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  • : SI ÇA VOUS CHANTE (le blog de Fred Hidalgo)
  • : Parce que c’est un art populaire entre tous, qui touche à la vie de chacun et appartient à la mémoire collective, la chanson constitue le meilleur reflet de l’air du temps : via son histoire (qui « est la même que la nôtre », chantait Charles Trenet) et son actualité, ce blog destiné surtout à illustrer et promouvoir la chanson de l’espace francophone ne se fixera donc aucune limite…
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  • Fred Hidalgo
  • Journaliste depuis 1971, créateur de plusieurs journaux dont le mensuel « Paroles et Musique » (1980-1990) et la revue « Chorus » (1992-2009). Editeur depuis 1984 et créateur en 2003 du « Département chanson » chez Fayard.
  • Journaliste depuis 1971, créateur de plusieurs journaux dont le mensuel « Paroles et Musique » (1980-1990) et la revue « Chorus » (1992-2009). Editeur depuis 1984 et créateur en 2003 du « Département chanson » chez Fayard.

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4 novembre 2017 6 04 /11 /novembre /2017 11:34

« Rien qu’un mot tendre, un signe qui survit… »


Héritier spirituel de la Chilienne Violeta Parra et de l’Argentin Atahualpa Yupanqui, l’Uruguayen Daniel Viglietti est mort brusquement le 30 octobre, durant une intervention chirurgicale, à l’âge de 78 ans. Ses chansons humanistes faisaient – font et feront – intrinsèquement partie de la mémoire populaire du continent latino-américain. C’était aussi un ami cher, avec lequel nous avons récemment partagé une merveilleuse journée, chez Paco Ibañez à Barcelone, à l’occasion de ce qui restera – qui l’eût cru, alors ?! – son ultime voyage en Europe. Une journée de fraternité solaire passée à refaire le monde, à jouer de la musique, à chanter en c(h)oeur(s)… et même à danser !
 

Barcelone, 8 avril 2017 (Ph. Hidalgo)

Ce jour-là, le 8 avril 2017, nous étions une douzaine de frères (et sœurs) d’âme venus d’Argentine, du Chili, de France, de l’Uruguay et des quatre coins de la péninsule ibérique, libérés de toutes ces étiquettes réductrices que vous collent les frontières, la politique et la société. Une même conception humaine et ouverte du monde, à l’image de cette terrasse verdoyante surplombant « la cité des prodiges », la Sagrada Familia et la mère Méditerranée à portée de vue et l’univers à portée de main. Le cœur en fête, la fête ici et maintenant, sous le soleil exactement…

DANIEL VIGLIETTI, 1939-2017

Daniel, qui avait chanté la veille et allait récidiver le lendemain dans la banlieue de Barcelone, était disert, presque exubérant pour quelqu’un d’aussi discret et humble que lui. Au point de prendre sa guitare (qui faisait corps avec lui) et de nous jouer plusieurs de ces compositions dont il avait le secret, puis de chanter des titres du répertoire international, en solo ou accompagné à la voix, au charango, à la flûte ou aux percussions légères.

P. Ibañez et D. Viglietti, 8/04/17 (Ph. Hidalgo)

Heureux, en fait. Tout simplement. Un homme en totale osmose affective avec les présents et en tendresse (ô ! combien visible) avec sa délicieuse épouse… Un auteur-compositeur-interprète, ce qu’en Espagne, où la chanson ajoute de nouveaux mots au dictionnaire, on nomme cantautor. Mais un « chantauteur » des plus rares, qui touche la fibre populaire en s’exprimant avec l’intelligence du cœur : ne lui en déplaise, un artiste majuscule.

Qui parle d’artiste ?
Je ne suis qu'un homme
Qui traque la peur
Au fond de sa gorge...
Qui parle de cri ?
Je ne suis qu'un mot tendre
Un signe qui survit...

(Daniel Viglietti, ldentidad)

 

Fred Hidalgo, Paco Ibañez et Daniel Viglietti, Barcelone, 8/04/17 (Ph. M. Hidalgo)

Souvenirs échangés de notre première rencontre, au début des années 1980, de nos papiers à son sujet dans Paroles et Musique, chaque fois qu’il était revenu chanter à Paris, dans ce pays où il était resté dix ans en exil… De la rencontre qu’il m’avait demandé d’animer dans les années 90 à la Maison de l’Amérique latine, en présence notamment de Paco Ibañez… D’une soirée à la maison, du temps de Chorus, où il nous avait gratifié d’un mémorable concert jusqu’à point d’heure… Mais aussi de gens que nous aimions, de notre ancienne et regrettée collaboratrice Régine Mellac qui se fit dans les années 70 la tendre hôtesse des chanteurs latino-américains exilés en France… De Jacques Brel et des Marquises aussi… Bien sûr de Mario Benedetti (le poète qui lui consacra une biographie en 1979 et avec lequel il monta un concert « à deux voix », A dos voces, en 1993) et de l’écrivain Eduardo Galeano… « Tu sais, me dit-il à un moment, c’est l’un de mes derniers voyages en Europe, je ne reviendrai plus beaucoup, maintenant ce sera à vous de venir… » Et d’arrêter aussitôt, ensemble, le principe d’un voyage à Montevideo, où il se proposait de nous héberger et de nous faire rencontrer ses amis, l’hiver prochain…

Pas trop le cœur, on le comprendra, de poursuivre cette énumération. Mais, à l’attention particulière de ceux et celles qui seraient malheureusement passés à côté de ce folksinger qui triomphait partout en Amérique latine devant des foules immenses avec le seul pouvoir de sa voix et de sa guitare (« En lui se rejoignent, et c’est rare, le talent musical et la force de l’expression, écrivais-je en 1990. Ses mains font vibrer la guitare, que l’on croirait magique ; sa voix, chaude et harmonieuse, fait trembler les murs… »), voici la première rencontre que je lui avais consacrée dans Paroles et Musique. C’était en amont d’un de ses passages au Théâtre de la Ville de Paris, en mai 1987 (qui précédait une tournée européenne : RFA, Pays-Bas, Suisse...), avec une interview réalisée au téléphone, lui au bord du Rio de la Plata, moi dans mon bureau du « mensuel de la chanson vivante ».

DANIEL VIGLIETTI, 1939-2017

Daniel Viglietti est né le 24 juillet 1939 à Montevideo (Uruguay) où il recevra une excellente formation musicale classique. Mais c’est le milieu familial qui déterminera sa carrière de chanteur : sa mère est pianiste, son père guitariste et « folkloriste », son oncle joue du piano dans les night-clubs, les hôtels et à la radio. Ils éveillent en lui un triple goût pour la musique classique, le folklore et les diverses formes de la musique populaire.

Paris, 1987 (Ph. F. Vernhet/Paroles et Musique)

En 1968, lorsque sort en Uruguay Canciones para el hombre nuevo (paru en France au Chant du Monde sous le titre Canciones para mi América), Viglietti rappelle ses premières influences : « J’admirais profondément Stravinsky, mais aussi Yupanqui, spontanément. Maintenant, je me rends compte pourquoi : il n’y a pas de frontières de valeur entre les deux. Et aujourd’hui je ressens la même chose avec la musique concrète et avec les Beatles, avec Gardel ou Victoria de Los Angeles. Stravinsky lui-même ne trouvait pas pour la musique d’autre classification que celle de bonne ou mauvaise, je crois qu’il avait raison. »

Son activité en public commence en 1960 (il a 21 ans) et immédiatement la chanson est son mode d’expression préféré. Mais il compose aussi pour le théâtre et le cinéma. Son travail pédagogique est également très important en cette période si particulière de l'histoire uruguayenne : il crée et dirige un « atelier d'enseignement musical », le NEMUS, et collabore en tant que journaliste à des journaux latino-américains et notamment à plusieurs revues pour lesquelles il rencontre des musiciens et chanteurs, faisant ainsi connaître des artistes dont la musique et le chant s’inscrivent dans le processus de libération de l’Amérique latine.

À partir de 1968, Viglietti, comme tant d’autres de ses compatriotes, commence à vivre avec une grande intensité la réalité politique explosive de l’Uruguay. L’authenticité et la rigueur avec lesquelles il transmet son message artistique touchent de plus en plus les jeunes, les émeuvent, les embrasent et les éclairent. Le régime se rend rapidement compte de cette répercussion et en janvier 1969 il prend une première mesure contre le chanteur. Sa chanson A desalambrar (À bas les clôtures) est à la fois un réquisitoire évident contre le latifundium et une proposition de juste redistribution de la terre : « Je demande à ceux qui sont présents / S’ils n'ont jamais pensé / Que cette terre est à nous / Et non à celui qui a déjà tout... »

Cette chanson, au rythme entraînant et à l’idéologie claire, inquiète particulièrement les responsables de la censure. Le disque est retiré de tous les programmes, puis ce sont tous les disques de Viglietti que les stations de radio retirent. Finalement, en mai 1972, le gouvernement emprisonne Daniel pour le grave délit d’avoir commis des chansons perturbatrices.

Il sera libéré un mois plus tard grâce à la solidarité de son peuple et surtout à une campagne internationale à laquelle participent entre autres François Mitterrand, Mikis Theodorakis, Jean-Paul Sartre et Miguel Angel Estrella. Mais en 1973 il doit prendre le chemin de l’exil et, deux ans plus tard, il décide de se fixer en France.

Bien que l'essentiel de son répertoire soit constitué de chansons dont il est l'auteur et le compositeur, il y a en Daniel un double, voire un triple échange intérieur. D'une part il met en musique des poèmes de plusieurs auteurs latino-américains (Nicolas Guillen, Cesar Vallejo...) et espagnols (Lorca, Alberti...) ; d'autre part son répertoire comprend des chansons d’autres compositeurs et interprètes comme Violeta Parra (Chili), Atahualpa Yupanqui (Argentine), Silvio Rodriguez et Pablo Milanes (Cuba), Chico Buarque et Edu Lobo (Brésil), Raimon (Espagne), Numa Moraes et Jorge Salerno (Uruguay) ; en outre ses propres chansons sont souvent reprises par d’autres artistes latino-américains : Isabel et Angel Parra, Quilapayun, Inti-Illimani, Mercedes Sosa, Soledad Bravo... et même Victor Jara.

En France, Marc Ogeret enregistrera en 1979 (album En toi), sa chanson Solo digo compañero, adaptée par Jacques-Émile Deschamps sous le titre Camarades (voir plus bas « Influences et préférences »). « Que sont nos chansons contre leurs fusils / Contre leurs canons que valent nos vies ? » Comme une réminiscence, peut-être, chez Étienne Roda-Gil, au moment d’écrire Utile pour Julien Clerc en 1992 : « À quoi sert une chanson / Si elle est désarmée ? / Me disaient des Chiliens / Bras ouverts, poings serrés… »

Pendant ses années d’exil, Daniel Viglietti parcourt le monde : on accueille ses tournées en Europe, en Amérique du Nord, en Afrique, en Australie... Enfin, le 1er septembre 1984 il rentre en Uruguay : son arrivée à Montevideo est saluée par des milliers de personnes et, le soir même, il donne un récital au stade Luis Franzini devant trente mille spectateurs. Le 1er mars 1985, il assiste au retour à la vie démocratique de son pays et, quelques semaines plus tard, à la libération de tous les prisonniers politiques.

1984 et 1985 signifient aussi pour lui la reprise de sa carrière en Amérique latine, où il donne de très nombreux spectacles. À Buenos Aires, c'est plusieurs dizaines de milliers de personnes qui vont l'applaudir au Luna Park. Il enregistre alors de nouveaux disques, Trabajo de hormiga (Travail de fourmi), Por ellos canto (Je chante pour eux) et A dos voces, avec Mario Benedetti lisant ses poèmes, renouant ainsi avec une longue discographie latino-américaine, en solo ou de façon collective. Avec le journalisme aussi il renoue, travaillant pour la radio, en Argentine et en Uruguay, et collaborant à l'hebdomadaire Brecha où il parle d'autres chanteurs, d'écrivains et de poètes dans « une espèce de narration », dit-il, qui rassemble « des entretiens et des souvenirs » de ses trente années de chanteur populaire et qui, « un jour peut-être deviendra un livre ».

Aujourd’hui, explique-t-il, « il faut mettre sa sensibilité à l'écoute... Avant, on passait les frontières de l'exil ; maintenant, il faut passer ses propres frontières intérieures, travailler nos propres richesses, lutter contre le fait d'être devenus des mythes. Créer de nouveaux langages, avec des ruptures ou avec cette patiente évolution créatrice qu’ont les gens comme Yupanqui ».

En 1987, alors que les militaires, en Argentine et en Uruguay, ont dû remettre le pouvoir aux civils, sans qu’on sache encore si ces démocraties réinstaurées seront durables (pour les désigner, l’écrivain uruguayen Eduardo Galeano a inventé le terme de democradura), qu’en est-il exactement pour Daniel Viglietti ? Comment a-t-il ressenti ce retour qu’il qualifie lui-même de « voyage d’oiseaux des branches aux racines » ? Depuis Montevideo, il a répondu ainsi à nos questions :
 

Première étape

– Mon retour dans l’hémisphère sud commence par une première étape, en Argentine, qui est plus qu’un pays voisin, pour nous Uruguayens, tant du point de vue géographique que social, politique, linguistique, etc. Nous nous sentons tous des poissons de la même eau qui, symboliquement, serait celle du Rio de la Plata. Se rendre en Argentine à ce moment-là, c’était comme se pencher à la fenêtre de la maison alors qu’on ne pouvait pas encore en ouvrir la porte.

J’ai donné des concerts en Argentine devant des dizaines de milliers de personnes : une première manière de retrouvailles avec mes compatriotes... Au milieu des drapeaux et des slogans (« Se va a acabar, se va a acabar, la dictadura militar » : elle va s’achever, elle va s’achever, la dictature militaire) de la démocratie argentine naissante. Je sentais dans ces foules une sensibilité à fleur de peau, commune à notre volonté de changer des sociétés toutes d’injustices...

Le retour

– Montevideo, 1er septembre 1984. Je me souviens de jeunes, d’enfants, comme je me souviens de vieillards, certains le visage baigné de larmes, avec une émotion qui vient de je ne sais quelles terribles racines, je ne sais quelles souffrances... Il y eut une conférence de presse, dont je dus m’échapper pour aller donner mon premier récital du retour, dans un stade de football. Bien au-delà de la terrible émotion des retrouvailles et le fait de chanter devant autant de public – ça ne m’était arrivé qu’une seule fois auparavant, à Madrid –, c’était le défi de se retrouver dans un stade, avec tout ce que cela pouvait signifier, avec à la mémoire le souvenir encore très présent de ces lieux de mort et de concentration, au Chili, et ici aussi parfois. C’était merveilleux de constater qu’à présent on y travaillait pour la vie au lieu de s’en servir pour la répression.


La chanson

– D’un point de vue culturel, je crois que la chanson, pendant la dictature, fut à la pointe de la communication avec les gens. Ce fut le fil de la communication dans tout ce tissu social de résistance – il était interdit de se réunir, de s'exprimer, la presse était censurée, etc. – ; la chanson A redoblar, de Mauricio Ubal et Ruben Olivera, par exemple, fut un hymne de résistance très important et démonstratif du rôle capital joué par la chanson populaire au cours de cette époque.

Aujourd’hui, la nouvelle chanson uruguayenne – celle que j’appelle la nuevita cancion – a établi de nouveaux modes de communication ; elle est exploratrice, inquiète. Pendant la dictature, les jeunes chanteurs avaient appris à chanter entre les lignes, à se servir de la métaphore comme d’une flèche véritable, à une époque où les flèches étaient interdites. Ce qui m’intéresse surtout chez eux, aujourd’hui, c’est leurs recherches à la fois thématiques et musicales, en rupture avec nous. Ils nous ont écoutés, bien sûr, et parfois certains d’entre eux nous saluent fraternellement, mais ils se sont lancés dans un travail nouveau, presque expérimental, tout en gardant un sens très aigu de l’autocritique, et je trouve ça extraordinaire.
 

Les concerts

– Dans les concerts que je donne maintenant, j’ai repris cette formule que j’avais « inventée » avant l'exil, qui est le travail, sur scène, avec des écrivains. J’avais souvent travaillé avec Eduardo Galeano, parfois avec Mario Benedetti, une fois avec le poète argentin Juan Gelman. J’ai recommencé avec Benedetti et, plus récemment, avec le premier écrivain avec lequel j’avais mis au point ce type de « duo », il y a plus de vingt ans, Juan Capagorry.

Aujourd’hui, en avril 1987, je vais aller chanter à l’intérieur du pays. C’est important, car les gens de l’intérieur sont très isolés, socialement, culturellement, mais il existe un véritable appétit de connaissance. Par ailleurs, je soutiendrai le référendum, c'est-à-dire qu’on recueille en ce moment des signatures pour provoquer un référendum qui déciderait si la « loi de caducité », – que nous préférons appeler loi d’impunité – sera ou non votée. C’est-à-dire si les militaires coupables d’avoir violé les droits de l’homme seront jugés ou pas.

Daniel Viglietti, Barcelone, 8 avril 2017 (Ph. Hidalgo)

Chansons de l’intérieur

– Durant l’exil, il s’est produit un processus d’intériorisation du message. Il a fallu – sans narcissisme ni autocomplaisance – parcourir son propre intérieur. Mes chansons de cette période sont beaucoup moins directes, écrites avec une langue plus élaborée, avec un usage plus important du silence et souvent de la métaphore. La Mano impar et Cancion bicéfala en sont des exemples. C’est ce que j'ai appelé Canciones del interior, en précisant toujours qu’elles sont de l’intérieur sans être de la campagne... Nous avons senti à l’intérieur de nous-mêmes comme une région, un pays, nous avons traversé des chemins, des douanes, des pièges, des merveilles, des échecs. C'est tout ce que nous possédons en nous et qu’il faut chanter. C’est aussi une somme de messages culturels qui nous arrive d’ailleurs : on vit de l’oreille et de l’œil, pour ensuite chanter de la bouche.

 

Influences et préférences

– Je suis influencé par la musique de Chico Buarque ou celle de Jose Afonso – dont la mort [le 23 février 1987] nous a tant éprouvés –, par Atahualpa Yupanqui bien sûr, qui est un maître dans tous les sens du mot, par l’œuvre du poète péruvien Cesar Vallejo, par ce qu’a composé le Mexicain Silvestre Revueltas...

En France, j'ai rencontré ce couple si humain, si sensible : Madeleine Renaud et Jean-Louis Barrault que j’admire beaucoup. Il y a eu la solidarité de Colette Magny, et la surprise d’entendre Marc Ogeret chanter une de mes chansons en français. En Allemagne, Walter Mossman aussi a travaillé certaines de mes chansons, et il y a des versions enregistrées en Suède, au Danemark et en Norvège. Si je pense à l’Allemagne, je pense aussi à l'écrivain Heinrich Böll qui m'a apporté de l’aide. Aux États-Unis également j'ai rencontré des gens solidaires : je nommerai Pete Seeger, et puis le souvenir de Phil Ochs ; et encore les écrivains et poètes latino-americains Julio Cortazar, Juan Gelman, Jorge Enrique Adoum...
 

La création

– Tout m’influence, en fait. Actuellement, je suis en train d’engranger. On prépare d’abord le levain, pour qu’un jour il se transforme en pain : la chanson se prépare ainsi bien avant de prendre la guitare ou le crayon. Il y a des signes... J’ouvre sans arrêt des dossiers où s’accumulent des papiers, des notes, des brouillons. Parfois, on pense que ça ne vaut rien, et plus tard on découvre quelque chose de valable. Ce n’est pas de la complaisance envers soi-même, mais des retrouvailles avec certaines choses : sentir que « là, il peut y avoir quelque chose ». Et je commence à sentir un certain fourmillement. Je pense que bientôt verra le jour une nouvelle étape qui correspondra à ce que Benedetti nomme le « desexil » et qui, parmi toutes les péripéties de l’homme, coïncide avec la maturité, ce mot terrible.

Les voyages

– Voyager me donne des idées, m’amène à écrire. Parfois pendant le voyage même. Daltonica, la chanson que j'ai dédiée au poète salvadorien Roque Dalton, je l’ai écrite au cours d’un déplacement de Paris à Nîmes. Declaracion de amor a Nicaragua, dans un hôtel de Managua. Las Hormiguitas, au cours d’une tournée de solidarité avec les Uruguayens de Suède. Je conserve encore des notes de chansons esquissées pendant des vacances dans les Cévennes... L’exil m’a conduit à voyager dans le monde entier. Je ne sais pas si, étant resté en Uruguay, j’aurais eu toutes ces possibilités...

Maintenant que je suis libre d’entrer et de sortir de mon pays natal, j’ai envie que tout cela continue. Non seulement en Europe, mais aussi en Afrique et en Amérique latine... De loin, on pourrait croire qu’étant en Uruguay il est plus facile de chanter dans le reste du continent ; mais ce n’est pas le cas. Je n'ai jamais chanté à Panama ni en Jamaïque ni en Bolivie ni dans tant d’autres pays latino-américains. À présent, je vais m’attacher à développer ces contacts. Et de cette somme d’expériences viendra, je crois, l’œuvre nouvelle.

(Propos recueillis par Fred HIDALGO, en avril 1987)
 

Paco Ibañez et Daniel Viglietti, Barcelone, 8 avril 2017 (Ph. Hidalgo)

 

Trente ans après, je relis ces réponses, magnifiques, de Daniel… et je nous revois au printemps dernier chez Paco Ibañez. Dans l’intervalle, si Atahualpa Yupanqui est décédé en mai 1992, si Mario Benedetti s’en est allé en mai 2009, « l’œuvre nouvelle » s’est amplifiée et les concerts, comme le souhaitait le cantautor uruguayen, se sont multipliés à travers le monde. Daniel Viglietti n’a jamais cessé de chanter.

Daniel et son épouse, 8/04/2017 (Ph. Hidalgo)

Comme Paco en Espagne, après la disparition de « Don Ata », il est devenu le « Maestro » de la chanson latino-américaine, celui qui émettait de la tendresse et recevait du respect en retour. Daniel Viglietti n’a jamais atteint la maturité, « ce mot terrible ». Et Paco non plus. Ces deux-là, en avril dernier, ont laissé éclater une joie authentique, tout enfantine, en s’écoutant chanter et jouer l’un l’autre comme deux gamins au seuil de leur adolescence… « Il nous fallut bien du talent, disait Jacques Brel, pour être vieux sans être adultes. »

Journée inoubliable, tissée de mille moments de complicité et de rires. De grâce aussi comme celui où Daniel, au comble de notre fraternelle vivencia (au pluriel c’est le titre du concert actuel de Paco, où il chante en espagnol, en catalan, en basque, en galicien, en français et parfois même en italien et en hébreu, toutes langues qu’il maîtrise peu ou prou…), s’est levé spontanément – lui qui chantait toujours assis ! –, prenant son épouse par la main, pour se lancer dans une danse endiablée aux sons d’une folle musique andine…

À Montevideo, le 27 septembre 2015

Cela se passait à Barcelone, il y a seulement quelques mois. C’était un samedi sur la Terre, un jour hors du temps et des malheurs du monde, un jour de bonheur.

NB. Voici pour finir un concert d’un peu moins d’une heure donné le 12 novembre 2014 au Brésil au cours duquel Daniel chante certaines de ses chansons les plus connues et en interprète d'autres de poètes et compositeurs amis, ainsi que de José Afonso, de Violeta Parra et d'Atahualpa Yupanqui (notamment Duerme negrito, à partir de 26'30, que ce dernier avait popularisée) :

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commentaires

C
Mes études d'espagnol ont été bercées par Paco Ibanez et Daniel Viglietti. C'était à la fin des années. Nous étions survoltés par ces deux hommes : de vrais talents musicaux, de puissants poètes au service d'une langue qu'ils rendaient superbe, des idéaux défendus avec vigueur mais aussi tendresse et chaleur.. Ces deux immenses artistes sont dans nos gênes et dans notre sang, et la mort de Daniel Viglietti crée un vide vertigineux.<br /> Il y a quelques années, j'ai fait la connaissance d'un couple d'urugayens compagnons de combat de Daniel Viglietti et qui étaient réfugiés en France. Agé et très malade, lui n'a pas tardé à succomber à la maladie mais, jusqu'au bout, quel maintien noble, quelle voix qui attire le respect ! Elle, une fois son compagnon parti, est retournée en Uruguay où elle a dû retrouver Daniel Viglietti et ses frères de combat. Voilà des vies qui ont été des vies. De vraies vies.
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F
Oui, Charley, un "vide vertigineux", c'est aussi ce que je ressens...
F
DANIEL VIGLIETTI<br /> Pour compléter mon témoignage à son sujet, voici quelques liens de vidéos mises en ligne depuis l’annonce de la disparition du “maestro” Daniel Viglietti qui a causé un véritable traumatisme en Amérique latine et des manifestations populaires spontanées en Uruguay...<br /> https://youtu.be/7RZ2RmBYhg8<br /> <br /> Après le témoignage de Lourdes, l'épouse de Daniel, l’ancien président de l’Uruguay, Jose Mujica : “Gracias Viglietti... qui a semé des graines d’utopie” :<br /> https://www.youtube.com/watch?time_continue=2&v=02qR5FhuoWY<br /> <br /> Une brève histoire de Daniel Viglietti :<br /> https://youtu.be/4PRapzSj4e0<br /> <br /> "Gracias y hasta siempre, maestro !" (les réactions de la presse et du Net) :<br /> https://youtu.be/K4UjS0W9HcU<br /> <br /> Consternation et chagrin de personnalités du monde entier après la disparition de Daniel Viglietti. Durant son dernier voyage à Cuba, il avait conversé avec Prensa Latina Televisión :<br /> https://youtu.be/OXvNcer_5UY<br /> <br /> Accueilli tendrement et respectueusement sur scène, il y a quelques années, par le grand chanteur hispano-catalan Joan Manuel Serrat... et triomphalement par le public :<br /> https://youtu.be/QBDR7Lx0Msc<br /> <br /> HOMMAGE EN CHANSONS à Daniel Viglietti (une sélection en 1h40’) :<br /> YO NACÍ EN JACINTO VERA – 1967 (Canciones para el hombre nuevo)<br /> 00:01:55 COPLAS DE JUAN PANADERO – 1969 (Canto libre)<br /> 00:06:41 OTRA VOZ CANTA – 1978 (En vivo en Argentina)<br /> 00:09:36 RONDA – 1967 (Canciones para el hombre nuevo)<br /> 00:11:04 TU QUE PUEDES VUELVETE – 1963 (Canción para mi América)<br /> 00:13:34 CANCIÓN PARA MI AMÉRICA – 1963 (Canción para mi América)<br /> 00:15:27 NO SE POR QUÉ PIENSAS TÚ – 1963 (Canción para mi América)<br /> 00:17:45 CIELITO DEL CALABOZO – 1978 (En vivo en Argentina)<br /> 00:21:26 IMPRESIONES PARA CANTO Y GUITARRA : EL VIENTO – 1963 (Canción para mi América)<br /> 00:24:56 A DESALAMBRAR – 1967 (Canciones para el hombre nuevo)<br /> 00:27:20 UN HOMBRE SE LEVANTA – 1973 (Trópicos)<br /> 00:30:18 CRUZ DE LUZ – 1967 (Canciones para el hombre nuevo)<br /> 00:32:40 LA TUCUMANITA – 1963 (Canción para mi América)<br /> 00:35:38 PEDRO ROJAS – 1967 (Canciones para el hombre nuevo)<br /> 00:40:05 A UNA PALOMA – 1969 (Canto libre)<br /> 00:42:11 LUCERO DEL ALBA – 1969 (Canto libre)<br /> 00:44:06 LA NOSTALGIA DE MI TIERRA – 1969 (Canto libre)<br /> 00:47:04 NEGRITA MARTINA – 1971 (Canciones chuecas)<br /> 00:49:11 QUÉ DIRÁ EL SANTO PADRE – 1971 (Canciones chuecas)<br /> 00:51:21 DIOS LE PAGUE – 1.973 (Trópicos)<br /> 00:55:06 YO VIVO EN UN TIEMPO DE GUERRA –1973 (Trópicos)<br /> 00:58:20 CONSTRUCCIÓN – 1973 (Trópicos)<br /> 01:04:29 POR TODO CHILE – 1978 (En vivo en Argentina)<br /> 01:07:31 SOLEDAD BARRET – 1984 (Trabajo de hormiga)<br /> 01:11:26 LAS HORMIGUITAS – 1984 (Trabajo de hormiga)<br /> 01:15:50 NOCTURNA – 1993 (Esdrújulo)<br /> 01:20:19 ESDRÚJULO – 1993 (Esdrújulo)<br /> 01:24:31 VALS DE LA DUNA – 2004 (Devenir)<br /> 01:28:54 POR QUÉ CANTAMOS – 1987 (A dos voces, avec Mario Benedetti)<br /> 01:35:14 MILONGA DE ANDAR LEJOS – 1967 (Canciones para el hombre nuevo)<br /> 01:38:23 POBRE DEL CANTOR – 1973 (Trópicos).<br /> https://youtu.be/8w5mM10HdR4
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M
Très belle page, émouvante et tellement riche de petites pépites de lumière et d'informations pertinentes, comme vous savez si bien en essaimer, Fred. Merci.
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F
Merci chère Françoise... mais j'aurais tellement préféré ne jamais avoir à l'écrire. Surtout entre une journée magnifique passée, avec lui, au printemps et l'attente de nouvelles retrouvailles, chez lui, l'hiver prochain.