Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Présentation

  • : SI ÇA VOUS CHANTE (le blog de Fred Hidalgo)
  • : Parce que c’est un art populaire entre tous, qui touche à la vie de chacun et appartient à la mémoire collective, la chanson constitue le meilleur reflet de l’air du temps : via son histoire (qui « est la même que la nôtre », chantait Charles Trenet) et son actualité, ce blog destiné surtout à illustrer et promouvoir la chanson de l’espace francophone ne se fixera donc aucune limite…
  • Contact

Profil

  • Fred Hidalgo
  • Journaliste depuis 1971, créateur de plusieurs journaux dont le mensuel « Paroles et Musique » (1980-1990) et la revue « Chorus » (1992-2009). Editeur depuis 1984 et créateur en 2003 du « Département chanson » chez Fayard.
  • Journaliste depuis 1971, créateur de plusieurs journaux dont le mensuel « Paroles et Musique » (1980-1990) et la revue « Chorus » (1992-2009). Editeur depuis 1984 et créateur en 2003 du « Département chanson » chez Fayard.

Site de Fred Hidalgo

Journaliste, éditeur, auteur
À consulter ICI

Recherche

Facebook

La Maison de la chanson vivante
   (groupe associé au blog)
 

Jean-Jacques Goldman, confidentiel
  (page dédiée au livre)

 

Fred Hidalgo
  (page personnelle)

Archives

Livres

 

 

15 mars 2024 5 15 /03 /mars /2024 17:48

15/03/2024 : notre 1er journal, L’UNION, a 50 ans !

C’est long, cinquante ans, mais aujourd’hui je ferai court. Quelques paragraphes seulement pour marquer « l’événement », vu que personne d’autre au monde ne le fera à ma place : il y a un demi-siècle donc, jour pour jour (c'était avant Chorus, avant Paroles et Musique... mais après Le Petit San-Antonien !), ma chère et tendre et moi « inventions » la presse écrite au Gabon en y créant le premier journal national : L’UNION. D’abord hebdomadaire, puis quotidien…

« Personne d’autre » ? Si l’on regarde aujourd’hui sur son site la Une de L’Union (qui n’a jamais cessé d’exister depuis la parution de son premier numéro officiel*, le n° 1 du vendredi 15 mars 1974), vous y verrez après l’indication de son numéro 14 480, la mention « 44e année ». Drôle de calcul : même en ne tenant compte que du quotidien (dont le n° 1 parut le mardi 30 décembre 1975 – avec un billet satirique, soit dit au passage, dont le succès populaire immédiat lui vaudrait de traverser les âges jusqu'à ce jour !), cela a fait quarante-huit ans révolus à la fin 2023.

_____________________
*Auparavant, à commencer par le 14 décembre 1973 (n° 00), nous avions publié plusieurs numéros "zéro" dans les conditions réelles : Voir ICI. On trouve d’ailleurs mention dans ses propres pages, à l’occasion d’une visite des locaux de L’Union par un groupe de jeunes (rubrique "La vie du journal", 13/12/2022), de ces trois numéros "historiques" : Voir ICI.

Simple mémoire courte ? Nous avons pourtant laissé la collection complète originale du journal, numéros zéro inclus, en quittant le pays… Absurde révisionnisme dans un contexte à présent artificiellement anti-français, alors qu’on nous gratifiait à l’époque du sympathique qualificatif de « Gabonais d’adoption » ? Je préfère penser à une quelconque indifférence voire une carence en matière arithmétique… Il y a quarante-quatre ans, en 1980, nous étions déjà de retour en France pour lancer Paroles et Musique… Peu importe, la réalité est là et au diable le coup de vieux : « notre » premier journal « fête » ce vendredi 15 mars 2024 son demi-centenaire !

J’ai dit que je ferai court. Alors, quelques infos de base : en 1971, frais émoulu de l’École Supérieure de Journalisme de Paris et jeune marié, je suis affecté par le ministère de la Coopération à l’Agence Gabonaise de Presse. Séduits par l’accueil des Gabonais et leur pays magnifique situé de part et d’autre de l’Équateur, mais interloqués par le fait que la radio et la télévision ne peuvent masquer l’absence (a priori) incompréhensible, plus de dix ans après l’indépendance, de tout journal d’information générale, nous découvrirons bientôt que plusieurs groupes de presse avaient auparavant renoncé à leurs projets en la matière. Trop de difficultés inhabituelles, trop à faire en dehors du journal qui, déjà, réclame l’installation d’une imprimerie ad hoc, alors qu’il n’existe que des imprimeries de labeur. Entre autres : créer un réseau de correspondants et monter un circuit de diffusion dignes d’un journal réellement national. Rien moins qu’une gageure dans ce pays surtout constitué de forêts impénétrables, sans autre moyen de communication (pas ou très peu de routes carrossables) que la petite compagnie aérienne Transgabon créée par l’aventurier Jean-Claude Brouillet** (futur auteur de L’Avion du blanc) et les monomoteurs des forestiers…

**Qui représente pour moi un lien unique entre mes passions : la chanson et Frédéric Dard (via Marina Vlady, Vladimir Vissotsky et Robert Hossein), le Gabon et la Polynésie (via Jacques Brel et son ami pilote Michel Gauthier, ancien de Transgabon chez Brouillet). Voir ICI

Qu’à cela ne tienne, on utilisera justement ces petits avions pour recevoir les papiers et les pellicules photos de nos « correspondants » régionaux. Des instituteurs pour la plupart, rencontrés à Franceville, Lambaréné, Mouila, Oyem, Port-Gentil, Tchibanga, etc., lors de sauts de puce successifs qui nous permettront aussi de recenser les points de vente futurs de L’Union : ces « bazars africains » disséminés dans tout le territoire où l’on trouve tout et même le superflu.

Pour la fabrication, on se débrouillera avec la principale imprimerie de Libreville, jusque-là vouée aux seuls travaux « de ville » (documents administratifs, papier à lettres, carnets, affiches, billets…), le temps qu’un pro de l’édition de presse se montre intéressé par le projet d’un quotidien. Car nous avons déjà en tête de sortir un numéro par jour ! Mais comme notre folie n’est pas tout à fait complète, nous décidons ma chère et tendre et moi de travailler d’abord aux maquettes d’un hebdomadaire. Quant à son titre, nous l’avons déjà trouvé : ce sera le premier terme de la devise nationale « Union, Travail, Justice ». Dans ce pays d’une superficie égale à la moitié de la France pour seulement 500 000 habitants (officiellement recensés alors) mais une quarantaine de langues vernaculaires, le français représentera le trait d’union par excellence pour mieux se connaître et se comprendre.

Avant la fin de mon service national, je remue ciel et terre sur place. Je montre mes maquettes au ministre de l’Information et de la Culture, qui m’encourage à persévérer et me suggère d’établir un budget prévisionnel. À peu près dans le même temps, le hasard qui fait bien les choses m’amène à faire la connaissance d’un grand ponte de la presse française, représentant Hachette, de passage au Gabon pour faire un point sur la fourniture des manuels scolaires.

C’est la première fois que je rencontre en tête à tête un personnage aussi considérable du métier. Responsable de la société d’édition d’Hachette, donc de nombreux titres régionaux et nationaux dont Le Journal du Dimanche et surtout France-Soir, le grand quotidien populaire de Pierre Lazareff qui tire chaque jour à plus d’un million d’exemplaires… Je suis jeune, j’ai 23 ans et déborde d’enthousiasme. Il m’explique qu’Hachette a déjà essayé, en vain, de créer un journal au Gabon (j’en comprendrai mieux les raisons en découvrant plus tard les prétentions exorbitantes des journalistes pour s’expatrier et mouiller vraiment la chemise, rendant ce projet économiquement mort-né), mais qu’il est prêt à s’investir si notre projet tient la route...

Et comment, qu’il tenait et tiendrait la route ! A nous deux, dans un premier temps – comme pour Paroles et Musique en 1980 –, nous allions assurer presque tout de A à Z en minimisant au maximum les frais de l’entreprise. J’en serais le directeur de l’édition et Mauricette la gérante. En gros, cela signifiait qu’elle s’occuperait de toute la partie administrative et financière, et moi de toute la partie journalistique. Seul point de jonction : la mise en page, dont l’aspect pratique la passionnerait aussitôt.

Je la fais (aussi) courte (que possible) : ravis par notre projet bien défini, l’éditeur de France-Soir et l’État gabonais décideront de s’associer pour le financer. Comme il s’agissait du journal d’information national, le Gabon assurait les trois quarts du budget et « Hachette » le quart restant. Un « conseil de gérance » était institué avec deux représentants de l’État et un d’Hachette. A charge pour nous de créer le journal, de le faire vivre et prospérer en respectant ce budget au franc CFA près.

Le temps que tout se concrétise, j’écrirai sous pseudonyme un polar se déroulant dans quatre pays africains puis un guide sur le Gabon, pour le plaisir mais surtout pour nous assurer l’ordinaire dans l’intervalle.

De retour à Libreville, très vite après la sortie des premiers numéros, je débaucherai comme simples pigistes d’abord puis comme salariés des amis journalistes gabonais, de l’AGP et de la télévision, pour commencer à constituer une équipe rédactionnelle permanente. Pour l’info internationale, je me rendais chez le correspondant local de l’Agence France Presse qui nous gardait un double des dépêches du « desk » parisien. Je pourrais d’ailleurs ajouter à mon CV « correspondant occasionnel de l’AFP » puisqu’à chaque déplacement hors du pays du titulaire, celui-ci me demandait d’assurer son remplacement…

En fait, je me rends compte que j’aurais mille événements à raconter. Des rencontres rares (y compris avec des chanteurs français de passage comme Julien Clerc, Georges Moustaki, Fernand Raynaud, Pierre Vassiliu... ou Charles Aznavour avec qui l'on parla longuement de notre ami commun Frédéric Dard) ; des reportages hauts en couleur (comme une cérémonie nocturne d'initiation au culte des ancêtres dans un village perdu de brousse) ou tout à fait étonnants (telle la découverte d’une réaction nucléaire ayant eu lieu à l’état naturel et à ciel ouvert dans la région d’Oklo, un phénomène scientifique jamais observé auparavant) ; des interviews surréalistes de chefs d’État africains ; une campagne de soutien à l'Hôpital Albert-Schweitzer de Lambaréné mal vécue par Omar Bongo qui, plutôt que de considérer les services immenses qu'il rendait à la population locale, ne voulait y voir qu'un vestige de l'époque colonialiste ; nos combats don quichottesques (donc perdues d'avance) contre les petits blancs et leurs complices corrompus de la Françafrique ; notre découverte de la musique africaine, évidemment, l'amitié nouée avec Pierre Akendengué ou les Camerounais Francis Bebey et Manu Dibango, etc. Mais le plus marquant, rétrospectivement, aura été la chance immense de connaître et de vivre – de l’intérieur – l’évolution complète de la technique de fabrication d’un journal au long de l’histoire.

 

À commencer, comme du temps de Gutenberg ou presque par celle du plomb, du marbre, avec un composteur pour les titres, en cap ou en bas de casse ; avec les articles sortis à l’envers, fondus, dans la justif demandée, de la linotype, pour le montage par blocs de lignes en colonnes, la pince à la main. Enfin, au bout du bout, chaque page bien serrée dans sa forme, le passage d’un rouleau d’encre sur le plomb pour obtenir, par contact d’une feuille de papier, une morasse… Une épreuve, page par page, à lire sans délai pour traquer la moindre faute d’orthographe que le linotypiste aurait pu commettre. Les lignes à ressortir alors, à remplacer une à une à la pince en prenant bien soin de ne pas se tromper d’endroit, vu que le montage physique se lisait à l’envers… Vous suivez ? Il n’y avait plus alors qu’à apporter le résultat fini, deux formes bien calées soit deux pages à la fois, à l’impression. Les morasses du Gabon…

Rassurez-vous : pour le quotidien, avec une belle équipe rédactionnelle de gens de notre âge et une bande de jeunes gabonais à former, une imprimerie nouvelle serait là, et surtout une technique nouvelle : l’offset pour le montage et une rotative pour le tirage. Cinq mille exemplaires tirés du premier numéro de l’hebdo, seize mille vendus chaque jour du quotidien à notre départ du Gabon. Un pays alors alphabétisé bien au-dessus de la moyenne. Quelques années plus tard, Paroles et Musique connaîtrait les débuts de l’informatique, et Chorus, à sa naissance, la P.A.O. et les balbutiements de l’Internet…

Les morasses du Gabon ?
En attendant un livre, peut-être, racontant cette extraordinaire histoire vécue, une aventure de presse bien sûr mais loin de n'être que cela (pour peu qu’il existe encore un éditeur amoureux de son métier), souhaitons bon anniversaire à L’Union, fringant quinquagénaire depuis ce 15 mars 2024 ! Peu importe qu’il n’y ait que deux personnes au monde pour le lui souhaiter, puisque ce sont celles qui lui ont donné la vie… et sont elles-mêmes toujours bien vivantes !

NB. À propos du Gabon et/ou de L’Union, voir aussi sur ma page Facebook : "17 août 2023 : Bonne fête nationale au Gabon".

Partager cet article
Repost0
4 novembre 2022 5 04 /11 /novembre /2022 15:41

Sur les traces (franco-helvétiques) de Frédéric Dard…

Bonnes nouvelles : Frédéric Dard connaît enfin les honneurs de l’Éducation nationale, avec un premier collège à son nom – il aura « seulement » fallu attendre vingt-deux ans après sa disparition –, alors que Le Roman de San-Antonio (qui retrace « le siècle de Frédéric Dard » : 1921-2021) arrive en librairie : il fallait simplement attendre que frappe à sa porte un certain Balzac (éditeur) ! Double occasion de « régler son compte » une fois pour toutes (mais avec une tendresse absolue) au père de l’incomparable comédie san-antonienne…

Saint-Chef. Petite ville du Dauphiné où « Freddy » fréquenta la Communale et fit sa première communion dans son abbatiale. « J’ai eu 12 ans à Saint-Chef… village heureux : je suis allé à l’école – blouse noire étoilée d’encre violette, grosses galoches pleines de boue – dans ce vaste bâtiment de pierre silencieux et délabré où des fenêtres hagardes fixent de leurs yeux crevés de nouvelles, d’incessantes jeunesses. Et là, j’ai commencé à apprendre, non pas l’histoire de France, mais la France tout court… Oui, village heureux où j’ai, pour la première fois, éprouvé les vapeurs de vin et senti résonner en moi le rire des filles*… »

Ce 6 octobre, nous sommes réunis, les principaux membres de sa famille (à l’exception de son fils Patrice, hélas empêché) et des Amis de San-Antonio, pour assister à l’événement : le baptême du premier collège Frédéric-Dard ! Quoi de plus logique que ce soit celui du (beau) village de sa prime adolescence, où la municipalité lui a consacré un musée destiné à rassembler le fonds dardo-san-antonien le plus important de France (et du Navarin, ajouterait Bérurier).

Les autorités officielles du département de l’Isère et de l’académie (pas encore française !) sont venues, elles sont toutes là, parmi les six cents élèves, pour lui donner toute la solennité nécessaire. Une chorale nous accueille avec quelques chansons spécialement choisies, avant que Joséphine, la fille de Frédéric et Françoise Dard – présente avec Abdel, leur fils adoptif, Fabrice, son premier enfant, et les deux enfants de la sœur de Frédéric et du dessinateur Roger Sam – ne dévoile la plaque sous les applaudissements. Forcément, « on » est conscient de l’importance symbolique du moment : aujourd’hui, l’ancien garnement de Saint-Chef qui s’y livra à « maintes facéties d’un goût douteux* » mais qui, avant 15 ans, avait déjà lu Dumas, Hugo, Tolstoï, Zévaco, la comtesse de Ségur… et autre Balzac, n’en reviendrait pas.

En revanche, il serait on ne peut plus sensible au discours prononcé par sa nièce Patricia au nom de la famille :

« Monsieur le président du conseil départemental, mesdames et messieurs les représentants du conseil départemental, de la commune de Saint-Chef, madame la directrice académique, monsieur le principal, chers amis de San-Antonio et vous tous ici rassemblés ; comme tous les membres de ma famille, je suis très honorée et fière de participer à l’inauguration du collège Frédéric-Dard.
» Lorsque Joséphine m’a demandé de prononcer un discours, la question de ma légitimité s’est imposée. Pourquoi moi ? Mais ma cousine possède un talent certain de persuasion, alors j’ai accepté, il ne faut pas se mettre la rate au court-bouillon !
» La légitimité est d’abord familiale. Comme mon frère, François, ici présent, son neveu, je suis la nièce de Frédéric Dard, la fille de son âme sœur Jeannine, la petite-fille de Francisque, son père, et de Joséphine Cadet, sa mère, qui repose au cimetière de Saint-Chef.

» Ensuite la légitimité est peut-être dans ma vie professionnelle. Comme Marie-Marie, la nièce de Bérurier, je suis enseignante. Enfin je l’ai été puisque je suis à la retraite depuis un an. Pendant trente-neuf ans j’ai enseigné l’histoire et la géographie en collège puis au lycée ; mon dernier poste ayant été au lycée l’Oiselet de Bourgoin-Jallieu, autre clin d’œil à Frédéric Dard.
» Alors comme ex-enseignante, je ne peux que me réjouir et remercier le conseil départemental d’avoir choisi le nom de Frédéric Dard pour veiller à la scolarisation des quelque 600 élèves de ce collège. Il y a du panache et de l'audace dans ce choix.
» J’aimerais que les élèves soient fiers de ce nom car aucun autre collège ne le porte. Fiers surtout car ce nom porte en lui des valeurs, des principes, une forme d’esprit, qui loin de se contredire, se complètent.
» Étudier au collège Frédéric-Dard devrait être, selon moi, gage d’ouverture d’esprit, de curiosité, de générosité, d’humour et devrait vacciner de la médiocrité, de la bêtise, de la méchanceté, sans angélisme et naïveté pour autant. Mais que les élèves le sachent : on ne devient pas un auteur à succès, un génie de la littérature en un claquement de doigts. Frédéric Dard c’est la légèreté, l’irrévérence, l’insolence, la “déconne” mais c’est aussi le travail, l’effort, le doute, l’échec dont on se relève, la recherche du juste, l’exigence.
» Que me dit, que me souffle à l’oreille Frédéric Dard à moi, élève de collège ? Il me dit : “Allez mon gars, allez ma fille, va au bout de tes rêves, tout est possible mais mouille le maillot, travaille, bats-toi, crois en toi ; n'écoute pas les cyniques, les méchants, les défaitistes.”
» Et à moi, enseignant(e), que me souffle-t-il à l’oreille ? Il me dit la même chose : “le travail, l'exigence, la rigueur”, mais d’ajouter : “mets de l’humour dans tes cours, de la fantaisie dans ta pédagogie et tu verras, tu les harponneras.”
» Ainsi, puissent les élèves de ce collège se construire, s’épanouir, s’enrichir pour devenir des hommes et des femmes instruits, curieux, libres et sans préjugés comme Frédéric Dard aurait aimé qu’ils deviennent. »

UN ÉCRIVAIN COUPABLE DE TOUS LES MAUX

À vrai dire, s’il faut se réjouir de l’événement et féliciter les responsables de Saint-Chef et du département de ce choix mille et une fois justifié, comment ne pas s’étonner qu’un tel génie de la littérature, en effet (champion du chamboule-tout avec des coéquipiers nommés Rabelais, Villon, Céline, Allais, Prévert et autre Queneau), ne compte pas encore, à l’instar des susnommés, de peintres, de poètes, de musiciens, de philosophes ou de certains chanteurs, des collèges et lycées par dizaines à son nom ? Serait-il moins honorable que ceux de Brassens, Brel, Henri Dès, Yves Duteil ou… Pierre Perret (héritier évident de San-Antonio dans le vocabulaire) ?

Pour avoir connu les péripéties que l’on sait avec mon Roman de San-Antonio – l’éditeur initial qui jette l’éponge, sans l’avoir lu, au simple motif qu’il ne saurait vendre « une telle somme » sur cet auteur, et les deux ou trois autres, ensuite, qui ne tarissent pas d’éloges à son sujet tout en s’avouant « désolés », pour les mêmes raisons, d’être « empêchés » de le publier, qu’il se présente en un ou deux tomes –, j’ai fini par me faire ma religion. Ne faudrait-il pas y voir, comme pour les établissements scolaires qui pourraient s’honorer de porter le nom de Dard mais ne se s’y risquent pas, un signe des temps où la frilosité générale s’accompagne (ou naît ?) d’un « wokisme » castrateur ?

Pensez ! Avec tout ce que San-Antonio a publié de pendable, les braves gens qui « n’aiment pas que l’on suive une autre route qu’eux » ne sauraient voir aujourd’hui en lui et en ses (bons) mots qu’un écrivain coupable des maux les plus affreux : « de biphobie, de cissexisme, de grossophobie, d’homophobie, de lesbophobie, de psychophobie, de religiophobie, de transphobie, de validisme, j’en passe et des pires comme la misogynie, la misanthropie et le racisme… évidemment ! Voire de handicapophobie, je néologise, pour oser moquer la phénoménale difformité (sexuelle) dont souffre Monsieur Félix* » (un de ses personnages récurrents qui n'est pas sans rappeler un certain Louis-Ferdinand Destouches).

Là, San-Antonio entonnerait son couplet sur les cons, capables de le rendre xénophobe, s’agissant à l’en croire des seuls « véritables étrangers de l’existence »… N’empêche que la question est posée : « En cette époque si peu épique, tristounette, castratrice et révisionniste où l’humour, autre que potache, incolore, inodore et insipide, dénué d’audace, ne court plus guère les rues* », pourrait-il continuer d’écrire d’aussi truculente façon sans que les tenants de la cancel culture ne lui tombent sur le paletot à tout propos jusqu’à le clouer au pilori ?

« Un mot de travers, même au second degré de moins en moins perceptible par la cohorte grandissante des ignares (qui croient tout savoir) et des honnêtes gens aux bonnes manières (s’érigeant volontiers en juges sentencieux), cautionnés par les spécialistes des petites phrases et du moindre embryon de polémique potentielle, estampillés info continue, et il serait taxé de toute l’ignominie du monde*. » À moins qu’il ne trouve au contraire, stimulé par les circonstances, un moyen inattendu, à la hauteur de son génie, de contourner les limites désormais imposées à la liberté d’expression ?

Moralité : pour la « défense et l’illustration » de Frédéric Dard dit San-Antonio en 2022, lequel tentait simplement dans ses écrits d’exorciser son désespoir face à l’incommensurable bêtise humaine (cf. Brel, « désespéré mais avec élégance »…), il y faut, c’est certain, « du panache et de l'audace ». Comme à Saint-Chef en Dauphiné et comme en Roussillon, au pays de l’irréductible Pablo Casals, où Balzac éditeur (dont les rencontres littéraires et musicales estivales autour de Brel et de Trenet ont scellé notre rapprochement) a décidé dard-dard d’ajouter Le Roman de San-Antonio à son catalogue. Six mois après une édition collector à tirage limité, nominative et numérotée, rendue possible grâce aux amis de San-A. et de la chanson.

On avait craint, un temps, que sa sortie en librairie, avec ses deux tomes, ne relevât des Illusions perdues. C’était compter sans Balzac*, justement, grâce auquel le « grand public » aura accès à cette maxi-dose de San-Antonio (si toutefois les médias veulent bien s’en faire l’écho) ; où l’on découvre une pensée certes politiquement incorrecte mais tellement visionnaire (c’est fou ce qu’il reste actuel !), révolutionnaire et jubilatoire qu’elle devrait, c’est sûr, « vacciner de la médiocrité, de la bêtise et de la méchanceté ».

À travers cette double histoire de Frédéric Dard et du « féal de [ses] féaux », m’a dit un journaliste tout récemment, « c’est plus qu’une biographie d’un grand écrivain, plus qu’un témoignage inédit que vous proposez : c’est l’Homme dans son époque que vous décrivez sous forme d’un récit où tout le monde peut se reconnaître. » Merci, m’sieur ! Rétrospectivement, votre commentaire m’a fait regretter de n’avoir pas utilisé en exergue de l’ouvrage cet avertissement éloquent de San-Antonio (tiré comme par hasard de J’suis comme ça) :

« Levez la main droite et dites je le jure.
– Je le jure !
– Baissez la main. Les personnages de ce récit sont-ils purement imaginaires et fictifs ?
– Je le crois, mais comme disait une femme adultère : tout le monde peut se tromper.
– Toute ressemblance avec des personnages existant ou ayant existé ne serait-elle que pure coïncidence ?
– Sûrement pas, car tous les hommes se ressemblent. Ils sont groupés par catégorie. Il y a les c… ; les moins c… ; les pas trop c… et les autres, c’est-à-dire les très c… Il n’y aurait donc rien de surprenant si certains lecteurs se reconnaissaient dans ces pages. »

Tout compte fait, il y a une morale dans cette comédie humaine. Parce qu’ils ont les foies, les demi-sels se font la malle ? Qu’à cela ne tienne, on n’en meurt pas et il reste toujours au moins un cador chez messieurs les hommes pour régler son compte à la frilosité ambiante. Résultat : faites chauffer la colle pour la fête des paires (tire-m’en deux, c’est pour offrir !), car ceci est bien une pipe… Et nous voilà ce soir : champagne pour tout le monde ! Pour la suite, le travail d’info éventuel des journalistes, nul besoin de se mettre la rate au court-bouillon : advienne que pourra et en avant la moujik !

__________________

* Pour mémoire, l'auteur de La Comédie humaine fut également éditeur (notamment des Oeuvres Complètes de Molière).

MOI, L’AUTEUR DE JALLIEU…

En attendant – petite leçon en forme de San-Antonio pour les nuls – je vous propose de partir ensemble sur les traces de Frédéric Dard. Suivez le guide. On a commencé par la fin, par Saint-Chef où il repose aujourd’hui, sous une dalle qu’il a voulue à ses deux noms (« Frédéric Dard dit San-Antonio, 1921-2000 »), avec vue quand la météo sourit sur le mont Blanc. Le temps de quelques confidences discrètes, quasiment filiales, qui ne regardent personne… et nous opérons un saut d’une vingtaine de kilomètres (et de soixante-dix-huit ans !). Jusqu’à Jallieu, où le futur romancier naquit le 29 juin 1921 au premier étage, 75 Grande Rue (aujourd’hui rue de la Libération), du bureau de poste : quoi de plus normal pour quelqu’un appelé à devenir un homme de lettres !

Baptême à l’église toute proche, puis – après un « détour » d’une soixantaine d’années par Saint-Chef, Lyon, Les Mureaux, l’île Saint-Louis, Gstaad et Genève – retour à Bourgoin-Jallieu en 1982 (les deux villes ont fusionné en 1967) pour la pose officielle d’une plaque sur sa maison natale, en présence de son père Francisque. « Je me rappelle le bureau de poste où je suis né et qui reste obstinément clos depuis. Comme s’il attendait que je disparaisse pour trouver une nouvelle vocation*. » Aujourd’hui, il est le siège intermittent d’associations locales… Souvenirs, souvenirs : « À cause de Bourgoin-Jallieu, j’ai pu mesurer à quel point nous sommes les enfants de notre enfance. Je sais maintenant combien sont essentiels, riches et fertilisants les premiers souvenirs d’un homme. Je me reverrai toujours, accroché à la main de ma grand-mère, par les rues silencieuses de Jallieu*. »

Quatre ans plus tard, Frédéric Dard revient sur ces mêmes lieux pour inaugurer le « Bar San Antonio » (sans trait d’union, pour éviter tout problème avec l’éditeur). Avant de le laisser couper le ruban (un collier de neuf mètres de saucisses !), on lui fait parcourir la ville dans une Citroën décapotable de 1931 (avec Françoise et Joséphine), ovationné par les habitants.

Il faut dire qu’entre-temps, celui qui signe désormais tous ses livres « San-Antonio » (depuis qu’en 1979, à l’occasion de Y a-t-il un Français dans la salle, l’auteur de romans noirs à l’écriture ciselée a « opéré la jonction » avec la luxuriance san-antonienne) a publié son chef-d’œuvre, Faut-il tuer les petits garçons qui ont les mains sur les hanches ?, où le narrateur se nomme… Charles Dejallieu (lumineux pour qui sait que Dard se prénommait Frédéric Charles Antoine et que ses deux premiers prénoms lui servirent longtemps de pseudonyme).

Mais reprenons le cours de notre voyage. Impossible de quitter Bourgoin-Jallieu, ses place et rue Frédéric-Dard, sans un clin d’œil à l’Objet Dard érigé et inauguré en 2004, en présence de la famille : un ouvrage à son image, d’une taille impressionnante (deux mètres de haut sur six de large), réalisé par le plasticien Bertrand Lavier. Ni une pyramide ni un obélisque, encore moins un mur des lamentations, mais « un anti-monument funéraire » où sont gravés en rose fluo sur du granit vert les titres des 174 San-Antonio (en format de poche), de Réglez-lui son compte ! à Lâche-le, il tiendra tout seul. L’occasion de pointer du doigt Ceci est bien une pipe, qui fêtait en 1999 les 50 ans de San-Antonio et de son Grand Connétable de la San-Antoniaiserie (suivez mon regard), intronisé pour la vie dans cet antépénultième épisode de la saga. Un an plus tard, un an seulement, Frédéric tirait sa révérence à Bonnefontaine…

 

SAN-ANTONIO FAIT SON TROU EN BASSE-GRUYÈRE

Nous y voilà dans ce petit village de Suisse (encore) romande, à quelques encablures de l’alémanique Fribourg. Bonnefontaine. Là où « l’auteur de Jallieu », comme il se qualifiait lui-même dans ses écrits, a vécu ses dernières années, dans une vieille ferme qu’il avait rénovée et conservait en activité, baptisée L’Eau vive… Si je ne vous ai pas dit cent fois que « Frédo » adorait la chanson autant que moi, je ne vous ai jamais rien dit ! Un saint Antoine (forcément) nous accueille sur le seuil du saint des saints du paradis san-antonien.

J’en connais qui se damneraient pour y passer la nuit : son bureau à l’étage, dans un recoin de sa chambre, où il écrivait exclusivement ses romans ; le salon-bibliothèque du rez-de-chaussée où il s’attelait à ses pièces de théâtre et répondait à son courrier… Ses livres, qui recouvrent les murs de l’escalier et de toutes les chambres. Les siens, la plupart de ses originaux – son premier San-A. publié à Lyon en 1949 mais aussi ses premiers textes signés Dard, depuis La Peuchère en 1940, et tous les autres romans sous pseudos de sa période lyonnaise (il n’arrivera aux Mureaux qu’en mars 1949) – et ceux de ses auteurs de prédilection, par centaines ; tiens, dans le lot, un Putain de chanson d’un certain Hidalgo et le Trenet de Cannavo publié chez Hidalgo Éditeur… Ses photos, celles des siens, sa présence partout entre ces murs, fantomatique et pourtant presque palpable. Sa chambre… où il est mort le 6 juin 2000.

J’ai cité La Peuchère, son premier texte publié en 1940, une grande nouvelle écrite à 17 ans… Incroyable surprise ! Joséphine et Abdel nous offrent la primeur d’un document unique entre tous : la maquette du futur ouvrage réalisée et annotée à la main par le jeune Frédéric en personne ! Le saint des saints, cette fois-ci, de son œuvre. Émotion. Merci Joséphine, merci Abdel, merci de nous avoir permis de feuilleter ces pages si modestes marquant paradoxalement la naissance d’une immense carrière, et merci de nous permettre d’en reproduire ici la couverture en « exclusivité mondiale » ! Un travail artisanal, à la valeur affective à présent inestimable, destiné à rejoindre le Musée Frédéric-Dard de Saint-Chef en Dauphiné.
 

AU MUSÉE FRÉDÉRIC-DARD DE SAINT-CHEF

Encore en herbe, celui-ci offre déjà un concentré de la vie et de la carrière de Frédéric, retracées par différents panneaux : illustrations diverses, affiches de films adaptés de ses livres et/ou dialogués par lui, affiches et programmes de ses premières pièces de théâtre, correspondance, photos de ses parents et grands-parents… et même du dénommé Louis Berruyer, l’unijambiste qui lui inspira son personnage de Bérurier ! Ses livres évidemment, en éditions souvent originales, pas loin de trois cents (vendus à 220 millions d’exemplaires de son vivant, mais parfois, pour les premiers, tirés seulement à quelques centaines), ainsi que ceux des « Nouvelles aventures de San-Antonio » signées Patrice Dard.

Enfin, son dernier bureau venu directement de Bonnefontaine et puis, bien protégée sous une cloche en verre, sa dernière machine à écrire (une IBM électrique à boule) sur laquelle – ô étranges et fascinantes circonvolutions du hasard – est glissée la page d’un San-Antonio où figurent quelques corrections manuscrites. Sur des dizaines de milliers de pages tapées par le Grand Frédéric, il a fallu que celle-ci soit précisément celle, tirée du tapuscrit de Ceci est bien une pipe, où il me proclame Grand Connétable de la San-Antoniaiserie !!! « Je connaissais la chanson, paroles et musique, comme dirait mon cher Fred Hidalgo, le plus féal de mes féaux… »

À BONNEFONTAINE AVEC BÉRURIER ET LES SAINT-CHEFFOIS

Mais pour l’heure, nous sommes toujours en Suisse où nous attendons des amis de Saint-Chef, justement, membres de son comité de jumelage. Figurez-vous que le village où Frédéric vécut adolescent est jumelé depuis 1982 à celui où il fit son trou en Basse-Gruyère ! Il y a des projets dans l’air et de la convivialité à tous les étages. À l’extérieur, le compère Bérurier (alias Marc Armanet) m’a rejoint dans le « jardin Frédéric-Dard » pour commenter la raclette en préparation et les vins ad hoc auxquels il n'a pu s'empêcher de jeter un coup d’œil... Pinaud, frileux, a dû rester près de la cheminée du salon, la goutte au nez et un verre de muscadet en main.

Pour sceller l’amitié franco-helvétique, nous voilà ensuite réunis autour de la fontaine du village, en compagnie du joyeux maire de Saint-Chef en Dauphiné, Alexandre Drogoz, et de son équivalent suisse, le « syndic » Nicolas Lauper. Normal pour un bourg nommé Bonnefontaine. Sauf qu’il fallut attendre Frédéric pour voir renaître une fontaine dans la commune… Elle fut inaugurée en sa présence le 5 mai 1991, avec cette inscription signée Dard : « La seule vraie richesse, c’est l’eau. » On en convient sans difficulté en trinquant les uns les autres en mémoire de lui, deux fois plutôt qu’une, avec le jus de la treille local, le sympathique blanc du cru, avant d’aller déguster de succulents plateaux de fromage, dont un « San-Antonio » pas piqué des hannetons et suffisamment bien arrosé pour nous rendre chèvre !


AU PARADOU DE FRÉDÉRIC ET FRANÇOISE DARD

Enfin, chacun s’éparpille en prenant date pour de futurs lendemains qui chantent. Notre séjour privé au « Paradou », près de Genève – où vivaient Frédéric, Françoise et leurs enfants Abdel et Joséphine, jusqu’à ce que celle-ci fût kidnappée en février 1983 – relève ensuite de l’intime. Françoise Dard reste une jeune femme de 80 ans (oui, je sais, mais elle les porte tellement bien…), aussi avenante que lorsque je l’ai connue il y a plus de cinquante ans (!), pleine de vie, d’allant et d’envie que l’œuvre de Frédéric survive à l’homme. À une journaliste du Dauphiné Libéré qui lui parlait du Roman de San-Antonio, Françoise insistait pour qu’elle note bien que « c’est l’ouvrage le plus juste jamais écrit sur Frédéric »

Des bouquins et des bibliothèques, la maison en regorge, véritable caverne d’Ali Baba pour l’admirateur de l’écrivain. Voici son salon qui accueillit tant d’amis, d’Albert Cohen à Léo Ferré ; sa chambre, la nôtre… avec un tableau composé de couvertures de ses livres et d’un portrait signé par lui « à Françoise, éperdument ». Bien sûr, son bureau où il écrivit moult chefs-d’œuvre… et les deux cents premières pages de Faut-il tuer les petits garçons qui ont les mains sur les hanches.

Être hypersensible, Frédéric Dard « sentait » souvent les drames à venir (il n’était pas du genre à s’en vanter mais ses proches témoignent de ce don indéniable et un peu effrayant). En l’occurrence, comme si la mise en abyme de la fiction avec le monde de « l’auteur de Jallieu » ne suffisait pas, Frédéric, pris d’une surprenante prémonition, vit son roman brusquement projeté dans la plus improbable et cruelle des réalités. Juste avant l’enlèvement de Joséphine, chloroformée dans sa chambre du premier étage, à laquelle le ravisseur avait accédé par une échelle, pendant que ses parents dormaient, le romancier « à grands tirages » Charles Dejallieu avait imaginé le rapt de sa belle-fille…

Par bonheur, après de rocambolesques péripéties, tout rentra assez vite dans l’ordre, mais, se sentant coupable d’avoir défié le destin, Frédéric remisa son texte dans un placard, décidé à l’oublier, et s’installa à Bonnefontaine. Il se rappela pourtant à son bon souvenir quelques mois plus tard et fit de ce livre interrompu une merveille d’humanité. En couverture un petit garçon, les mains sur les hanches pour masquer une infirmité qui le handicapa durant toute sa vie…

Comment, vous ne l’avez pas (encore) lu ? Quelle chance vous avez ! Et vous autres, qui ne connaissez toujours pas San-Antonio (vous êtes bien à plaindre si vous ne faites rien pour y remédier) sous prétexte qu’il n’est plus en odeur de sainteté aujourd’hui où le moindre sein échappé d’un décolleté effarouche le monde entier, méditez donc cette déclaration du grand Descartes à son sujet, après avoir lu un de ses livres sur épreuves : « …Ça n’a pas été une épreuve pour moi ! San-Antonio vient de me faire comprendre ce qu’aurait dû être ma carrière. Jamais on n’est allé aussi loin dans la fantaisie. Jamais imagination ne s’est à ce point libérée des contingences. Pour San-Antonio, seul compte l’humour. Il va jusqu’au bout de son propos qui est de nous faire rire. Rien ne l’arrête, pas même la réalité, car la réalité est banale. Que n’ai-je adopté en mon temps sa méthode ? J’aurais ainsi évité bien de vains discours ! »

CQFD ? Sans doute. Laissons pourtant le mot (cartésien) de la fin à Frédéric Dard : « Si San-Antonio n’existait pas, je l’aurais inventé ! »

_______________

*La plupart des citations figurant dans cet article sont tirées du Roman de San-Antonio. Disponible en librairie dès ce 14 novembre 2022 (et sur les principales plateformes de vente en ligne : Fnac, Mollat, le Furet du Nord, Amazon, LaLibrairieDecitre, DialoguesChapitre, etc.) chez Balzac éditeur. Qu’on se le dise et – mieux encore, si vous l’avez apprécié avec son édition collector parue en avril – vous aurez à présent tout le loisir de le conseiller à vos amis, voire de l’offrir en cadeau à l’occasion des fêtes de fin d’année…

Partager cet article
Repost0
18 octobre 2022 2 18 /10 /octobre /2022 11:30

... et le facteur sonne toujours deux fois !

Pour paraphraser le titre du spectacle consacré au Grand Jacques qui tourna longtemps en Amérique, Paco Ibañez est vivant, il va bien et vit désormais à « La Porte des Étoiles » ! Celles des grands poètes hispanophones qui continuent de briller au firmament grâce à son incomparable mise en musique et en bouche. Dernières nouvelles du front de la résistance à l’inculture galopante...

Oui, Paco va bien, malgré sa mésaventure vécue fin juillet à Sète qui, à la suite de mon témoignage, a provoqué d’innombrables réactions de soutien à l’artiste (ainsi que quelques excuses aussi nécessaires que bienvenues, mais chut, cela ne regarde que lui... et les amis qu’il a bien voulu mettre dans la confidence), et ses chansons se veulent toujours une arme chargée de futur.

Bonnes nouvelles, donc, depuis sa Porte des Étoiles, la bien-nommée (en français dans le texte !), où nous avons eu le bonheur, encore une fois, de partager l’humanité de ce frère d’âme de Brassens, Ferrat, Ferré, Moustaki, Leny Escudero et autre Nilda Fernandez. Son rejet existentiel de l’intégrisme et de tous les extrémismes qui minent la nécessaire convivencia, le vivre ensemble ; sa révolte contre l’injustice sociale ; sa colère face au déclin culturel et linguistique au profit d’une américanisation des mœurs et du langage, par indifférence ou manque général de vigilance ; sa tendresse à fleur de peau… Et son humour dont il ne se départit jamais, souvent ravageur et provocateur en public comme en privé, parfois perceptible uniquement dans son regard pétillant de malice.

Ce jeune homme de 88 ans, le 20 novembre prochain, arbore depuis peu une barbe qu’il porte beau… et prépare un nouvel album, Érase una vez (Il était une fois) ! Il nous en a offert la primeur des titres et de la maquette, illustrée par un artiste de renom (superbe, en forme de livre-disque) :

« Tout est prêt, dit-il.
– 
Et alors ?
– Il ne reste plus qu’à enregistrer les chansons !
– En guitare-voix ?
– Non ! Avec mes musiciens : Mario (Mas) à la guitare, Cesar (Stroscio) au bandonéon, Joxan (Goikoetxea) à l’accordéon, un contrebassiste peut-être, ou un violoncelliste…
Et donc ?
– 
On va répéter ici, dans la grande salle que tu as vue en sous-sol, mais d’abord il faut qu’on installe le studio. »

 

Ah oui ! Je ne vous ai pas dit que sa « Porte des Étoiles », ça n’est pas seulement la fenêtre grand ouverte, la nuit, sur celles-ci, loin des lumières de la ville – de Barcelone en l’occurrence, qu’il vient de quitter après y avoir vécu plus de trente ans –, c’est aussi une bâtisse spacieuse en restauration où toutes les archives d’une vie et une bonne part de celles de son label A Flor de Tiempo doivent encore être classées. Puis numérisées avec le concours des services d’une grande Université. Il faudra donc patienter quelque peu, le temps de monter sur place un studio d’enregistrement, pour voir se réaliser ce nouvel album au titre induisant un monde à l’envers qui tournerait enfin rond.
 

 

De la patience, Paco n’en a jamais manquée. La preuve : jadis et naguère, avant qu’il ne retourne vivre en Espagne, je lui avais annoncé une lettre de ma part, postée à Paris mais jamais parvenue à destination. Il n’y avait pourtant que quelques centaines de mètres entre le bureau de poste de la rue Littré et son adresse d’alors, rue Delambre… Depuis, sujet de plaisanterie récurrent entre nous, il faisait mine de l’attendre comme l’Arlésienne… Je ne vous raconte pas les pérégrinations surprenantes qu’a dû connaître cette lettre entre-temps, par monts et par vaux postaux, toujours est-il qu’elle a fini par me revenir (en France), pour que je l’emporte et la remette enfin, en mains propres (en Espagne), à son destinataire, tenez-vous bien : cinquante-deux ans plus tard !!!

« Tu te souviens, Paco, de ce film intitulé Le facteur sonne toujours deux fois ? Eh bien voilà, je suis ce facteur… Tiens, c’est ma tournée ! »

D’abord, il pense à une blague. Il se saisit de l’enveloppe que je lui tends, l’examine sous toutes les coutures. Pas possible ! Je n’avais pas affabulé ! Il était bien le destinataire du courrier en question. À une adresse qu’il connaissait bien : « Monsieur Paco Ibañez, Hôtel Namur, 39 rue Delambre, Paris 14 ». Il hallucine en découvrant le cachet de la poste : l’enveloppe a été affranchie le 2 décembre 1970 ! Recto-verso, des tampons « Non réclamé » en date du 7-12-70 et « Retour à l’envoyeur » le 28-12-70…

Il me demande, circonspect, s’il peut l’ouvrir. « Elle n’attend que ça depuis plus d’un demi-siècle, elle t'appartient ! » Paco chausse ses lunettes, attrape un couteau et décachète soigneusement le pli. Nous finissons alors un somptueux bœuf bourguignon de sa préparation, arrosé par un excellent vin du Roussillon griffé « Fred » ! Je l’avais prévenu d’une surprise de taille pour le dessert... Il a bien tenté d’en savoir plus pendant les agapes, sans pouvoir imaginer ce mot rescapé d’un temps où la gent féminine (et pas que !) cherchait à attirer l’attention du séduisant jeune homme qu’il était.

Il sort la feuille, la déplie. Comme l’enveloppe, elle est de couleur bleue. Il commence à la lire à haute voix. Je suis aussi fébrile que lui, ne me souvenant que de l’objet principal de ses lignes. Cinquante-deux ans, vous pensez ! Nous sommes venus en compagnie de Jo Masure, directeur-fondateur du festival « Alors chante… ! » de Montauban (hélas disparu), qui n’a pas revu Paco (autrement qu'en spectacle) depuis belle lurette. Jo a apporté le livre d’or du festival et de l’association « Chants Libres », créée en amont, qui l’avait déjà programmé au théâtre de Montauban. C’était le 8 novembre 1983, comme en témoignent une photo et une dédicace de l’artiste en espagnol (« La vie est faite de chemins, et dans les chemins des amis attendent et croient en […] ce chant libre que nous chantons jour après jour… »). Présente également, une actrice et poétesse basque, Tachia Quintana, qui entretint des liens étroits d’amitié avec Blas de Otero et Gabriel Garcia Marquez…
 

 

La voix du chanteur donne vie à mes mots maladroits d’antan :

« Cher Paco,
Permettez-moi de vous appeler ainsi, bien que nous ne nous soyons malheureusement pas encore rencontrés. Pourtant, cela aurait pu se produire à plusieurs reprises… »

Il me regarde, l’œil interrogatif, sachant que ces lignes lui étaient intimement réservées. Mais il y a prescription. Je laisse faire… et dire. Alors, il reprend la lecture : « J’ai 21 ans, je suis fils de parents espagnols réfugiés politiques, je termine cette année des études de journalisme, et j’admire beaucoup votre travail de compositeur-interprète. Depuis deux ou trois ans déjà, j’attends la possibilité de vous rencontrer. Naturellement je possède tous vos disques, et je suis allé vous entendre à la Mutualité et à l’Olympia. Ce dernier récital était d’ailleurs formidable. »

Bon, le décor est planté. Si la prose est ordinaire, les invités retiennent leur souffle, conscients de participer à un moment rare, comme passagers d’une machine à remonter le temps… D’ailleurs, la voix de Paco s’enraye quelque peu comme s’embuent ses prunelles à l’évocation de Rogelio, son frère aîné, excellent comédien, qu’il aimait énormément. Séquence émotion. « J’ai rencontré votre frère, Rogelio, à plusieurs occasions, notamment au bar de la rue Delambre qui est son quartier général. Après avoir vécu en province, à 80 km de Paris, j’habite maintenant boulevard Montparnasse. Or, j’ai appris par Rogelio que vous viviez rue Delambre. Tout près de chez moi ! Il m’a dit que vous êtes actuellement à Barcelone, mais que vous deviez rentrer vers le 11 ou 12. Ce serait vraiment un très grand plaisir de pouvoir vous rencontrer. Si vous n’y voyez pas d’inconvénient, je vous téléphonerai alors. […] C’est pourquoi je préfère vous envoyer cette lettre sans plus tarder… »

Paco, sérieux comme un pape : « Tu as bien fait ! Imagine si tu ne me l’avais pas envoyée… On ne se serait sans doute jamais rencontrés ! » Rire général qui détend subitement l’ambiance. Et le destinataire de cette missive du temps passé qui ne se rattrape guère, de relire l’adresse : « Hôtel Namur… Quand même, ils auraient pu me prévenir plutôt que de retourner la lettre à la poste. Tu t’es trompé, ou bien tu as mal compris ce que t’a dit Rogelio. J’habitais juste à côté, mais les gens de l’hôtel me connaissaient bien et mes amis y descendaient quand ils venaient me voir. »

Il n’y a pas de mal, puisque tout est bien qui finit bien. Il fallait simplement attendre la seconde tournée du facteur. La preuve que la Poste française a beau connaître des ratés, rien ne s’y perd pour autant. Cocorico ! La suite de l’histoire ? Dix ans en Afrique et retour début 1980 pour créer Paroles et Musique. Au sommaire du n° 1 paru le 15 juin, mon compte rendu du concert de Paco, en mai, à Bobino. Comme son titre l’indiquait, « Une arme chargée de futur », ce fut l’occasion de notre première vraie rencontre, annonciatrice de nombreux lendemains qui chantent. Moralité : si le facteur sonne toujours deux fois, la vie vous donne aussi, toujours, une seconde chance.

Il était une fois Paco Ibañez… En attendant d’enregistrer son prochain album, le porte-parole des poètes, prince des mélodies, continue d’arpenter les scènes. Juste après une opération pour laquelle il a dû subir une anesthésie générale dont il a peiné à se remettre (« Le chirurgien était un admirateur… et je me suis endormi en m’écoutant car il m’a opéré sur mes chansons ! confie-t-il l’air goguenard, tu le crois, ça ?! »), il a offert (dans tous les sens du terme...) à Sète un concert exceptionnel en hommage à Brassens, en compagnie d’amis musiciens et chanteurs (dont Quico Pi de la Serra qui a adapté le Sétois en catalan).

Ce 23 juillet, dans le magnifique écrin, quasiment comble (1500 places), du Théâtre de la Mer où les goélands planaient sous la lumière des projecteurs, comme autant d’âmes immaculées des poètes qu’il ressuscite en majesté à chaque spectacle, Paco m’avait réservé un tour à sa façon. Une première en ce qui le concernait… et une surprise pour les spectateurs en me voyant débouler, aux dernières lueurs du jour, la Méditerranée en fond de scène, avant l’artiste. Et pour moi donc, « obligé » par celui-ci de le présenter presque au débotté. Juste le temps de prendre quelques notes… Comme si l’on présentait Paco Ibañez, surtout auprès d’un public de connaisseurs ! Mais allez donc refuser quoi que ce soit au « Maestro »

De retour sur « las tierras de España » (cf. A galopar…), il a repris aussitôt le chemin des planches, simplement entrecoupé de son déménagement jusqu’à « La Porte des Étoiles » d’où l’on aperçoit le versant sud de « la montagne sacrée des Catalans », le pic du Canigou. Le 8 octobre dernier, il était au pays de Miguel Hernandez*, dans la province d’Alicante, et le 28 il sera à Jaen (dont il a chanté comme nul autre les Andaluces cueilleurs d’olives). Il est attendu ensuite, le 20 novembre, à Getxo (Pays Basque) puis le 16 décembre à Badajoz.

______________
*En mars 1940, Miguel Hernandez est condamné à mort par les âmes damnées de Franco, avant que la sentence (le poète étant déjà considéré comme l’un des plus importants du XXe siècle) ne soit commuée en trente ans d'emprisonnement... Mais, atteint de tuberculose, il meurt le 28 mars 1942 dans une prison d’Alicante.

 La France ? « Capitale du monde de la chanson », dit-il en ajoutant que « Brassens en est l’empereur », il l’a parcourue dans tous les sens au cours des décennies, seul chanteur non francophone à s’y produire dans une langue étrangère, toujours devant des salles combles. Paris ? La Mutualité, Bobino, l’Olympia, les Folies-Bergère, le Trianon, le Casino de Paris, le théâtre des Champs-Élysées, le Châtelet et j’en passe sans doute, toutes les grandes scènes l’ont également accueilli triomphalement.

À qui le tour à présent ?
À qui
l’honneur (et l'immense plaisir) de l’inviter ?
À suivre, au grand galop !
 

_____________
Site de l’artiste (A Flor de Tiempo)

NB. Pour rappel, si ça vous chante : « Le cadeau de Paco Ibañez à Edgar Morin » (avec d’autres liens renvoyant à Paco sur ce blog).

Partager cet article
Repost0