Tout d’abord, un grand merci pour vous être aussitôt inscrits en grand nombre… et de partout, de tout l’espace francophone et d’ailleurs, à « Si ça vous chante ». Des milliers de connexions déjà ! Et ça n’est sans doute qu’un début, puisque chaque jour qui passe voit sa liste d’« adhérents » s’accroître sensiblement. N’étant pas expert en matière de blog (après trente-huit ans de presse écrite, du quotidien au trimestriel en passant par l’hebdo et le mensuel, la reconversion a dû s’opérer sans transition…), je veux bien croire ceux qui m’assurent que son départ a été « fulgurant ». Je suis d’autant plus disposé à le croire que plus nous serons à faire ainsi chorus (chacun et chacune pouvant y aller de son petit commentaire, de ses informations et le cas échéant de ses liens vers son propre blog ou son site) et plus « notre chanson » aura de chances d’être entendue.
Ensuite, une précision qui s’impose : à la lecture des dizaines de « commentaires » publiés directement, on pourrait avoir l’impression que l’on a affaire à un rassemblement d’amis proches, tant leur tonalité dans le fond comme dans la forme le laisse à penser. Il n’en est rien : leurs auteurs sont, pour 95 % d’entre eux, inconnus de nous et inconnus entre eux ! C’est le miracle d’une chanson partagée depuis peu ou prou, pour certains depuis presque trente ans, pour d’autres depuis 2007 ou 2008 seulement. La preuve par neuf comme 2009 (n’est-ce pas Julos ?) d’une adhésion totale (et durable) à certaines valeurs humanistes véhiculées par la chanson – parce qu’elle en constitue précisément le véhicule privilégié. La chanson considérée comme un art – le plus populaire, le plus immédiat et le plus rassembleur des arts – ou du moins, pour ne pas effaroucher davantage le grand Serge, de toutes les « disciplines artistiques ».
Cela dit (une fois pour toutes), le fil qui nous liait, nous reliait est donc renoué après une période de turbulences que nous n’aurions jamais cru devoir traverser et surtout subir (car c’est bien dommage, comme le chante le même tisseur de mots, d’être au chômage à notre âge…). L’essentiel est là, le fil retrouvé, le joli fil qui va nous permettre de poursuivre le partage et de se tourner résolument vers des lendemains qui chantent.
LES MUSICALES DE BASTIA
En l’occurrence, on le sait, l’un des objets principaux de notre action de promotion de la chanson au… fil de ces décennies passées aura été la découverte et la mise en avant de nouveaux talents. Pour ce faire, pas de secret, il faut être tous les soirs ou presque sur le terrain. Ce que nous permettait jusqu’à cet été, à défaut d’ubiquité ou de disponibilité permanente, le fait de compter sur une équipe professionnellement aussi compétente que passionnée par son sujet. « Sur le terrain », c’est-à-dire dans les petites salles qui sont nombreuses dans l’Hexagone et l’espace francophone et animées par des gens de qualité, à l’affût du talent en herbe, malgré des difficultés économiques récurrentes. Et dans les festivals, évidemment, en particulier chez ceux – « à taille humaine » pour dénominateur commun, quelles qu’en soient la capacité et la notoriété – qui se sont intelligemment regroupés dans un « Collectif des festivals francophones » (on en reparlera).
Parmi ces festivals nés de la passion et de la compétence indissociables, proches de leur public et soucieux du meilleur accueil pour les artistes, il en est un en Corse, le plus ancien de l’île de Beauté, qui fait localement des merveilles. Je veux parler des Musicales de Bastia incarnées par Raoul Locatelli, un grand monsieur de la chanson, grand amoureux du beau et du signifiant, qui, pour être non-voyant, n’en est pas moins un formidable passeur de nouveaux talents. Comme l’a encore montré cet automne, du 7 au 11 octobre, la vingt-deuxième édition de ces Musicales.
Présentées à 18 h 30 dans une jolie petite salle équipée en gradins, la Fabrique de Théâtre, les « Découvertes » du cru mettaient chaque jour en lice deux artistes ou groupes dont l’éclectisme revendiqué par les organisateurs rendait a priori difficile le travail du jury : Pierre Gambini, Kabbalah, Manu Galure, Padam, La Casa, Mister Pop, Ya’zmen… À l’heure de la délibération finale dudit jury, que Raoul m’avait demandé de présider, mon choix était fait, sans l’once d’un doute, ainsi que celui d’Hassan Amrani, directeur du festival Le Sixième Son et de la salle l’Arc-en-ciel de Liévin. Mais vu la qualité d’ensemble du plateau, je craignais des discussions serrées…
L’identité nationale de ces gens-là
En fait, tout s’est joué en un clin d’œil, le temps d’un seul vote à bulletin secret : ces Musicales ont accouché sans coup férir et sans escarmouche, à l’unanimité, d’une jolie promesse qui a pour nom Karimouche. Déjà remarquée des professionnels, entre autres au dernier festival Alors chante… de Montauban, la jeune femme reste encore largement méconnue du public. Mais à en croire l’accueil enthousiaste que lui ont réservé les Bastiais qui la découvraient ce 10 octobre, n’en doutez pas, elle ne tardera pas à se faire une place de choix auprès des Anaïs, Agnès Bihl, Jeanne Cherhal, Clarika, Amélie-les-crayons et autre Olivia Ruiz.
La trentaine naissante, une expérience de comédienne et de chanteuse de rue, expliquent sa maturité, son aisance sur scène, sa gouaille naturelle, la séduction qu’elle déploie et qui opère immanquablement. Auteure-compositrice-interprète, elle est accompagnée par un clavier et deux « human beat-box » (ou « beat-boxers », c’est comme vous voulez), une formule qui résume à elle seule l’originalité de son répertoire : Le Petit kawa, Raggamuffin, Je parle trop… Entre tango et hip-hop, blues et slam, toutes sortes d’influences se mêlent et s’entremêlent chez cette Lyonnaise née à Angoulême et dont les origines parentales se situent du côté de la Kabylie. Elle chante d’ailleurs une tendre berceuse en kabyle, en souvenir de ses grands-mères, mais aussi, dans le sillage d’un Abd Al Malik, un démarquage des plus personnel et actuel de Ces gens-là de Brel, D’abord…
Particulièrement heureuse de cette distinction (et surtout de son caractère unanime), qui lui vaudra de revenir l’an prochain aux Musicales sur la scène du Grand Théâtre, Carima Amarouche (de son vrai nom) nous confiait qu’un journaliste lui avait reproché récemment de ne pas chanter davantage ses racines. « Vous voulez dire que je devrais écrire des bourrées charentaises, auvergnates… ?! » La fine mouche ne manque ni de repartie ni d’humour. « Moi, mes racines, c’est Piaf, c’est Brel… Je sais d’où je viens, mais je suis d’ici avant tout. » À l’heure où l’on débat de façon souvent polémique et stérile de la question de l’identité nationale française, on serait mieux avisé de mettre simplement en avant ces vécus qui forgent et enrichissent sans cesse notre culture. Et n’ont cessé de l’enrichir dans le passé. Rien que dans la chanson, hein, les Alexis HK, Dick Annegarn, Aznavour, Baguian, Barbara, Bénabar, Brassens, Carla Bruni, Cabrel, Cali, Manu Chao, Chedid, Nilda Fernandez, Ferrat, Ferré, Nino Ferrer, Gainsbourg, Goldman, Jonasz, Juliette, Kacel, Émily Loizeau, Montand, Mouloudji, Moustaki, Nougaro, Piaf, Polnareff, Reggiani, Catherine Ribeiro, Olivia Ruiz, Sanseverino, Sapho, William Sheller… tous (et la liste est loin d’être exhaustive) ont une ascendance au moins à-demi étrangère (non francophone) et malgré cela (grâce à cela ?), comme le chantait Maurice Chevalier, au final Ça fait d’excellents Français ! On s’égare ? Croyez-vous ? Le premier album de Karimouche, réalisé actuellement par Mouss et Hakim (ex-Zebda), paraîtra chez Atmosphériques (le label indépendant qui a révélé Louise Attaque, les Wriggles, Joseph d’Anvers… et autre Abd Al Malik) le 25 janvier prochain. Gageons qu’il sera, à l’image de l’artiste, gorgé d’émotion et d’énergie. Son titre ? Emballage d’origine…
Un mot encore à propos de cette édition. Pour dire que la deuxième place des « Découvertes » est revenue au jeune Manu Galure (qui, seul au piano, s’est risqué en rappel et avec succès dans une chanson érotique comme on n’ose plus en faire depuis des lustres), ex-aequo avec La Casa (aux rythmes et cuivres luxuriants, façon Mariachis, western spaghetti ou Calexico) mais premier du prix du public (devant Karimouche !). Que Carmen Maria Vega, autre Lyonnaise pas franchement « Française de souche », confirme tout le bien qu’on pensait d’elle il y a déjà plus d’un an (voir Portrait dans Chorus n° 65) : pour peu que ses chansons prennent davantage de hauteur (son premier album vient de sortir), cette toute petite bonne femme de 25 ans à la voix d’airain et au tempérament de feu, qui brûle les planches, deviendra grande. Qu’Alain Sourigues, pince-sans-rire et Pierrot lunaire entre Boby Lapointe et Dominique Scheder (un chanteur suisse que j’adorais, hélas prématurément disparu), embarque son monde dans un univers de poésie naïve et drôle, trop rare aujourd’hui, qui lui avait valu de rafler aux Découvertes 2008 les prix du public et du jury à la fois.
Et puis Vincent Delerm, peut-être l’auteur-compositeur-interprète le plus controversé de sa génération – on aime ou on déteste – qui démontre en tout cas à chaque nouveau spectacle qu’il est impossible (et souvent injuste) de se faire une opinion sur la valeur réelle d’un artiste tant qu’on ne l’a pas vu sur scène. La création avec laquelle il tourne actuellement, qui n’a rien d’un simple concert, rend hommage au cinéma avec un casting musical de premier ordre. Et l’amoureux de Fanny Ardant, l’admirateur de Trintignant (et de Woody Allen, Humphrey Bogart, Lauren Bacall…), de jouer dans un décor approprié de velours rouge, entre piano et pupitre, musiques et paroles… et de se jouer de lui-même à l’écran en acteur noir et blanc de cinéma muet. Malgré ce nouveau générique, on continuera à dire et à penser ce qu’on veut de lui, chacun fait c’qui lui plaît-plaît-plaît, mais son spectacle est bougrement intelligent qui ne manque ni de classe ni de finesse.
Abd Al Malik, enfin, apparaît tel qu’en lui-même, puissant, impressionnant, convaincant tant par sa gestuelle caractéristique (Soldat de plomb…) que par son discours qui rend caduc le débat sur l’identité nationale. Musicalement aussi, orchestralement (Gérard Jouannest est passé par là), C’est du lourd… D’un charisme rare à la scène, mais presque timide à la ville quand, à l’heure de prendre le même avion pour Paris, l’homme de Gibraltar qui clôtura la veille au soir ces Musicales de Bastia nous avoua son désarroi quant à la disparition de Chorus… tout en nous réitérant sa confiance en l’avenir.
Dans ma maison d’amour
L’avenir ? Maintenant que le fil est renoué pour de bon, même si on n’a pas assez d’essence pour faire la route dans l’autre sens, j’aimerais que ce blog devienne vraiment une maison où la chanson se sentira chez elle. Alors, c’est sûr, on y trouvera des disques, des vidéos, des livres, on y annoncera ou commentera des spectacles et des festivals, on y proposera des reportages… mais on y invite aussi, d’ores et déjà, tous les artistes et professionnels qui le souhaitent ; on y convoque toutes sortes de contributions à la promotion de la chanson française (et de l’espace francophone, n’oublions pas les chansons en langues dites vernaculaires), pourvu seulement qu’elles soient exclusives.
Ainsi, d’un sujet de fond à l’autre et d’une rubrique d’actualité à l’autre, on fera çà et là un arrêt sur image. Une sorte de « Chant libre » : autrement dit, ça ne doit et ça ne peut pas fonctionner à sens unique. Ma maison d’amour sera donc (aussi) comme une auberge espagnole où l’on se nourrit de ce qu’on y apporte. « Il y a des maisons, disait le grand Félix, où les chansons aiment à entrer. » Chez moi, chez nous, chez « Mauricette et Fredo », cela a toujours été le cas. La poésie et la musique nous sont aussi indispensables et familières que le boire et le manger. Peut-être davantage, qui sait.
Aujourd’hui, nous ouvrons grand les portes de cette maison d’amour. Cela suppose de faire chorus, chacun de son côté, autant que possible. D’élargir le cercle. De partager avec le plus grand nombre au lieu de se replier sur soi. « Ne verrouillez jamais la vie à double tour, a écrit le poète. Soyez toujours ces voix sur l’autre rive / Qui prolongent dans moi la fête et la ferveur / Amis soyez toujours l’ombre d’un bateau ivre… » (Jean Vasca, Amis soyez toujours, 1977). Des droits et des devoirs en somme, règle élémentaire pour vivre en bonne harmonie. L’identité nationale, ça n’est rien d’autre. C’est construire et avancer ensemble. C’est à cette seule condition qu’on s’inventera des lambeaux d’avenir. Mais moi, ce que je vous en dis, « pour moi quoi, Makaya Hidalgo ! », c’est rien que… si ça vous chante.
Jean Vasca – Amis soyez toujours