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  • : SI ÇA VOUS CHANTE (le blog de Fred Hidalgo)
  • : Parce que c’est un art populaire entre tous, qui touche à la vie de chacun et appartient à la mémoire collective, la chanson constitue le meilleur reflet de l’air du temps : via son histoire (qui « est la même que la nôtre », chantait Charles Trenet) et son actualité, ce blog destiné surtout à illustrer et promouvoir la chanson de l’espace francophone ne se fixera donc aucune limite…
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  • Fred Hidalgo
  • Journaliste depuis 1971, créateur de plusieurs journaux dont le mensuel « Paroles et Musique » (1980-1990) et la revue « Chorus » (1992-2009). Editeur depuis 1984 et créateur en 2003 du « Département chanson » chez Fayard.
  • Journaliste depuis 1971, créateur de plusieurs journaux dont le mensuel « Paroles et Musique » (1980-1990) et la revue « Chorus » (1992-2009). Editeur depuis 1984 et créateur en 2003 du « Département chanson » chez Fayard.

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11 juillet 2018 3 11 /07 /juillet /2018 15:13

« Hasta la victoria siempre ! »


Souvenez-vous : en avril 2015, je vous annonçais ici même que les responsables de la séquestration et de l’exécution sommaire de Victor Jara, le troubadour de la chanson populaire chilienne, avaient été identifiés, et qu’un procès devait se tenir en septembre, quarante-deux ans après les faits. Il aura fallu attendre trois années de plus, mais c’est aujourd’hui chose faite : justice vient d’être rendue (pour l’essentiel et dans une certaine et curieuse discrétion médiatique, malgré l’importance symbolique de l’affaire) !

En jargon journalistique, cela s’appelle un droit de suite. Le droit de suivre l’évolution d’un événement que vous avez annoncé, dont vous avez rendu compte et qui n’est pas encore clos. On devrait plutôt dire « devoir de suite », sachant l’obligation déontologique élémentaire, pour un journaliste digne de ce nom, de suivre un dossier jusqu’à son terme. C’est ce que j’ai cherché à faire ces trois dernières années, en restant attentif à cette question, déçu puis furieux mais à peine étonné de voir le procès annoncé pour septembre 2015 par la justice états-unienne être reporté aux calendes grecques...
 

Rappelons que Pedro Pablo Barrientos, l’un des deux principaux meurtriers et bourreaux de Victor Jara (avec Hugo Hernán Sánchez Marmonti, détenu au Chili) – celui qui, semble-t-il, lui avait broyé les mains (et non tranché) à coups de crosse, jusqu’à en faire de la bouillie –, coulait des jours heureux en Floride… Logique quand on sait l’appui que « le grand démocrate » Kissinger, à l’époque, avait apporté au putschiste d’extrême droite Augusto Pinochet (voir photo)…

C’est la tache indélébile du procès qui vient d’avoir lieu – mais à Santiago et non aux États-Unis – en présence de huit anciens militaires gradés dans le box des accusés : l’absence ignominieuse de Barrientos que la justice américaine (sous le prétexte de le faire juger sur son sol, ce qu’on attend toujours…) refuse obstinément d’extrader au Chili. Dont acte… pour le moins éloquent. Mais les autres étaient bel et bien présents, qui ont été condamnés le 29 juin, à dix-huit ans de prison ferme (dont quinze dans des pénitenciers de haute sécurité).

Pour arriver à ce résultat, il a fallu toute l’énergie de l’ancienne compagne du chanteur, Joan (ci-dessus), et de leurs filles Amanda et Manuela. L’énergie et une volonté sans faille qu’on imagine régulièrement mises à mal par les souffrances de l’indifférence à leur juste lutte, le temps qui passe inexorablement et la désespérance qui s’installe… Mais elles n’ont jamais baissé les bras, malgré les obstacles et les menaces, alors qu’il était si « facile » de renoncer. Et puis… tout finit par arriver. La justice chilienne, aiguillonnée par Joan, Amanda et Manuela, s’est saisie à nouveau et pour de bon du dossier, afin qu’un procès puisse enfin se dérouler à Santiago.
 

Le verdict* est donc tombé le 29 juin 2018… quarante-cinq ans après la répression fasciste qui s’était abattue et pour des lustres sur le peuple chilien le 11 septembre 1973 : dix-huit ans d’incarcération. Cela peut paraître dérisoire en regard de l’horreur du crime et des tortures infligées à l’auteur du Derecho de vivir en paz, le droit de vivre en paix, mais c’est le principe qui compte. Et le temps qu’on parvienne à ce procès auquel beaucoup de victimes ne croyaient plus, ce verdict s’apparente à de la prison perpétuelle : le plus jeune des assassins, un lieutenant-colonel à la retraite, a déjà 68 ans, le plus âgé, l’ex-colonel Hugo Sánchez, 90 ans…

Des milliers de victimes et de disparus, des citoyens torturés et emprisonnés par dizaines de milliers, sans compter les exilés par dizaines de milliers également… La justice est lente, désespérément lente parfois, mais comme l’ont noté Joan Jara et ses filles dans une « déclaration publique de la famille » le 7 juillet dernier, « s’il est certain qu’un verdict qui arrive quarante-cinq ans après les faits peut difficilement être considéré comme juste, il s’agit sans aucun doute d’une défaite importante infligée à ceux qui cherchent à nier l’histoire et un coup sévère porté à l’impunité. »

Dans ladite déclaration, Joan, Amanda et Manuela dont il est malaisé d’imaginer quelle a pu être leur vie depuis septembre 1973 (« comme famille nous avons subi dans nos chairs et nos os le pacte de silence qui continue de lier toutes les Forces armées chiliennes… »), expriment une gratitude totale « à toutes les personnes qui, à travers le monde, nous ont accompagnées sur ce long chemin, en nous aidant à supporter et combattre l’indifférence du pouvoir politique et médiatique de notre pays qui, sauf exceptions dignes, a tenté de rendre invisible la lutte pour la vérité, la justice, la mémoire et la réparation. »

Ce jugement, qui naturellement n’efface rien, ne marque pas non plus la fin du combat de ces femmes courageuses et dignes d’éloges : « Il reste différents procès judiciaires devant nous que nous mènerons avec une même conviction pour que la justice passe, pas seulement pour Victor, mais pour tous ceux qui ont souffert le terrorisme d’État qui a régné au Chili durant la dictature civile et militaire. » Et de conclure : « Nous avons la certitude absolue que, comme société, il nous reste beaucoup à faire si nous voulons bâtir un avenir meilleur pour ceux qui viennent à présent. Nous-mêmes, avec Victor dans la mémoire, continuerons de travailler pour que jamais plus au Chili ne se répètent les faits qui sont condamnés aujourd’hui dans ce jugement historique ».

 

À noter, pour marquer les vingt-cinq ans de la Fondation Victor-Jara la création en septembre prochain à Santiago de Chile du FAM, le Festival Art et Mémoire Victor-Jara. Du 24 au 30 septembre, le FAM proposera des concerts, des spectacles de danse, de théâtre et de cinéma, des activités pour le jeune public, des expositions, une « feria » de la mémoire et des droits humains, des rencontres, etc. ; l’ensemble dans le stade aujourd’hui appelé Víctor-Jara qui fut le lieu de tant d’horreurs et d’exactions…

Parmi tous ceux et toutes celles « qui portent Victor dans le cœur et transmettent son héritage aux nouvelles générations », auxquels Joan et ses filles rendent hommage à l’issue de leur déclaration publique, il faut sans aucun doute compter Michelle Bachelet. L’ancienne présidente du Chili, qui fut détenue et torturée par les sbires fascistes du triste sire dénommé Pinochet, avait eu ce mot prémonitoire à l’occasion, en 2009, de l’exhumation des restes du chantre chilien – devant des foules immenses venues célébrer sa mémoire – pour être rendus à sa famille : « Victor Jara chante avec plus de force que jamais et le Chili rend justice à son histoire. » Quarante-quatre impacts de balles et les mains mises en miettes n’auront rien empêché. Ni rien changé, bien au contraire, de la puissance d’évocation et de rassemblement d’une chanson, quand elle est belle et authentique.

Continue de tracer dans les chemins
Le sillon de ton destin
La joie de semer et de partager
Personne ne pourra jamais te la retirer.
**

 

*On peut lire les attendus du procès, avec l’identité des neuf officiers condamnés en cliquant sur le lien de la Fondation, sous la « declaracion publica de la familia ».

** « Sigue abriendo en los caminos / El surco de tu destino / La alegria de sembrar / No te la pueden quitar » (Victor Jara).

NB. Entre autres vidéos de Victor Jara, voici la version en public de de la chanson emblématique A desalambrar de l’Uruguayen Daniel Viglietti, que nous avions eu le bonheur de retrouver en avril 2017 chez Paco Ibañez, et qui nous a brusquement quittés le 30 octobre suivant.

 

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15 janvier 2018 1 15 /01 /janvier /2018 12:42

Le plain-chant du départ…

L’un nous a quittés dans l’anonymat médiatique presque total le 21 décembre 2016, en continuant de « veiller tard », la lampe allumée jusqu’au bout, non sans avoir adressé d’ultimes saluts* aux allumeurs d’étoiles, aux orpailleurs des mots, aux passeurs d’étincelle, aux gens de la vigie, à tous les défricheurs (…et « aux semblables mes frères / qui vont simplement leur chemin / libres anonymes et clandestins / à cœur battant et ciel ouvert ») ; l’autre a renoncé délibérément au « métier », qu’il exerçait depuis longtemps déjà à l’écart des médias, en quittant la scène le 10 décembre 2002, pour renouer comme le Grand Jacques avant lui, loin des plateaux et des projos, ces liens discrets « que l’on sécrète et qui joignent les êtres »

 

 

Le premier était « le Rimbaud de la chanson française », m’avait déclaré Claude Nougaro (avant que Jean Ferrat et Léo Ferré ne me confient à peu près la même chose) ; le second, qui a toujours eu la fibre authentiquement populaire, demeure aujourd’hui (à son corps défendant, car il n’aspire plus qu’à retrouver l’anonymat) « la personnalité préférée des Français ».

Tout pour les opposer en apparence… alors que tout les rapprochait au fond, dans leur nature humble, simple, généreuse et solidaire. Outre une affection commune pour les gens, cette armée de simples et honnêtes gens, qui ont cru au rouge après le noir…

On est de ce pays de ratures et de rides
Un fil usé se brise et tout se désaccorde
J'éponge avec des mots toute une eau noire qui monte
Toujours au fond du cœur rougeoie ce rouge-gorge...

Il y a exactement vingt ans, nous avions décidé de les associer dans un même numéro de nos « Cahiers de la Chanson » – c’était le n° 22 de Chorus mis en vente dans les kiosques le… 21 décembre 1997, dix-neuf ans jour pour jour avant la disparition de Jean et cinq ans avant que Jean-Jacques ne s’éclipse discrètement. Un dossier d’une vingtaine de pages pour chacun, l’un en « Une », l’autre en « Panthéon », mais un même traitement, une même considération de notre part… et un même accueil chaleureux de la leur lors d’un entretien au long cours.

Il y eut bien sûr des voix, ensuite, pour nous reprocher (plus ou moins grossièrement) ce rapprochement ; je m’en doutais, je l’avais anticipé… Pensez donc : le « poète maudit » (par définition ignoré des médias… et du « grand public ») et le « faiseur de tubes » (vilipendé par la grande presse… et les purs et durs de la « chanson à texte »), ensemble dans la revue de référence de la chanson vivante… Mais aujourd’hui qu’il y a prescription (depuis lors les réseaux sociaux ont repris le flambeau de la condescendance, du mépris voire de la haine avec tellement plus de vigueur et d’indécence…), je peux bien « avouer » qu’il s’agit d’un des fruits de mon parcours de rédacteur en chef dont je suis le plus fier – voyez en plus le reste du sommaire (une partie seulement !) annoncé en couverture : Dick Annegarn, Gildas Arzel, Barbara, François Béranger, Bori, Bourvil, Daran, Yvon Étienne, Louise Attaque, Woody Guthrie, Marc Robine, Ziskakan... « Ne verrouillez jamais la vie à double tour », a écrit le poète dans sa chanson peut-être la plus emblématique.

Je ne me fais guère d’illusions, notez bien, ni sur l’évolution des mentalités ni sur l’empreinte qu’aura laissée notre ligne éditoriale d’amoureux impénitents de la chose chantée selon laquelle (pour reprendre le slogan de l’association Prospective Chanson créée dans les années 70) « toute la chanson a droit à tout le public »… et vice-versa – quitte à chacun, ensuite, d’opérer ses propres choix (des goûts et des couleurs, n’est-ce pas). Oui, je le sais bien : tout ça n’est plus qu’une trace, une simple trace…

Reste à peine une trace, un écho qui se meurt
Un sourire, une larme, un battement de cœur…

Reste inéluctablement l’absence… Tout s’efface, sauf le manque, et pourtant… Un sourire, une larme, un battement de cœur : n’est-ce pas là, finalement, la meilleure définition de la « chanson vivante » ? « Là où bat le cœur d’un homme, disait Francis Lemarque, il y a une chanson qui naît. » Celle qui nous apprend l’essentiel, à « tenter de vivre » envers et malgré tout, en touchant l’âme au plus profond, sur des modes et registres différents (et c’est tant mieux, à l’image de la vie, de son indispensable et salutaire diversité), selon notre personnalité et notre humeur du moment.

Pour ma part, les chansons de Jean Vasca et celles de Jean-Jacques Goldman, me remuent toujours autant – et autant les unes que les autres. Pour leur faculté à toucher juste, en particulier pour leur vision obstinément fraternelle dans et en dépit d’un monde débordant d’ignominies, pour la place de choix et la confiance qu’ils accordent à l’humain, maître de son destin, dans l’avancée de la conscience collective, quand d’autres se bornent à désigner un bouc émissaire, chacun le sien. Oui, cette « fraternité à la fenêtre », tant vascaïenne que goldmanienne, me parle et, parfois même, me bouleverse. D’autant plus, peut-être – petit plus perso –, que ces deux-là m’ont offert très tôt leur amitié, époque Paroles et Musique… et que je sais l’intime authenticité de leurs créations.

On naît, on vit, on meurt. « Des vies où on aura eu si peu, si peu à choisir… » Autant le faire en beauté et dans le partage, puisqu’on est tous et toutes appelés un jour à être celui ou celle « qui s’en va ». Avant d’être, peut-être, pour les autres, celui ou celle qui manque : « Quoi que je fasse, où que je sois, rien ne t’efface, je pense à toi… »

Dernière cadence
Voyez comme on danse
Trois petits tours et puis s’efface

Sur la piste du temps qui passe

Dans l’intervalle, « Aimer » (la beauté sous toutes ses formes et dans toutes ses incarnations) est ce que nous avons de mieux à faire. Pas bien difficile… et d’ailleurs « l’on n’y peut rien », sauf à se mentir soi-même ou à être un vil type : seul ce voyage de plain-chant et de plein-cœur est capable de nous apporter du réconfort « entre les glas et les tocsins » ; l’espérance aussi, comme Vasca le chante dans Les Fins dernières« qu’au dernier jour / Ne meurent nos amours / Qu’elles nous consolent et nous survivent / Chemin d’étoiles vers l’autre rive… »

Il n’y aura plus alors qu’à laisser la lumière chanter en nous l’essentielle musique et, ensemble, à entonner un blues qui nous fera oublier toutes nos peurs.

*Dernier album de Jean Vasca (son 26e ou 27e opus depuis 1964), Saluts ! est sorti début 2016 (chez EPM/Socadisc). Quinze chansons magnifiques pour Les Vieux de la veille – les « initiés » qui sont dans la confidence – et (beaucoup) plus si affinités…

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22 septembre 2012 6 22 /09 /septembre /2012 12:53

Ohé de la mappemonde,
y a-t-il encore du monde ?
 

« Ne te courbe que pour aimer. »
(René Char)
« Il faut toujours connaître les limites du possible. Pas pour s’arrêter,
mais pour tenter l'impossible dans les meilleures conditions. »
(Romain Gary)
« Vivre debout, c’est la dignité. C’est essayer de vivre dignement.
C’est effroyablement difficile et très fatigant,
parce que le monde n’est pas structuré pour défendre la dignité… »
(Jacques Brel)

  

Il y a vingt ans, jour pour jour, naissait Chorus. Une revue qui avait l’ambition d’être à la hauteur du meilleur de la chanson vivante, de son histoire, de son actualité et de son devenir. Dans la forme, avec 196 pages en cahiers cousus et collés à un dos carré, à l’ancienne, pour que jamais ses feuilles ne puissent se détacher. Dans le fond, en s’intéressant aux créations les plus belles ou prometteuses, quels qu’en soient le genre et l’origine ; en faisant se côtoyer les générations, comme dans la vie en vrai ; en jouant à saute-frontières, comme tout citoyen du monde qui se respecte ; bref, en privilégiant la diversité dans la qualité. Mais aussi en choisissant de mettre d’abord en valeur ce qui nous touche de près et mérite d’être préservé, sous peine de voir la richesse culturelle de l’humanité se réduire (puis disparaître ?) comme une peau de chagrin. À l’instar de Claude Nougaro, j’ai toujours été persuadé que la vraie patrie de chacun d’entre nous, c’est sa langue. « Et ma langue, disait le motsicien cathare, c’est la française / Quand on dit qu’elle manque de batterie / C’est des mensonges, des foutaises / Ceux qui veulent lui casser les reins / Je leur braque mes alexandrins ! »

 

Chorus_N1.jpg

 

Que ne ferait-on pas quand on aime ? Quand l’envie d’avoir envie reste un carburant vital. Surtout qu’on a toujours vingt ans quand on aime, avec des réserves de printemps… Dans l’édito du numéro d’automne 2008 de Chorus (toujours aussi qualitativement éclectique : dossier Brel, Souchon en studio, Fersen et Ruiz en duo… et puis Maya Barsony, Michèle Bernard, Christophe, Rémo Gary, Jamait, Mademoiselle K, Abd Al Malik, Rassegna, Claude Semal, Davy Sicard, Carmen Maria Vega, etc.), qui marquait l’entrée de la revue dans sa dix-septième année d’existence, je me projetais à son vingtième anniversaire pour poser la question suivante : « Y aura-t-il encore de la place, dans ce monde de dérive financière où l’homme devient accessoire, pour l’éclectisme, cette diversité indispensable, que nous illustrons à longueur de numéro(s) ? Sur le terrain artisanal sans doute, dans la chanson de proximité, mais au plan international, “industriel” ? Le disque et la scène vivent un tel chambardement qu’on peut craindre à terme d’arriver “à un seul disque pour la planète”, comme le dit dans ce numéro l’une des voix les plus autorisées de la profession. Et devinez en quelle langue, alors, sera ce disque-là… “Voilà que l’on se couche”, disait Brel, “Pour être jusqu’au bout / Notre propre défaite / Serait-il impossible de vivre debout ?

« Déjà, les signes avant-coureurs de “notre propre défaite”, sont légion. Sans parler de la probable hégémonie mondiale, dans un avenir relativement proche, d’une seule compagnie phonographique, nos artistes anticipent le mouvement en choisissant l’anglais pour chanter ! […] Ne comprennent-ils pas qu’en se “couchant” ainsi, ils travaillent à leur propre perte ? Cet été à Québec [pour les 400 ans de la fondation de la ville par Samuel de Champlain], j’ai eu l’occasion de converser avec quelques-uns des trois cents parlementaires francophones venus préparer le douzième sommet des chefs d’État et de gouvernement de la Francophonie. Tous se sont déclaré fort pessimistes quant à l’avenir du français, en perte de vitesse constante. Alors, quand on sait l’importance de la chanson dans l’apprentissage et la circulation d’une langue, si “nos” chanteurs se font complices de sa désaffection… »

Pourtant, notais-je, « défendre la langue de Molière, de Brassens, de Brel et de Félix Leclerc contre quelque impérialisme linguistique que ce soit, c’est participer à la sauvegarde des cultures du monde, comme une condition sine qua non de leur propre survie. Biologiquement, écologiquement comme linguistiquement, sans diversité (et donc sans métissage possible), il n’est pas, il n’est plus, de lendemains qui chantent. » On sait ce qu’il en est aujourd’hui, où l’anglais devient (est devenu en 2012 !) la langue privilégiée des « Découvertes » francophones dans les festivals de l’Hexagone les plus médiatisés ! En français dans le texte, cela s’appelle collusion marchande de la scène et du disque ; collusion puis contagion dans nos villes et nos campagnes…

 

  

L’affaire, hélas, n’est pas nouvelle, « C’est une vieille maladie poisseuse / Un sacré manque d’amour qui creuse / Dans nos villes dans nos campagnes / Ça gagne... » Des mots, des constats, des craintes déjà formulés par nous aux prémices des années 90 : « Comment un pays tel que la France (et au-delà d’elle les pays de l’Espace francophone) peut-il accepter de voir sa chanson (l’expression la plus authentique de son identité) vampirisée à ce point par de vulgaires produits marchands, couleur de bannière étoilée, portés par une grossière (mais efficace) stratégie commerciale, dont la médiocrité générale [“et ce ne sont pas les meilleurs artistes américains qui me contrediront – ajoutais-en note –, qui connaissent les pires difficultés à faire émerger du lot leurs petites merveilles”] se voit occultée par le simple fait que la majorité de leurs vassaux… n’en comprennent pas les textes ! Un comble. Comment un ensemble de pays comme l’Europe, sans même parler du reste du monde, peut-il laisser filer ainsi des pans entiers de son patrimoine culturel (et surtout de sa création contemporaine) au profit de platitudes avérées, qui abaissent chaque fois davantage le niveau collectif, alors que cette période de gestation d’un millénaire nouveau devrait plutôt nous inciter à élever le débat… ? »

Ces lignes sont tirées de mon édito du tout premier numéro de Chorus, sous-titré « Les Cahiers de la chanson », revue dont la parution trimestrielle allait suivre exactement le rythme des saisons ; à commencer par ce 22 septembre d’il y a vingt ans, premier jour de l’automne 1992.

   

  

Trois mois et des broutilles plus tôt, nous étions tous et toutes réunis dans un petit village aux confins de l’Île-de-France, de la Beauce et de la Normandie, pour en arrêter le sommaire. Ce fut l’occasion, comme pour les soixante-huit réunions de rédaction suivantes, de passer un week-end ensemble à la campagne dans cette maison qui servirait dès lors de locaux professionnels (rédaction, technique, administration, documentation et archives). Le routage aussi s’effectuerait sur place, le stock d’exemplaires réservé aux abonnés (plusieurs tonnes…) transitant, dix jours avant la sortie en kiosques, par la poste de Brézolles : un simple chef-lieu de canton d’Eure-et-Loir, qu’un animateur de Radio-Canada, me recevant seize ans plus tard au grand Journal de 8 heures (à l’occasion de notre dossier Québec spécial 400 ans), qualifia d’« adresse mythique de la chanson francophone »... Il faut dire que depuis juin 1980, c’est cette même adresse qui figurait sur chaque numéro de Paroles et Musique, sous-titré « le mensuel de la chanson vivante », dont Chorus serait la suite logique, comme un papillon succède à une chrysalide.

« Tous et toutes », réunis autour des « Fondateurs » du titre (vos serviteurs Fred et Mauricette Hidalgo), c’était d’abord l’équipe première de Paroles et Musique, dans sa quasi-totalité : Pascale Bigot, Marc Legras, Rémy Le Tallec, Marc Robine, Michel Trihoreau, Francis Vernhet (photos) et Albert Weber ; rejoints par la suite par Jacques Vassal, ex-P&M dès ses débuts. C’étaient aussi d’anciens collaborateurs occasionnels du mensuel – François-Régis Barbry, Jean-Jacques Jelot-Blanc, Daniel Pantchenko, Philippe Quinton (dessins) – et puis les « petits nouveaux » : Noël Balen, Michel Bridenne (dessins), Jean-Claude Demari, Serge Dillaz, Annie Morillon et Jean Théfaine. Ainsi que François Blain, Francis Chenot et Jean-Marc Sandoz, correspondants de la revue pour le Québec, la Belgique et la Suisse, la vocation francophone de la revue étant affirmée d’emblée dans son « cahier des charges » public… et par son « comité éditorial », composé de personnalités « parmi les plus représentatives du monde de la chanson francophone – ou, plus précisément, des paroles et musiques de l’espace francophone. »

 

Sylvestre-Jonasz-couv-PM.jpg

 

Il y avait là, qui avaient donc accordé leur confiance totale au projet de Chorus, destiné à transformer l’essai de Paroles et Musique (dix ans quand même et des ventes multipliées par quinze entre le n° 1 et le n° 60, jusqu’à atteindre 130 000 exemplaires fin 1987) : « Jean-Michel Boris, qui préside aux destinées de l’Olympia (sans doute la salle de spectacles la plus fameuse au monde) depuis la disparition de Bruno Coquatrix ; Marcel Dallaire, le responsable de l’aîné des festivals francophones, celui de Québec ; Jacques Favart, le président national de l’Association des délégués départementaux à la musique, directeur fondateur de “Chorus des Hauts-de-Seine” ; Jean-Louis Foulquier, qu’on ne présente plus, dont les Francofolies s’exportent à présent jusqu’à l’extérieur des frontières francophones ; Christian Mousset, patron de “Musiques Métisses” d’Angoulême, un pionnier entre tous s’agissant de la découverte des meilleurs artistes de la francophonie ensoleillée (Antilles, Afrique, océan Indien…) ; Patrick Printz, qui représente à la fois les artistes de la “Communauté française de Belgique” et le Conseil francophone de la chanson ; Daniel Rossellat, enfin, le créateur du “Paléo Festival” de Nyon, le plus important de Suisse romande. »

Mais revenons à notre première réunion de rédaction. La formule éditoriale, la forme et le fond de la revue ayant été soigneusement déterminés au cours des mois précédents, restait « seulement » à remplir les cases des neuf parties et de la vingtaine de rubriques d’un numéro type de… 196 pages. Une paille ! Ce fut pourtant fait au terme de vingt-quatre heures de travail et une nuit, déjà, à faire la fête (la tradition sera maintenue à chaque réunion estivale de juin, avec la participation amicale de nombreux artistes, parmi lesquels un « pensionnaire attitré » du nom d’Allain Leprest). Et ce qui fut décidé fut tenu, à ceci près qu’un accident dramatique nous obligea à remodeler une partie du sommaire en pleine réalisation du numéro : le départ aussi précipité que prématuré de Michel Berger, pour son « Paradis blanc », le 3 août, à l’âge de 44 ans…

   

  

Dans l’éditorial intitulé Paroles et musiques de l’espace francophone, après trois colonnes à dresser l’état des lieux de « ce qu’il est convenu d’appeler “la chanson française” », j’annonçais sans barguigner nos objectifs : « Donner à la chanson vivante (francophone surtout) la tribune publique qui, à l’évidence, lui fait défaut ; lui insuffler toute l’énergie possible pour faciliter sa “renaissance” ; rassembler, solidairement, ses innombrables fidèles, éparpillés à travers le monde (pour que demain nous ne soyons “plus jamais seuls“, comme le chantait Yves Simon) ; chercher enfin à décupler sa portée avec le souci constant d’effectuer un travail de promotion critique et l’ambition de réaliser une œuvre de référence qui s’inscrive dans la durée et la continuité.

« Nous plaçons délibérément la barre aussi haut que possible, poursuivais-je plus loin, pour réaliser la démonstration que “populaire” et “qualité” ne sont pas des termes antinomiques… et qu’une revue pareille correspond à un besoin primordial, qui touche à la nature même de l’homme en marche, vivant protagoniste d’une culture qui l’ennoblit et non victime consentante et passive d’un merchandising (ouh ! le vilain mot…) qui le soumet et le fait se fondre dans une masse d’individus incapables de prendre en mains leur destinée. » On était loin, on le voit, des habituelles lignes racoleuses qui, en France, accompagnent presque toujours le lancement d’un nouveau titre de presse musicale depuis l’avènement du yéyé.

D’où ces spécificités de Chorus : « Voilà pourquoi, nous avons opté pour une revue (et non un magazine), dont la périodicité soit trimestrielle (plutôt que mensuelle), et choisi (au lieu d’utiliser la couleur, c’est-à-dire de jouer la facilité) de l’imprimer en noir et blanc.

   

 

« Une revue trimestrielle plutôt qu’un magazine mensuel, parce que le futile et l’éphémère ne régissent déjà que par trop notre vie au jour le jour. La périodicité trimestrielle est la mieux adaptée à notre époque de fébrilité et de faux-semblants, de scoops à tout prix et d’intox en tout genre ; elle offre le recul nécessaire, voire indispensable, pour effectuer le tri entre l’anecdote et l’essentiel et présenter un panorama aussi riche et diversifié que possible des créations et manifestations les plus dignes d’intérêt. Sans préjudice aucun pour le lecteur, soit dit au passage, puisqu’un numéro de Chorus équivaut largement à trois numéros d’un quelconque périodique mensuel

« Le noir et blanc choisi de préférence à la couleur ? N’y voyez aucune recherche masochiste d’austérité, bien au contraire, c’est un souci d’esthétique qui nous a guidés ; la classe d’une maquette élégante, sobre et lisible à la fois – le parti pris de Chorus – étant incomparablement supérieure en noir et blanc.

« Le format, quant à lui, a été spécialement conçu pour que la revue trouve immédiatement sa place dans la bibliothèque après lecture… en attendant de la ressortir pour tout autre usage (recherche de contacts, de précisions discographiques, de renseignements biographiques, etc.) : une façon de traduire d’emblée, concrètement, à la simple prise en mains, la vocation de Chorus à devenir une revue de référence, la revue musicale de référence de l’Espace francophone. »

On sait ce qu’il en adviendra : très vite, les lecteurs de Chorus, quels qu’ils soient et où qu’ils soient – amateur de chanson accroché aux brumes de Saint-Pierre et Miquelon comme journaliste parisien responsable de l’actualité musicale à l’AFP – prendront spontanément l’habitude de l’appeler « la bible »…

   

  

Ce jour de juin 1992, on arrêta donc le sommaire du n° 1, en fonction à la fois de l’actualité – pour être toujours le plus utile possible à l’artiste concerné – et du sceau qualitatif dont nous voulions le marquer, à commencer par le dossier principal « À la Une » offert à Michel Jonasz (vingt-quatre pages faisant le tour de l’artiste et de son œuvre) à l’occasion de son opus n° 11, Où est la source ?, et d’un nouveau spectacle ponctué par une rentrée parisienne au Zénith.

Et puis des Rencontres « À l’affiche » avec Léo Ferré, Nilda Fernandez, Maurane, Jean Sommer et Richard Desjardins (pour l’un de ses premiers entretiens dans la presse française) ; une importante partie « Actualité » avec de nombreuses critiques de disques et de livres ; une autre vouée aux « Scènes », avec les comptes rendus des principaux festivals francophones de l’été (des plus connus et plus courus au petit nouveau, celui de Barjac, qui connaîtra ainsi son premier article national) ; un deuxième dossier, d’ouverture au « Monde » celui-ci, avec « Chanson(s) d’Espagne(s) » ; les « Coulisses », avec des sujets sur le métier, les salles, l’économie et un premier « Autour d’un thème » sur... la chanson française, comme de bien entendu pour un premier numéro, mais intitulé French Song, j’te forwarde, j’te play plus… ; dans la partie « Mémoire », un hommage à Michel Berger, donc, une « Mémoire en chantant » réalisée sur et avec Robert Doisneau (excusez du peu pour lancer cette rubrique qui sera rebaptisée « La mémoire qui chante »…) et un « Chanson et Histoire » autour de Christophe Colomb, cinq siècles exactement après sa découverte de l’Amérique ; enfin, les deux dernières parties, « À suivre » et « À la Coda » avec les portraits des découvertes de l’équipe et/ou artistes en voie de confirmation (Arthur H, Angélique Kidjo, MC Solaar, Catherine Boulanger, Éric Lareine… c’était il y a vingt ans, ne l’oublions pas) et l’annonce aussi éclectique que détaillée de l’actualité chansonnière de la saison à venir (en l’occurrence l’hiver 92-93) et des informations brèves en tout genre, mêlées à des mini-interviews et de rapides comptes rendus.

   

 

« Un mot encore, ajoutais-je dans l’édito, à propos de ce premier numéro qui, pour être aussi proche que possible de ce que sera un numéro-type de Chorus, n’en demeure pas moins un numéro de lancement, avec ses impasses (courrier des lecteurs, rubrique médias, dossier patrimoine…), mais aussi ses particularités : entre autres une table ronde exceptionnelle sur le métier de la chanson réalisée avec quatre des artistes les plus autorisés à en parler, puisqu’il s’agit de… Francis Cabrel, Jean-Jacques Goldman, Yves Simon et Alain Souchon. »

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Vingt-quatre pages exclusives qui font écho, bien sûr, à la seule et unique table ronde de ce genre ayant précédé celle-ci, qui avait réuni Brassens, Brel et Ferré, en janvier 69, à l’initiative d’un jeune journaliste indépendant, François-René Cristiani, appuyé voire cautionné par l’un de ses aînés qui, lui, connaissait déjà ces artistes, et pour cause, puisqu’il s’agissait du photographe Jean-Pierre Leloir (futur collaborateur de Paroles et Musique...). Volonté de s’inscrire dans la durée, disais-je dans l’édito, et la continuité… dans une certaine continuité, du moins. Pas plus que Brel, Brassens et Ferré, ces quatre artistes-là – considérés dès lors comme les « parrains » de Chorus – n’auraient accepté pareil exercice dans d’autres circonstances. Histoire de confiance et de fidélité après dix ans de Paroles et Musique. Chanson d’amour, aurait dit JJG, un brin de nostalgie utopique dans la voix…

     

 

À la parution du numéro, d’ailleurs, nous fûmes assaillis de demandes des plus grands médias, désireux de nous accueillir en direct – à notre convenance ! – si nous arrivions avec au moins trois de ces artistes-là. La demande la plus « sérieuse » en l’occurrence émana d’une célèbre chaîne de télévision cryptée qui se déclara prête à nous dérouler le tapis rouge… Pensez donc, quel scoop ! Inutile de préciser que ces propositions ne connurent pas de suite… livre-CGSS.jpgsauf pour nos lecteurs, puisque Cabrel, Goldman, Simon et Souchon se firent une joie de refaire chorus par deux fois, en 1995 chez Cabrel et en 2002 chez JJG, ce qui donna lieu finalement – grâce à ces quatre « Chansonniers de la table ronde » – à un « beau livre » chez Fayard/Chorus.

Deux autres précisions a posteriori, c’est-à-dire vingt ans après l’événement. La première : si nous savions, bien avant de créer Chorus, que Léo Ferré, le grand Léo, le Vieux Lion, serait forcément au sommaire de son premier numéro, jamais nous n’aurions imaginé que cette rencontre qui ouvrait la partie « À l’affiche » (Léo annonçait une prochaine rentrée parisienne au Grand Rex) serait la toute dernière interview qu’il donnerait. L’ultime entretien de Léo Ferré dans le premier numéro de Chorus... Propos recueillis par Marc Robine, photos exclusives de Francis Vernhet. À une question de Marc sur l’anglicisation constante du français, de la banalisation du « franglais » (comme disait déjà Etiemble dans les années soixante), Léo se faisait péremptoire : « J’en ai marre de cette langue revue et corrigée par les Américains. Marre de ces mots qui ne veulent rien dire et qui ne sont là que pour faire du genre. Je ne pense pas que le français soit vraiment menacé, mais tout cela est tellement réducteur. On ne fait que réduire… C’est comme pour ces chansons que l’on entend à la radio. Rien que des trucs américains que les gens écoutent sans comprendre. Ça ne leur dit plus rien, ça n’est plus qu’une question de commerce. Vous me parlez de poètes, de musiciens, mais écoutez ce qui passe à la radio… »

 

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Peu après la sortie du numéro, on diagnostiqua à Léo, déjà très fatigué pendant l’entretien (qui, de ce fait, dut se poursuivre au téléphone début septembre), la maladie qui l’emporterait en quelques mois. Il n’eut d’autre choix que d’annuler ses concerts d’octobre et le Grand Rex (prévu du 18 au 24 novembre) pour se réfugier chez lui, en Toscane, jusqu’au 14 juillet 1993, avant de rejoindre finalement sa dernière demeure. Ah ! Léo, je t’aimais bien, tu sais…



 

Plus gaie, cette dernière précision, simple anecdote. Retour en juin 1992, près de Brézolles : alors que nous étions en train de plancher sur le sommaire du premier numéro, le téléphone sonne. Ma chère et tendre nous quitte un instant pour répondre à l’appel, puis me prie de la rejoindre : « Je n’ai pas su quoi répondre », me souffle-t-elle, en me tendant le combiné. Je décroche : « Salut Fred ! me lance une voie enjouée, c’est Barouh ! »

« Pierre ?! Comment vas-tu ? » Et avant même que je puisse lui demander quel bon vent l’amène…
« Je rentre sur Paris et je ne suis pas loin de chez toi, je me proposais de passer…
« Euh… Bonne idée, mais tu sais, le moment n’est peut-être pas idéal, car nous sommes en réunion de rédaction pour notre premier numéro [je l’avais prévenu de notre intention, lors de rencontres précédentes]…
« Qu’à cela ne tienne, me dit-il, je dois connaître tout le monde ou presque, ça sera un plaisir, j’arrive ! »

Je passe les détails, notamment sur le fait que Pierre était accompagné de toute sa famille – femme, enfants… et (gros) chien y compris ! – pour en arriver à l’essentiel : outre le plaisir des retrouvailles communes (car chacun se félicita en effet de sa venue impromptue), comment ne pas voir en cette visite surprise un signe du destin ? Un chanteur, un découvreur qui plus est, fondateur du label mythique Saravah (Akendengue, Areski et Fontaine, Caussimon, Higelin, Maurane, McNeil…), déboulant inopinément en pleine gestation d’une revue sur la chanson et faisant chorus avec son équipe… Sympathique, mais fort curieuse « synchronicité », aurait dit Jung, à propos des coïncidences qui ont du sens. « Il y a ceux qui rêvent les yeux ouverts et ceux qui vivent les yeux fermés », comme au Kabaret de la dernière chance…

 

Et que croyez-vous donc que fit Pierre Barouh ce samedi après-midi, pendant que les enfants et les animaux, les siens et les nôtres, s’ébattaient dans le jardin ? Ceux qui le connaissent, qui savent que jamais il ne se sépare de sa caméra, laquelle forme chez lui comme un appendice complémentaire naturel, ont gagné : il ne cessa de nous filmer, il enregistra le son et l’image d’une partie de la réunion fondatrice des « Cahiers de la chanson » !

   

 

Vingt ans après, comme dirait Alexandre Dumas, nous attendons toujours le plaisir, voire plus, de découvrir nos débats, chabadabada, fixés sur la pellicule… Débats aujourd’hui « historiques » – pour nous – à plus d’un titre. Parce que (comme le disait certaine lectrice aussi attentive que fidèle de Paroles et Musique et de Chorus), le temps qui passe ne se rattrape guère ; parce que ce jour-là nos regrettés François-Régis Barbry, Marc Robine et Jean Théfaine s’engagèrent à faire Chorus avec nous, jusqu’au bout de leur vie (« Au rendez-vous des bons copains / Y avait pas souvent de lapins / Quand l’un d’entre eux manquait à bord / C’est qu’il était mort »)... Vingt ans après, que sont nos amis devenus ? Hein, Pierrot... et tous ceux qui lisaient « la bible » à travers l’Espace francophone et ailleurs ? « Ohé de la mappemonde, chantait le merveilleux Bernard Haillant (qui lui aussi fut des nôtres un jour de réunion estivale), y a-t-il encore du monde ? »

 

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