel Pariselle, Pierre Perret, Catherine Perrier, Gérard Pierron, Lionel Rocheman, Martine Sarri, Anne Sylvestre, Gabriel Yacoub, etc. Impossible de citer tous les interprètes et encore moins les musiciens, parmi lesquels, par exemple, Dan Ar Braz, Dominique Brunier, Romain Didier, Michel Goubin, Niki Matheson ou René Zosso.

Et pour le plaisir, quelques considérations de Marc Robine sur la chanson, miroir fidèle de la société, telle « une radiographie extrêmement précise de ce qui fait battre son pouls » ou « comme un état des lieux, perpétuellement remis à jour », et son rôle de lien sans équivalent à travers les âges. Du moins jusqu’au développement des mass media et a fortiori des réseaux sociaux… Une histoire qu’il avait déjà écrite pour Chorus, à laquelle j’allais ajouter un avant-propos et une postface pour l’éditer dans un ouvrage hélas posthume chez Fayard-Chorus sous le titre Il était une fois la chanson française (des origines à nos jours)

« Des siècles durant, ballades et complaintes tinrent lieu de chroniques et assurèrent à la fois la propagation des nouvelles et leur conservation dans la mémoire collective. […] L’énorme majorité de la population ne sachant alors ni lire ni écrire, les gazettes ne touchaient qu’un petit noyau de lettrés, et les faits divers ou les événements historiques marquants ne pouvaient circuler autrement que par le truchement du bouche à oreille. Si bien que, grâce à son double pouvoir de mémorisation et de communication, la chanson fut naturellement amenée à jouer un rôle de toute première importance dans la diffusion de cette véritable culture orale ; nous restituant, à plusieurs siècles de distance, des événements remarquables et des personnages hors du commun qui, sans elle, seraient peut-être tombés depuis longtemps dans l’oubli…

Toute l’Histoire de France peut se raconter en chansons. Une approche différente, précise et passionnante de cette Histoire que l’enseignement officiel réduit trop souvent aux événements de dimensions nationale ou internationale – guerres, traités, alliances, changements de régimes, relations d’États à États […] –, négligeant le regard que les gens sans importance particulière pouvaient porter sur toutes ces choses vécues de loin et perçues à travers le filtre de la vie quotidienne.

Or, faute d’une culture livresque, faute de grimoires et de gazettes, ces “gens sans importance” chantaient. C’est même ce qui composait l’essentiel de leur mémoire collective : une véritable littérature orale, où les chansons servaient non seulement à diffuser les nouvelles, mais aussi à les conserver, car la chose chantée a toujours eu un pouvoir de mémorisation bien supérieur à celui de la simple parole. Ainsi la tradition populaire nous offre-t-elle un patrimoine de milliers de chansons, d’origines lettrées ou anonymes, tournant devant nos yeux les pages d’un immense livre d’Histoire ; comme une photographie d’une extrême précision de notre société à travers les siècles. »

C’était le temps des chansons, le temps du partage où il faisait bon chanter en chœur : « Les femmes vocalisaient en étendant leur linge aux fenêtres. Les invités aux mariages chantaient. Les enfants s’envoyaient des comptines en chantonnant. Et dans les villes, au coin des rues, on rencontrait des attroupements de badauds qui, une brochure illustrée à la main, s’essayaient à fredonner la nouvelle chanson que l’accordéoniste en plein vent venait leur apprendre. On chantait dans les bistrots. On chantait dans les prisons. La chanson était la culture du pauvre et son expression naturelle, sa manière de se souvenir, comme de critiquer. »

Aujourd'hui, les médias, les ordinateurs, les réseaux sociaux, les téléphones portables ont rendu le peuple muet : « Le peuple écoute les professionnels. Le peuple écoute et ronge son frein. Or, un peuple qui ne chante plus est un peuple qui déchante, un peuple désenchanté. »
CQFD.

C'est pourquoi cette anthologie (disponible sur commande chez votre disquaire ou en vpc chez EPM) est plus que jamais de salubrité publique. En particulier (voir la censure d’une chanson de Pierre Perret dénoncée par François Morel…) pour ses chansons (gentiment) paillardes et libertines, que nos ancêtres entonnaient gaiement à bouche-que-veux-tu, comme cette Gaillardise (écrite par un certain Voltaire), ces histoires de boucher réjoui, de Jeanneton et de cochons, ou encore cette rengaine anonyme de jadis (si actuelle en temps de confinement) réclamant son lot de baisers…

PS. De nombreuses chansons de cette anthologie figurent en lien « caché » derrière les noms, mots ou expressions signalés en couleur. Amusez-vous, régalez-vous, instruisez-vous... en les écoutant à vos moments « perdus ». Dépaysement garanti !

NB. Ce sujet m’offre l’occasion d’annoncer également la réédition récente de Folksong, de Jacques Vassal (qui me présenta Marc Robine…), consacré à « la musique folk des États-Unis ». Paru initialement en mai 1971 (il y a cinquante ans !), il fut réédité une première fois en 1984. La présente édition, largement revue et augmentée (élargie désormais à la « musique folk anglo-américaine ») est publiée par Les Fondeurs de briques. Pour les néophytes, précisons que ce livre de référence – remarquable étude, parfaitement documentée (680 pages) – se penche sur les origines de ces musiques populaires et propose une lecture historique jusqu'à la fin du XXe siècle. L’ensemble est ponctué de dessins de l'auteur de bandes dessinées Nicolas Moog. Un ouvrage essentiel.

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24 mai 2021 1 24 /05 /mai /2021 13:27

Lettre ouverte
à monsieur le ministre de l’Éducation nationale


« Monsieur le ministre de l’Éducation Nationale, je ne sais pas si vous aimez bien Pierre Perret ? Personnellement oui, parce que c’est quand même l’auteur notamment d’une des plus jolies chansons du monde et qui commence de la façon la plus délicate, la plus parfaite qui soit :

Chez la jolie Rosette au Café du Canal
Sur le tronc du tilleul qui ombrageait le bal
On pouvait lire sous deux cœurs entrelacés
Ici on peut apporter ses baisers.

Je ne sais pas si c’est du fait qu’en ce moment l’échange de baisers est proscrit, mais la formule gravée sur le tilleul du Café du Canal suscite immanquablement chez moi, qui ai le goût de la nostalgie réjouie, un sourire gentiment stupide que vous pourriez voir si je ne portais pas de masque.

Mais ce n’est pas pour vous parler de baisers monsieur le ministre, vous vous doutez bien, que je vous écris.

La semaine dernière à Sarcelles, la mairie avait programmé quatre représentations du spectacle intitulé Carnet de notes interprété par sept artistes, chanteurs, musiciens, comédiens. Une pièce de théâtre en chansons saluée par Le Parisien, Télérama, Le Canard Enchaîné et des milliers de spectateurs qui ont pu la voir à l’occasion des presque deux cent cinquante représentations. Mariline Devaud Gourdon, metteur en scène et comédienne du spectacle, le présente comme un voyage des cinquante dernières années de la maternelle au baccalauréat.

À l’issue de la première représentation, des parents d’élèves accompagnant les classes se sont plaints auprès du directeur de leur école primaire pour dire à quel point le travail de la compagnie était choquant, du fait qu’ils interprétaient une chanson de Pierre Perret intitulée Papa, maman, parlant de la reproduction.

Le directeur de l’école a signalé l’affaire au rectorat.
Le rectorat a fait redescendre l’info auprès des inspecteurs des secteurs.
Les inspecteurs ont interdit aux enseignants d’emmener les classes assister au spectacle du lendemain.
Une classe de quinze élèves – des résistants sans doute – a maintenu sa réservation.
La Compagnie a dit « Bon, d’accord, on va jouer pour eux »
La direction des affaires culturelles de Sarcelles est intervenue pour tout annuler.
La chanson de Pierre Perret ayant choqué évoque la masturbation :

Y a bien quelques brindezingues
Qui ont dit qu’ça rend sourdingue
Beethoven qu’était pas fier
A quand même fait une belle carrière…

La chanson parle aussi de contraception, évoque le vagin, l’ovule, les testicules.
Monsieur le ministre, choisissez votre camp. Vous rangez-vous du côté de ceux qui interdisent ou de ceux qui permettent ? Jugez-vous normal que des parents d’élèves puissent empêcher un spectacle ? Les inspecteurs qui s’érigent en censeurs ont-ils agi en votre nom ? 
Si vous pensez que l’auteur du Zizi et de Lily est un personnage indigne, scandaleux, subversif et dangereux, ne serait-il pas temps de songer à débaptiser toutes les écoles Pierre-Perret qui partout en France ont fleuri, de Castelnaudary à Soligny-la-Trappe, de la Chaize-le-Vicomte à Clavettes, de Miribel à Angers ?
Pour le plaisir, je vous cite la fin de la chanson incriminée :

Comment papa a fait un p’tit frère à maman
C’est à l’école qu’on nous l’apprend
Pas la peine d’en faire toute une cathédrale
À part les hypocrites, les gens normaux trouvent ça normal
.

Veuillez agréer monsieur le Ministre ma détestation de la censure.
Et vous ? 
Monsieur le ministre, vous feriez une réponse ? »

Cette lettre ouverte de François Morel, diffusée vendredi 21 mai sur France Inter, se suffit – hélas – à elle-même. « No comment », aurait-dit Gainsbarre. Sauf que la censure dénoncée est révélatrice d’une dérive consternante de la société où le « politiquement correct » et la « bien-pensance », autrement dit l’hypocrisie générale à l’encontre de la culture, gagnent chaque jour du terrain sur la liberté de pensée, d’expression et de création. À quand les autodafés de livres, après les interdictions de spectacles et de chansons ?

En 1976, tout le monde avait ri et applaudi à cette chanson (dans l’album où figurait également Celui d’Alice, véritable chef-d’œuvre à l’égal du Blason de Brassens) ! En 2021 – quarante-cinq ans plus tard !!! – les bons apôtres s’en offusquent et font interdire le spectacle qui l’inclut, avec la complicité de la « hiérarchie » de l’Éducation nationale, qui a depuis longtemps lâchement lâché ses personnels (« Surtout, pas de vagues ! ») face à la pression de parents d’élèves ignares et agressifs, voire intégristes de la religion, qui cherchent toujours un bouc émissaire (la société, la pauvreté, les enseignants, les autres… la culture !) pour refuser d'admettre leur propre démission parentale face à leur devoir d’éducation.

Cela me renvoie à mon ouvrage sur San-Antonio qui ne trouve pas d’éditeur (cf. sujet précédent : « Ma chanson de San-Antonio »). Serait-il nul et non avenu ? Forcément, je me suis posé la question… Et puis un grand éditeur a accepté de le lire et m’a répondu en substance (je vous la fais courte) que « tout y est : on y apprend énormément de choses très intéressantes sur lui et sur l’époque, en prenant beaucoup de plaisir à sa lecture, “tant votre écriture est agréable à lire”… » (sic !) Merci bien. Dans ce cas, pourquoi ne pas le publier ? À cause de sa longueur, raison invoquée par mon futur-ex-éditeur pour y renoncer ?

Ne serait-ce pas plutôt parce que San-Antonio n’est plus – mais alors plus du tout – en odeur de sainteté auprès des « porte-parole » casse-bonbons des générations nouvelles, admirateurs fanatiques d’Anastasie ? Et qu’« on » s’autocensure par crainte de leurs réactions ? San-Antonio ? Trop ceci, trop cela, trop cru, misogyne, misanthrope… Mis en quarantaine !

C’était pour rire ? Seulement pour rire et pour se moquer au second degré de la connerie déjà triomphante, comme Brel avec L’Air de la bêtise… Halte-là ! Le rire lui-même, autre que primaire et prosaïque, se fait aujourd’hui suspect ! La violence, le machisme, les agressions, les viols, les meurtres, les féminicides se multiplient, mais le pire crime qui soit, croirait-on, c’est de rire à San-Antonio, à Cavanna, à Desproges, à Coluche, à Reiser, à Cabu, « à Béru et au zizi de Pierre » (comme le chantait Henri Tachan – ci-dessous, à Bobino, avec Pierre Perret). On se prépare de bien tristes lendemains qui déchantent… Oui, François, comme les quinze élèves de la classe de Sarcelles qui voulaient quand même voir ce spectacle, les personnels enseignants tout autant que les artistes sont aujourd’hui des résistants !

Extrait de San-Antonio poussa la porte et Frédéric Dard entra, après la réception d’une lettre de l’écrivain en provenance de son Domaine de l’Eau Vive : « Immanquablement, je songeais à mon ami Guy Béart. L’un des “3 B de la chanson française”, disait Jacques Canetti à propos de Brel, Brassens et lui qui, tous trois, avaient débuté au théâtre des 3 Baudets. J’aimais à le retrouver dans sa maison de Garches, véritable capharnaüm et grotte aux trésors. Il gardait tout précieusement, en particulier ses émissions Bienvenue à…, qui préfiguraient Le Grand Échiquier. Un jour, sachant combien Frédéric Dard m’était cher, il m’invita à visionner l’émission dont ce dernier était l’invité d’honneur. Pierre Perret y chantait plusieurs chansons. “Tiens, c’est moi qui l’ai fait découvrir à Frédo. Je lui avais dit : Il y a un nouveau que tu devrais écouter parce qu’il écrit des chansons à la manière de Bérurier ! Je vais te le présenter.” »

Béart-San-Antonio-Perret…
De la nostalgie ? Non, une époque où tout était possible, où l’esprit aiguisé des uns s’épanouissait au profit du plus grand nombre…

François Morel : Bonjour Fred, du nouveau pour San-Antonio ?

– Non, François. Rien de concret pour l’instant. Des réactions étonnantes de frilosité. San-Antonio, quand même... Après avoir terminé le récit, j’ai écrit un épilogue pour réfléchir à la question de la réception de ses écrits aujourd’hui (où il serait accusé de tous les maux du monde et où son éditeur serait probablement obligé comme cela se fait déjà en Amérique de mettre des control warning partout, pour prévenir que le paragraphe suivant est susceptible de heurter la sensibilité de telle ou telle catégorie de gens, à commencer déjà par les gros : cf. Bérurier !) et comment il con-tournerait le problème. Ça m'a amusé... Mais en même temps, rien que le fait d'être obligé de se poser la question est assez consternant. Tous ses lecteurs savent que, contrairement à Céline qui détestait le genre humain, Frédéric n'arrêtait pas de vilipender la connerie... parce qu'il continuait à croire en l’Homme et qu’il ne s'excluait pas lui-même du lot commun.

– François : En effet. Je viens d’enregistrer des chansons de Brassens avec Yolande Moreau. Le nombre de fois où l’on se dit : « On ne pourrait plus dire ça... »

Pour quand l’interdiction des Amoureux des bancs publics ?
Pour quand l’interdiction faite aux amoureux débutants de se bécoter en public ?

Voir ICI la vidéo de François Morel et Valérie Bonneton qui chantent Les Amoureux des bancs publics au Grand Echiquier du 3 avril 2021.

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